Méditations sur la Genèse

X
Le Déluge

Genèse 7.5 à 8.14 (1 Pierre 3.18-20)

I

La construction de l’arche s’est lentement achevée au milieu des railleries du monde, et non sans beaucoup de souffrances, de patience et d’intercessions de la part de Noé. Les cent-vingt ans de grâce touchent à leur terme. Nul ne s’en doute. On plante et on bâtit, on mange et on boit, on se marie et l’on donne en mariage, jusqu’au jour où Noé entre dans l’arche (Matthieu 24.38). On croit avoir encore d’innombrables jours à vivre sur la terre, quand soudain la fin est là.

L’entrée de Noé dans l’arche fut pour le monde un dernier appel, suivi d’un dernier délai de sept jours : on ne voyait plus Noé ; son témoignage ne se faisait plus entendre ; mais l’arche n’était pas encore fermée. Enfin le jour vint — le dix-septième du second mois.– où « les sources du grand abîme jaillirent et les écluses des cieux s’ouvrirent. » Ce même jour, la porte de l’arche fut fermée, non par Noé, mais par Dieu lui-même, de sorte qu’il ne fut plus possible à personne d’y entrer. Pour tous ceux qui n’avaient pas profité des sept derniers jours, il n’était plus temps d’y chercher un refuge.

Le déluge est un événement surnaturel, un acte de la puissance de Dieu. La pluie seule n’aurait pu inonder toute la surface de la terre. Il semble qu’une partie du sol se soit affaissée et que les eaux souterraines se soient précipitées par les crevasses ainsi formées. Plus tard, quand Dieu l’ordonna, les parties qui s’étaient affaissées purent se relever, de’manière à faire rentrer les eaux dans leurs limites précédentes [note 10].

Il en sera à la venue du Fils de l’homme comme en ce moment décisif où l’arche fut fermée par la main de Dieu : « L’un sera pris et l’autre laissé » (Luc 17.34). Quand les vierges sages seront entrées dans la salle des noces, la porte sera fermée, et c’est en vain que les vierges folles heurteront pour se faire ouvrir (Matthieu 25.10-12). La mort est pour chaque individu un instant non moins décisif ; et si, dès maintenant, nous ne franchissons pas la porte étroite, après la mort il sera trop tard pour entrer dans le royaume des cieux.

Que dut éprouver Noé en voyant périr dans les flots toute la race humaine, dont il entendait de loin les cris de détresse ! Il avait laissé la porte ouverte aussi longtemps qu’il avait pu ; il ne lui appartenait pas de la rouvrir. De son cœur montaient sans doute des soupirs et des prières semblables à la plainte de Jérémie, lorsqu’il prononçait ses Lamentations sur les ruines de Jérusalem.

Le déluge est un type de la grande tribulation qui clorra l’économie chrétienne, la période de grâce où nous vivons. Alors aussi les sources du ciel s’ouvriront : la colère de Dieu se manifestera d’en-haut par toute espèce de plaies — l’effusion des sept coupes (Apoc. ch. 16). Les fontaines de l’abîme jailliront : les puissances diaboliques, qui maintenant sont encore liées, seront lâchées et se déchaîneront sur l’humanité (Apocalypse 9.1-12). Les flots destructeurs de l’esprit antichrétien monteront peu à peu et emporteront tout ce qui existera encore d’institutions chrétiennes. Comme les montagnes sous les eaux du déluge, les vieilles organisations sociales et ecclésiastiques disparaîtront sous la domination de l’Antéchrist. Et ce qui restera de la vraie Eglise sera pareil à l’arche flottant sur les eaux ; c’est-à-dire que l’Eglise, entièrement séparée de l’Etat, ne recevra plus aucun appui des pouvoirs terrestres et sera miraculeusement conservée par la seule main de Dieu, comme une nacelle sur une mer orageusea.

