Voulant assurer notre foi en la vérité de sa naissance, le Fils nous a donné l’exemple de ses miracles : l’inexplicable pouvoir de mener à bien des actions inexplicables nous enseignerait ainsi la possibilité de sa naissance inexplicable. Voici l’eau changée en vin, cinq pains nourrissent cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, et les restes de ces pains remplissent douze corbeilles. On constate le miracle, mais on n’y comprend rien ; le voilà accompli, mais l’intelligence ne peut se l’expliquer ; le procédé échappe à l’esprit, mais le résultat est là.
Quelle sottise de chercher des arguties pour expliquer ce mystère, quand, de par sa nature, il ne peut être compris ! Car si nous ne savons démontrer que le Père soit inengendré, de même nous ne saurions rendre compte que le Fils soit l’Unique engendré, puisque l’Engendré est l’image de l’Inengendré. D’ordinaire, nous connaissons une image par les sens et le langage, et par là, nous concevons l’objet que représente l’image. Mais ici, nous scrutons des réalités invisibles, nous cherchons à comprendre ce qui est incompréhensible, alors que notre intelligence est rivée aux objets visibles et corporels ! Et lorsque nous censurons les secrets de Dieu et mettons en doute sa puissance, nous ne rougissons pas de cette folie, nous ne nous taxons pas d’impiété ! Nous essayons de deviner comment le Fils est Fils, d’où Il vient, quel dommage le Père subit de sa naissance, de quelle partie du Père Il est né ! Mais tu as l’exemple de ses miracles pour t’affermir dans la foi et te prouver que Dieu est capable d’œuvres dont la réalisation dépasse les limites de ton intelligence.
Tu cherches comment le Fils est né selon l’Esprit[5]. A moi de te poser une question qui ne concerne que des réalités corporelles. Sans enquêter sur la manière dont le Fils est né de la Vierge, cette chair virginale, pour enfanter d’elle une chair parfaite, en aurait-elle subi quelque dommage[6] ? Certes, elle n’a pas reçu de l’homme celui qu’elle a enfanté, la chair a enfanté la chair, en dehors de toute cette honte qui entoure la conception humaine[7]. La Vierge a mis au monde un corps parfait, sans perdre sa plénitude virginale. Voilà qui nous permet alors de ne pas juger impossible à Dieu ce que nous reconnaissons avoir été réalisé par sa puissance en une créature humaine.
[5] « Selon l’Esprit » : en tant que Dieu.
[6] De même que la Vierge n’a pas perdu son intégrité en enfantant le Christ, ainsi le Père ne perd rien de la nature divine en donnant naissance au Fils.
[7] Conception familière à l’ancienne littérature chrétienne.
Mais, toi qui scrutes les mystères, toi qui te poses en juge sérieux des secrets de Dieu et de sa puissance, je te demande de m’éclairer : je suis un peu simple et, pour m’aider à croire, je voudrais bien que, de la part de Dieu, on m’explique au moins ce qui s’est passé, en tous ces passages qui me sont rapportés comme venant de lui. J’écoute le Seigneur – et l’écouter m’instruit, car je crois à l’Ecriture – j’apprends qu’après sa résurrection, celui-ci s’est montré fréquemment avec son corps, à la vue d’un grand nombre qui restaient incrédules. Thomas aussi l’a vu : il refusa de croire à moins de toucher les plaies du Seigneur. Il s’entêtait : « Si je ne vois dans ses mains les marques des clous, et si je ne mets mon doigt à la place des clous et la main dans son côté, je ne croirai point » (Jean 20.25). Le Seigneur se met à la portée de la faiblesse de notre intelligence, si grande soit-elle ! Pour donner satisfaction à ces gens qui ne parvenaient pas à croire, il opère un miracle de sa puissance invisible.
Voyons, toi qui scrutes les secrets célestes, explique-moi ce fait : les disciples qui s’étaient groupés après la passion du Seigneur sont assis dans un lieu fermé et retiré. Le Seigneur se présente pour affermir la foi de Thomas en se soumettant à ses exigences. Il offre son corps à palper, ses blessures à toucher. Et pour que fût reconnu celui qui avait été transpercé, il fallait bien qu’il présente ce corps qui avait été transpercé.
Dis-moi donc, quel endroit du mur de cette maison bien fermée le Seigneur a-t-il traversé avec son corps ? L’Evangéliste précise : « Jésus vint, les portes étant fermées, et se tint au milieu d’eux » (Jean 20.26). Aurait-il passé au travers des moellons des murs ou du bois massif, et traversé ainsi ces matériaux impénétrables ? Car voilà bien présent devant eux son corps ! Ce corps n’est ni une apparence, ni une mystification ! Suis donc ses pas des yeux de ton esprit, lorsqu’il pénètre à travers ces murs ; du regard de ton intelligence, entre avec lui dans cette maison bien fermée : les murs sont intacts, les portes sont verrouillées, mais voici présent au milieu de ses disciples, celui à qui sa puissance permet de s’ouvrir un passage à travers tous les corps.
Toi qui mets en doute des réalités invisibles, explique-moi donc ce fait bien visible : rien ne perd sa consistance, le bois et la pierre, de par leur nature, ne se laissent pas pénétrer, même par un mouvement imperceptible. Le corps du Seigneur ne s’évanouit pas pour réapparaître à partir de rien. Alors, d’où vient qu’il se tienne au milieu des disciples ? L’intelligence et le langage buttent contre cette réalité vécue qui dépasse la raison humaine.
C’est pourquoi vous tirez cette conclusion : nous induisons en erreur ceux qui nous entendent parler de naissance éternelle, et de même, nous mentons lorsque nous soutenons l’entrée dans la maison bien fermée. Soit ! Disons que cette entrée n’a pas eu lieu parce que nous ne comprenons pas comment elle s’est produite : puisque notre intelligence renonce à comprendre ce fait, le Seigneur a renoncé à entrer dans la pièce ! Eh bien non ! L’évidence de la foi triomphe de nos mensonges ! La maison bien fermée, le Seigneur se tint au milieu de ses disciples ; et le Fils est né du Père. Allons, ne récuse pas la présence du Seigneur sous prétexte que tu n’arrives pas à comprendre comment II est entré dans cette pièce ! Ne rejette pas la foi en Dieu le Fils, Parfait et Unique engendré, né de Dieu le Père, Parfait et Inengendré, parce que la merveille de cette génération dépasse l’intelligence et le langage de l’homme !