François Coillard T.3 Missionnaire au Zambèze

X
à léalouyi
1892-1894

Sous la tente. — Une visite. — Les fourmis guerrières. — Soldat. — Chute de Litia. — Visite à Séfoula. — Ngouana-Ngombé. — Les plaies d’Egypte. — Soyons hommes ! — Une protestation publique. — Loatilé transformé. — Entrevue orageuse avec le roi. — Grave maladie à Séfoula. — Entretiens avec Léwanika. — Travaux manuels. — La justice chez les Barotsis. — Un projet. — Trop de bruit. — Visite du roi. — Un appel. — La mission du Zambèze, mission française. — Les Matébélés. — Forage d’un puits. — « Je ne sais pas prêcher. » — Dédicace du temple de Léalouyi.

A Léalouyi, ou plutôt à Loatilé, Coillard se trouvait avec deux évangélistes bassoutos, Paul et Jacob, et trois garçons noirs, Sémondji, Nyondo et Sémochéta.

« Mon ménage est réduit à sa plus simple expression. Je vais commencer par bâtir une hutte ; la tente est insupportable par cette chaleur. Et puis, quand nous ne rôtissons pas, c’est un vent violent qui risque, à chaque instant, d’enlever nos abris de toile et des torrents de pluie qui nous inondent. De jour, passe encore, car les occupations et les distractions ne manquent pas. Mais le soir, si vous saviez les essaims d’insectes de toutes sortes qu’attire ma lumière et qui pullulent dans ma tente ! J’ai beau la fermer de mon mieux, rien n’y fait. Il n’est pas même question de lire. C’est tout ce que je peux faire que d’avaler mon souper à la hâte, puis d’éteindre la chandelle et d’arpenter dans sa longueur le devant de notre campement jusqu’à ce que l’heure avancée me fasse un devoir d’aller, dans cette tente infestée, chercher un peu de repos. Si seulement la saison n’était pas si avancée ! Les pluies ont déjà commencé. Bientôt, dans deux mois à peu près, l’inondation nous isolera sur ce petit tertre, et, si nous n’avons encore pu transporter de Séfoula tous les matériaux de construction, le chaume surtout pour les toits, force nous sera de faire comme les Barotsis et de nous retirer. Ce serait une grande perte de temps. Et voilà que l’unique garçon qui sache manier un peu le fouet a pris la petite vérole ! Que Dieu nous soit en aide !

Léwanika est si habitué à être le centre de tout, qu’il ne comprend absolument pas l’indépendance individuelle et la moindre opposition à sa volonté. Louer un ouvrier, envoyer des lettres ou un canot à Séchéké sans sa permission, refuser d’acheter un bœuf parce qu’on n’en a pas besoin, ou qu’on ne peut pas donner le prix ridicule et exorbitant qu’il demande, c’est un crime de lèse-majesté et autant de sources inépuisables de querelles. Parfois j’en suis fatigué. Et pourtant il faut bien faire la position pour ceux qui me suivront. Il faut que Léwanika sache qui nous sommes. »

Du 10 au 17 novembre, les amis de Séfoula vinrent faire visite à Coillard et lui rendre mille services ; Waddell, entre autres, construisit deux huttes provisoires et, pour le culte, un tabernacle, sorte de tente soutenue par une charpente légère ; il monta aussi la cloche.

La visite, de ces amis m’a fait un bien considérable. Elle a été une belle et lumineuse éclaircie dans mon ciel toujours orageux.

17 novembre 1892. — Comment pourrons-nous jamais vivre sur cette fourmilière-là ?

20 novembre. — Ces jours-ci nous combattons le séouroui. Il nous fait la guerre de nuit, nous la lui faisons de jour. Aurons-nous la victoire ? Presque toute la nuit ces fourmis pourchassent mes garçons. Moi je n’échappe qu’en me réfugiant dans le wagon.

23 novembre. — Il y a chez le roi un esprit mercantile et tracassier qui me donne tout le jour des coups d’épingles. Et pourtant je ne me suis jamais senti plus poussé à prier pour Léwanika que ces temps-ci. Je crie à Dieu la nuit quand je ne dors pas et même dans mes rêves, et de jour au milieu de mes occupations. De même, pour mon malheureux André et pour mes jeunes gens. Oh ! si Léwanika se convertissait ! Si nos jeunes gens étaient remplis de l’esprit de Dieu !

A notre réunion de prière de ce matin, nous avons médité sur le caractère du chrétien comme soldat. Je sens bien que j’en suis un. Lutter, batailler même pour fonder cette station, pour acheter du roseau, un peu de nourriture, lutter avec un despote fourbe ! Mon Dieu aide-moi ! Mais j’ai la conviction que Dieu va faire de grandes choses. Il daignera exaucer mes prières ardentes et me montrer sa gloire.

26 novembre. — Je sens bien que l’on prie pour moi. Oh ! combien je me sens détaché de ce pauvre monde ! Quelle joie ce serait pour moi de le quitter et de prendre mon vol aux pieds de mon Sauveur bien-aimé, à côté de celle qui y est déjà ! Mon Maître veut que je travaille encore et je travaille. Mais la chair frémit. Quand je me vois sur ce coteau désolé, entouré de tant de malveillance, de duplicité, ne pouvant pas bouger, pas même acheter une botte de roseaux ou un plat de farine, n’ayant la confiance et l’affection de personne sur qui je puisse réellement m’appuyer, et tout à faire, tout à créer, j’éprouve, mais hélas ! à un bien plus haut degré, cet affaissement qui me saisit un jour à Séfoula comme un souffle du diable qui flétrissait mon peu de courage.

11 décembre 1892. — « Nous ne savons que faire, mais nos yeux sont sur toi. » (2 Chroniques 20.12) Ah ! oui, je ne sais que faire ! Je suis un pauvre, un misérable serviteur. Je ne fais rien, je n’aboutis à rien. Je suis confondu, quand je vois le cas qu’on fait de ce que je dis. Mais ce que je fais ? Ma vie se passe à prendre de bonnes résolutions et à me lamenter de ne pouvoir les tenir. Autrefois j’avais des insomnies, maintenant je ne puis m’asseoir, prendre un livre ou ma plume, sans tomber de sommeil. Est-ce à dire que je ne suis plus bon pour l’œuvre ? Je crie à Dieu, c’est tout ce que je puis.

Coillard ne peut pas compter sur Léwanika. Nyondo lui donne de l’inquiétude. Litia a pris place « dans le camp ennemi et il épouse une seconde femme ». Enfin Mokamba :

Pauvre Mokamba ! Lui aussi avoua carrément qu’il n’était plus un croyant. Oh ! quel douloureux entretien ! Mais toutes nos exhortations les plus brûlantes se brisaient contre un rocher de glace, et nous nous séparâmes, la souffrance au cœur. L’ennemi triomphe. Jusques à quand, Seigneur ? A mon retour de Séfoula, où je vais passer Noël, il y aura d’autres défections. Que restera-t-il ? Combien de grains de blé dans cette poignée de balle ? Je n’ose pas penser à la tristesse des amis de notre œuvre. Vont-ils se décourager et perdre confiance ?

En partant pour Séfoula, Coillard rencontra André revenant de Mangouato avec ses porteurs.

J’eus une émotion bien vive, je la contins pourtant. Nous échangeâmes une salutation et je passai outre. Lui avait l’air ému et gêné.

