Élisée fils de Saphat

12.
Le bâton de mendiant

Il faut mourir pour revivre. Telle est la loi du royaume des cieux. Celui qui perd sa vie la retrouvera. L’humilité précède la gloire. Jean-Baptiste se tient à la porte du sanctuaire de l’Evangile et crie : Faites des fruits convenables à la repentance.

Mais qu’est-ce que cette repentance ! Ce n’est point de jeûner, de prier, ni d’aller à l’église d’un air contrit. Voulez-vous que je vous dise quand elle commence ?

D’abord, mes amis, c’est lorsque la bonne cloche commence à sonner. — La bonne cloche ! celle de notre église ? — Oh ! non. — Celle de la ville, sans doute ? — Ah ! s’il en était ainsi, nous la sonnerions jusqu’à rompre les cordes. La bonne cloche sonne de plus haut que les plus hauts clochers. Elle est retentissante quoiqu’elle ne soit pas d’airain et qu’aucune main mortelle ne la mette en branle. Elle sonne d’elle-même ou… jamais. Le jour où le Seigneur dit dans les cieux : que tel homme, que telle femme pleure à mes pieds ! ce jour-là la bonne cloche se fait entendre. Alors Saul ne résiste plus aux aiguillons, Nébucadnetsar rentre en lui-même et le roi de Ninive prend le sac et la cendre.

Vous dirai-je encore quand commence la vraie repentance ? C’est lorsque le vrai temple de Dieu s’ouvre. — Le vrai temple, est-ce l’église où nous nous assemblons ? — Je le voudrais ; mais il est trop évident aujourd’hui même, que ce temple-là peut s’ouvrir à plusieurs, sans que la vraie repentance commence. Le temple dont je parle, c’est ton cœur. Ah ! comme il est solidement fermé par nature ! Ceux qui voudraient y entrer sont nombreux. Ce sont les appels du Dieu vivant, ce sont les paroles de l’éternelle vérité. Ce sont des exhortations comme celle-ci :Réveille-toi, toi qui dors ! ou comme cette autre : Sauve ton âme ! ou comme cette parole : Crois en Jésus-Christ ! ou bien encore : Cherche avant toutes choses le royaume de Dieu et sa justice ! Ces appels trouvent vos oreilles corporelles ouvertes, ils pénètrent même dans votre intelligence et dans votre mémoire, où ils ne font, hélas, que se glacer à mort ; mais le temple lui-même est fermé aux verrous, vide et désert, livré aux oiseaux nocturnes de l’incrédulité, des illusions et de l’amour du monde. Nous essayons d’ouvrir, mais soit que nous employions le marteau, la hache ou la clef d’or des supplications, tout demeure inutile. Ce n’est point l’œuvre de l’homme. Il faut qu’un plus puissant vienne ouvrir, celui qui ouvrit le cœur de Lydie : et Lydie fit attention aux paroles de l’apôtre dont la doctrine envahit en un moment le temple de son cœur.

Enfin la vraie repentance commence quand le vrai prédicateur monte en chaire. Qui est le vrai prédicateur ? Ah ! ce n’est pas même un apôtre. A quoi peut-on le reconnaître ? Sa robe n’est que lumière. Sa langue est une flamme de feu. Sa puissance est telle que d’un souffle il fond des cœurs plus durs que le diamant. Ce prédicateur par excellence c’est l’Esprit de Dieu.

Si je ne me trompe, mes frères, notre texte d’aujourd’hui commence à nous montrer la réalisation de ces choses. 11 me semble entendre déjà, pour l’âme de Naaman, le son de la vraie cloche, il me semble voir la clef de David dans la serrure du temple de son cœur, et le prédicateur véritable qui ouvre sa bouche divine pour l’instruire. Venez, allons ensemble à cette fête.

2 Rois 5.8

8 Et il arriva que dès que Élisée, homme de Dieu, eut appris que le roi Israël avait déchiré ses vêtements, il envoya dire au roi : Pourquoi as-tu déchiré tes vêtements ? Qu’il s’en vienne maintenant vers moi et qu’il sache qu’il y a un prophète en Israël.

Nous avons vu Naaman arriver à Samarie et présenter au roi la lettre impérieuse de son Maître. Nous avons vu la colère et l’angoisse du profane Joram. Continuons à suivre le développement de cette histoire. L’intervention d’Élisée ;le voyage de Jéricho ;la réponse du prophète ; tels sont les trois points sur lesquels nous appellerons aujourd’hui votre attention.

