Si nous revenons sur un sujet traité par d'autres dans ce livre et ailleurs, en particulier par le professeur Streeter, d'Oxford, c'est simplement pour ajouter à ces études le témoignage de ceux qui ont entendu le sâdhou en Suisse et retenir les points où il peut nous être en exemple.
Il y a chez lui des talents qu'il doit à sa naissance, et d'autres qui lui ont été accordés en réponse à ses efforts et à ses prières. Sera-t-il un jour le Patrick, le Colomban ou le Boniface de sa patrie ? Une chose certaine, c'est qu'il a choisi le chemin étroit. Il pourrait jouir aux Indes, s'il se lançait dans la politique, d'une influence immense ; mais il a préféré mettre ses forces et ses dons au service de Christ, et il a des dons admirables. D'abord, il est très intelligent. Il a appris l'anglais seulement par des conversations ; il peut prêcher en sept langues aux Indes. Il a beaucoup étudié pendant sa jeunesse : le Coran, le Granth, les Védas.. ; il en a appris de nombreuses pages par cœur ; son père lui reprochait même de perdre les yeux et la tête dans ces études. Nous voudrions donc recommander aux jeunes gens de bien comprendre ce qu'il a voulu dire au sujet des études de théologie qui devraient se faire avant tout par la prière aux pieds de Jésus ; il reconnaît que le boudhisme et le brahmanisme ont creusé des canaux où l'eau vive de Christ a pu couler plus tard ; il déclare que le travail harmonieux du cerveau et du cœur donnent des résultats admirables. Son esprit toujours en éveil saisit immédiatement les situations et l'on n'a pas besoin de lui expliquer deux fois les particularités morales d'un pays ; il a un sens spirituel qui lui fait sentir immédiatement à qui il a à faire.
Sur un second point, il y a quelque contradiction entre sa conduite et ses recommandations. Il semble avoir condamné la trop grande activité des Occidentaux, mais il est difficile d'avoir une activité plus intense, plus tendue que lui. Nous l'avons vu se lever quand la conversation ne le concernait pas directement et dire : « je perds mon temps. » Quand il faut prendre le train, cet homme si calme en apparence est le premier à donner le signal du départ. « Il faut faire, dit-il, chaque chose en son temps. » Ses lettres sont toujours brèves et écrites à la hâte. Il en reçoit de partout. Seulement, où il nous est incontestablement en exemple, c'est dans l'énergie avec laquelle il se défend contre l'envahissement des occupations inutiles, comme Jésus le recommandait à Marthe ; et surtout dans la part de son temps qu'il réserve infailliblement à la prière, debout quand il fait encore nuit, pour pouvoir y vaquer.
Une des raisons de son action sur son entourage, c'est la distinction naturelle qu'il garde dans toute son attitude malgré la vie de privations, de va-et-vient, d'incertitude à laquelle il est soumis ; il donnera par exemple la main à une dame avec une amabilité parfaite ; rien de gêné, d'appris. Il est comme l'enfant de Dieu qui partout se trouve dans la maison de son père. Sa mère doit avoir été une noble femme et on comprend le souvenir qu'il a gardé d'elle ; c'est d'elle peut-être qu'il a hérité la douceur qui frappe dans ses réponses et qu'il sait associer à une fermeté inflexible.
A côté de ces dons, pour ainsi dire naturels, qui sont aussi ceux de sa race et de sa caste et qui témoignent d'une éducation soignée d'un héritage séculaire, d'une civilisation vénérable, il faut relever tout ce qui lui vient du christianisme. Le point de départ de son développement, le point d'appui de ses convictions, l'orientation de sa vie lui ont été donnés par Jésus-Christ, dans l'apparition qu'il lui a accordée le 18 décembre 1904, quand il avait seize ans. Il était au fond d'un abîme moral sans issue, bien pire que le fameux puits du Thibet, et notre Sauveur lui est apparu, le regard bienveillant, rayonnant d'amour et de lumière ; sa voix s'est fait entendre à lui : « Pourquoi me persécutes-tu ?... » Dès lors, Sundar Singh a cru au pardon, à l'amour et à la puissance divine du Sauveur ; une lumière a resplendi sur son chemin ; un amour a réjoui, consolé son pauvre cœur ; tout son effort a consisté à persévérer dans cet amour et à y répondre. De là, son enseignement sur la divinité de Jésus-Christ. Jésus-Christ est puissant ; Jésus-Christ intervient ; Jésus-Christ sauve et délivre ; Jésus-Christ est vivant ; Jésus-Christ est la douceur, la joie de la vie, même au milieu des pires privations et des plus douloureuses souffrances.