Le mercredi 4 janvier 1893, après son retour à Léalouyi, Coillard eut la visite d’André :

J’étais dans ma chambre à coucher. J’entends qu’on frappe, je ne vois personne et à ma question : « Qui est là ? » une voix me répond de derrière le mur : « C’est moi. » C’était lui. Il entra, mais si confus, si honteux, si gêné, que, sans me regarder, sans me saluer, il me tendit une lettre en se cachant la figure de son bras. Il me faisait pitié ; il n’avait pas de chemise, il n’avait que la doublure blanche en lambeaux d’un de mes vieux gilets et une vieille jaquette à moi. Ma conversation avec lui, comme son maintien, me convainquirent bien vite qu’il y avait maintenant un abîme entre nous. Et pourtant ! … Les promesses de Dieu sont là, oui et amen en Jésus-Christ.

« Nous traversons une triste période. J’ai peu de sujets de joie et ce n’est qu’à genoux que je surnage au milieu de toutes les vagues. Je rends grâce à Dieu de ce que je n’ai jamais douté ni de la puissance de l’Évangile, ni de son triomphe final, ni de la mission que Dieu m’a donnée. Mais j’ai douté de moi-même, non pas de ma vocation, mais bien de la manière dont je la remplis. Ce qui m’étonne, c’est que le Maître daigne encore m’employer à son service.

Nous sommes très occupés à construire. J’ai des huttes qui valent un peu mieux que les tentes, mais les termites en mangent tellement les toits que nous serons reconnaissants s’ils durent une saison. Nous bâtissons maintenant une petite chaumière d’une seule chambre pour moi ; puis nous commencerons l’église, un grand travail qui ne m’effraie pas peu. »

13 janvier 1893. — Nous aurons bientôt ici toutes les plaies d’Egypte. Maintenant, avec le séouroui qui a pris possession de mon petit pack-house, voire même des sacs et de toute la nourriture, ce sont les grenouilles. Des grenouilles, il y en a partout ! Quand j’ai abattu mes tentes mardi dernier, j’en ai trouvé entassées par centaines. Ça grouillait. Et dans les chambres, c’est-à-dire dans les huttes, il en est de même. C’est si drôle, quand on est tranquillement assis à table, d’entendre coasser au plafond et puis, tout à coup, de sentir quelque chose vous tomber sur la tête, sautiller de là dans le plat de nourriture, du plat dans la tasse de café ! Elles ne respectent pas plus le sommeil des honnêtes gens.

Jeudi 19 janvier. — Hier soir, je parlai sérieusement au roi sur le mariage de Litia et sur l’apostasie de tous ces jeunes gens qui l’entourent et d’André en particulier. Il en parut affecté : « Oui, dit-il, c’est triste, nous sommes des gens méprisables, mais que faire ? Moi, je suis mêlé à toutes ces affaires-là, je l’avoue. Mais je ne puis commander à quelqu’un et lui dire : « Toi, sois croyant ! » et s’il est vraiment croyant, aurais-je le pouvoir de lui commander d’abandonner la foi ? » Nous causâmes longtemps. J’étais profondément triste et il m’écoutait avec une apparente sympathie, quand, répondant à certaines remarques qu’il fit pour éviter la question de la conversion, je lui dis que l’Évangile était bien pour lui aussi. Quand je partis, il m’accompagna un bout de chemin, défendant à tous ceux qui étaient là de le suivre et, en me serrant la main, il me dit comme un homme sincère : « Ne t’afflige pas trop, mon père, ils reviendront, tes enfants, et puis, il y en aura d’autres qui seront les vrais croyants que tu veux. »

Vendredi 20 janvier 1893. — Nous nous demandions pourquoi André n’était pas à notre réunion de prière avant-hier. Il prenait femme ! Le malheureux ! Voilà donc ce que je redoutais ! Qui nous reste maintenant ?

Mardi 24 janvier, 1 heure du matin. — Impossible de dormir. Je suis en agonie. Mes jeunes gens, Likoukéla, mes élèves, Litia, Mokamba, André, le roi, je ne puis pas penser à autre chose. J’ai une vive douleur au cœur. Pas un de mes élèves de l’an passé ne met les pieds ici. Voilà donc ce que j’ai récolté de ces années où j’ai donné toutes mes forces, la meilleure partie de mon temps et de moi-même, à cette école qui m’était si chère et sur laquelle je fondais tant d’espérances ! J’ai donc travaillé en vain et usé mes forces pour rien ! Mais non ! Malgré toute l’amertume de mes désappointements, Dieu est fidèle, il demeure, il me reste.

Le lendemain Coillard écrivait, se répondant à lui-même :

« Allons-nous douter de la mission que Dieu nous a confiée ? Douterons-nous que l’Évangile soit encore, et pour les Zambéziens comme pour tous les peuples de la terre, la puissance de Dieu ? Arrière de nous cette pensée ! Malgré tous nos désastres, j’ai, pour ma part, la conviction profonde que nous avons déjà planté le coin de l’Évangile dans le système social de cette nation, et j’ai mes raisons pour le croire. A d’autres de l’enfoncer hardiment, et à coups redoublés. Et ce paganisme si puissant, si compact, si formidable qu’il paraisse, cédera, éclatera, comme il l’a fait en tous temps et en tous pays. Il y a déjà plus d’une fissure qui nous le dit. Ne perdons pas courage, amis de notre œuvre ! L’enfant prodigue peut aller loin, et tomber bien bas ; mais son retour à la maison paternelle est encore possible. Ces expériences dures et humiliantes, quelles qu’elles soient, ne nous sont pas particulières. Notre Maître les a faites, saint Paul les a connues, ainsi que tous les braves que Dieu a envoyés comme pionniers dans tous les siècles. Seulement, quand nous admirons un arbre chargé de fruits mûrs et succulents, nous oublions combien de fleurs ont péri.

J’ai lu la vie de Mackay, l’admirable héros de l’Ouganda. Nos expériences pâlissent à côté de celles de semblables hommes. Nous n’avons pas encore été jugés dignes de la couronne du martyre. Néanmoins nous avons souffert. L’existence même de notre mission n’a tenu qu’à un fil, mais ce fil était dans la main de Dieu.

Courage, donc, chers amis ! Les revers les plus humiliants précèdent souvent de glorieux succès. La bataille peut nous paraître au-dessus de nos forces ; gardons-nous cependant de poser les armes. La victoire, pour être retardée, n’en est pas moins certaine. Ne la connaissons-nous pas la voix qui domine le tumulte du combat et nous crie : « Prenez courage ! j’ai vaincu le monde ? »

Fortifions donc nos mains tremblantes, affermissons nos genoux chancelants ! Soyons hommes ! (1Cor.16.13) Si le sol cède sous nos pieds comme le sable mouvant, cramponnons-nous aux promesses immuables de Dieu. Que notre foi, grandissant avec les difficultés, s’élève, plane toujours plus haut dans les cieux, bien au-dessus de nos désappointements les plus cuisants, de nos douleurs les plus amères, et le Seigneur, même dans cette forteresse de Satan, nous montrera encore sa gloire. Voilà ce que je me dis à moi-même. »

A la suite de révélations sur la conduite d’André à Séfoula, Coillard avait eu, avec lui (3 février), un entretien très particulièrement pénible.

