Les réformateurs, en appuyant leur œuvre sur la Bible, se mirent dans l’obligation d’étudier l’A. T. Reuchlin leur rendit à cet égard un immense service. Il est vrai qu’il ne cherchait pas tant à comprendre l’A. T., que bien plutôt à y découvrir les mystères que la Cabale y soupçonnait. Mais par la grande érudition philologique qui l’a fait surnommer le Jérôme de la Renaissance, il a certainement beaucoup contribué à dissiper les voiles dont était recouvert cet antique volume, qu’on ne connaissait qu’à travers le texte latin de la Vulgate, et dont on n’entendait jamais donner que les interprétations sanctionnées par la tradition. Sans qu’il s’en soit douté, Reuchlin a été le père de l’herméneutique protestante. Il a bien mérité de l’Allemagne, non seulement en y donnant une impulsion toute nouvelle à l’étude de l’hébreu, mais aussi et surtout en émancipant l’interprétation de l’A. T. du joug de la tradition. « Je vénère saint Jérôme comme un sage, a-t-il dit, et Nicolas de Lyra comme un Père, mais la vérité, je l’adore comme un Dieu. » En 1518, Luther lui écrivait : « Tu es, sans le savoir peut-être, un précieux instrument dans les mains de Dieu, un instrument bien cher à tous les amis d’une saine et pure théologie. » Au reste, on n’ignore pas que Reuchlin était fort mécontent des réformateurs : il trouvait qu’ils allaient beaucoup trop loin et qu’ils faisaient un dangereux emploi des matériaux qu’il leur fournissait.
Ce que les réformateurs cherchaient avant tout en étudiant la Bible, ce n’étaient plus des mystères cabalistiques, c’était tout simplement la connaissance de la voie du salut. Les Epîtres de saint Paul, en leur montrant tout ce qui distingue la Loi de l’Évangile, leur donnèrent la clef de l’A. T. La scolastique avait réduit à peu de chose la différence entre les deux alliances. Elle en avait fait deux lois : l’ancienne, qui stimule au bien par des promesses et des encouragements extérieurs ; la nouvelle, qui attend tout de la charité. Les réformateurs s’appliquèrent à montrer que tout dans l’A. T. ne repose pas sur l’intérêt, et qu’à côté de la loi qui ordonne, se trouve déjà une prophétie qui parle de grâce et de pardon.
Voilà où excellait Luther. Il avait de l’A. T. cette intelligence profonde que peuvent seules donner la connaissance du cœur humain et l’expérience de la vie. Quand on lit ses Commentaires sur l’A. T. et surtout sur les Psaumes, on sent à chaque page un homme qui a pris au sérieux la loi de Dieu, qui a tremblé à la pensée du jugement, qui a senti la malédiction du péché et la tristesse désespérante d’une vie sans Dieu ; un homme qui a soupiré après le pardon et la sainteté. Mais les réformateurs sont chrétiens ; leurs expériences sont celles de chrétiens ; elles sont analogues, mais non pas identiques, à celles des hommes de l’ancienne alliance, et c’est ce qui fait que leur interprétation de l’A. T. laisse encore quelque chose à désirer au point de vue historique. Ils oublient que le sens moral et la conscience religieuse ne se sont formés que peu à peu chez les Israélites, à mesure que la Loi exerçait sur eux son influence pédagogique ; ils oublient que la promesse du salut a eu de bien petits commencements, et qu’elle ne s’est développée que graduellement, à mesure que l’histoire du peuple et de l’humanité s’est développée de son côté ; enfin, ils mettent les deux Testaments absolument sur le même pied au point de vue dogmatique. Ils parlent souvent, et surtout Mélanchton, de cette Église qui a commencé dans le jardin d’Eden, et qui de là s’est perpétuée à travers tous les siècles, nourrissant toujours la vive attente de sa glorification. Cette Église, disent-ils, a revêtu des formes bien diverses ; mais elle a toujours eu les mêmes espérances et les mêmes croyances. Dieu proportionne ses révélations aux besoins de l’humanité ; aussi la grâce revêt-elle successivement diverses formes ; l’humanité, dans son enfance, avait besoin que Dieu lui parlât d’une manière toute simple. Mais cela n’empêche pas qu’aux yeux des réformateurs, la foi des fidèles de l’ancienne alliance en la personne du Messie à venir, n’ait été essentiellement la même que la foi que les chrétiens peuvent avoir en Jésus-Christ. « Les Israélites, dit Luther à propos de Galates 4.2, croyaient en un Sauveur futur comme nous croyons en un Sauveur déjà révélé, et ils sont aussi bien sauvés par Lui que nous le sommes nous-mêmes, selon la parole qui dit que Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui et éternellement (Hébreux 13.8). »
Dans leur interprétation du texte sacré, les réformateurs se laissent guider uniquement par le sens littéral des mots et par l’analogie de la foi. Or rien de mieux que l’analogie de la foi, quand on entend par là l’analogie de l’Écriture, l’interprétation de la Bible par elle-même ; mais il ne faudrait pas conclure de cette expression, comme on l’a fait au xvie siècle, que les deux Testaments aient absolument le même contenu dogmatique. Luther n’a pas tenu compte du développement historique de la révélation, quand il s’est exprimé comme suit dans sa préface à l’A. T. : « Moïse est la source d’où découlent toute la sagesse des Prophètes et tout le N. T. lui-même. »
C’est Calvin qui, le premier, a jeté les bases d’une explication historique de l’A. T. Dans son Commentaire sur les Prophètes, il va même si loin dans ce sens, que les luthériens l’ont appelé le docteur judaïsant. Mais, à ses yeux, la différence entre les deux alliances provient uniquement de ce que les hommes sont devenus peu à peu plus aptes à comprendre la révélation divine. « L’Église qui a été parmi les Juifs était la même que la nôtre, écrit Calvin, mais comme elle était encore dans les faiblesses de l’enfance, Dieu l’a tenue sous cette pédagogie légale, sans lui donner une claire connaissance des promesses spirituelles, ne les lui ayant présentées qu’enveloppées et couvertes du voile des promesses corporelles. » (Instit., liv. 2, chap. 11.) Et un peu plus loin il ajoute : « La constance et la fermeté de Dieu paraissent donc d’une manière visible en ce qu’il a établi une même doctrine pour tous les siècles, et qu’il continue encore à cette heure d’exiger des hommes ce même culte qu’il avait exigé d’eux dès le commencement. Pour la forme et la manière extérieure de cette doctrine et de ce culte, il ne s’est point montré variable en le changeant ; il a seulement voulu, selon son infinie bonté et son admirable sagesse, s’accommoder à la capacité des hommes, qui change et varie avec le temps. »