Le sâdhou explique ce mystère par d'admirables images ; il ne veut pas de la doctrine de la trinité : « Nous ne pouvons pas croire à trois dieux ; ce ne serait pas la peine de rejeter la trinité hindoue, là trimourti, Brahma, Vishnou et Shiva, pour en prendre une autre ; cette doctrine est un obstacle au christianisme ; d'ailleurs, Dieu ne meurt pas sur une croix. » Et pourtant, par son expérience, le sâdhou voit en Christ Dieu lui-même, mais il l'explique par une comparaison : le soleil émet de la lumière ; la lumière n'est pas le soleil, mais elle en provient et en est inséparable ; de même la chaleur n'est pas la lumière ; elle n'est pas le soleil non plus, mais elle en dépend, comme la lumière. Soleil, lumière, chaleur ; Dieu, Jésus-Christ, le Saint Esprit... Image qui nous permet d'avoir un pressentiment de ce mystère ; le sâdhou a réconforté nombre d'âmes en l'affirmant avec tant de joie.
Le bonheur que Sundar Singh trouve dans la communion directe de Jésus-Christ et de Dieu le fait mettre au rang des mystiques. Le mysticisme est la recherche ardente de l'amour de Dieu, et la prétention qu'elle peut être satisfaite. Posséder Dieu : le mystique ne demande rien de plus. Le christianisme, depuis longtemps, a quitté cette voie féconde pour devenir quelque chose d'appris ; sans doute il y a parmi nous, il y a toujours eu, des chrétiens dont Dieu est le bonheur suprême ; néanmoins, ils sont des exceptions ; M. B. H. Streeter a même pu écrire : « Entre les mystiques des siècles passés et nous, il y a toute la barrière créée par le temps et les circonstances qu'aucun effort d'imagination ne peut abattre. » L'honorable professeur d'Oxford parle pour « les intellectuels ou pour une Église où la forme occupe trop de place ; il y a des milliers de chrétiens aujourd'hui pour lesquels Christ est vivant, présent, agissant et aimant, mais néanmoins, le christianisme est devenu une religion apprise et non pas vécue, de tête et non pas de cœur.
Le sâdhou reprend ces belles paroles de saint Paul : « Christ est ma vie... ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi... Christ habite dans vos cœurs... » Et ces paroles de Jésus : « Demeurez en moi... je demeurerai en vous... » Avec Sundar Singh nous voyons la lignée des mystiques se reformer, en plein vingtième siècle, dans un temps où le raisonnement semblait vouloir tout plier sous sa loi.
Il y a lieu de noter ici la sagesse de Sundar Singh. Tandis que nombre de mystiques, tant Protestants que catholiques, ont décrit leur amour pour Jésus-Christ sous les images de l'amour terrestre, et sont entrés dans une voie de sentimentalisme qui les a discrédités, qui a même révélé les dangers moraux de cette tendance, le sâdhou n'emploie jamais ces images et garde une sobriété remarquable.
L'amour du sâdhou pour Jésus-Christ, l'adoration qu'il a pour lui, l'honneur qu'il lui réserve sont sa sauvegarde. D'abord, il reste humble parce que Jésus-Christ est tout. Chacun a été frappé de son humilité. Il se comparera à l'âne, qui portait Jésus-Christ et aurait été bien stupide de s'enorgueillir des palmes mises sous ses sabots. Il ne lit pas les journaux qui parlent de lui. Il estime n'avoir pas de message individuel pour les nombreux chrétiens qui veulent qu'il leur serre la main, qu'il prie avec eux, qu'il les guérisse ; nous avons assisté à des faits lamentables qui révèlent le fond de superstition grossière qu'il y a même dans nos vieilles populations protestantes : des gens qui venaient demander que le sâdhou priât pour leur faire retrouver une bague perdue, ou que sais-je encore ! J'ai dû transmettre une lettre adressée au Sâdhou, le Saint de l'Inde ! Ah ! si le sâdhou avait voulu fonder une secte, ou guérir les malades, quel mouvement n'eût-il pas provoqué ! Mais non « Comment ces mains qui ont déchiré la Bible pourraient-elles être imposées à un malade ?... Ecoutez la douce voix de Jésus-Christ... Je me sens chez des frères, dans toutes les Églises chrétiennes où Jésus-Christ est aimé. » Quelle différence avec certains guérisseurs bruyants de notre temps ! Plus le public l'entoure, plus il s'efface ; il s'esquive même en toute hâte. A cet égard, il y a du Jean-Baptiste en lui. « Qu'il croisse et que je diminue. » Ah ! si Jésus-Christ avait toujours été mis en lumière, que d'erreurs, de sectes, d'ordres religieux, d'églises, de luttes eussent été évités. Le sâdhou ne veut pas même baptiser (I Cor. 1.17), sauf au Thibet où personne d'autre ne peut le faire. Christ d'abord ! Et c'est aussi la raison pour laquelle il refuse de s'aventurer sur le terrain tentant de la politique, où il aurait une popularité si enivrante. Il a été appelé à une œuvre plus profonde. Poser le fondement, Christ...