Tout ce qui avait transpiré depuis mon entrevue avec mon pauvre André me fit un devoir de faire une protestation publique. J’en fis tout le samedi (4 février) et toute la nuit un sujet de prière, et mon Dieu me fortifia. Le lendemain, dimanche, au culte de l’après-midi, le roi vint avec sa suite ; je pris pour sujet le figuier stérile (Luc 13.6), et je fis une revue de l’œuvre depuis mon arrivée au pays : l’école, les conversions, etc. Je parlai des larmes de Mokamba, du mariage de Lilia et du cas qu’il en a fait, de la conversion de Ngouana-Ngombé. Je lus le fameux discours que celui-ci a fait, je parlai de son baptême, et je demandai où il en était maintenant. Je déclarai franchement que l’Église rejetait de son sein les gens corrompus qui vivaient sciemment dans le péché, et qu’il n’était plus des nôtres. Cela produisit un effet de terreur. Je ne cédai pas à mon émotion ; mais, pour être contenue, elle n’en était que plus violente et les paroles mesurées dont je me servis n’en avaient que plus de force. Lui était là, devant moi ; il se tordait d’abord comme un ver, puis il composa son maintien et baissa la tête. Depuis lors, il ne vient plus me saluer et n’assiste qu’au culte du dimanche matin. Je devine sa présence à ses bruyants éclats de rire et à ses fanfaronnades.

3 mars 1893. — Je suis, comme l’an passé, tombé dans un état de faiblesse excessive. Je n’ai aucun appétit et je chancelle sur mes jambes. Mais, avec les travaux qui se poursuivent sur la station, je ne puis pas rester couché tout le jour ! On finit de plâtrer ma maison en dedans. On continue à creuser les fondations de l’église que je remplirai de sable pour arrêter un peu les dévastations des termites. On nivelle encore et on sable la place. Tous ces travaux occupent chaque jour trente à quarante femmes, filles et garçons. Une bande de jeunes gens ont fait un fossé tout autour du monticule. Ils en ont fait un grand rectangle qui, une fois bien terminé, nous donnera de l’espace et rendra cet endroit habitable. Ils sont maintenant occupés à la chaussée qui, plus tard, doit nous conduire au village à pied sec ; ils avancent.

Le vieux Narouboutou qui est venu ce matin avec Ngambéla et qui est resté longtemps à tout inspecter, comme un vieil entendu, ne pouvait pas contenir sa surprise. Il disait que ce n’était plus du tout Loatilé, le Loatilé qu’il avait connu couvert de broussailles, lieu hanté par toutes sortes d’insectes, de reptiles et de mauvais esprits, lieu exécré et redouté de tout le monde. Au moins cela dit que Dieu a béni nos travaux. Il l’a fait en vérité, et à lui soit toute la gloire ! Waddell n’a pas eu un jour de mauvaise santé ici, n’est-ce pas admirable ?

8 mars 1893. — J’ai été très occupé à prendre possession de ma nouvelle maison et à transformer mes deux huttes : l’une en salle à manger et l’autre en cabinet d’étude ; j’ai déballé les livres que j’ai apportés et monté mon lit, mes étagères, etc.

Voilà donc la première chambrette que je vais occuper sans toi en Afrique, ma bien-aimée ! Elle est bien grande et bien vide ! Et que serait-ce si elle n’était remplie de ces mille et un petits souvenirs ! A mesure que le soir approchait, je me sentais étreint d’une tristesse profonde. Après dîner, j’appelai Waddell et nous eûmes une petite réunion de prière, à nous deux, dans cette maisonnette qu’il a mis tant d’affection et de soins à me bâtir. Quand il fut parti, je me promenai de long en large dans ma chambre, dans le tout petit espace vide, épanchant mon cœur devant Dieu.

O Seigneur, fais de cette chambrette un Tabor, un Béthanie ! Remplis-la, toi ! toi seul. Sanctifie ma vie extérieure et ma vie intime. Fais-moi profiter des leçons que tu me donnes à la rude école où tu me fais faire un si long stage et prends-moi bientôt à toi dans les demeures éternelles ! Mais auparavant, ô mon Maître, montre-moi ta gloire ! Que je ne quitte pas le champ de bataille avant de voir le commencement de la victoire !

Malgré les efforts de Coillard pour rester, à l’égard du roi, en dehors de toute question d’argent ou d’intérêt, celui-ci se forgea des griefs ; l’hostilité grandit contre les missionnaires et bientôt, à Séfoula et à Léalouyi, ils furent mis à l’interdit : il était défendu de leur apporter des provisions ; la famine et l’expulsion menaçaient. Le 9 mars, une entrevue fort orageuse eut lieu avec Léwanika ; il invectiva Coillard, M. Adolphe Jalla et les missionnaires méthodistes [ceux-ci attendaient que Léwanika les autorisât à établir une mission chez les Machoukouloumboués] ; les deux évangélistes, troublés, n’osèrent tenir le parti de leurs missionnaires ; Coillard en fut profondément attristé.

« J’avais besoin d’être remis encore à l’école de la souffrance ; il me fallait voir de mes yeux que, sous les scories volumineuses, je n’avais qu’un tout petit grain de vraie foi. Ce n’est que dans le creuset que se fait cette expérience douloureuse, mais bénie. Ce qui m’est allé droit au cœur, c’est l’effondrement de toutes nos joies et de toutes nos espérances : voir chaque jour, de mes yeux, ces jeunes gens devenus plus païens que les païens, devenus nos ennemis, eux qui étaient nos enfants, que nous aimions, en qui nous avions tant de confiance et que nous croyions devoir toujours être pour nous une couronne de joie, non, c’est trop douloureux, même pour en parler. Satan triomphe, et parfois il me semble l’entendre rire et se moquer de moi. Notre ciel est redevenu aussi noir que jamais, la situation n’a jamais été plus critique. Léwanika lui-même subit toutes les plus mauvaises influences possibles et quand, dans ses dispositions, nous croyons voir un peu de bon, nous ne pouvons pas y compter deux jours de suite. Il nous faut, pour ne pas perdre courage et pour ne pas nous enfuir de cette terre maudite, regarder plus haut et nous cramponner aux immuables promesses de Dieu.

Mon ménage va clopin-clopant avec mes trois garçons qui ne peuvent pas apprendre les rudiments de l’ordre et de la propreté. Et encore ne puis-je compter sur aucun d’eux. Ils peuvent me quitter d’un jour à l’autre, car ils ont leurs maîtres. Il ne faut donc jamais oublier mes gants, car les Zambéziens sont d’une susceptibilité qui, une fois offensée, ne se guérit pas facilement. C’est ainsi que je m’accroche cent fois le jour à de méchantes épines qui me déchirent et me font souffrir. Que serait-ce si les amies de Séfoula, Mme Jalla et Mlle Kiener, ne me rendaient pas tous les services qu’elles peuvent ? »

Coillard s’était rendu le jeudi saint (30 mars) à Séfoula ; le samedi 8 avril, il y tomba gravement malade.