I

Bientôt la nouvelle de l’arrivée du noble étranger et de la scène extraordinaire qui l’a suivie s’est répandue en Israël ; elle a même pénétré jusqu’à Jéricho, dans l’humble demeure d’Élisée. Le prophète, en apprenant l’inconcevable conduite de Joram, est saisi d’indignation. La gloire du Seigneur est son plus cher trésor, l’outrager c’est lui percer le cœur d’un poignard aigu. « Ce roi, dit-il en lui-même, ne sait donc plus qu’il y a un Dieu vivant en Israël ? et cependant son trône ne repose que sur les miracles du Tout-Puissant. Né dans un pays tout rempli des témoignages de la force et de la gratuité de Jéhovah, il expose sa patrie aux mépris des païens, comme si la source des miséricordes était tarie, comme si tout secours était impossible parce que l’idole et ses prêtres n’en peuvent donner. » Telles sont les pensées de son cœur aigri. Qu’on l’injurie ou qu’on l’outrage lui-même, il pourra le supporter. Mais en outrageant son maître on a touché l’endroit sensible, on a réveillé un lion. Oh ! sainte susceptibilité, noble patriotisme ! Le zèle du prophète se montre par des actes. Il dépêche un messager au monarque pour lui dire : Pourquoi as-tu déchiré tes vêtements ? qu’il vienne maintenant vers moi et qu’il sache qu’il y a un prophète en Israël ! Langage puissant ! Intervention brillante de l’homme de Dieu ! Il apparaît comme le soleil au moment où toutes les étoiles de la sagesse humaine ont inutilement réuni tous leurs rayons pour éclaircir les ténèbres de la vie du Syrien. Ses paroles sont, il est vrai, fières et hautaines. Mais elles ont droit de l’être. Que les autres peuples déchirent leurs habits dans les jours de deuil. Pour un Israélite c’est un blasphème. Le royaume de Jéhovah n’est pas un royaume de mendiants. Noble sentiment national de l’homme de Dieu. Nous le partageons pour l’Israël dont nous faisons partie. Bannière de Sion, flotte avec orgueil ! Ton ombre n’est pas comme celle des autres bannières. Venez ici vous tous qui cherchez avec angoisse l’aide et le secours ! Nous possédons ce que le monde entier ne peut donner. Cherches-tu la vérité ? ne demande point avec défiance si elle existe ; nous l’avons trouvée. Désires-tu la paix ? Ne déchire point tes vêtements ; les déserts inhospitaliers du monde ne sont pas tout le monde. Viens dans nos prairies. Le fleuve de paix les arrose de ses ondes. Poursuis-tu la justice ? prends courage ; les corvées du service légal ne purent te la donner, mais dans nos contrées, les cieux font pleuvoir la justice, la justice de Dieu. As-tu besoin de force pour vaincre les épreuves et pour surmonter la mort ? Le charlatanisme du monde ne saurait t’en revêtir ; mais n’importe, il n’y a pas lieu de te désespérer. Viens à Salem ! et tous tes ennemis, nous te le garantissons, deviendront le marche-pied de tes pieds. Que dis-je ? interroge tous tes besoins, tous tes désirs les plus secrets, toutes tes espérances les plus hardies ; ne crains pas de les exprimer, nous te promettons que, dans nos demeures, tes demandes seront plus que remplies. Ici il n’y a plus de pauvreté. Ici le ciel a répandu sa plénitude. Sur notre frontière sont les bornes de toutes les misères. Venez donc ici vous tous qui êtes altérés. Pourquoi donnez-vous votre argent pour ce qui ne nourrit point et votre travail pour ce qui ne rassasie point. Ecoutez et vous mangerez ce qui est bon et votre âme jouira à plaisir de tout ce qu’il y a de meilleur.

