Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve, invoquez-le pendant qu’il est près.
Il y a déjà quelque temps, s’il vous en souvient, mes frères, que nous vous adressâmes ces paroles. Nous nous proposions moins d’en peser les termes avec scrupule, que d’en prendre occasion de combattre le renvoi de la conversion, et les idées outrées des miséricordes divines ; et nous vous dîmes alors que nous puiserions nos réflexions dans trois sources : dans l’homme, dans l’Écriture, dans l’expérience. Nous commençâmes par le premier point de ce projet. Aujourd’hui nous avons dessein de suivre le second, et si la Providence nous appelle à remonter dans cette chaire, nous expliquerons le troisième, et nous mettrons ainsi la dernière main à cette matière.
Si vous aviez été attentifs à ce que nous vous proposâmes dans notre dernier discours, si le désir de votre salut vous attirait dans ces assemblées, vous seriez devenus plus sages. Vous auriez senti vivement combien est vaine la prétention de ces pécheurs, qui véritablement veulent travailler à l’ouvrage de leur salut, mais qui le diffèrent sans cesse. Car qu’y a-t-il de plus propre, je vous prie, à jeter l’épouvante et l’horreur dans un cœur qui renvoie sa conversion, que les réflexions auxquelles nous engagea la seule inspection de l’homme ? Qu’y a-t-il de plus propre à terrasser un tel homme, que de lui dire, comme nous fîmes alors : Votre cerveau s’usera avec la vieillesse ; votre âme aura des idées étrangères dont elle sera remplie ; elle perdra avec les années la puissance de se tourner vers d’autres objets que vers des objets sensibles, et d’entrer dans l’examen des vérités de la religion ? Qu’y a-t-il de plus propre à arracher un tel homme à ses préjugés, que de lui remontrer que la manière et l’unique manière d’acquérir des habitudes, c’est d’en faire des actes réitérés : que la vertu ne saurait se former au dedans de nous par un seul mouvement de l’âme, par une résolution subite et précipitée, mais par un travail opiniâtre et réitéré, que l’habitude du crime se fortifie à mesure qu’on s’abandonne au crime ? Qu’y a-t-il de plus propre enfin à nous faire employer le temps de notre santé à notre salut, que d’exposer à nos yeux l’état d’un mourant, que de nous le dépeindre étendu dans un lit d’infirmités, occupé de ses maux, troublé de fantômes et de rêveries, flatté par des amis, épouvanté de la mort, et incapable par cela même de fournir un ouvrage dont il différait l’exécution jusqu’à ce tragique période ? Je le répète encore, mes frères, si vous étiez attentifs aux discours que l’on vous adresse, si le désir de votre salut vous attirait dans ces assemblées, il n’y a personne de vous que ces sortes de réflexions ne fissent rentrer en lui-même, et ne forçassent de travailler à réformer sans délai le plan de sa vie.
Mais il semble à quelques personnes que nous rétrécissons le chemin du ciel ; que les vérités de la foi étant hors de la sphère des vérités philosophiques, il faudrait éteindre les lumières de la raison, et ne prendre pour notre guide dans les voies de la religion que le flambeau de l’Écriture : nous allons travailler à les satisfaire. Nous allons vous montrer la religion, fortifiant ces mêmes réflexions que notre raison nous avait fournies, bien loin qu’elle les affaiblisse ; nous allons vous prouver qu’elle ne dit rien qui ne doive effrayer ceux qui renvoient leur conversion, et qui règlent l’idée qu’ils se forment des miséricordes divines, non sur la nature de Dieu, mais sur le penchant déréglé de leur propre cœur, et sur le système impur de leur cupidité. Voilà le dessein de cet exercice.
Vous le dirons-nous, mes frères ? En entrant dans cette matière, nous craignons peu les difficultés dont elle peut être susceptible : nous espérons que la vérité va paraître dans tout son jour, malgré nos grandes faiblesses. D’autres pensées roulent dans notre imagination, et peu s’en faut qu’elles ne nous arrêtent au premier pas dans la carrière. Nous craignons les difficultés de vos cœurs ; nous craignons plus, nous craignons que ce discours, où vous allez voir que les trésors de la grâce aggravent la condamnation de ceux qui la changent en dissolution ; nous craignons que ce discours, par l’abus que plusieurs de vous en vont faire, ne les fasse servir eux-mêmes de preuve à la vérité que nous voulons établir. O Dieu ! détourne ce funeste augure, et que ces « cordages d’humanité Osée 11.4 » que tu déploies à nos yeux nous attirent et nous entraînent. Amen.