Je me sentais moi-même si malade que, d’une main tremblante, je saisis sur ma table un crayon et une feuille de papier buvard, à défaut d’autre, et traçai brièvement mes dernières directions et volontés. Waddell fut rappelé de Léalouyi et, pendant une dizaine de jours, je fus au bord du tombeau. La consternation de mes amis était grande. Une fois Mme Jalla s’agenouilla près de mon lit et, pleurant à chaudes larmes, elle me suppliait de joindre mes prières aux leurs pour obtenir de Dieu ma guérison. Elle croyait que mon grand désir de déloger était un obstacle à l’exaucement de leurs prières. Qu’il me semblait facile de franchir le pas et de passer dans la terre promise ! Mais là n’était pas ma préoccupation. Je ne désirais vraiment qu’une chose : glorifier Dieu, soit par ma mort, soit par ma vie, voilà tout ! Je souffrais d’entendre mes amis faire des supplications pour mon retour à la vie. « De grâce, leur disais-je, ne m’arrêtez pas. Laissez la chose au Seigneur, demandez-lui, pour moi, la grâce de savoir endurer la souffrance. »

Mais Dieu les entendit. Il y eut une crise favorable et peu à peu je suis revenu à la vie. J’ai pu, le premier dimanche de ma convalescence, présider notre petit culte anglais. La veille, Adolphe Jalla, à la réunion de prière, avait parlé de la paix. Mon esprit saisit ce sujet et s’en pénétra. Le soir, pendant un de mes courts sommes, je rêvai : je me trouvais avec Jalla devant un immense auditoire, dans une vaste salle, montrant la lanterne magique. L’excitation grandissait à mesure que les vues et les scènes se succédaient sur l’écran. « Maintenant, dis-je à mon jeune frère, exhibons la paix ! » Longtemps nous cherchâmes parmi les verres ; impossible de trouver celui de la paix. A la fin, je mis la main dessus ; il était brisé. Quel chagrin ! « Mais, repris-je, j’en ai un autre, je le sais. » J’en trouvai un, puis un autre, tous les deux en parfait état. Transporté de joie, j’en glissai un dans la lanterne. En un clin d’œil, les conversations s’arrêtèrent, un profond silence se fit ; puis un léger murmure, sortant à la fois de toutes les bouches et grossissant peu à peu comme une vague, fit tressaillir mon âme : « La paix ! La paix ! » Je me réveillai, mais il me semblait encore l’entendre au fond de mon âme cette douce voix, comme une brise du ciel qui murmurait toujours : La paix ! La paix ! Il me semblait que l’atmosphère de ma chambre était toute imprégnée de cette paix, et je bus à longs traits à cette coupe de mon Sauveur.

En revenant à la vie, j’éprouvai quelque chose comme un désappointement. J’étais si près ! Je croyais si bien en avoir fini avec toutes les luttes, toutes les misères, tout le péché ! J’allais poser mon pied sur le seuil du palais de gloire et de l’éternité, quand la porte s’est refermée une fois encore et, une fois de plus, je me suis retrouvé dans la sombre vallée et sur le champ de bataille. O mon Dieu ! pourquoi ? J’ai éprouvé une tristesse profonde. Et puis, Dieu m’a donné sa grâce, et je me suis dit que, s’il me ramenait à la vie, c’était sans doute qu’il voulait exaucer ma prière — la prière de ma vie depuis que je suis au Zambèze — et me faire voir sa gloire : la conversion de Léwanika et le retour de mon enfant prodigue.

Après un mois de séjour à Séfoula, Coillard put revenir à Léalouyi (2 mai). M. et Mme Jalla l’accompagnèrent et y passèrent une quinzaine de jours avec lui.

« Les amis Adolphe Jalla retournent demain matin à Séfoula, écrit Coillard le 15 mai. Quelle bonté de Dieu que ce soit à Séfoula que j’aie été malade. Ici, à la merci de mes garçons, dont le principal m’est d’un piètre secours en temps de santé, j’aurais nécessairement succombé, faute de soins. Ma petite chaumière d’une seule chambre est confortable et c’est tout ce qu’il me faut, aussi longtemps que je suis bien portant et que je ferme ma porte. Mes garçons sont au fond de la cour, dans la hutte qui leur sert de cuisine ou dans les huttes où ils couchent. Ils ne savent pas ce qui se passe chez moi et, devant moi, c’est la désolation de la plaine et le sentiment poignant d’une affreuse solitude. J’espère que Dieu me rendra les forces et que, petit à petit, la vie reprendra son cours avec son engrenage de devoirs et d’occupations. »

Un mois plus tard :

« Je suis remis, mais peu fort ; un rien me fatigue. Nous avons commencé une école journalière, nous avons plus de cent-soixante noms sur la liste et elle n’est pas close. Cela nous donne une moyenne de cent-dix à cent-douze élèves, dont un grand nombre de jeunes gens mariés, la plupart attachés au service personnel du roi ou de ses enfants. C’est triste de penser que tout cela pivote sur les dispositions capricieuses de notre pauvre Léwanika. Qu’il lui vienne une lubie, qu’une mouche lui passe devant le nez, et tout s’écroule comme un château de cartes. Tout de même il ne faut pas se décourager, et nous semons sans trop considérer les nuages, sûrs que toute la semence que nous répandons, en temps et hors de temps, ne périra pas.

Paula, Jacob et sa femme, ont mis tout leur cœur à cette école dont je leur laisse la responsabilité, mais où j’ai, néanmoins, ma place toute marquée. Ils sont débordés. Il faut s’attendre à une grande diminution, si nous tenons compte du caractère de nos Zambéziens et des circonstances. Cependant il y aura toujours beaucoup à faire à l’école et la présence d’un collègue est d’une nécessité urgente.

a – L’évangéliste Paul, après être retourné quelque temps à Séfoula auprès des Adolphe Jalla, était revenu à Léalouyi.

J’ai commencé l’évangélisation à domicile avec les évangélistes. Chaque fois que je puis m’échapper et visiter quelques huttes, j’ai le sentiment d’avoir fait du bien, parce que moi-même j’en ai reçu. Les Zambéziens paraissent sous un meilleur jour chez eux qu’en dehors de chez eux. Les évangélistes commencent à le comprendre, eux aussi, et cela me donne de l’espoir.

Ma maladie a paru faire de l’impression sur Léwanika. Vous savez comme il était devenu tracassier avec M. Adolphe Jalla, plus encore qu’avec moi peut-être. Depuis mon retour, nous avons eu de meilleurs rapports et j’ai pu obtenir de lui qu’il laisse enfin nos frères méthodistes partir pour le Boshoukouloumboué. Ils vont se mettre en route bientôt, avec un petit chef pour les conduire. Jugez si c’est une joie pour moi. Je les aurais accompagnés, comme j’y comptais autrefois, mais c’est impossible à cause de mes travaux. Je les visiterai un peu plus tard si Dieu me prête vie. »

Coillard continue à passer par des alternatives d’espoir et de tristesse à l’égard du roi toujours prisonnier des chefs et de son peuple :

Pauvre cerveau de cire molle, triste girouette ! Comment en finira-t-il avec toute cette clique de conseillers ?

Léalouyi, 24 juin 1893. — Léwanika est venu me voir avant-hier, c’est une des meilleures visites qu’il m’ait faites. S’il n’était pas un Morotsi, je le croirais très près du royaume des cieux. Je lui ai lu la conversion de l’eunuque et nous avons beaucoup causé. Il me disait que c’était trop tard pour lui pour se convertir, qu’il a grandi dans toute sorte de mal et que le paganisme est devenu une seconde nature. « Et puis, ajoutait-il, même si je me convertissais, que ferais-je sans femme chrétienne ?

