L'amour de Christ nous presse... Il est mort pour tous afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour eux. Saint Paul.
La communion avec Dieu dans la retraite était le désir profond de Sundar, mais il se sentait de plus en plus contraint de quitter la solitude et de se mettre au service de ses frères au sein du monde bruyant. Il voyait la grande tâche que les chrétiens doivent accomplir durant leur brève vie terrestre. Lorsqu'il était repoussé et que la bonne nouvelle était rejetée, il regardait de son devoir de parler quand même à des oreilles fermées et à des coeurs durs, et il était prêt, s'il le fallait, à sceller son témoignage par la souffrance, la persécution, la prison, voire les tortures et même la mort.
– Quel privilège que d'être un témoin de Christ ! Privilège que les anges n'ont pas, puisque n'ayant jamais péché, ils ne connaissent pas le salut et ne peuvent ainsi témoigner du pouvoir rédempteur de Christ. Seuls les pécheurs sauvés par grâce peuvent annoncer la bonne nouvelle. Oh ! quel amour Dieu nous a témoigné en refusant cet honneur aux anges et en nous l'accordant.
Pour le Sadhou, c'est sur la terre que commence la vie du ciel, lorsque nous vivons avec le Seigneur. – Le ciel ne consiste pas seulement en une promesse de félicité future, mais dans une possession présente. « Celui qui croit en moi, dit le Christ, a la vie éternelle. » Pour être un jour avec Christ dans l'au-delà, il faut avoir déjà vécu avec lui sur la terre.
« Le ciel sur la terre », cette réalité chère au Sadhou n'est pas une béatitude égoïste, mais doit s'exprimer dans un ardent amour pour les autres et dans un travail incessant pour les amener à Christ. Le Sadhou passait des jours et des nuits en communion avec Dieu, puisant là l'énergie de porter son témoignage dans le monde entier. Avant l'aurore il était aux pieds du Maître dans le silence de la prière, puis au long de la journée il proclamait l'Évangile à des foules, prenant soin des âmes qui venaient à lui dans leurs peines ou leurs perplexités. L'homme de prière qui ne se lassait pas de dire à ceux qui l'écoutaient : « Priez sans cesse », ne se lassait pas non plus de les appeler à se donner sans partage au service de leurs frères. Il unissait dans une parfaite harmonie la vie contemplative et la vie active. L'une ne va pas sans l'autre. – Nous avons deux poumons, disait-il, qui doivent fonctionner l'un et l'autre. La prière et le travail pour Dieu ne doivent pas se séparer dans notre vie quotidienne.
– Si Christ était resté dans la gloire du ciel, nous serions perdus. Si nous sommes égoïstes et que nous vivions confortablement, sans nous occuper des autres, nous n'avons pas compris son exemple. Beaucoup blâment ceux qui donnent santé, force, argent pour autrui, les appelant des fous. Pourtant ce sont eux qui sauvent des âmes.
Personne ne doit penser que ce qu'il a à donner est trop peu de chose, quelque infime que cela paraisse. Ce que Christ demande, c'est notre fidélité dans les plus petits détails et dans les moindres services.
– Pour être un témoin du Christ, il n'est pas nécessaire d'être un éloquent prédicateur. Celui-ci n'est pas toujours un témoin. Mais personne, qu'il soit homme ou femme, jeune ou âgé, riche ou pauvre, ouvrier ou patron, maître ou élève, homme d'affaires ou pasteur, ne peut se dire vraiment chrétien s'il ne rend pas témoignage à Jésus. Il n'est pas besoin de prêcher du haut d'une chaire ou dans les rues, d'avoir une classe biblique, une école du dimanche ou une union chrétienne ; ce ne sont là que certaines formes. Mais, au bureau comme au magasin, dans la vie de famille comme en société, par une vie pure, un caractère intègre, la sincérité de la parole, l'enthousiasme de la foi, la richesse de l'amour, tous les chrétiens doivent être des témoins du Maître.