L’Écriture sainte est la source où nous puiserons aujourd’hui nos arguments pour combattre le délai de la conversion. Si nous n’avions dessein que de vous alléguer ce qu’elle dit de positif sur cette matière, nous n’aurions pas besoin d’un grand effort de méditation. Nous n’aurions qu’à transcrire cet amas de décisions infaillibles, d’avertissements réitérés, d’exemples formidables, de terrassantes menaces, dont elle est remplie, et qu’elle adresse à tous ceux qui osent différer de se convertir. Nous n’aurions qu’à vous faire entendre cette leçon d’un prophète : « Aujourd’hui si vous entendez ma voix, n’endurcissez point vos cœurs Psaumes 95.7-8 ; » leçon qu’il appuie de son exemple, comme il nous le déclare lui-même ! « Je me suis hâté, et je n’ai point différé d’observer tes commandements Psaumes 119.60. » Nous n’aurions qu’à vous adresser cette réflexion de l’auteur du second livre des chroniques : « Le Seigneur, le Dieu de leurs pères, les avait fait sommer par ses messagers, parce qu’il était touché de compassion envers son peuple ; mais ils méprisaient leurs paroles, ils abusaient de ses prophètes, jusqu’à ce que la fureur de l’Éternel s’alluma contre son peuple, tellement qu’il n’y eut plus de remède. C’est pourquoi il fit venir contre eux le roi des Chaldéens, qui tua leurs jeunes gens avec l’épée. Il ne fut point touché de pitié, ni pour les hommes, ni pour les filles, ni pour les vieillards. On brûla la maison de Dieu, on démolit les murailles de Jérusalem, on mit en feu tous ses palais 2 Chroniques 36.15-20. » Nous n’aurions qu’à vous proposer cette déclaration de la sapience éternelle : « Parce que j’ai crié, et que vous avez refusé d’ouïr, je rirai de votre calamité, je me moquerai quand votre effroi surviendra Proverbes 1.24-26. » Nous n’aurions qu’à vous représenter ce tendre spectacle, Jésus-Christ pleurant sur Jérusalem, et disant : « O si toi aussi eusses connu, du moins en cette journée, les choses qui regardent ta paix ! Mais maintenant elles sont cachées à tes yeux Luc 19.42. » Nous n’aurions qu’à dire à chacun de vous, comme autrefois saint Paul : « Méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa patience, et de son long support, ne considérant pas que la bonté de Dieu t’invite à la repentance ? Mais par ton endurcissement et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses la colère, pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu Romains 2.4. » Et ailleurs, que « Dieu abandonne à la séduction, pour croire au mensonge, ceux qui résistent à la vérité 2 Thessaloniciens 2.10. » Nous n’aurions qu’à faire raisonner dans cet auditoire ces foudroyantes paroles de l’épître aux Hébreux : « Si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour le péché, il n’y a plus rien à attendre qu’un jugement terrible, et un feu ardent qui doit dévorer les adversaires Hébreux 10.26. » Car si la miséricorde de Dieu est sans bornes, si elle est prête à recevoir les pécheurs dès que la crainte de la peine les porte à se jeter entre ses bras, pourquoi ce jour marqué pour ouïr la voix de Dieu ? Pourquoi se hâter ? Pourquoi cet épuisement de ressources et de remèdes ? Pourquoi cette efficace d’erreur ? Pourquoi ce refus d’écouter une pénitence tardive ? Pourquoi cette fin des jours de la Visitation sur Jérusalem ? Pourquoi ces trésors de colère amassés ? Pourquoi ce défaut de sacrifice pour le péché ? Tous ces passages, mes frères, sont autant d’arrêts contre nos délais, contre ces idées contradictoires que nous aimons à nous former des miséricordes divines, et dont nous nous servons follement pour nous endormir dans nos vices.
Mais par cela même que toutes ces choses sont claires et sensibles, nous ne nous arrêterons pas à les expliquer. Portons plus avant notre méditation. Lorsque nous avons employé des arguments philosophiques contre le renvoi de la conversion ; lorsque nous vous avons prouvé par la force des habitudes qu’il était très difficile, pour ne pas dire impossible, qu’un cœur vieilli dans le crime se convertît à l’heure de la mort, il vous a paru que nous ébranlions deux dogmes, qui sont en effet deux points fondamentaux de votre foi.
Le premier est le secours surnaturel de l’esprit de Dieu, qui est promis sous l’alliance de grâce, secours qui fléchit les volontés les plus rebelles, et qui peut surmonter dans un instant tous les obstacles que la force de l’habitude pourrait opposer à la conversion.
Le second dogme est celui de la miséricorde, dont l’accès nous étant ouvert par l’aspersion du sang de Jésus-Christ, il n’y a point de moment où il semble que nous n’y puissions être admis, dès que nous voudrons y avoir recours, fût-ce aux extrémités de notre vie. Voilà en substance, si je ne me trompe, tout ce que la religion et nos Écritures semblent opposer à ce que nous avons avancé dans notre première action. Si nous vous faisons donc voir que ces deux dogmes ne combattent point nos principes, si nous prouvons qu’ils n’ont rien qui ne soit entièrement opposé aux conséquences qu’on en tire, ne ferons-nous pas voir par cela même que l’Écriture, dont on se sert pour nous combattre, n’a rien qui ne doive effrayer ceux qui s’appuient sur une repentance tardive ? C’est ce qu’il faut développer ; la chose n’est pas sans difficulté. Nous allons marcher désormais entre deux écueils également dangereux. Car, d’un côté, si nous nous éloignons de ces dogmes, nous abjurons la foi de nos pères, et nous nous attirons une note d’hétérodoxie. D’un autre côté, si nous donnons trop à ces dogmes, nous fournissons des prétextes au libertinage, nous sapons ce que nous avons édifié, et nous nous réfutons nous-mêmes. Évitons l’un et l’autre de ces écueils.
La première preuve dont on se sert pour excuser ses renvois et sa négligence, et les premiers arguments qu’on puise de l’Écriture pour nous combattre, sont pris des secours de l’esprit qui nous sont promis sous la nouvelle économie. Pourquoi ces discours menaçants, dit-on ; pourquoi effrayer un pécheur qui diffère de se convertir ; pourquoi confondre ainsi les habitudes de la religion avec les habitudes naturelles ? Celles-ci se forment, il est vrai, par le travail et par l’étude, par une assiduité opiniâtre et sans interruption ; les autres viennent au contraire par des secours étrangers. Ce sont les productions de la grâce ; c’est le Saint-Esprit qui les infuse dans une âme. Je n’invaliderai donc point des dogmes si consolants : je mettrai à profit les prérogatives du christianisme : je donnerai ma vie au monde, et quand je la verrai prête à s’éteindre, je me prévaudrai du titre de chrétien, je m’abandonnerai à la conduite du Saint-Esprit ; et alors cet esprit, selon sa promesse, se répandra dans mon âme avec toute son efficace ; il domptera mes mauvais penchants, il déracinera mes habitudes les plus invétérées, et il fera dans un moment ce qui m’eût coûté tant de travaux et tant de peines. Voilà une objection que bien des pécheurs n’ont point honte de prononcer, qu’une fausse théologie n’entretient que trop dans plusieurs esprits, et sur laquelle nous fondons presque tous la chimérique espérance de nous convertir au lit de la mort.
C’est à nous à répondre à cette objection. Nous allons en faire voir la fausseté. 1. Par le ministère que Dieu a établi dans l’Église. 2. Par les efforts qu’il nous ordonne de faire lorsque nous croyons n’avoir pas reçu le Saint-Esprit. 3. Par la manière dont il veut que nous répondions aux opérations de l’esprit, lorsque nous l’avons reçu. 4. Par les peines qu’il dénonce à ceux qui refuseront de répondre à ces opérations. 5. Enfin, par les conséquences que l’Écriture tire elle-même de notre impuissance naturelle, et de la nécessité de la grâce. Voilà, mes frères, cinq sources de considérations qui vont démontrer que tout homme qui tire des secours de la grâce qui nous sont promis, des conséquences pour vivre dans la nonchalance, pour se flatter d’acquérir sans travail, sans peine, sans actes réitérés, les habitudes de la piété, fait violence à la religion, et n’entre point dans le génie de l’économie du Saint-Esprit.