Deux jours après, Coillard trouva le roi causant de conversion avec Waddell et s’informant de ce qu’il doit faire pour être chrétien et Coillard s’écrie : « Se pourrait-il que nos prières fussent déjà exaucées ? »

25 juillet. — Visite au roi. Il me semble qu’il n’est pas loin du royaume des cieux, mais je n’ose pas trop y croire. O incrédulité ! Je prie et j’ai de la peine à croire à la possibilité du miracle que je demande et que j’attends.

Le 6 juin, la construction de l’église avait commencé :

C’est un vaste bâtiment : 60 sur 33 pieds. Plein d’auditeurs, quel spectacle ! « La chaussée avance lentement. J’y ai une quinzaine d’ouvriers avec de mauvais outils, mais sous la direction d’un de mes jeunes gens, ils travaillent avec bonne volonté. C’est un grand travail. Cela a stimulé le roi qui prend intérêt à ce qui se fait ici et il a mis tous ses serviteurs à commencer la chaussée, à partir de la place publique. Nous devons nous rencontrer au canal, à mi-chemin, et un petit pont de bois unira sa chaussée à la mienne ; ainsi les gens n’auront plus d’excuse pour ne pas venir à l’église et aux réunions.

Léwanika vient de chasser trois de ses femmes. L’une d’elles s’était mal conduite avec l’intendant de sa maison. Tous les chefs voulaient faire du zèle et demandaient à grands cris qu’on leur livrât les deux coupables pour qu’ils les missent à mort. Je crus avoir réussi à leur sauver la vie, je demandais qu’on les punît seulement. Mais les femmes s’en mêlèrent, la mère du roi, sa première femme, sa sœur Katoka qui hurlait publiquement des lamentations de ce que le roi refusait de sévir ; Mokouaé de Nalolo, elle, envoya son mari et tous ses ministres pour juger le cas. Ceux-ci, un dimanche que le roi était venu au culte, s’entendirent avec les chefs d’ici : de nuit, ils mirent des gens en embuscade autour de la cuisine du roi où celui-ci, par précaution, avait fait réfugier le coupable et le gardait à vue. Le malheureux jeune homme qui, gracié par le roi, se croyait sauvé, sortit ; on fondit sur lui, on le massacra et on jeta son corps à la voirie. Le surlendemain, Léwanika vint me raconter l’affaire et protester de son innocence.

Voilà comment s’administre la justice ici et à quel point on respecte l’autorité royale. Les chefs de Nalolo étaient furieux contre moi. Le Ngambéla de Mokouaé me disait : « C’est vous qui nous troublez, en vous opposant à ce que nous nous tuions, quand il le faut, selon la coutume de nos pères. » Mais c’est parce qu’il s’agissait du harem royal, et que le coupable avait le malheur de ne pas avoir une goutte de sang bleu dans les veines ; autrement, l’adultère est un badinage auquel on ne fait pas attention.

Adolphe Jalla nous a fait une bonne prédication sur ce sujet : « Que celui qui est sans péché jette la première pierre contre elle. » (Jean.8.7) Le roi qui était présent l’a bien comprise et il l’a citée souvent depuis. Malheureusement, ceux auxquels elle s’adressait étaient absents, ils complotaient, à ce moment même, pour exécuter les volontés de la reine. Pauvre Léwanika ! il n’est pas en son pouvoir de protéger qui que ce soit contre les Barotsis dont le nom seul ici est un épouvantail. C’est miracle que, même aux temps les plus orageux de sa mauvaise humeur, il ait pu résister et ne pas se laisser arracher son consentement pour nous mettre à mort ou au moins nous chasser du pays et incendier la station. Il est vrai que les chefs d’ici étaient tous pour nous. »

24 août. — Le vent souffle avec violence, donc le roi ne peut pas venir au lékhotla, il passe son temps à lire avec Séajika et Ngouana-Ngombé ! Pauvre Ngouana-Ngombé ! Quelle image de l’enfant prodigue, avec son habit sale et graisseux, sans chemise ! C’est curieux que je fasse tant d’expériences analogues à celles de saint Paul : Christ prêché par contradiction,.

26 août. — J’ai envoyé des instructions pour une commande d’appareil photographique, etc… J’ai beaucoup prié à ce sujet et j’ai la conviction intime que cet appareil travaillera pour la gloire de mon Dieu et pour le faire connaître et aimer. Penser que ces fournisseurs de photographie, qui ne savent probablement rien des missions, inventent et travaillent pour elles ! Ce sont les Égyptiens butinés par les Hébreux.

30 septembre 1893. — Ah ! que de fois je me demande pourquoi Dieu a pris ma bien-aimée si active, si utile, et m’a laissé moi, bon à rien ! Je lutte, je fais des efforts, je n’aboutis pas ! Serviteur inutile, figuier stérile qui occupe une place où d’autres pourraient porter d’abondants fruits ! J’ai lu ces temps-ci Mackay, Guilmour, Paton, Haslam, etc. Voilà des hommes, des héros ! Ces types que j’admire m’attristent et me découragent quand je fais un retour sur moi-même. J’ai besoin de me rejeter sur Jésus, mon Jésus qui me connaît et me supporte depuis si longtemps. Pourquoi le bruit qui s’est fait autour de mon nom ? C’est sans doute parce que j’ai été chez les Banyaïs, parce que nous avons été en contact avec Serpa Pinto qui, ayant envers nous une petite dette de reconnaissance, a cru ne pas pouvoir mieux la payer qu’en embouchant la trompette et en publiant mon nom. Puisse ce tapage éphémère ne pas être ma récompense et ne pas me priver de la couronne de vie ! La lecture d’Haslam m’a convaincu une fois de plus que je ne sais pas prêcher. Que ne donnerais-je pas pour voir un réveil !

Coillard craint qu’on ne le mette en avant et qu’à distance on ne le grandisse :

« Vous êtes bien bons, écrivait-il à des amis de la mission, de me donner une si chaude place dans vos cœurs et dans vos prières, à moi que vous ne connaissez pas. Vous voyez mon ombre, et l’ombre qui se projette à distance est toujours plus grande que la réalité même. »

Peu à peu, les rapports avec le roi redevinrent tout à fait cordiaux. Un jour (20 septembre), comme Léwanika était à court de vêtements, Coillard lui donna une jaquette en serge blanche, que lui avait faite Mme Coillard.

Sa figure s’illumina, il bondit, enleva sa vieille jaquette et poussa vigoureusement son bras dans une manche : — Elle est faite pour moi ! Ne vois-tu pas ? Mais, ajouta-t-il, je ne la mettrai pas maintenant. Je la mettrai à mon retour — il projetait une absence — et je serai si transformé qu’on ne me reconnaîtra pas. — Ah ! Léwanika, lui dis-je, c’est une transformation bien plus radicale que celle-là que nous attendons chez toi, pas une transformation d’habit, mais de cœur. — Je ne sais pas, fit-il.

Une autre fois (17 octobre), Léwanika vint dîner chez Coillard au hasard du pot.