II

Le message d’Élisée parvient à Samarie. Le roi Joram le reçoit avec joie. Il se voit tiré d’une grande perplexité et ne songe pas à s’offenser de ce qu’il y a de mordant dans le langage du prophète. Il fait dire au malade qu’il n’a qu’à se rendre auprès du prophète qui est à Jéricho. Jamais colonne itinéraire ne réjouit plus le voyageur que cet avis ne fut agréable au pauvre Syrien. Sa joie, en le recevant, est inexprimable. Il l’accueille comme le naufragé la corde de salut, comme le mineur prêt à périr sous un éboulement accueille la voix amie qui l’appelle par son nom. En effet, pense-t-il, la jeune fille avait parlé d’un prophète ! Il voit reparaître l’étoile un moment évanouie qui doit le conduire au but de son espérance. Cette parole est pour lui comme une douce pluie de printemps qui fait renaître et reverdir en un clin-d’œil toute la création. Il se livre plus que jamais à la confiance ! — Oh ! pourvu que ce soit Dieu qui nous fixe le but de notre voyage et qui nous appelle à marcher, peu importe quelle en soit la direction, nous ne pouvons manquer de réussir. Nous tous qui appartenons à Christ, nous ne poursuivons pas seulement notre route vers la cité qui a des fondements, mais notre course se propose encore plusieurs autres buts secondaires. Nous qui prêchons l’Evangile, nous recherchons le fruit que doit produire notre parole. Vous qui êtes nécessiteux en Sion vous désirez que Dieu donne à vos familles leur entretien, qu’il vous nourrisse et qu’il vous habille, comme il nourrit les oiseaux de l’air et comme il revêt les lis des champs. Vous tous qui pleurez vous appelez le moment où vos larmes seront changées en allégresse. Vous, parents, fondés sur la promesse que vos enfants seront liés avec vous dans le faisceau de la vie, vous voyagez, dans vos pensées, vers le moment solennel où vous pourrez dire avec transports : Me voici, Seigneur, moi et les enfants que tu m’as donnés. C’est ainsi que nous voyageons l’un vers un but, l’autre vers un autre pour lequel Dieu lui-même nous donna le signal. N’en doutez point, mes frères, nous arriverons,’mais très-probablement par le même chemin que Naaman. C’est le chemin battu dès les temps anciens. Cent fois, peut-être, l’horizon s’obscurcira devant vous, mais cent fois il redeviendra plus brillant et plus clair. Cent fois il semblera que c’en est fait de vos espérances ; mais cent fois elles reparaîtront plus belles après l’orage et vous serez à la fin obligés de confesser, comme les Israélites devant Josué, qu’il n’est point tombé un seul mot de toutes les bonnes paroles que l’Eternel votre Dieu a dites de vous, que tout vous est arrivé et qu’il n’en est pas tombé un seul mot.