1. Première preuve que les secours du Saint-Esprit n’autorisent point la nonchalance de l’homme et le délai de la conversion, c’est l’établissement du ministère dans l’Église. Car si le but du Saint-Esprit était de nous éclairer de ses lumières, sans que nous étudions nous-mêmes la religion, si le but du Saint-Esprit était de nous sanctifier, sur-le-champ, sans que nous travaillions nous-mêmes à ce grand ouvrage, pourquoi établir un ministère dans l’Église ? Pourquoi vouloir que dans notre enfance on nous montre les premiers éléments de la religion ; que l’on nous enseigne « ligne après ligne, commandement après commandement Ésaïe 28.10, » selon l’expression d’un prophète ? Pourquoi vouloir ensuite que, « laissant les premiers principes de la doctrine du Christ, nous tendions à la perfection Hébreux 6.1, » pour m’exprimer avec saint Paul ? Pourquoi vouloir que l’on nous fasse passer « du lait à une nourriture solide 1 Corinthiens 3.1-2, » comme parle le même apôtre, pourquoi vouloir que l’on nous propose des motifs, qu’on nous adresse des exhortations ! Pourquoi ne pas nous éclairer et ne pas nous sanctifier sans moyens, sans pasteur, sans prédication, sans parole, sans ministère ? Pourquoi agir précisément dans la science du salut comme dans les sciences humaines ? Car, quand on veut enseigner une science à un homme, on se proportionne à sa capacité, à son esprit, à sa mémoire, et c’est ce que Dieu veut que l’on fasse à notre égard. « La foi vient de ce que l’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole de Dieu Romains 10.17, » dit saint Paul, « étant monté en haut, il a donné les uns pour être apôtres, les autres pour être prophètes, les autres pour être évangélistes, les autres pour être pasteurs et docteurs, pour l’assemblage des saints, pour l’œuvre du ministère ; » remarquez ces expressions « et pour l’édification du corps de Christ Éphésiens 4.11-12. » Ne sentez-vous donc pas quelle était l’injustice de votre prétention ? Puisque Dieu veut qu’il y ait un ministère, ne concevez-vous pas qu’il veut que vous défériez à ce ministère ? Puisqu’il ouvre les portes de ces temples, ne concevez-vous pas qu’il veut que vous y entriez ? Puisqu’il veut qu’on vous prêche, ne concevez-vous pas qu’il veut aussi que vous écoutiez ? Puisqu’il veut que vous écoutiez, ne concevez-vous pas qu’il veut aussi que vous compreniez ? Puisqu’il veut qu’on vous adresse des motifs, qu’il veut que vous les sentiez ? Voyez-vous qu’il tienne une autre conduite ? Montrez-nous un homme qui, après avoir vécu quatre-vingts ans sans étude, sans piété, soit devenu tout à coup bon théologien, fidèle, consommé dans la vertu et dans la piété. Ne voyez-vous pas au contraire que celui qui étudie son catéchisme avec soin devient bon catéchumène ; que celui qui médite profondément sur la théologie, devient bon théologien ; que celui qui travaille à modérer ses passions, parvient à s’en rendre le maître ? et par conséquent le Saint-Esprit veut que vous agissiez. Par conséquent, quand nous vous avons prêché que pour devenir bon chrétien il faut y travailler, comme l’on agit pour devenir bon négociant, bon capitaine, bon mathématicien, bon prédicateur, par l’étude, par l’exercice, par le travail, par des actes réitérés, nous n’avons rien avancé que de conforme au génie de la religion. Donc celui qui tire des secours du Saint-Esprit des conséquences pour demeurer dans l’inaction, et pour différer l’ouvrage de son salut, fait violence à l’économie du Saint-Esprit, et renverse le but du ministère que Dieu a établi dans l’Église. C’est notre première réflexion.
2. Nous avons marqué en second lieu les efforts que Dieu veut que nous fassions pour obtenir la grâce du Saint-Esprit, lorsque nous croyons ne l’avoir pas encore reçue. Car il est constant que Dieu veut du moins que nous la demandions. Les textes sont formels : « Si quelqu’un manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu Jacques 1.5. Cherchez et vous trouverez, demandez et on vous donnera, heurtez et on vous ouvrira Matthieu 7.7. » Si nous sommes obligés de demander la grâce, nous sommes aussi obligés de faire nos efforts, quelque faibles, quelque imparfaits qu’ils puissent être, pour obtenir cette grâce que nous demandons ; car de quel front oserions-nous demander à Dieu de nous secourir dans l’ouvrage de notre salut, si de propos délibéré nous travaillions nous-mêmes à nous perdre ? De quel front demanderions-nous à Dieu de ne pas « nous abandonner à la tentation, » lorsque nous irions chercher nous-mêmes la tentation, et que nous nous y plongerions avec fureur ? De quel front voudrions-nous qu’il éteignit le feu de notre cupidité, tandis que nous entretiendrions un commerce continuel avec l’objet qui l’embrase ?
Nous devons donc agir dans l’ouvrage de notre salut comme à l’égard de notre santé et de notre vie. En vain travaillerions-nous à nous les conserver, si Dieu même ne nous prêtait son bras : l’air, la nature, les éléments, tout conspire à nous enlever au monde ; nous nous évanouissons comme de nous-mêmes, et Dieu peut seul retenir ce souffle qui nous soutient. Un roi d’Israël 1 Chroniques 10.14 fut blâmé pour avoir eu recours au médecin sans recourir à l’Éternel. Mais ne serions-nous pas des insensés si, sous prétexte que Dieu seul peut conserver notre vie, nous nous précipitions dans un abîme, si nous nous abandonnions aux flots de l’Océan, si nous ne prenions ni aliments, lorsque nous avons de la santé, ni remèdes, lorsque nous sommes malades ? Ainsi dans l’ouvrage du salut nous devons, lors même que nous implorons le secours du ciel, travailler à cet ouvrage. Nous devons imiter l’exemple de Moïse attaqué par l’Amalécite : il partage avec Josué l’ouvrage de la victoire Exode 17.9. Moïse monte sur la montagne, Josué descend dans la plaine ; Josué combat, Moïse prie ; Moïse tend ses mains suppliantes au ciel, Josué lève un bras guerrier ; Moïse oppose sa ferveur au courroux du ciel, Josué oppose ses armes et son courage à l’ennemi du peuple juif ; et par ce sage concours de prières et d’action de confiance et de vigilance, Israël triomphe, Amalek est mis en déroute.