La joie du sâdhou, qui le soutient, la merveilleuse paix qu'il proclame, qui brille sur sa personne et qui est une belle prédication, découlent également de sa foi vivante au Christ vivant. Il sait, comme Saint Paul que « des liens et des persécutions l'attendent », mais il ne s'en met pas en peine. Ses courses pieds nus dans la neige du Thibet, par des cols de 6000 mètres, ses jours sans nourriture supportés avec joie font plus que les sermons les plus émouvants. Il est persuadé que les premiers missionnaires en Europe ont agi de la même manière et que les missionnaires aux Indes auraient obtenu de tout autres résultats par cette méthode. Mais était-ce possible ? La Réforme s'est propagée aussi par des persécutés, des fugitifs, des pauvres. « Les feuilles d'arbres que j'ai mangées parfois étaient la plus délicieuse nourriture, parce que c'était pour Christ », nous disait le sâdhou.
Sa pauvreté absolue est une magnifique protestation contre tous les biens qui encombrent la vie des plus simples parmi nous. Il n'impose pas, à d'autres ce dépouillement et ce célibat, mais il se sent appelé à servir Dieu de cette manière. Il a débarqué à Lausanne avec un petit sac qui contenait deux robes jaunes de rechange et un ou deux livres. Il n'avait pas un sou ; pas de montre ; nous lui en avons donné une ; il l'a acceptée parce qu'en Europe il y a utilité à savoir l'heure, au moins pour les réunions. Notre Seigneur aussi était complètement dépouillé, et avait recommandé à ses disciples même simplicité (Marc 6.7-10). Au reste, le sâdhou ne voit dans cet ascétisme aucun acte méritoire : « Il n'y a pas de mérite, dit-il, à avoir faim ». Cependant, il exerce sur lui-même une discipline bonne pour tous : il accepte à table de tout ce qu'on lui offre, mais toujours avec une extrême sobriété ; je citerai un petit fait qui montre que malgré son ascétisme, il ne fait pas d'imprudence et agit avec sagesse. Après la réunion de Montbenon, je lui ai offert un verre d'eau... « Non, merci, pas d'eau froide après avoir parlé ; ce ne serait pas bon pour la gorge. » Il sait que la voix est indispensable à son ministère.
A côté de son amour pour le Christ vivant, de sa joie dans la souffrance et de sa discipline, ce qui frappe en lui, c'est la place qu'il fait à la prière ; mais cette pratique s'explique aussi par son amour pour Jésus-Christ. Le mot prière n'a pas le même sens pour lui que pour nous. Là encore, le sâdhou doit se rapprocher de Jésus... qu'étaient ces heures, ces nuits de Jésus passées en prière ? Pas simplement des séries de demandes ; voyez ce que le sâdhou dit de la différence entre prier et mendier et sa touchante comparaison de l'enfant heureux sur les genoux de sa mère (Questions de Berné, brochure N 3). La prière lui permet de s'approcher de Dieu, d'entrer en communion avec Jésus, de contempler le ciel, d'entendre la voix d'en-haut, de recevoir un message. « Ce que je dis dans mes prédications n'est peut-être pas agréable à entendre, mais je ne puis pas faire autrement, c'est un message qui m'est imposé. » Le sâdhou a retrouvé ainsi une source de connaissance directe, par la prière, indépendamment du livre, qui était négligée à cause de l'impatience moderne, mais où les prophètes et les saints d'autres temps ont su boire. Les longs emprisonnements de saint Paul à Césarée et à Rome, de saint Jean à Patmos, de John Bunyan et d'autres, nous ont valu les épîtres de la captivité, l'Apocalypse, le Voyage du chrétien. Les prières du sâdhou, dans l'isolement qu'il s'impose ou dans le silence de l'Himalaya, nous ont valu ses discours.