a – Le lecteur prendra bonne note que si Thiersch était alors rattaché à l’église irvingienne, tandis qu’il rédigeait ces médiations (voir l’introduction de G. Godet), il n’envisage nullement un enlèvement pré-tribulationiste de l’Eglise. C’est en réalité bien des années plus tard que J. N. Darby aboutit à son système d’eschatologie dispensationaliste, dont il avait emprunté les germes à la prédication d’Irving. Auparavant, durant deux ou trois décennies, Darby affirmait que l’enlèvement aurait lieu au milieu de la grande tribulation, et qu’il fallait trouver la description de cet évènement dans le ch. 12 de l’Apocalypse. Nonobstant ces variations d’opinion, on admirera avec quel aplomb, un siècle plus tard, nos pasteurs à Bible Scofield élevèrent au rang de dogme l’assomption de l’Eglise, juste avant une période de chaos pour le monde, d’une durée exacte de sept ans !

C’est un sombre tableau que celui de ces quarante jours, pendant lesquels les flots montaient sans cesse et engloutissaient les hommes réduits au désespoir. Cependant un rayon consolateur brille à travers cette nuit. Parmi ceux qui périrent se trouvaient combien d’enfants innocents et d’hommes sinon innocents, du moins ignorants, simples, et par là même moins coupables que d’autres ! Qui peut douter qu’à ce moment suprême tous ceux-là n’aient crié à Dieu ? Et même parmi les rebelles et les incrédules, plusieurs sans doute se rappelèrent alors la prédication de Noé ; sa parole et ses prières produisirent chez eux, bien que tardivement, leur fruit. Ces malheureux furent jugés selon la chair, afin que selon l’esprit ils ne périssent point, mais que leur âme fût sauvée (1 Pierre 4.6). Descendus dans le séjour des morts et retenus là comme dans une prison, l’Ecriture nous donne la consolante assurance qu’après plus de deux mille cinq cents ans l’Evangile leur a été annoncé. Ce que nous disons ici, ne fait point partie intégrante du dogme chrétien, de la règle immuable de la foi ; mais nous avons le droit de le conclure des paroles de l’apôtre Pierre, avec les docteurs et les Pères de l’ancienne Eglise (1 Pierre 3.18-20). Jésus-Christ, mourant selon la chair, remit son esprit entre les mains du Père et fut « vivifié en esprit. » Il traversa la sombre vallée où descendent les âmes des trépassés. Rempli d’une vie et d’une force divines, il entra dans le royaume des morts, non, comme tous les autres, en prisonnier, mais en libérateur. Car, par la mort, il avait brisé la puissance de celui qui avait l’empire de la mort (Hébreux 2.14). Il apporta la lumière dans ce sombre séjour et annonça la bonne nouvelle aux malheureux qu’avait engloutis le déluge et qui depuis si longtemps languissaient en prison. La rédemption leur fut offerte, et ceux qui crurent à ce message furent introduits dans un état meilleur. C’est là une dispensation tout exceptionnelle de Dieu en faveur de cette humanité primitive, qui n’avait encore ni la loi ni l’Evangile, et qui cependant avait dû subir ici-bas un jugement sans pareil. Ainsi le déluge a été pour beaucoup un moyen de salut, un baptême où leur vieil homme a péri, afin qu’ils eussent la vie selon l’Esprit. Ces réflexions nous permettent d’espérer que plusieurs de ceux qui aujourd’hui méprisent la Parole et l’œuvre de Dieu, se réveilleront de leur sommeil à l’heure de la grande tribulation, demanderont grâce et trouveront miséricorde auprès de Dieu. Mais si quelqu’un refusait jusqu’à l’heure de la mort de se convertir, en se réservant d’entendre l’Evangile et d’y croire dans le séjour des morts, celui-là tordrait l’Ecriture pour sa propre ruine et se trouverait trompé dans son attente.