A peine Naaman a-t-il appris le message d’Élisée, qu’il fait tout préparer pour la continuation de son voyage. En peu d’instant son équipage oriental traverse de nouveau les rues de Samarie. Les curieux se pressent sur son passage. Il va à Jéricho, disent quelques-uns ; le prophète pourra-t-il bien le guérir ? Il le pourra ! pense Naaman, et le voilà, plus joyeux dans son char qu’après le gain d’une bataille. Arrivé à Jéricho il s’informe de la demeure d’Élisée. Or, il n’y avait pas un enfant dans Jéricho qui ne connût l’homme de Dieu et qui ne prononçât son nom avec le plus profond respect. Élisée s’était acquis la reconnaissance de toute la contrée en assainissant les sources d’eau et chacun dut s’empresser de donner à Naaman, l’assurance que, s’il venait pour implorer le secours du prophète, il n’aurait point entrepris en vain un si long voyage. Son impatience de voir enfin l’homme de Dieu n’en devient que plus grande. Il s’est déjà mille fois figuré, dans ses pensées, sa demeure, son aspect, son entourage. Mais quel est son désappointement en arrivant à la cabane d’Élisée ! Quoi, dit-il, c’est dans cette hutte que je dois chercher l’homme dont la puissance surpasse celle des prêtres et des rois ! Il dit, et un épouvantable orage tout chargé de colère et de désespoir commence à se former dans son âme. Ce grand paraît ignorer encore qu’il n’y a que l’impuissance qui ait besoin de pompe extérieure, mais que la vraie force se fait valoir par elle-même ; que ce qui n’est rien a besoin de parure pour paraître quelque chose et pour éblouir, mais que tout ce qui a de la valeur et du prix en soi ne peut que gagner à mépriser les vaines apparences. Naaman ignore bien d’autres choses encore, mais peu à peu tout lui deviendra clair et il s’opèrera dans le monde de ses idées une de ces transformations complètes qu’éprouvent comme lui tous ceux qui, du royaume des ténèbres et du mensonge, passent dans le royaume de la lumière et de la vérité. Mais si la pauvreté d’Élisée avait commencé à le scandaliser, ses procédés inattendus allaient le surprendre encore plus. On ne peut douter qu il ne se fût attendu à voir le Thaumaturge venir avec empressement à sa rencontre, s’incliner avec respect et lui offrir humblement ses services. Mais rien de tout cela n’a lieu. L’arrivée d’un si haut personnage ne paraît pas faire sur le prophète la moindre impression. Il ne daigne pas sortir de sa cabane et se contente de lui envoyer un message, probablement par Guéhazi, pour lui indiquer en peu de mots par quel moyen il peut être guéri. Cette conduite nous surprend nous-mêmes. Nous avons peine à la concilier avec le caractère et la mission d’Élisée. Mais Élisée n’agit pas ainsi sans motif, et quelques fières, quelqu’arrogantes que puissent nous sembler ses manières dans cette circonstance, nous n’y trouverons qu’une preuve plus éclatante de sa sagesse pastorale et de sa sollicitude éclairée pour la gloire de son Maître. Il faut que le puissant étranger comprenne dès l’abord qu’il n’a point à faire à un jongleur syrien, à un prêtre d’idoles, mais au serviteur d’une Majesté devant laquelle toutes les distinctions humaines perdent leur importance ; que la différence qui existe aux yeux du monde entre l’hermine du riche et la blouse du pauvre n’existe plus aux yeux de Celui qui ne voit en eux que deux pécheurs ; que l’éclat des titres et des honneurs peut bien avoir du prix pour la poudre et la cendre, qui en ont besoin pour voiler leur néant, mais qu’aux yeux de Celui qui pèse l’homme, et non ce qui le couvre, ce n’est qu’une brillante vapeur ; il faut qu’il comprenne que son rang ne lui donne aucun avantage devant le trône de la grâce. C’est pour cela que nous voyons Élisée renier son caractère naturel d’affabilité et de prévenance et se retrancher dans une réserve qui semble crier au fier guerrier : Déchausse les souliers de tes pieds. C’est pour cela que sa conduite réfléchit en ce moment plutôt la majesté de celui qu’il représente, que la douce lumière de sa miséricorde. Oh ! que cet exemple est instructif et respectable ! Oserons-nous, prédicateurs modernes, nous contempler dans ce miroir vivant ? N’y a-t-il pas là de quoi nous anéantir, nous dont la conduite pastorale pourrait souvent faire croire que le Maître dont nous sommes les interprètes regarde, comme les hommes, au rang, à la fortune, aux dignités du monde et fait bien plus de cas du riche et du haut dignitaire que des gens de troisième, de quatrième ou de cinquième classe ? Aussi faut-il dire qu’on ne songe guère à nous considérer comme les interprètes de Dieu. C’est la récompense bien méritée de notre lâcheté vis-à-vis des grands. Ceux mêmes devant qui nous savons si bien baisser les voiles de l’austère vérité ne pourront, malgré toute leur politesse, que nous mépriser dans leur cœur. Oh ! que Dieu jette du haut du ciel un regard de pitié sur ses serviteurs qu’il mette un terme à leur servilité méprisable, qu’il les affermisse dans cet esprit des prophètes et des apôtres qui dissipe le charme trompeur de la grandeur humaine et la réduit à néant !

Que se proposait donc Élisée ? Son ardent désir était de porter son hôte à prendre en main le bâton de mendiant. Car il savait que le Seigneur veut avoir compassion du pauvre et sauver l’âme des misérables (Psaumes 72.13). Le bâton de mendiant ! C’est l’effroi du monde. Personne ne veut être considéré comme pauvre. Le fils de la poussière est pauvre, entièrement pauvre par nature ; il ne lui reste rien. Mais il l’ignore, il ne veut pas le savoir. Il veut vivre de ses propres fonds, dépenser son propre argent ; il rend grâce à Dieu, comme le pharisien ; il dit comme le jeune homme riche : que me manque-t-il encore ? Il veut porter l’épée, la badine, le panache, mais le bâton de misère, fi donc ! il regarde par dessus les épaules ceux qui le portent. Des expressions comme celles-ci : vivre de grâce, se jeter dans les bras de la miséricorde, etc., lui sont désagréables. Que sera-ce si l’on parle d’embrasser les pieds de Jésus, de se réfugier dans ses plaies, de recueillir comme des petits chiens ce qui tombe de sa table ! Un tel langage l’irrite. — Orgueil de mendiant ! aveuglement ridicule ! sotte présomption ! Tel est l’homme, mes frères. Et ne présumons pas nous-mêmes de lui faire mieux comprendre sa misère, n’espérons pas que les épreuves le désabusent ou que ses grossiers péchés lui ouvrent les yeux. Non, il nous cracherait plutôt au visage. Il murmurerait ouvertement contre Dieu plutôt que de plier. Ses péchés peuvent s’entasser comme des montagnes, sans qu’il consente à se croire pécheur. Il trouvera mille excuses, il vantera ses bonnes intentions, il accusera les circonstances, les autres hommes, et, même sous le vêtement du galérien ou sur l’échafaud, il soutiendra encore qu’il est un homme de bien.