3. Remarquez en troisième lieu la manière dont le Saint-Esprit veut que nous répondions à ses soins, lorsque nous en sommes l’objet. En déployant son efficace au-dedans de nous, il ne prétend pas y agir comme avec des troncs ou avec des pierres. C’est un excellent mot de saint Augustin, « que Dieu qui nous a créés sans nous, ne veut pas nous sauver sans nous. » Et l’Écriture joint ordinairement ces deux choses, l’action de Dieu qui nous convertit, et le devoir de l’homme qui doit répondre à cette action. « Aujourd’hui si vous entendez sa voix ; » voilà l’action de Dieu : « n’endurcissez point vos cœurs ; » voilà le devoir de l’homme : « vous avez été scellés par le Saint-Esprit ; » voilà l’action de Dieu : « n’attristez point le Saint-Esprit Éphésiens 4.30 ; » voilà le devoir de l’homme : « voici je me tiens à la porte et je frappe ; » voilà l’action de Dieu : « si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre Apocalypse 3.20 ; » voilà le devoir de l’homme : « Dieu produit en vous la volonté et l’exécution ; » voilà l’action de Dieu : « travaillez à votre salut avec crainte et tremblement Philippiens 2.13 ; » voilà le devoir de l’homme : « j’ôterai le cœur de pierre, et je donnerai un cœur de chair Ézéchiel 11.19 ; » voilà l’action de Dieu : « faites-vous un cœur nouveau, faites-vous un esprit nouveau Ézéchiel 18.31 ; » voilà le devoir de l’homme. Que signifient toutes ces expressions, si le but de l’Écriture, en nous promettant ces secours, a été de favoriser notre nonchalance, et de flatterie délai de notre conversion ? Que sont ces devoirs qu’elle vient de nous prescrire, sinon ceux-là mêmes dont nous avons prouvé la nécessité, lorsque nous avons raisonné sur les habitudes ? Qu’est-ce, que « ne pas endurcir son cœur à la voix de Dieu, » si ce n’est travailler à le rendre sensible à cette voix ? Qu’est-ce que ne pas « contrister le Saint-Esprit, » si ce n’est déférer à tout ce qu’il daigne nous prescrire ? Qu’est-ce « qu’ouvrir à Dieu frappant à la porte de nos cœurs, si ce n’est écouter lorsqu’il nous parle, marcher lorsqu’il nous appelle, se rendre lorsqu’il nous presse, trembler lorsqu’il nous menace, espérer lorsqu’il nous promet ? Qu’est-ce que « travailler à son salut avec crainte et tremblement, » si ce n’est avoir cette continuelle vigilance, ces salutaires circonspections, ces soins empressés dont nous faisions voir la nécessité ?
4. Notre quatrième réflexion est prise des menaces que Dieu dénonce à ceux qui refusent de répondre aux soins de la grâce. L’esprit de Dieu, dites-vous, sera plus fort que votre obstination, il surmontera vos penchants, il triomphera de vos oppositions, la grâce sera victorieuse et vous sauvera comme malgré vous. Mais plutôt cette grâce se retirera de vous, si vous persistez à la mépriser, mais plutôt cet esprit vous abandonnera à vous-même, après que vous l’aurez contristé. « Il ôte le talent Matthieu 25.28 » au serviteur infidèle qui néglige de le cultiver, et nous avons cité ce passage : « Parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité, Dieu les a abandonnés à la puissance de la séduction, en sorte qu’ils ont cru au mensonge 2 Thessaloniciens 2.10-11 ; » d’où saint Paul tire cette conséquence : « C’est pourquoi demeurez fermes, » leur dit-il ; « retenant les enseignements que nous vous avons donnés, soit de vive voix, soit par notre lettre. » Ailleurs il est dit que « celui qui aura connu la volonté du maître, et qui ne l’aura pas faite, recevra un plus grand nombre de coups Luc 12.47 ; » et l’auteur de l’Épître aux Hébreux proteste « qu’il est impossible que ceux qui ont été illuminés, s’ils retombent, soient renouvelés à la repentance Hébreux 6.6. » Je sais que l’apôtre avait particulièrement en vue le crime de ces Juifs, qui, après avoir connu et embrassé l’Évangile, abjuraient la profession par lâcheté ou par malice ; nous devons pourtant en tirer cette conséquence, c’est que quand le Saint-Esprit nous a fait parvenir à un certain degré de lumière et de sainteté, si nous retombons dans nos vices, nous cessons d’être l’objet de ses soins.
Mais pourquoi cet amas de raisonnements divers, pour montrer l’absurdité du pécheur, qui s’excuse sur sa faiblesse, et qui vit dans la nonchalance en espérant l’opération de la grâce ? Nous avons une voie plus abrégée pour confondre le pécheur, et pour résoudre le sophisme que sa corruption nous oppose. Ouvrons nos livres sacrés ; voyons les conséquences que l’Écriture tire elle-même des dogmes de notre impuissance et des promesses de la grâce. Si les conséquences s’accordent avec les vôtres, nous vous donnons gain de cause ; si elles y sont opposées, c’est à vous à reconnaître votre erreur. Or, montrez-nous quelque endroit de l’Écriture où l’on trouve des raisonnements pareils à ceux que nous réfutons. Montrez-nous quelque passage où l’Écriture, après avoir enseigné que vous êtes faibles et que le Saint-Esprit veut suppléer à vos faiblesses, conclut de ces dogmes que vous pouvez vivre dans l’indolence. Ne voyez-vous pas au contraire qu’elle en tire des conséquences directement opposées ? Je choisis deux textes entre un grand nombre : l’un est un oracle de Jésus-Christ ; l’autre est un raisonnement de saint Paul. « Veillez et priez, afin que vous ne succombiez à la tentation, car l’esprit est plein de courage, mais la chair est faible Marc 15.38 ; » c’est l’oracle de Jésus-Christ. « Dieu produit en vous la volonté et l’exécution, travaillez à votre salut avec crainte et avec tremblement Philippiens 2.12-13 ; » c’est le raisonnement de saint Paul. Si nous avons fait un sophisme, lorsqu’après avoir établi la fragilité humaine et la nécessité de la grâce, nous avons appuyé sur ces dogmes mêmes les motifs qui doivent vous animer au travail, et vous porter à la vigilance ; c’est un sophisme dont l’Écriture est responsable. « L’esprit est plein de courage, mais la chair est faible, » voilà le principe de Jésus-Christ ; « veillez donc et priez, » voilà la conséquence : « Dieu produit en vous la volonté et l’exécution, voilà le principe de saint Paul ; « travaillez à votre salut, » voilà sa conséquence. Est-ce donc un esprit d’orthodoxie et de vérité qui vous anime, lorsque vous vous récriez contre nos discours ? Êtes-vous plus orthodoxes que le Saint-Esprit, et plus véritables que la vérité éternelle ? ou plutôt d’où vient qu’étant orthodoxes vous-mêmes, dans le premier membre de la proposition de nos auteurs, vous êtes hérétiques dans le second ? Pourquoi, orthodoxes dans le principe, êtes-vous hérétiques dans la conséquence ?