Donnez et il vous sera donné. L'union intime avec Dieu ne demande aucune qualité exceptionnelle et n'exige pas l'abandon de nos devoirs. Elle se développe dans le service d'amour, mais s'éteint en se refermant sur elle-même. Un mysticisme qui se confine dans une pure contemplation tue la vraie communion avec Dieu. – Nous jouirons éternellement du ciel, mais ici-bas nous ne disposons que de peu de temps pour servir. C'est pourquoi nous devons saisir cette unique occasion.
Par une série de paraboles le Sadhou illustre ce don de soi.
– Les poissons, plongés dans les profondeurs de l'océan, perdent certaines de leurs facultés. Au Tibet, je vis un moine bouddhiste avant passé cinq ou six ans dans une cave. Auparavant, il avait de bons yeux, mais ils s'affaiblirent de plus en plus et l'ermite devint aveugle. L'autruche n'a plus le pouvoir de voler parce qu'elle ne s'est pas servie de ses ailes. Il en est ainsi pour nous. Si nous n'employons pas les grâces que nous avons reçues de Dieu pour sa gloire, nous risquons de les perdre pour toujours.
– Pour bien des croyants, il semble facile de mourir en martyr par amour pour Christ, mais Christ a besoin de martyrs (martyr veut dire témoin) qui s'offrent journellement en vivant sacrifice pour les autres.
– La souffrance, dit le Sadhou, est le chemin qui conduit à la communion avec Dieu. La Croix est comme la noix : l'écorce est amère, mais le fruit est excellent.
Il est arrivé que, pendant un tremblement de terre, des sources fraîches aient jailli dans des terres desséchées et stériles, fertilisant soudainement un pays. Ainsi la souffrance peut susciter une source de vie dans un coeur humain encore éloigné de Dieu.
Un jour, un homme remarqua un ver à soie luttant pour se dégager de son cocon. Il voulut l'aider à se libérer. L'insecte fit encore quelques efforts ; un instant après il était mort. L'homme ne l'avait pas secouru : il avait empêché sa croissance.
Quelqu'un d'autre se trouva dans les mêmes circonstances, mais ne fit rien pour secourir le ver à soie, sachant que de cette lutte il sortirait plus fort et serait prêt pour sa nouvelle vie. Pour nous aussi, les souffrances et les détresses nous préparent pour la gloire éternelle.
A partir de sa vision céleste, Sundar eut un désir passionné de suivre Christ et de porter sa croix, jusqu'à mourir pour lui. – Parce que je suis heureux de partager les souffrances du Christ, je n'ai pas soif de voir son retour tandis que je suis en vie. Je voudrais plutôt prendre le chemin qu'il a suivi, afin de comprendre quelque chose de ce qu'a signifié pour Jésus sa mort pour nous.
– Dans le ciel et sur la terre, rien n'est comparable à la Croix. C'est par elle que Dieu a révélé son amour pour l'humanité. Sans elle nous l'aurions toujours ignoré. A cause de cela Dieu désire que tous ses enfants portent, à leur tour, ce lourd et doux fardeau. C'est le seul moyen par lequel notre amour pour Dieu et pour les hommes peut se manifester.
« Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. »
La puissance divine qui s'est manifestée dans la vie du Sadhou, que ce soit à sa conversion, dans ses extases, dans ses souffrances comme témoin du Christ ou dans ses délivrances à l'heure des plus grands périls, à sa source dans sa vie de prière. – Par un homme de prière Dieu peut faire de grandes choses, aime-t-il à dire. – Le secret de sa vie et de celle de tous les hommes de Dieu- réside dans sa communion avec Christ. C'est de là que découlent son profond amour pour lui, son zèle pour son service, son acceptation de tous les sacrifices, sa paix et sa joie dans les souffrances.
Nous l'avons dit, chaque matin très tôt, Sundar passait plusieurs heures à étudier sa Bible avec prière. Il lui arrivait de consacrer une nuit entière, dans un endroit solitaire, pour s'entretenir avec Dieu. Il en revenait le visage empreint d'une sérénité visible à tous.
– Dieu ne peut nous donner ses plus grandes bénédictions spirituelles que dans la prière.
Il y a de belles choses dans la nature : des oiseaux, des fleurs, mais pour trouver des perles, il faut descendre dans les abîmes de la mer. De même si nous désirons posséder des perles spirituelles, nous devons plonger dans les profondeurs secrètes de la contemplation et de la prière.