On peut tout faire de l’homme, a-t-on dit, au moyen de l’éducation, de l’exemple et de la discipline. Oui, mais on ne peut en faire un pauvre pécheur. C’est au-dessus du pouvoir d’un mortel. La propre justice est l’hydre la plus indestructible qui existe. Coupe-lui la tête, il en renaît dix à la place. Ton fer est pour elle de la paille. Fais marcher contre elle toute une armée composée de textes, d’exhortations bibliques, de preuves philosophiques, d’expériences humiliantes, d’afflictions salutaires, de condamnations infamantes, tout est inutile : elle demeure maîtresse du champ de bataille. Tu pourras l’irriter, mais tu ne la plieras pas.

Dieu seul donne la repentance à son peuple. Le bâton de mendiant vient du ciel. Le beau présent ! pensez-vous. Oui, présent plus précieux que des lingots d’or et d’argent, que les sceptres des princes, que les couronnes des rois. Le temps vient où les fils de Bélial le reconnaîtront eux-mêmes. Un sceptre royal ! quelle bagatelle ! La vraie noblesse a pour armoiries un bâton de mendiant. Et pourtant nul ne le prend sans y être forcé par Dieu lui-même. Comment Dieu s’y prend-il ? Comme il lui plaît. Il ne jette point toutes ses œuvres dans le même moule. Mais le plus souvent il se sert de Moïse pour cette œuvre. Moïse vient de sa part vers tel ou tel homme et lui offre le salut. — Pour quel prix ? demande l’homme. — Pour l’accomplissement de mes ordonnances. L’acheteur trouve le marché raisonnable et se dispose à payer. Mais le Saint-Esprit s’interpose et lui fait comprendre le vrai sens des ordonnances de Moïse. Alors l’homme revoit sa caisse morale et il en résulte une terreur qui le pénètre jusqu’à la moelle de ses os. — Toutefois, il ne se décourage point. Il veut aller au ciel et non point en enfer : Prends patience, dit-il à son créancier, et je te paierai le tout. Puis il se met à l’œuvre, il fait mille efforts pour accomplir les commandements. Mais, hélas ! plus son ardeur est grande, plus il est obligé de se dire : « ma peine est superflue ; — je recule au lieu d’avancer, je deviens tous les jours plus pauvre. Je ne fais qu’accroître ma dette ! » — Le créancier menace. Le débiteur le supplie en disant : n’y a-t-il rien à rabattre ? — Rien, lui est-il répondu, rien, pas même un iota. L’angoisse du malheureux augmente. Nouveaux efforts, nouvelles chutes… Moïse continue de tonner, de maudire. Enfin le misérable n’y peut plus tenir. Il s’écrie : je suis ruiné ! Je suis maudit ! Ah ! que dois-je faire pour être sauvé ? Crois en Jésus-Christ, lui crie une voix du ciel, et tu seras sauvé ! Jésus, qui est-il ? que peut-il faire pour moi ? que peut attendre de Lui un pécheur maudit ?– On lui annonce la parole de la croix, l’Evangile de paix. L’étoile de la grâce annonce à son âme le jour du salut. Jésus devient sa seule espérance ; Jésus aie pitié de moi ! voilà le cri de son âme. Défaillant, tout en larmes, il assiège le trône de la grâce, et dans sa main nous voyons enfin le bâton du mendiant. Car ce bâton, qui n’est autre chose que la conviction du péché et la soif de la grâce de Jésus, ne s’achète, ne s’emprunte, ni ne se fabrique sur la terre, c’est du ciel que Dieu le donne, mais il le place, au moment convenable, dans la main de tous ses élus.