Rassemblez maintenant toutes ces réflexions, mes frères, ouvrez les yeux à la lumière qui sort de toutes parts, pour corriger vos préjugés, et voyez combien est peu fondé un homme qui trouve dans sa faiblesse naturelle et dans le secours du Saint-Esprit des motifs pour différer sa conversion. Le Saint-Esprit agit au dedans de nous, il est vrai, mais avec le concours de la parole et du ministère, en nous envoyant des pasteurs, en accompagnant de lumière leurs discours, de force leurs exhortations, d’efficace leur faiblesse : et vous, vous qui n’aurez jamais lu cette parole, vous qui vous serez soustraits à ce ministère, vous qui n’aurez voulu ni écouter ces discours, ni déférer à ces exhortations, ni vous rendre à cette efficace, vous voudrez que le Saint-Esprit vous convertisse par des moyens inouïs, et hors des règles de ses opérations ? Le Saint-Esprit agit au dedans de nous, il est vrai, mais il veut que nous le cherchions, que nous demandions ce secours dont nous sentons l’importance, que nous fassions nos efforts, même nos impuissants efforts pour nous sanctifier nous-mêmes : et vous, vous voulez qu’il vous convertisse, lorsque vous aurez négligé de le rechercher, lorsque vous n’aurez pas daigné le demander, lors du moins que vous vous serez abandonnés à l’inaction et à la mollesse ? Le Saint-Esprit agit au dedans de nous, il est vrai, mais il veut que vous répondiez à ses soins, que vous secondiez ses opérations, que vous cédiez à ses instances : et vous, vous voulez qu’il vous convertisse, lorsque vous serez endurcis à sa voix, lorsque vous n’aurez cessé de le contrister ? Le Saint-Esprit agit au dedans de nous, il est vrai, mais il nous déclare que si nous nous obstinons à lui résister il nous laissera à nous-mêmes, il nous refusera des secours qu’il nous avait offerts vainement, il nous livrera à notre propre stupidité et à notre corruption naturelle : et, vous, parvenus au moment de la vengeance, arrivés à l’époque de l’accomplissement de sa menace, au bout d’une carrière criminelle, vous prétendez que cet esprit entre pour vous dans une nouvelle économie, et qu’il fasse un miracle en votre faveur ? Le Saint-Esprit agit au dedans de nous, il est vrai ; mais de là même il conclut dans nos Écritures que nous devons agir, que nous devons travailler, que nous devons employer à l’ouvrage de notre salut la force de notre tempérament, la facilité de notre conception, la fermeté de notre mémoire, la présence de notre esprit, la vivacité de notre génie : et vous, vous qui donnez au monde seul ce génie, cet esprit, cette mémoire, cette conception, ce tempérament, vous vous appuyez sur ces discours mêmes, pour autoriser un délai et une nonchalance que l’idée de ces secours devait corriger. Si ce n’est pas là tordre l’Écriture, si ce n’est pas là faire violence à la religion, et renverser le but que se proposait le Saint-Esprit lorsqu’il nous montrait notre faiblesse naturelle, et qu’il nous promettait les secours de la grâce, il faut résister aux démonstrations les plus palpables.
Voilà qui suffit, ce me semble, pour établir notre première proposition, que les secours de l’esprit de Dieu fondent la nécessité de former des actes de piété pour en acquérir l’habitude ; et que la difficulté qu’on nous opposait se convertit en démonstration en faveur de ce qu’elle semblait renverser. Et voilà aussi selon nous la vraie théologie, et les vérités dont doivent retentir des auditoires protestants. Heureux les docteurs ! pour le dire en passant, si, au lieu de multiplier les questions et les controverses, ils s’attachaient à presser ces vérités importantes. Mon âme, ne te perds point dans des spéculations creuses et abstraites : ne sonde point les voies mystérieuses que Dieu suit pour pénétrer dans un cœur. « Le vent souffle où il veut, tu en entends bien le bruit, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va : il en est de même de tout homme qui est né de l’esprit de Dieu. L’orgueil va devant l’écrasement ; mais l’humilité précède la gloirea », et le scrutateur de la majesté sera absorbé de son éclat. » Contente-toi d’adorer la bonté de Dieu qui te promet son secours, et qui par l’opération de la grâce daigne surmonter les désordres de la nature. Mais tandis que tu imploreras ce secours, tandis que tu gémiras dans le sentiment de ton impuissance, travaille à te surmonter et à triompher de toi-même, tire des promesses de Dieu des motifs à te sanctifier et à t’instruire, et lors même que tu diras : Je ne suis rien, je ne puis rien, agis comme si tout dépendait de toi, comme si tu pouvais toutes choses.
a – Jean 3.8 ; Proverbes 16.18 ; 18.12.
L’idée des secours du Saint-Esprit est la première source d’illusions, nous venons de la combattre. L’idée de la miséricorde de Dieu en est une seconde ; nous devons y faire aussi nos réflexions. Dieu est miséricordieux, dit-on : l’alliance qu’il a traitée avec nous est une alliance de grâce : « nous ne sommes pas venus à l’obscurité, ni au feu brûlant, ni à la tempête Hébreux 12.18 ; » une amnistie générale est accordée à tous les pécheurs. Ainsi notre conversion fût-elle imparfaite, Dieu recevra nos derniers soupirs, et se rendra à nos larmes. Qui nous empêche donc de donner un libre essor à nos passions, et d’attendre à entrer dans les voies de la conversion que nous ne soyons plus bons pour le monde ?