– Les plus grands mystères de la foi chrétienne, comme l'incarnation de Jésus-Christ, sa divinité, sa mort sur la Croix, sa résurrection, son ascension dans la gloire, sa présence actuelle dans le coeur des croyants, ne peuvent nous être enseignés par le travail intellectuel ou l'étude théologique des Écritures, mais sont révélés par l'Esprit à celui qui s'attend à Dieu dans la méditation.
– Nous découvrons beaucoup de choses sur Jésus dans la Bible, mais pour apprendre à le connaître, lui, il faut consacrer du temps à la prière. Si vous vous retirez dans la solitude avec Dieu, là, vous entendrez la voix de Celui qui seul peut vous aider. Si vous lisez sa Parole et priez, ne fût-ce qu'une demi-heure par jour, il se révélera à vous ; vous le rencontrerez personnellement et il vous donnera force, paix, joie.
Les hommes de prière parlent à Dieu comme un homme parle à son ami.
Pour souligner cette absolue nécessité, le Sadhou se sert du symbole de la respiration. – Dans la prière l'âme s'ouvre au Saint-Esprit ; alors Dieu projette en elle un souffle, et elle devient une âme vivante. Celui qui cesse de respirer dans la prière est mort spirituellement.
– Un ami me disait : « Pourquoi prier ? C'est inutile, nous ne recevons rien, c'est sans espoir ! » Quant à moi, j'ai bien souvent prié silencieusement, lorsque je me sentais faible physiquement ou spirituellement, et, subitement, une puissance pénétrait dans tout mon être. Aucun changement extérieur ne s'était produit, mais en quelques secondes une vie débordante remplissait mon âme.
Mais pour le Sadhou la vraie prière n'est pas la demande de tout ce que nous pouvons désirer ; ce n'est pas non plus un pénible effort pour obtenir une aide dans nos divers besoins. Elle consiste, avant tout, à rechercher Dieu lui-même. C'est la suprême bénédiction.
Si le Sadhou regarde l'union avec Dieu comme but premier, il attache cependant une réelle valeur aux prières naïves et enfantines demandant les bénédictions terrestres. Il considère ce stage comme une préparation.
L'âme vient avec tous ses désirs à Dieu ; et, dans sa présence, graduellement elle change et s'abandonne à la volonté divine. Dieu refuse parfois de répondre aux requêtes limitées de ses enfants, afin qu'ils apprennent à rechercher les choses les meilleures.
– Pendant deux ou trois ans, après ma conversion, dit le Sadhou, j'avais coutume de solliciter des grâces particulières. Maintenant c'est Dieu lui-même que je réclame.
– Supposons qu'il y ait un arbre chargé de fruits. Si vous désirez ceux-ci, vous êtes obligé de les acheter à leur propriétaire, ou de le prier de vous en faire don. Chaque jour vous allez lui en demander un ou deux. Mais s'il vous est possible d'acquérir l'arbre, tous les fruits vous appartiendront. De même si vous avez Dieu, les biens du ciel et de la terre seront vôtres. C'est pourquoi il faut rechercher non les biens, mais leur dispensateur lui-même. Si vous possédez la source de la vie, vous possédez toutes choses.
Mais le Sadhou rejette avec énergie l'idée que par la prière nous pouvons changer les plans de Dieu. Elle n'est pas un moyen pour gagner Dieu à notre cause, mais elle nous enseigne à connaître sa volonté. Il est possible qu'elle soit contraire à la nôtre et comporte pour nous des souffrances, des besoins matériels, ou la maladie. Mais notre consolation est de dire toujours : « Ta volonté soit faite. » Pour les chrétiens, c'est là la première prière. Celui qui a conformé sa vie à la volonté de Dieu, a trouvé la plénitude de la paix et de la joie. Quelles que soient les vues de Dieu, il travaille à notre meilleur bien. « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. » Quand nous avons réalisé cela, murmures et craintes disparaissent comme par magie.