Que ce bâton paraît méprisable ! Dès qu’un pécheur a dû le prendre, le signal en est donné de tous côtés, dans le monde visible et dans l’invisible. Signal de colère, mais aussi de triomphe et de joie. Le monde commence ses insultes. Le diable frémit de rage, car c’est pour lui le signe d’une nouvelle défaite. Les enfants de Dieu se disent l’un à l’autre : Savez-vous qu’un tel est aussi devenu un pauvre mendiant ? et cette circonstance leur montre qu’un nouveau frère vient de leur être donné, que l’Esprit saint agit encore, que leur royaume s’accroît et prospère. Le ciel même y voit un signal d’allégresse : Car il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent. Le diable a reçu un nouvel échec ; c’est pour cela que les anges triomphent. Le sang de Christ a montré sa force salutaire ; c’est ce qui les fait tressaillir de joie. Leur prince a glorifié sa grâce créatrice ; c’est pour cela qu’ils prennent leur harpe. De nouvelles larmes de reconnaissance viennent de s’ajouter comme des perles à la couronne de leur souverain ; c’est ce qui les porte à entonner des Alléluia. Je ne vois nulle part dans la Bible, qu’il y ait de la joie dans le ciel lorsqu’un homme gagne des monceaux d’or, lorsqu’il obtient quelque emploi brillant ou quelque titre de noblesse, lorsque les lauriers d’une victoire terrestre viennent parer son front ; mais le bâton de mendiant dont je parle produit une joyeuse émotion parmi les anges, parmi les saints glorifiés, dans l’Eglise militante, en un mot, dans tout le royaume de Dieu. Il ne chagrine et n’irrite que le diable et les suppôts des ténèbres. Quel glorieux témoignage pour le bâton de mendiant !

Au reste, celui même qui l’a reçu, quoique tout honteux d’abord, finit par s’en réjouir, par le trouver aimable, et il apprend toujours plus à en connaître le prix. En effet, cette livrée ne le conduit pas vers quelque maison étrangère, vers des visages sombres et moroses, elle le conduit vers un seuil hospitalier où il n’a point à craindre les dures rencontres, les réponses sèches et brèves, les reproches et les menaces. C’est, il est vrai, la demeure d’un puissant Seigneur, devant qui les millionnaires et les rois de la terre ne sont rien. Mais la bienveillance brille sur son visage, et sa personne toute entière ne respire que miséricorde. Ses enfants s’empressent autour du misérable, le prennent par la main, l’appellent : « cher frère ! » et l’embrassent comme s’ils le connaissaient depuis longtemps. Mais lorsque paraît le père de famille, quel soleil d’amabilité et de grâce ! « Mon fils ! » c’est ainsi qu’il nomme le timide mendiant, « te voilà retrouvé ! » et il commence à le combler de présents si magnifiques que le monde ne saurait rien offrir de semblable. Il lui donne tout ce qu’il peut en quelque manière désirer. Quel habit précieux que celui dont il le revêt ! quelle riche chaussure ! De quel bel anneau il le pare (Luc 15.22), et quelle armure, quelle couronne que celle des promesses qu’il lui prodigue ! Mon fils, lui dit-il, tout ce qui est à moi est à toi.Ne sois point alarmé.Jette sur moi ton fardeau, — Je me suis chargé de toi dès le ventre de ta mère, je te porterai jusqu’à la vieillesse toute blanche.Tu es la prunelle de mon œil, — je ne t’abandonnerai point et ne te délaisserai point.Je ne te laisserai manquer d’aucun bien. Et que d’autres encouragements encore ! c’est une source intarissable ! Le pauvre pécheur tout interdit est muet d’étonnement et de joie ; il baiserait volontiers le bâton de misère qui l’a conduit vers un tel palais, vers un seigneur si bon, si aimable. Et nous, mes frères, n’en faisons-nous pas autant ? O bienheureuse vie que de mendier à la porte de Jésus, et que de subsister de ses riches aumônes ! — Qu’on veuille ou non le croire, c’est un état glorieux que la mendicité des enfants de Dieu !