Étrange raisonnement, détestable sophisme ! Mes frères, voici le plus haut période de la corruption, et l’ingratitude au degré suprême. Que dis-je ? Pour ingrate que soit une âme, elle témoigne de la sensibilité et de la reconnaissance, du moins sur-le-champ, et dans le moment qu’on la favorise. L’oubli des bienfaits et la méconnaissance ne viennent que lorsque le temps, ayant offert d’autres objets à l’esprit, l’empêche de s’occuper des grâces qu’il a reçues. Mais voici dans le raisonnement du pécheur un attentat d’un nouveau genre : il se fait un art malheureux d’embrasser dans l’enceinte de son ingratitude et le présent et l’avenir ; les grâces qu’il a déjà et celles qu’on lui prépare. Je serai ingrat par avance ; je méconnaîtrai dès à présent des biens que je n’ai point reçus encore. Dans chaque acte de mes crimes, je rappellerai à une mémoire anticipée les faveurs que Dieu doit me faire un jour, et je trouverai dans cette idée un motif pour m’affermir dans mes rébellions, et pour pécher avec audace. N’est ce pas là l’excès de la corruption et de l’ingratitude la plus détestable ?
Mais ce n’est pas assez de combattre ce système par des raisons de justice et de bienséance. Ce serait se faire de l’homme un portrait trop flatté que de le croire sensible à de si nobles motifs. Ce serait peu toucher des pécheurs que de leur dire : Vous êtes des ingrats si vous persistez dans vos vices ; l’auteur de notre religion connaissait trop le cœur humain pour ne pas lui opposer de plus fortes digues. Portons nos hypothèses plus loin, et montrons que ceux qui raisonnent de cette manière se fondent sur de faux principes, s’assurent sur une miséricorde à laquelle ils n’ont point droit de prétendre, et qu’ainsi, pour trouver Dieu favorable, il faut « le chercher pendant qu’il se trouve, et l’invoquer tandis qu’il est près. »
Ici un ton scolastique, et plusieurs questions qu’on agite dans les écoles seraient peut-être de saison si nous prêchions à un auditoire de docteurs consommés et prêts à nous opposer leurs arguments et leurs preuves. Mais nous ne voulons pas ramener ces disputes et ces controverses. Nous réduisons tout ce que nous avons à vous dire aux termes les plus clairs et aux questions les plus simples, et nous vous demandons deux choses. La miséricorde que Dieu vous offre sous l’Évangile vous est-elle offerte absolument et sans condition ? C’est la première question. Supposé que l’Évangile vous prescrive quelques conditions, sont-elles d’un genre à pouvoir être remplies dans un moment, au lit de la mort et après une carrière criminelle ? C’est une seconde question.
Des idées que vous vous formerez sur ces deux questions, dépend l’opinion que vous devez avoir d’un homme qui prétend être admis au trône de la miséricorde après une vie mondaine ; car si l’Évangile est une alliance absolue qui n’exige rien des chrétiens, ou si ce qu’il exige de vous est un devoir aisé, qu’un soupir, qu’une larme, qu’un repentir superficiel, qu’un léger recours à la grâce puisse fournir parfaitement, votre raisonnement est démonstratif ; notre morale est outrée. Prévalez-vous des prérogatives d’une religion si commode : cessez d’anticiper sur un avenir importun, et réduisez tout l’Évangile à un formulaire pour demander grâce. Mais si l’Évangile est une alliance conditionnelle, si les conditions sous lesquelles la grâce vous est offerte sont d’un genre à demander du temps, du travail, de la peine, et à devenir même impraticables lorsqu’on les diffère, votre raisonnement est sophistique, votre conduite est extravagante.
Or, mes frères, j’atteste ici la conscience des pécheurs les plus obstinés, et des casuistes les moins rigides. Peut-on raisonnablement hésiter à se déterminer sur ces deux questions ? Et aurons-nous de la peine à prouver, d’un côté que l’Évangile, en nous offrant la miséricorde, nous impose certains devoirs ; et de l’autre, que nous nous mettons dans l’impuissance manifeste de les remplir lorsque nous différons à le faire ?
1. Dire que l’Évangile est une alliance absolue, c’est vouloir nous épargner le soin de combattre et de réfuter, c’est se contredire soi-même : car qui dit une alliance dit un contrat mutuel entre deux parties. D’ailleurs c’est renverser mille textes formels que nous évitons de rapporter, parce que nous supposons qu’ils sont très connus de ceux qui nous écoutent.
2. Toute la question se réduit donc à celle-ci, à savoir quelle est la condition qui nous est imposée. Nous convenons tous à l’égard des termes. Cette condition est une disposition de l’âme, que l’Écriture appelle tantôt foi, tantôt repentance. Ne nous arrêtons pas aux mots. Qu’est-ce que cette foi, qu’est-ce que cette repentance qui vous ouvrent l’accès au trône de la grâce ! En quoi ces vertus consistent-elles ? est-ce dans un simple désir d’être sauvé ? est-ce dans un simple consentement à participer aux fruits de la mort du Christ ? Ou si la foi et la repentance emportent dans leur notion un renoncement au monde, un abandon de nos crimes, un changement total de notre vie, un principe qui, en nous faisant accepter toutes les faveurs que la croix de Christ nous procure, nous fait travailler sincèrement et de bonne foi à renoncer à tous les crimes qui l’y attachèrent ? En un mot, suffit-il au pénitent de dire dans son lit de mort : Je veux être sauvé, je consens que mon Rédempteur ait porté la peine de mes crimes ; ou s’il faut y joindre des sentiments proportionnés à la sainteté de ce salut qu’il demande, et déraciner tous ces crimes dont Jésus-Christ a fait l’expiation ?