Nous dînâmes de soupe et de pommes de terre conservées. Mais il ne venait pas pour la nourriture, car il mangea modérément. « Pourquoi fais-tu des excuses, mon père, me disait-il. Je ne suis pas un étranger chez toi. » L’autre jour déjà, en s’asseyant à table, devant une tasse de thé, il avait dit : « Qu’il fait bon ici ! »

Je lui fis deux remarques qu’il prit bien. La première sur ce qu’il n’avait pas mis de jaquette. — Vois-tu, lui dis-je, nous sommes seuls, passe encore. Mais ça ne se fait pas, ce n’est pas poli. — Ah ! me dit-il, c’est que je n’en ai qu’une et j’ai peur qu’elle ne se gâte trop vite.

Comme, en mangeant, il faisait, avec sa langue, autant de bruit qu’un petit cochon : « Nous sommes seuls, lui dis-je à demi-voix, cela n’a pas d’importance ; mais les gens bien élevés évitent de faire ce bruit-là. On ne les entend pas plus manger que s’ils ne mangeaient pas. — Vrai ? — Bien vrai. — Eh bien merci, merci, mon père. Et il commença d’emblée son apprentissage. Après la prière, nous chantâmes un cantique et nous eûmes ensuite une conversation très sérieuse jusqu’à 9 heures.

Dimanche 29 octobre 1893. — Deux ans déjà ! Deux longues années qu’elle repose dans la tombe, non pas elle, car elle n’est pas là. Qu’elle est dure cette séparation qui se prolonge ! Je me dis que chaque jour est un chaînon qui se brise de la chaîne qui me retient encore ici-bas. Quand le dernier de tous sera brisé, je prendrai mon vol, moi aussi, vers elle et, avec elle, vers Celui que nous avons aimé et servi.

5 novembre. — En sortant du culte du soir, le roi est venu chez moi et est resté avec moi jusqu’après 9 heures. Nous avons causé. Il était choqué d’entendre les hommes ricaner dehors. — Rien de sérieux, dit-il. C’est ainsi qu’ils étouffent les choses de Dieu. — Et de toi, qu’en est-il ? — De moi ? Rien. Je ne puis rien dire de moi. Je ne sais pas ce que Dieu fera de moi. Les autres peuvent encore se convertir. — Dieu veut que, toi aussi, tu te convertisses. Seulement tu espères peut-être que, parce que tu es le roi, Dieu t’ouvrira une autre porte ? — Non, ce n’est pas cela. Mais je suis lié, pieds et mains, par les Barotsis. Ces femmes ne sont pas miennes, elles me sont imposées par la nation. Elles font partie du pouvoir qu’ils m’ont donné. Quand ces affaires ont eu lieu dans mon harem j’ai voulu saisir l’occasion pour les chasser toutes et me délivrer. Les chefs s’y sont opposés et ont failli se révolter. Si seulement j’avais quelqu’un qui me secondât et me suivit ! Mais je suis seul. — La grande affaire, c’est que tu sentes ta misère, tout roi que tu es. Le reste viendra de soi. — Ah ! mon père, tu ne sais pas ! Quand tu prêches, tu tournes nos cœurs à l’envers, et nous nous disons : Comment sait-il tout cela ? C’est de moi qu’il parle ! Et aujourd’hui quand tu parlais des secrets, certainement personne n’aurait voulu que tous ses secrets et toutes ses pensées fussent mis à découvert ! — As-tu jamais lu le psaume 139 ? — Non. — Donne-moi ta Bible que je te le marque. — C’est Nalichoua qui l’a emportée.

Je demandai, de la porte, aux gens attroupés, où était Nalichoua. Il était parti. — Appelez-le, cria le roi, qu’il apporte ma Bible. Il revint un quart d’heure après. Je cherchai le psaume et j’y fis une marque au crayon. — Fais une grosse marque et mets un morceau de papier.

Il était nuit. Nous nous mîmes à table. Je fis faire du feu dehors pour ses gens. « C’est bien bon de ta part, me dit-il. Il faut que je trouve un moyen pour venir tout seul passer la soirée ici avec toi. C’est si bon d’être ici, ajouta-t-il. Je n’y suis plus un étranger. Je suis chez moi. » Le souper fini, je lui fis lire le psaume 139 et je priai avec lui. Il partit avec une lanterne. Tous ses gens avaient l’air heureux et vinrent me saluer avec un empressement inaccoutumé.

Au commencement de novembre 1893, Coillard succombait sous le poids des travaux matériels, temple, chaussée, etc…, sa santé était ébranlée, il était vraiment malade. Ses voisins de Séfoula, avec lesquels il échangeait de fréquentes visites, cherchaient par tous les moyens, par toutes les prévenances possibles, à lui alléger la tâche. Une de ses constantes préoccupations était le renfort si nécessaire et qu’on ne lui envoyait pas. A plusieurs reprises, il l’avait espéré et il avait été douloureusement déçu. Les églises de France renonceraient-elles à cette œuvre ?

« Soyez sûr, écrit-il à Alfred Boegner, qu’avant peu d’années, d’autres feront ici ce que nous ne faisons pas, et nous disputeront le champ que nous défrichons avec tant de sueurs et de larmes. C’est maintenant ou jamais qu’il nous faudrait, avec une virile énergie, mettre résolument l’épaule à la roue et faire des efforts — j’allais dire désespérés — non pas seulement pour nous maintenir mais pour nous développer. Maintenant nous sommes encore seuls au pays, nous avons, sur les chefs et sur Léwanika lui-même, une certaine influence, maintenant des portes nous sont ouvertes dont personne ne nous dispute l’entrée ; manquer cette occasion, qui ne se présentera peut-être plus jamais, c’est nous condamner d’avance à la paralysie et à la ruine.

Et nous-mêmes, nous ne sommes pas immortels. Et si l’un de nous était enlevé, que feraient les autres ? Même à présent nous sommes cloués, rivés à nos stations, surtout ceux du Bas, sans pouvoir nous absenter. Une Conférence est hors de question, quand les frères ne peuvent pas même se visiter.

Je sais qu’il est des personnes en France qui croient et qui disent hautement que notre mission est une erreur et une faute. Si je ne savais la sympathie profonde que vous avez pour elle, vous, je ne vous dirais pas tout cela. Dieu l’a déjà justifiée, et j’ai l’intime conviction que, par elle, il fera encore de grandes choses. Mais elle est en danger, et si vous voulez la sauver et lui assurer les conditions d’existence et de développement indispensables, c’est, je le répète, maintenant ou jamais qu’il faut agir.

Tout cela me pèse tellement sur l’esprit que, si quelqu’un avait pu prendre ma place, j’aurais peut-être vaincu les hésitations que j’éprouve à la perspective d’un voyage en Europe. Vous le savez, je me suis donné à cette œuvre, et je suis prêt à la servir dans la mesure de mes forces, n’importe où et comment. C’est pendant qu’il en est temps encore qu’il faut jeter un cri de détresse. Dieu veuille que ce cri trouve de l’écho et qu’il retentisse ailleurs que dans votre cœur de frère et d’ami ! »