Est-ce à dire que la Bible n'ait pas d'importance pour lui ? Cette question lui a été posée à Lausanne. Au contraire, il la médite sans cesse, mais toujours pour y trouver Jésus-Christ et non pas pour y chercher des textes ou des mots détachés. L'inspiration de la Bible n'a pas consisté dans une dictée, mais dans une véritable inspiration. Quand nous lui avons posé une question sur ce point, il a répondu simplement : « Mais Dieu n'a pas de langue. » Nous avons été frappés de l'usage inattendu qu'il fait de la Bible, exactement comme Jésus qui en tire des applications imprévues. L'inspiration, les directions de l'Esprit, obtenues par la prière et par la lecture de la Bible, reçues de Jésus-Christ, donnent à la vie du sâdhou son orientation. Il est venu en Europe pour obéir à Dieu, comme Paul alla en Macédoine et quand il se refuse à faire telle chose ou demande à faire telle autre, il a toujours une raison intime.
Il compte sur les avertissements secrets du Saint Esprit, sur les impulsions d'en-haut plus que sur les organisations humaines, sociétés et comités, pour faire avancer le Royaume de Dieu ; nous n'avons pas eu avec lui une difficulté, pas une seule divergence de vue pendant son voyage en Suisse ; il a accepté de bonne grâce ce que nous lui avons demandé, mais il sera heureux de rentrer aux Indes et d'être son maître. « Il faut de l'ordre ; Dieu est un Dieu d'ordre ; mais l'organisation poussée à un certain degré tue la vie... Si Jésus venait en Suisse vous constitueriez pour le recevoir un comité qui lui dirait : Demain tu iras dans tel endroit et prêcheras sur tel sujet ; et ainsi de suite. » Il constate que souvent l'œuvre des grands initiateurs religieux, comme saint François d'Assise, a été paralysée par leurs successeurs qui ont voulu organiser l'impulsion de ces prophètes.
Cette préoccupation constante de la vie, de la sincérité, cette crainte du formalisme, du machinisme ne l'empêchent pas pourtant de faire une œuvre suivie au Thibet, où un instituteur a une petite école, en arrière de Lhassa, dont le sâdhou se sent responsable ; il lui a fourni des livres ; il a accepté à Genève une collecte spéciale pour cette œuvre, mais il invite ce jeune homme à avoir les mêmes principes d'entier abandon entre les mains de Dieu et à ne pas compter sur un traitement fixe.
Le besoin du sâdhou de trouver des frères, sa joie de voir remplacer la famille que sa conversion lui a fait perdre aux Indes, par une autre infiniment plus nombreuse, cette communion du cœur immédiate, par dessus la barrière de la langue, de la race, des différences d'Églises, est aussi un conséquence de son amour pour Jésus-Christ « Comment pourrons-nous vivre ensemble dans le ciel si nous ne pouvons pas réaliser la communion fraternelle sur la terre ? »
On a dit : le sâdhou ne nous apporte rien de nouveau ! Grosse critique pour des chrétiens qui sont comme les Athéniens de Saint Paul (Actes 17.21) et qu'il faut toujours stimuler dans leur intérêt pour l'Évangile par quelque idée inédite ! Rien de nouveau, oui et non ! Sans doute, en un sens il n'a rien dit de nouveau ; il l'a déclaré lui-même et personne ne le peut puisque la vérité est en Christ ; mais toute la personne du sâdhou n'a-t-elle pas été une illustration renouvelée de l'Évangile ? La médaille avait perdu son relief en passant de main en main ; nos yeux s'étaient habitués à la clarté ; cet ancien païen a pu nous dire que les païens vivent comme des bêtes ; que toute notre civilisation vient de Christ et que notre indifférence est la plus coupable des ingratitudes. Le sâdhou nous a fait penser à Jésus qui n'enseignait pas sans paraboles (Marc 4.34) ; sa prédication a abordé les sujets les plus abstraits, mais a toujours quitté le domaine intellectuel pour se fixer dans des exemples et se mettre à la portée des simples. Même les traducteurs qui l'accompagnaient ont fait penser aux apôtres. M. le prof. Hadorn, dans un excellent article du Kirchenfreund fait remarquer qu'au dire de Papias, saint Pierre avait Marc pour interprète à Rome. « Quand on l'appelle un apôtre, dit M. Hadorn, il ne faut pas penser à ce que le mot d'apôtre a signifié plus tard, un homme qui prétendait à une autorité apostolique, mais a un apôtre dans le sens primitif, c'est-à-dire à un pèlerin, a un missionnaire comme les disciples de Jésus. » Personne n'a ressenti auprès du sâdhou la tutelle que certains grands hommes font peser sur leur entourage ; rien non plus d'apprêté, comme chez certains chefs de secte. Tout était simple, affectueux et naturel. Il n'expose même pas un enseignement suivi, et pour avoir toute sa pensée, on doit compléter un discours par une conversation ou par un autre discours.