II

Le déluge a duré au total une année entière [note 11]. Pendant cinq mois, les eaux se maintinrent, couvrant toutes les montagnes. Quels jours pour Noé et pour les siens ! La terre n’était plus qu’un immense tombeau, et l’arche flottait au gré des vents sur un désert liquide sans limites. Paul et ses compagnons, dans leur périlleuse traversée, ne virent pendant plusieurs jours ni le soleil ni les étoiles, et tout espoir de salut semblait perdu (Actes 27.20). Cette épreuve est peu de chose, comparée à celle de Noé. Dieu ne lui avait pas dit combien de temps le déluge devait durer. Il avait pu croire que le jugement passerait rapidement ; et voilà, la situation terrible où il se trouve se prolonge, tandis que les vivres diminuent dans l’arche. Il doit lui sembler que Dieu l’ait oublié, lui et les siens. C’est par de semblables épreuves que la foi de tout enfant de Dieu s’affermit et que le soldat de Christ devient digne de la couronne. Quand le Seigneur cache pour un temps sa face et ne répond pas aux cris des malheureux, c’est le moment pour eux — qu’il s’agisse d’une détresse matérielle ou d’une tentation spirituelle — de persévérer dans la patience et dans la foi et de ne pas perdre leur confiance, qui doit avoir une grande récompense. Telle fut l’épreuve de Jean-Baptiste, quand le Seigneur le laissa attendre et mourir en prison, celle de Jésus lui-même, lorsqu’il dut proférer cette plainte : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?… Je crie le jour, et tu ne réponds pas ; la nuit, et je n’ai point de repos ! » (Psaumes 22.2-3). C’est une chose difficile que d’attendre si longtemps le Seigneur ; mais il est bon de le faire. « Mon âme, pourquoi t’abats-tu, et pourquoi frémis-tu en moi ? Attends-toi à Dieu ; car je le célébrerai encore ; il est ma délivrance, il est mon Dieu ! » (Psaumes 42.12). C’est ainsi que Noé s’est- attendu au Seigneur. Enfin. « Dieu se souvint de lui et de tous les êtres vivants qui étaient avec lui dans l’arche, » — et les eaux baissèrent. En réalité, Dieu ne l’avait pas oublié un instant ; il n’avait cessé de penser à lui et aux siens. Mais il s’était contenu, il s’était tu, pour faire éclater ensuite d’autant plus magnifiquement son secours et sa miséricorde. Les sources de l’abîme s’étaient refermées ; la pluie avait cessé ; le soleil avait reparu, et jamais sans doute il ne brilla d’un plus doux éclat qu’après ce terrible déchaînement des éléments. Dieu fait luire au moment voulu le soleil de sa grâce sur ceux qui, aux heures de l’obscurité, ont compté sur lui.

L’arche s’arrêta sur le mont Ararat ; les eaux diminuèrent graduellement ; les traces du jugement disparurent, et une nouvelle végétation couvrit la terre purifiée. L’envoi successif d’un corbeau et de trois pigeons marque les différentes phases de la délivrance, jusqu’à ce qu’enfin Noé put ouvrir le toit de l’arche et poser de nouveau son pied sur le sol. On peut y voir en petit une image de la manière dont Dieu a rendu sa grâce à l’humanité tombée : dans le corbeau, l’oiseau de mort, qui ne rapporte aucun signe d’espérance, l’image de la loi qui tue (Romains 7.10) ; dans le pigeon, lorsqu’il revient sans avoir pu trouver un lieu où poser le pied, l’image du Saint-Esprit qui ne trouve encore dans l’humanité aucun lieu où demeurer et n’agit que d’une manière intermittente chez les prophètes de l’ancienne alliance ; puis, lorsque, sept jours après, il revient portant la feuille d’olivier, signe de paix, l’image de Celui sur lequel repose le bon plaisir de Dieu et en qui habite son Esprit, de Jésus-Christ, dont le retour au Père est le signe de la paix conclue ; enfin, lorsqu’après sept autres jours il ne revient pas, l’image de la descente du Saint-Esprit qui, depuis la Pentecôte, a trouvé une demeure qu’il n’abandonne plus, l’Église de Jésus-Christ (Jean 14.16). Si Noé eut sujet de se réjouir de ces signes de la miséricorde succédant à la colère, n’avons-nous pas bien plus sujet de nous réjouir et de rendre grâces, nous à qui la paix céleste et parfaite est assurée par l’ascension de Jésus auprès de son Père et par l’envoi de son Saint-Esprit ?

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