Glorieux ? pensez-vous. Oh pour cela non ! Elle ne procure aucun honneur. — Non, c’est ce qu’il semble au premier, abord, — mais plus tard, on remarque que c’est le bâton de mendiant qui introduit dans les cercles de la plus haute noblesse. Car de quel nom appellerez-vous la compagnie des saints hommes de Dieu et de tous les favoris de Jéhovah ? Eh bien, ils le portèrent eux-mêmes, comme leur marque distinctive, comme leur sceau, comme leur vraie gloire. Abraham, Moïse, David, Salomon, tous les prophètes, tous les apôtres l’ont porté. Les pères de l’Eglise, les réformateurs, les martyrs l’ont porté avec joie. Comment ne nous croirions-nous pas honorés d’un signe qui nous unit à de tels hommes et qui nous décore du même ordre. Qu’ai-je besoin des signes pompeux dont le monde se pare ? Un scélérat peut les porter et bientôt ce ne sera que poudre et que cendre, mais il n’en est pas de même du bâton de mendiant. Il caractérise les rois et les sacrificateurs, les saints et les justes, les héritiers du salut, et il les conduit jusque dans le ciel même. — Jusque dans le ciel ? — Oui, mais alors il se transforme. Il fleurit comme la verge d’Aaron et devient une palme de triomphe. Que dis-je ? il se change en sceptre, car les saints jugeront le monde selon l’Ecriture et régneront avec Christ aux siècles des siècles. Oh ! voyez donc que de motifs se présentent à nous, pour ne point avoir honte de notre bâton de mendiant, mais au contraire pour nous en réjouir et pour nous en glorifier de toutes nos forces ! C’est aussi ce que nous ne manquerons point de faire, nous qui l’avons reçu des mains gracieuses de notre Dieu. Oui, nous sommes de l’ordre des mendiants et nous voulons en être. Mais ce n’est point devant ta porte, monde éphémère, que nous mendierons. Garde tes richesses, elles ne peuvent nous suffire. Nous sommes de ceux qui n’ont rien et qui pourtant possèdent toutes choses. Ah ! que celui qui possède ce signe précieux, le presse donc ardemment sur son cœur. Nous vous le souhaitons à vous tous qui ne le connaissez point encore. Il ne saurait rien vous échoir de mieux. Car Dieu aura compassion du pauvre qui crie à lui et ils sauvera l’âme des misérables.

III

Mais quelle est la réponse d’Élisée à l’illustre malade ? Élisée envoya un messager pour lui dire : Va et te lave sept fois au Jourdain, et ta chair te reviendra telle qu’auparavant et tu seras net. Réponse bien surprenante, il faut l’avouer, qui acheva de déconcerter Naaman et qui détruisit ce qui lui restait d’espérance. — Si notre surprise est moins grande, c’est parce qu’il nous est plus facile de reconnaître le sens figuré de ces paroles. En effet, nous ne saurions ordonner autre chose contre la lèpre de l’âme que ce que Élisée ordonna à Naaman : il est vrai qu’il faut se plonger dans d’autres ondes que celles d’un fleuve terrestre. En ce temps-là, dit le prophète, il y aura une source ouverte en faveur de la maison de David et des habitants de Jérusalem, pour le péché et pour la souillure. Si je ne te lave, dit le Sauveur à Simon, tu n’auras point départ avec mot. Trois pensées se présentent dans la première moitié de cette sentence. Prenons-les à cœur et nous aurons compris la seule chose nécessaire. Si Je ne te lave, dit le Seigneur. C’est Lui qui doit nous laver. Lave-toi avec ce que tu voudras, avec des aumônes, de bonnes œuvres, des pratiques pieuses, tu en retireras quelque louange de la part des hommes ; mais tant que Jésus ne t’a point lavé, renonce aux louanges de Dieu. Fais-toi laver par tes semblables, par leurs flatteries et par leurs témoignages d’honneur. C’est quelque chose ici-bas. Mais si tu désires plus que la gloire terrestre, souviens-toi qu’il faut que Jésus lui-même te lave. — Si je ne te lave. Il ne suffit point qu’il te fasse toute autre chose. Il faut qu’il te lave, car tu n’es qu’impureté et souillure. — Mais il m’instruit ! penses-tu.– Il instruisit aussi Judas. — Il m’a fait du bien ; il a exaucé mes prières ! — Il l’a fait à des âmes qui sont depuis longtemps précipitées en enfer. — Il m’a souvent consolé par sa parole, il m’a préservé de tel ou tel péché ! — N’importe ! T’a-t-il lavé ? Voila la question importante ; s’il ne l’a point fait, s’il ne le fait point, tu ne saurais avoir part avec lui. Si je ne te lave ! C’est toi-même qui dois être lavé. Je sais, me dis-tu, qu’il faut qu’on soit lavé de ses souillures. — Peu importe cette science, c’est de toi qu’il s’agit. — J’ai souvent adressé les pécheurs aux sources d’eaux vives ! — Il se peut ; mais t’y baignas-tu toi-même ? — Telle ou telle âme a reçu par mon moyen le pardon de ses péchés ! — Telle ou telle âme ? que Dieu la bénisse ! Mais écoute : si je ne te lave, toi-même, dit le Sauveur, tu n’auras point de part avec moi. Applique-toi donc cette parole et sors de ton aveuglement. Que cette réponse se grave en ton cœur sous sa triple forme : si je ne te lave ; — si je ne te lave ; — si je ne te lave ! Je voudrais la tracer devant toi en caractères ineffaçables. Profites-en comme Simon-Pierre, ou tu demeureras à jamais un héritier de la condamnation.