Chacun a été frappé de son bon sens, dans ses jugements sur les gens et les choses, de son à propos dans ses réponses. A cet égard, c'est un sage de l'Orient. Sa réponse à un questionneur à La Chaux-de-Fonds a été impressionnante. Un Américain lui disait : « Vous n'avez sans doute pas séjourné assez longtemps dans notre pays pour apprécier tout ce qu'il contient. » – « Oh ! répondit le sâdhou, il ne faut pas si longtemps que ça pour sentir le parfum d'une fleur. » Ses paroles sur le pardon des injures sont merveilleuses... « Un jeune garçon jeta des pierres à un pommier ; je lui fis observer que l'arbre lui avait rendu une pomme pour ses pierres ; ainsi dois-tu faire avec ceux qui t'injurient. D'ailleurs s'ils jettent des pierres, c'est qu'ils n'ont rien d'autre à donner. Et si vous recevez des pierres, c'est qu'il y a chez vous des fruits qu'on veut abattre. »
Pour nombre de chrétiens, le passage du sâdhou a été une douce, une émouvante récompense pour le travail fait depuis tant d'années avec sacrifices, avec prières, pour les païens. Nos missionnaires peuvent s'être trompés dans leurs méthodes ; le sâdhou l'a dit avec une rude franchise ; mais ce travail a été accompagné de la bénédiction de Dieu et ce que nous attendions depuis si longtemps s'est produit : un enfant du monde païen a rendu son témoignage parmi nous. « Nous avons vu de nos yeux, nous avons entendu de nos oreilles que la semence n'a pas été perdue, mais a produit des fruits magnifiques [1]. » On comprend donc la joie de milliers de chrétiens ; leurs prières étaient exaucées.
Le missionnaire Maclean disait à Berne, dans une assemblée du Comité suisse pour la Mission aux Indes : « Dieu bénira la Suisse pour la réponse qu'elle a faite à l'appel des Indes. » Et cette déclaration s'est réalisée. La Suisse a reçu une bénédiction par le sâdhou. Aurions-nous osé l'appeler si nous avions repoussé l'appel de l'Inde en 1918 ? « Ce sont, nous écrit une amie des missions, des souvenirs ineffaçables. Le pauvre monde sent le besoin de posséder le Christ, fils de Dieu, mort et ressuscité, et d'un témoin comme le sâdhou. Béni soit Dieu qui nous l'a envoyé. L'allégresse déborde. Notre Christ est vivant. Il est à nous ; gloire à Dieu.
On a reproché au sâdhou... Que ne lui a-t-on pas reproché ? On lui a reproché de ne pas avoir visité nos hôpitaux, nos malades ; M. le professeur Ragatz lui a reproché ces grandes assemblées ; il eût voulu le voir aller dans les logis des ouvriers et avoir des difficultés avec la police ; on lui a reproché de ne pas parler davantage de la croix, et d'avoir concentré son attention sur le Christ glorifié... Il y aurait beaucoup à répondre à ces observations dans lesquelles il y a peut-être quelque chose de juste. La place nous manque. Le sâdhou n'est pas le Christ. Il vaut mieux résumer en terminant, ce qu'il nous a appris : la foi du cœur, et non pas de l'intelligence ; la connaissance de Christ acquise dans la prière et dans la souffrance ; l'importance de la sainteté, de l'obéissance ; la joie en tout temps, mais surtout sous la croix ; la réalité de la communion avec Jésus-Christ ; la nécessité du témoignage, autour de nous, et chez les païens par les missions ; la beauté de la pauvreté volontaire et de la consécration sans réserve au Sauveur.
G. S.
[1] M. J. Schlatter, past. à Zurich, dans le Kirchenfreund.