Je l’avoue, mes frères, je ne traite ces questions qu’à regret. Je crains que ceux des communions étrangères qui peuvent se trouver dans cet auditoire ne soient scandalisés de ce discours, et ne publient, à la honte du nom réformé, que c’est un problème parmi nous, si le renoncement au vice et l’adhérence à la vertu doivent entrer dans l’idée de la foi, et des conditions que nous prescrivons à nos pénitents. « Ne l’allez point dire en Gath, ne le publiez point en Askélon 2 Samuel 1.20. » Il y a des insensés dans chaque société. Nous en avons aussi dans la nôtre. Il y a dans chaque religion des membres qui renversent les principes les plus généralement reçus dans cette communion, nous en avons aussi dans la nôtre ; et il n’y a que des esprits de ce genre, il n’y a que des insensés, il n’y a que de faux protestants qui osent se former des idées si relâchées de la foi de la pénitence. Un bon protestant croit, avec nos auteurs sacrés, que « celui qui confesse ses péchés et qui les délaisse obtiendra miséricorde Proverbes 28.13 ; » que « c’est afin que Dieu soit craint qu’il y a pardon auprès de lui Psaumes 130.4, » et que « Dieu parle de paix à son peuple, afin qu’il ne retourne plus à sa folie Psaumes 85.9. » Un bon protestant croit que « la foi sans les œuvres est morte, qu’elle est œuvrante par la charité ; » que l’on « est justifié par les œuvres Jacques 2.26, 24, 21. » Un bon protestant croit que « l’approche du royaume des cieux » est précisément ce qui doit nous porter à « porter des fruits de repentance Matthieu 3.2,8 ; » obliger le péager à « ne frauder plus, » l’homme de guerre « à ne plus user de concussion, et à se contenter de ses gages. » Un bon protestant croit « qu’il n’y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, pour ceux qui ne marchent point selon la chair, mais selon l’esprit Romains 8.1 ; » que « le péché n’a point d’empire sur nous, parce que nous ne sommes point sous la loi mais sous la grâce Romains 6.14. Un bon protestant croit « que sans la sanctification personne ne verra le Seigneur Hébreux 12.14, » que rien d’impur n’entrera au royaume des cieux, que « ni les impurs, ni les idolâtres, ni les efféminés, ni les larrons, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, n’hériteront point le royaume des cieux 1 Corinthiens 6.10. »
Sans cette notion de la foi et de la pénitence, si la pénitence, si la foi ne sont qu’un simple désir d’avoir part au mérite de Jésus-Christ, s’il ne faut que demander grâce, sans corriger le fond de son cœur, pour être sauvé, que serait l’Évangile ? J’ose le dire, ce serait la plus impure des religions, ce serait une économie monstrueuse, ce serait une invitation au crime, ce serait le renversement de la loi naturelle. Dans ces suppositions, les plus scélérats pourront avoir part à la miséricorde, les lois de Dieu seront impunément violées ; Jésus-Christ sera descendu du ciel, non pour nous corriger de nos vices, mais pour nous rassurer lorsque nous les commettrons. Un païen exclu de l’alliance de grâce sera réprimé dans ses excès par la crainte d’une plus grande punition : un chrétien, au contraire, s’animera davantage dans la continuation de ses désordres, par l’idée d’une miséricorde toujours prête à le recevoir. Et vous, Celsus, vous, Porphyre, vous, Zozime, vous, Julien, ennemis célèbres du nom chrétien, qui reprochâtes à l’Église naissante, et qui accusâtes tant de fois les premiers chrétiens d’autoriser la licence, vous étiez fondés dans vos plaintes, et nous n’avons aucune réponse à vous alléguer. Autant de réflexions, autant de démonstrations que la foi et la pénitence, sans laquelle nous ne saurions trouver accès à la miséricorde au lit de la mort, ne consistent pas dans un simple désir d’être sauvé, dans un recours superficiel au mérite de Jésus-Christ, mais qu’elles renferment dans leur notion ce renoncement au monde, cet abandon de nos crimes, cette transformation du cœur dont nous parlions tout à l’heure ; et que sans cette foi, il n’y a point de grâce, point de miséricorde, point de salut.
Je sais qu’il est des conversions naissantes, que la foi a ses degrés, la piété ses commencements, le chrétien son enfance, et qu’au tribunal d’un Dieu miséricordieux, la sincérité de la repentance supplée à sa perfection. Mais appellerez-vous conversion naissante, nommerez-vous foi, prendrez-vous pour repentance les mouvements d’une conscience excitée, non par l’horreur que donne le crime, mais par la crainte de la peine ; non par un principe de l’amour divin, mais par un principe de l’amour-propre ; non par un désir de s’unir à Dieu, mais par l’horreur que cause l’idée d’une mort prochaine, et l’image d’un feu dévorant ? Et encore une fois, n’est-il pas vrai qu’à quelque degré qu’on puisse porter les condescendances évangéliques, il est toujours démontré que la foi et la repentance emportent dans leur notion du moins les principes de ce détachement du monde, de ce renoncement au crime, de cette transformation du cœur, dont nous pressons la nécessité.
Ce qui étant ainsi établi, la vérité triomphe, ce me semble, et je démontre combien peu un homme qui diffère sa conversion est fondé à s’appuyer sur la miséricorde de Dieu, et à prétendre au salut ; car, après avoir vécu dans l’indolence, par quel secret inouï formerez-vous dans votre âme cette repentance, cette foi, que nous venons de dépeindre, et sans laquelle l’accès à la miséricorde de Dieu est fermé ? D’où la puiseriez-vous ? Sera-ce de vos propres forces ou de l’opération du Saint-Esprit ? Direz-vous que c’est de vos propres forces ? Que deviendrait alors votre orthodoxie ? Que deviendraient les dogmes de l’impuissance de l’homme et de la nécessité de la grâce, qui vous servaient de prétexte pour différer votre conversion ? Ne voyez-vous pas que vous détruisez vos principes, que vous sapez d’une main ce que vous édifiez de l’autre ?