« Je parle de la possibilité qu’après ma mort la mission du Zambèze cesse d’être une mission française et passe en d’autres mains. La seule supposition d’une telle perspective a pour moi — ai-je besoin de le dire ? — quelque chose de poignant. Pour moi, les intérêts purement nationaux sont un élément étranger qui ne doit pas entrer dans la question d’une mission. Mais, en travaillant au Zambèze comme enfant et représentant des églises de ma patrie, j’ai toujours cru travailler pour leur bien ; on m’a dit qu’en cela je ne me suis pas trompé et j’en bénis Dieu. Il est vrai que nous n’avons pas encore eu de succès appréciables, que le temps du défrichement et des semailles est bien long, que le sol que nous cultivons est bien aride. Qui le sait mieux, qui le sent plus que nous ? Mais si la mission du Zambèze, dans les présentes circonstances, est un fardeau trop lourd pour la foi de nos amis de France, pourquoi ne pas nous le dire franchement ? Ce n’est pas une œuvre personnelle que j’ai essayé de fonder ici, non. Mais si l’avenir vous inspirait des craintes, dites-le-moi, et, pendant que je suis encore des vôtres, envisageons courageusement le moyen d’y remédier. Dans tout cela, il n’est pas question d’amour-propre. Oh ! que Dieu m’en garde ! Je le répète, et vous savez que je dis vrai, je voudrais que la mission du Zambèze fût tout d’abord et très naturellement une bénédiction pour ces régions païennes, mais aussi une source intarissable de bénédictions pour les églises dont je suis l’enfant et pour celles qui nous ont jusqu’ici soutenus. »

Le 17 novembre 1893, Coillard reçoit une lettre du Comité :

On m’y annonce que M. Béguin va nous arriver. Enfin, le Comité remet à mes collègues et à moi-même la question de mon retour en Europe : « Un congé, dit-on, pour plaider la cause du Zambèze devant les églises. » Un congé à soixante ans ! … Que Dieu me guide ! La perspective d’aller, comme conférencier, en Europe, m’épouvante. Mais je suis prêt à tout. Si seulement je pouvais rester encore cinq ans ici ! Mais Dieu sait.

Peu après, Coillard écrit à une amie des Missions :

« Non, non, chère Madame, ne croyez pas que nous ayons une seule pierre à jeter aux chrétiens de notre patrie. Il faut des soldats aux bagages et à l’arrière comme à l’avant-garde. Et ceux qui sont fidèles là-bas contribuent à la victoire tout comme ceux qui sont à la brèche. La grande chose pour nous tous, enfants de Dieu, où que nous soyons placés, quelque tâche qui nous soit donnée, c’est l’obéissance et la fidélité, c’est de payer de nos personnes. Nous ne nous appartenons pas. Nous appartenons à Celui qui nous a rachetés au prix de son sang ; nous lui appartenons, corps et âmes, et c’est dans nos corps et dans nos âmes que nous devons le servir et le glorifier. Il y a de belles choses parmi les chrétiens d’Europe, des dévouements admirables qui nous édifient profondément. Et puis quel magnifique réveil de l’esprit missionnaire depuis quelques années ! Comment n’en pas être frappé, ne pas s’en réjouir et ne pas en glorifier Dieu ? Je suis sûr, qu’au grand jour, dans le ciel, plus d’un chrétien humble, inconnu, aura, aux fleurons de la couronne qu’il déposera aux pieds de son Sauveur, de ces diamants noirs que, nous, nous sommes venus chercher et recueillir.

Quand les Israélites combattaient contre Amalek, n’eût-il pas été faux et injuste d’attribuer la victoire exclusivement à ceux qui se trouvaient dans la mêlée ? Je crois que Moïse en avait sa part et aussi les deux compagnons qui n’ont rien fait d’autre, tout le jour, que de lui soutenir les bras. C’est à ce point de vue que vous vous placez, et c’est le seul vrai, quand vous dites que cette mission est « votre » mission. Eh bien ! prenez, prenons courage.

Vous bénirez Dieu avec nous de ce que la situation ici s’est merveilleusement améliorée. C’est une transformation qui nous étonne, mais qui ne nous satisfait pas encore, puisque nous ne voyons pas les pécheurs terrassés, comme le geôlier de Philippes, par le sentiment du péché. »

A plusieurs reprises, des bruits alarmants coururent, relatifs à une invasion des Matébélés.

« Et si les Matébélés avaient en effet envahi la contrée, que fût-il advenu de ce peuple et de nous ? Mais Dieu règne, il est plein de miséricorde. Malgré toute la dépravation de nos pauvres et chers Barotsis, l’heure du jugement n’a pas sonné pour eux. C’est encore le temps de la grâce et nous l’en bénissons. »

Coillard n’avait à Loatilé qu’une eau « épouvantable, ayant une odeur d’égout. »

« Nous faisons chercher notre eau dans un étang à une heure d’ici ; mais nous ne pouvons pas compter sur nos domestiques zambéziens, car il leur arrive souvent de puiser au premier trou venu où tout le monde se lave, où les enfants barbotent tout le jour et où grouille tout un monde dont nous devinons l’existence sans microscope. Chaque fois que vous savourez l’eau de vos fontaines de cristal, bénissez Dieu. Vous n’en connaissez pas le prix. »

Il travailla avec Waddell (2 au 6 décembre) pour forer un puits artésien, cela n’aboutit d’abord qu’à une déception.

6 décembre 1893. — Ainsi donc le Seigneur me refuse l’eau de ce puits que j’avais tant désirée. Pourquoi ? Il le sait, lui.

7 décembre. — Avec le petit tuyau enserré dans le grand, nous avons pu aujourd’hui, à plusieurs reprises, pomper un peu d’eau. C’est une grande amélioration, un sujet de joie et d’espoir.

Dimanche 10 décembre. — Non, mon puits ne répond pas encore à mon espoir. Il ne me donne qu’un demi-seau, deux ou trois fois le jour. Je ne crois pas que ce soit un fiasco complet. Dieu qui a fait sortir l’eau d’un rocher pour le service de son peuple, peut faire sourdre de la terre et jaillir ici une source pour le confort de ses serviteurs. J’ai la confiance qu’il le fera. Et cela, lors même que je n’en jouirai pas, moib. Mais quelque amer que soit le désappointement, je comprends la leçon et je demande à Dieu de bien l’apprendre.

b – En 1890, sous les yeux de Coillard, Georges Mercier et Rittener creusèrent un puits à Loatilé.

Les visites de Léwanika deviennent constantes ; chaque fois Coillard lui parle ouvertement :

« J’aime ta franchise, lui dit un jour (20 novembre) Léwanika, réprimande-moi pour tout ce que tu vois de mal en moi, tout. — « Tout, c’est beaucoup, reprend Coillard. Non, je ne te dirai pas tout ce que je désapprouve chez toi, ce serait trop long, mais je te dirai une chose qui ne te plaira pas, c’est que tu es un homme faible et un roi incapable. »

Je gardai le silence quelques instants, pendant que nous nous scrutions l’un l’autre ; puis je continuai et lui montrai par des faits qu’on ne pouvait pas compter sur lui. Il m’écouta et termina en remarquant, comme d’habitude, qu’il est seul et que personne ne l’aide dans la réforme qu’il voudrait entreprendre. Hélas ! son cœur ne s’amollit pas encore ; pas de signe de conversion !

Ces visites sont longues, fatigantes, mais Coillard ne cède pas à la lassitude. Il prie toujours plus ardemment pour le roi. Puis, voyant que celui-ci tarde à faire le pas décisif, il s’accuse et s’humilie.