Mais avec quoi le Seigneur veut-il nous laver ? — Le sang de son Fils Jésus-Christ, dit l’apôtre, nous purifie de tout péché. — L’Eglise triomphante a lavé sa robe dans le sang de l’Agneau. Celui qui s’applique, par la foi, les souffrances d’Emmanuel, n’a plus rien d’impur ni de condamnable, il est délivré de sa lèpre. Les péchés de sa vie tout entière ont reçu leur récompense. Ils ont été punis, expiés, anéantis, effacés de la mémoire de Dieu. Ils sont ensevelis dès qu’ils paraissent ; ils l’étaient avant même qu’ils parussent. Et ce sang précieux n’ôte pas seulement les taches, il revêt encore d’une éclatante parure. Il n’impute pas seulement h justice, mais il donne encore la sanctification. Baigne-toi dans ce sang, par la foi, et tu verras une rosée miraculeuse développer les germes de ta nouvelle nature. Il nourrira, comme l’huile, la flamme de ton nouvel amour, il fera triompher en toi l’humilité. Il te rendra patient, miséricordieux et pitoyable. Il te dégoûtera des vains plaisirs du monde, et te rendra capable de surmonter avec courage les douleurs de la vie et les terreurs de la mort. Oui, sous quelque face que tu l’envisages, elle est vraie la déclaration de l’Ecriture que la vie est dans le sang.

Ce n’est point sans raison que les esprits glorifiés chantent le cantique de l’Agneau. C’est à son sang qu’ils doivent ce dont ils jouissent, tout ce qu’ils possèdent, tout ce qu’ils sont. C’est parce que l’Agneau fut immolé qu’ils habitent dans les cieux. Leur salut n’a point d’autre cause. Ils l’ont acquis ainsi de la manière la plus gratuite et la plus facile. Il ne leur a coûté à eux-mêmes aucun travail, aucun sacrifice, si ce n’est celui des illusions de leur justice propre. Un autre a payé le prix tout entier, le prix parfaitement suffisant pour tous les siècles. — O sang de l’agneau de Dieu ! sang merveilleux et tout puissant ! Que le monde te foule aux pieds comme une chose impure ! je te louerai, pendant toute ma vie, comme ma seule richesse, comme mon bien suprême. Que deviendrais-je si tu n’avais coulé pour moi ? Tes ondes ont englouti mon corps de mort. J’en suis ressorti nouvelle créature, portant en main la palme du triomphe ! — Mais qui pourra louer dignement ton immense efficace ! Sang dont une seule goutte blanchit comme la neige les péchés rouges comme le vermillon ; qui me rend en un moment plus pur que ne le sont les anges dans leur sainteté séculaire ; qui me pare devant Dieu d’une innocence plus grande que celle du paradis ; qui couronne ma tête pécheresse, et m’introduit devant le trône du Dieu trois fois saint ; qui me fait subsister devant sa face, et m’ouvre l’accès de ses bras paternels ; sang adorable, qui te célèbrera dignement ! O que tu puisses seulement être présent à mon âme, lorsque la lumière de ce monde s’évanouira devant mes yeux ! Que je puisse te voir briller, sang de la croix, lorsque les lueurs de l’éternité montreront sous un nouveau jour à ma conscience toute la noirceur de mes transgressions et toute la perversité de mon cœur ! — Avec toi je serai fort. Avec toi je surmonterai toutes les frayeurs. Que ma foi t’embrasse donc d’une manière constante. Que ta couleur salutaire marque toujours le seuil de mon âme ! Viens sur nous tous, sang purificateur, viens sur nous tous pour une éternelle rédemption ! Amen !

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