Le Sadhou insiste sur la nécessité de demeurer paisible dans l'attente de Dieu. – Pour trouver Dieu nous devons faire silence. Dans l'agitation et la fièvre de la vie il se tait. Pour recevoir les grandes bénédictions du Saint-Esprit, une préparation est nécessaire. Les apôtres attendirent dix jours le baptême de la Pentecôte.
Le reproche que fait le Sadhou aux chrétiens d'être trop absorbés par leur travail et de négliger la prière, revient constamment.
Quelqu'un lui demanda : – Que dites-vous de l'homme d'affaires si pressé, qu'il est déjà obligé d'expédier en hâte son déjeuner pour courir à son bureau ? – Je pense que la prière est pour lui aussi importante que le déjeuner ! répondit Sundar. Une fois qu'il aura pris l'habitude de prier, il en aura tant de joie qu'il prendra le temps nécessaire.
Il faut savoir supprimer bien des choses secondaires pour trouver le temps de prier. L'heure approche où tous nous devrons mourir. Elle n'attendra pas que nous ayons fini notre travail. Ne vaut-il pas mieux faire en sorte d'entrer dès maintenant dans l'intimité de Celui qui seul pourra nous aider au moment de la mort et nous introduire dans la vie éternelle ?
Un mendiant allait régulièrement chez un homme pieux. Il recevait la nourriture qu'il réclamait et s'en retournait content. Un jour le repas n'étant pas encore prêt, l'homme de Dieu pria l'indigent d'attendre quelques instants. Ils se mirent à causer, et le mendiant comprit et accepta le message dont il lui était fait part. En une demi-heure sa vie fut transformée. Il demanda au saint homme pourquoi il ne lui avait pas annoncé plus tôt cette bonne nouvelle. – Autrefois tu ne venais que pour mendier et tu t'en retournais aussitôt ; cette fois tu es resté près de moi et j'ai pu t'enseigner.
Commentant ce texte : « Vous n'avez pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez afin que vous ne tombiez point en tentation », Sundar dit : – Pourquoi le Seigneur a-t-il adressé cet avertissement à Pierre ? Parce que si Pierre avait passé cet instant en prière, il n'aurait pas renié son maître quelques heures plus tard.
Le Sadhou insiste aussi sur les miracles qui peuvent être accomplis par la prière, comme si Dieu voulait nous associer à la réalisation de ses desseins d'amour et qu'il ait besoin de notre intercession pour les exécuter. Ce qui est impossible aux hommes devient possible par la prière ; les serviteurs de Dieu voient se produire des miracles que les sages de ce monde déclarent contraires aux lois naturelles. Le plus grand des miracles, le Sadhou l'a dit maintes fois, c'est la paix profonde que Dieu donne à l'âme en détresse.
Quant à la prière d'intercession, le Sadhou y attache une grande importance. – J'ai deux ou trois cents filleuls. Je possède la liste de leurs noms, et quand je suis dans les solitudes de l'Himalaya, j'intercède pour chacun d'eux. J'ai prié huit ans pour une personne avant qu'elle ne se donne à Dieu.
Le Sadhou désirait aussi pour lui les prières de ses amis. Ainsi à Londres, il prit soin de les informer d'une importante réunion qu'il devait tenir, afin qu'ils pussent intercéder en sa faveur.
– Nous pouvons faire souvent plus de bien par la prière que par la parole. Une influence cachée se dégage de l'intercesseur et pénètre l'atmosphère spirituelle, tel un message de la T.S.F. qui, transmis par d'invisibles ondes, atteint, par de mystérieuses communications, la conscience de ceux pour lesquels nous prions.
« La prière du juste a une grande efficace. »
– Je vous en supplie, prenez le temps de prier ; alors le Christ pourra faire de grandes choses pour vous et par vous, et vous ne serez pas confus et éloignés au jour de son avènement.
« Le Sadhou nous a enseigné à prier, dira un chrétien de ses amis. Nos prières sont bien différentes de ce qu'elles étaient auparavant ! »
Dans l'histoire de la prière, Sundar Singh tient une place toute spéciale, non seulement par l'énergie avec laquelle il affirme son importance dans l'expérience chrétienne, mais aussi par la lucidité et la profondeur de ses conceptions sur ce sujet central.