26 décembre. — J’ai immensément joui des Adolphe Jalla et de Mlle Kienerc. Je ne sais pas ce que je ferai quand ils partiront. Hier soir, après leur avoir souhaité une bonne nuit, je rentrai dans ma chambre et fus saisi d’un affreux sentiment de solitude et de désolation. Hélas ! il n’est pas rare ce sentiment-là. Et je me sens si inutile ! Rien n’aboutit ! J’ai beau prêcher, pas le moindre signe, rien ! Je ne sais pas prêcher. Je suis un pauvre ignorant des choses de Dieu et je le sens toujours plus. Souvent, quand je prends un sujet, j’en fais un galimatias, rien de plus, et je me sens triste et angoissé.

c – Venus en visite à Léalouyi du 19 au 27 décembre.

8 février 1914. — C’est le mois des événements, disait Christina. Déjà s’approche cet anniversaired qui a fait de moi ce que j’ai été et ce que je suis. Après Dieu, de qui seul procèdent toute grâce excellente et tout don parfait, c’est à deux femmes que je dois tout : ma mère bien-aimée a fait ma jeunesse et préparé ma vocation, et ma femme a fait de moi, par son influence, un homme et un missionnaire ; Dieu sait combien je lui dois.

d – Le 26 février était l’anniversaire du mariage de Coillard.

10 février. — La semaine a été bien rude ainsi que la précédente. Huit jours de travaux forcése avec des bandes de femmes faisant un vacarme à vous étourdir ! J’ai de telles douleurs à la plante des pieds et au dos que je puis à peine marcher et me tenir debout. Et je suis si écrasé de fatigue que je ne puis lire cinq minutes sans m’assoupir. Le soir, écrire est depuis longtemps hors de question ; il me faut lutter pour pouvoir lire ou prier. Ça me rend triste.

e – Travaux de nivellement et transport de sable pour asseoir la maison.

[Il faut se rappeler que Coillard se levait avant le jour ; ainsi, le 17 juillet 1893, il écrit dans son journal : « J’étais debout à 4 heures, contemplant le beau ciel que nous avons maintenant. En ouvrant ma porte, ce qui frappe et me captive, c’est la splendeur d’Orion, les Pléiades, Aldébaran, avec Sirius qui flamboie à l’ouest, Vénus, qui plane près des Pléiades, les constellations du nord, Cassiopée, Persée, Andromède, et ce n’est que la moitié du ciel. Il est vrai que c’en est la plus ravissante… J’étais rentré, rafraîchi par la rosée du ciel, je lisais ma Bible. » — Un autre jour, le 27 juillet 1898, il écrit à Alfred Boegner : « Il est 4 heures du matin ; ma petite chambre, du reste confortable, est balayée par des courants d’air qui font vaciller ma lumière, je grelotte de froid et peux à peine tenir ma plume. »]

Dimanche 11 février. — Passé une nuit d’angoisse en pensant à la journée d’aujourd’hui et à la prédication. Et pourtant tous ceux à qui j’ai parlé ont bien compris ma prédication de dimanche dernier sur Jonas à Ninive, seulement ils ont compris, c’est tout ; pas de conversion.

Lundi 19 février. — J’ai beaucoup prié pour Léwanika, Litia, etc., très avant dans la nuit. Je sens comme si le temps de l’exaucement n’était pas loin, il règne autour de nous une atmosphère comme quand une grosse pluie va tomber.

En février, Mokouaé est en séjour à Léalouyi.

Jeudi 22 février. — Elle est certainement susceptible de subir une bonne influence et d’être amenée aux pieds de Jésus. Oh ! quelle glorieuse joie si Léwanika et Mokouaé et Katoka et Litia étaient tous chrétiens ! Je sais et je crois que le Seigneur peut faire de grandes choses. Et, avec une foi vacillante, je crois qu’il les fera.

Jeudi 22 février. — Le roi vint dîner avec nous. Il avait une suite nombreuse. Je leur donnai du feu et nous eûmes avec Léwanika une conversation des plus intéressantes et des plus sérieuses. Oh ! cet homme, comme il me paraît près du royaume des cieux ! Après son départ, je suis rentré chez moi et j’ai longtemps lutté avec Dieu. O mon Dieu, ne tarde pas ! … Je me sens le cœur oppressé à son sujet et au sujet de Litia, d’André, de Mokamba et d’autres. La prière est une agonie.



Le temple de Léalouyi en construction

Enfin, le temple est construit ; il est prêt à être inauguré, les amis de Séfoula viennent à Léalouyi.

« Les services du dimanche 4 mars, eurent un caractère de grande solennité. C’était la dernière fois que nous nous réunissions dans le tabernacle. Il a son histoire, le bon vieux tabernacle maintenant tout en lambeaux. C’est avec les mêmes amis que nous l’avons élevé, et dans des temps bien difficiles. Il nous a abrités pendant seize mois, par le beau et le mauvais temps. Pour moi, le sol même en est sacré. M. Jalla prêcha sur la pêche miraculeuse, et moi, dans un second service, j’aurais voulu tirer le filet. En promenant les yeux sur ce bel auditoire, dont la plupart des visages me sont familiers, vous étonnerez-vous que ces dix années de mission au Zambèze aient passé devant mon esprit comme une vision ? Je faisais, malgré moi, un stage à Léchoma, puis à Séchéké, puis à Séfoula, tout autant de chapitres qui, avec de précieux témoignages de la bonté de Dieu, parlent aussi de travaux et d’épreuves. Je m’arrêtais à Léalouyi, je pensais à toutes mes prédications, à mes espérances évanouies, à ces combats connus de Dieu seul, et, le cœur saisi de tristesse, je répétais avec les apôtres : « Travaillé toute la nuit… sans rien prendre ! » Elle a été noire, longue et orageuse, cette nuit, vous le savez ; le labeur a été incessant et dur. Et pourtant… rien ! Faut-il céder à la tristesse et au découragement ? Faut-il douter de la puissance de l’Évangile que nous prêchons, de la grâce de Dieu, qui pourtant a triomphé de la dureté et de la dépravation de mon propre cœur ? Non, mon Seigneur. Moi aussi, j’ai travaillé toute la nuit, sans rien prendre… mais, sur ta parole, je jetterai encore le filet. »

La dédicace du temple eut lieu le dimanche suivant, 11 mars 1894 : le roi, les reines, le Ngambéla, des chefs, tout un nombreux public noir y assista. Le culte du matin dura deux heures.

« Je n’ai pas besoin de vous dire, écrit Coillard avec quelle émotion j’ai pris part à l’exécution du cantique que j’avais fait pour la dédicace de l’église de Léribé :

C’est un lieu saint,
C’est un lieu redoutable
Où l’on prie l’Éternel,
Où on l’écoute.
C’est la porte du ciel,
C’est la maison de Dieu.
Parmi tous les autres lieux
C’est là que se tient l’Éternel.
Alléluia, Amen !

« Le rapprochement et le contraste de ces deux cérémonies, à vingt-trois ans de date, était profondément douloureux pour moi. »

L’après-midi un nouveau culte eut lieu :

« Nous, dans la soirée, toute petite bande que nous sommes, nous nous réunîmes encore, dans ce temple maintenant vide, pour recevoir un message du Seigneur (Zacharie 2.5) et commémorer ensemble sa mort. Tout était calme et silencieux, au dehors comme au dedans. Jésus était là et parlait à nos âmes. Après cette journée si belle, si remplie, nous sentions qu’il nous invitait nous aussi, comme ses disciples fatigués, à le suivre à l’écart, et à nous retremper dans l’intimité de sa communion. Moments bénis, heure solennelle ! Il fait bon être là ! »

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