D’ailleurs, souvenez-vous de ce que nous établîmes dans notre premier discours sur la force des habitudes. Et comment voudriez-vous qu’une habitude formée par des actes réitérés, qu’une habitude qui a croupi, vieilli dans un homme, se changeât dans un moment ? Comment voudriez-vous qu’un homme qui a consumé tant d’années dans le crime, qui s’est accoutumé à regarder le monde comme son bien, qui a toujours cru que la vertu n’était bonne tout au plus que pour servir de dernière ressource ; comment voudriez-vous qu’un tel homme se refondît dans un instant ? Et dans quel instant encore ? Dans les années de la vieillesse, lorsque les sens sont usés, que la mémoire est affaiblie, que la raison est troublée, que la chaleur naturelle est presque éteinte, ou bien aux approches de la mort, lorsque la seule idée de ce « roi des épouvantements Job 18.14 » agite, trouble, confond ? Il n’y a donc qu’une grâce extraordinaire du Saint-Esprit qui puisse convertir un tel homme. Mais quelle preuve avez-vous que le Saint-Esprit fera un pareil miracle en votre faveur ? ou plutôt, combien de présomptions notre première partie ne nous a-t-elle point fourni contre cette chimérique espérance ?
Concluons : rien n’est si suspect qu’une repentance tardive, rien n’est moins sage que le renvoi de la conversion. Concluons encore : pour être secouru de la grâce, il faut vivre dans une continuelle vigilance ; pour être l’objet de la miséricorde, il faut avoir la repentance et la foi : la seule marque non suspecte de ces vertus, c’est une longue suite d’actions pieuses. Sans un miracle de la grâce, et dans le cours ordinaire de la religion, un homme qui a consumé sa vie dans le crime, quelques soupirs qu’il pousse au ciel à l’heure de la mort, a lieu de craindre que l’accès à la miséricorde ne lui soit fermé. Toutes ces choses paraissent bien sensibles, mes frères ; cependant les pécheurs aiment à se tromper eux-mêmes ; ils affectent de croire par raison ce qu’ils ne se persuadent que par caprice, et ils nous font des objections qu’il est important de résoudre, et par où nous allons entrer dans l’application de tout ce discours.
Nous trouvons des gens qui nous disent naturellement qu’ils ne peuvent pas comprendre ces choses ; qu’ils ne sauraient s’imaginer que la justice de Dieu soit aussi sévère que nous voulons le faire entendre, et les conditions de l’alliance de grâce aussi rigoureuses que nous venons de l’établir.
Mais que sont tous ces raisonnements, que des suppositions sans fondement et des conjectures frivoles ? « Il y a de l’apparence. Je ne saurais concevoir. Je ne puis pas m’imaginer. » Voudriez-vous, sur des suppositions de ce genre, hasarder votre réputation, votre honneur, votre fortune, votre vie ? Comment pouvez-vous y hasarder votre salut ?
La justice de Dieu n’est peut-être pas si rigoureuse qu’on nous le dit. Il est vrai, cela peut être. Si Dieu a par devers lui quelque économie de grâce qu’il ne nous ait pas révélée, s’il doit y avoir quelque Évangile nouveau, si Dieu prépare un autre sacrifice, vos conjectures auront lieu. Mais s’il « n’y a aucun autre nom sous le ciel qui soit donné aux hommes pour être sauvé Actes 4.12 que celui de notre Jésus ; » s’il n’y a point d’autre sang que celui de l’aspersion faite par ce divin Sauveur ; « si Dieu doit juger le monde universel selon son Évangile Romains 2.16, » tout votre raisonnement croule, et votre salut est désespéré.
D’ailleurs, quelle manière de raisonner est celle-ci ? « Il y a de l’apparence. Je ne puis pas concevoir. Je ne saurais m’imaginer. » Et qui êtes-vous, pour raisonner de cette manière ? Êtes-vous chrétiens ? Où est donc cette foi qui soumettait la raison aux décisions de l’Écriture, qui faisait recevoir les dogmes les plus abstraits, les mystères les plus sublimes ? S’il est permis de raisonner ainsi, de répliquer lorsque Dieu parle, d’argumenter lorsqu’il décide, formons-nous une religion nouvelle, mettons la raison sur le trône, faisons en descendre la foi. Le dogme de la Trinité m’arrête, la satisfaction me confond, l’incarnation me présente des précipices où ma raison se trouve absorbée. Si vous voulez douter des dogmes que nous avons établis, sous prétexte que vous ne pouvez pas les comprendre, révoquons en doute les autres, ils ne sont pas moins incompréhensibles.
Je vais encore plus loin ; et j’ose soutenir que s’il faut consulter la raison sur l’idée que nous vous avons donnée de la justice de Dieu, elle s’accorde avec l’Écriture. Tu ne peux pas concevoir que la justice soit si rigoureuse ; et moi je ne saurais pas concevoir qu’elle soit si indulgente ; et moi je ne saurais pas concevoir que le maître du monde ait voulu revêtir une chair humaine, s’exposer à la fureur d’une populace effrénée et expirer sur une croix : c’est la plus grande difficulté que je trouve dans l’Évangile. Mais tais-toi, raison impérieuse : voici de quoi te satisfaire. Joins la difficulté que tu trouves sur la justice avec celle que te fait naître l’idée de la miséricorde. L’une est le correctif de l’autre. L’excès de la miséricorde justifie l’excès de la justice, et l’excès de la justice vient de l’excès de la miséricorde.
Si les gens qui nous tiennent ce langage ; si les gens qui trouvent la justice de Dieu trop rigoureuse ; si c’étaient des gens qui travaillassent avec quelque soin à leur salut ; si c’étaient des gens qui y employassent une heure de la journée, leur difficulté aurait quelque couleur, ils paraîtraient avoir quelque lieu de se plaindre. Mais qui sont-ils ? Ce seront des gens qui lâchent la bride à leurs passions ; ce seront des abominables qui font gloire de leurs commerces infâmes ; ce seront des cœurs implacables qui haïssent leur prochain, et qui veulent le haïr toute leur vie ; ce seront des mondains qui emploient une partie de la nuit aux jeux, aux excès, aux spectacles, et qui reprennent sur le jour la partie de la nuit qu’ils avaient dérobée à leur mollesse ; ce seront des gens fiers, arrogants, qui, sous prétexte qu’ils ont des équipages somptueux, des titres superbes, croient pouvoir violer impunément tous les engagements du christianisme. Ces gens-là, lorsque nous leur disons que, s’ils persistent dans ce train de vie, il n’y aura point de grâce pour eux, nous disent qu’ils ne peuvent pas concevoir que la justice de Dieu les traite d’une manière si rigoureuse. Et moi je ne puis pas concevoir qu’elle te traite d’une manière si indulgente ; et moi je ne puis pas concevoir comment Dieu permet que ce soleil t’éclaire ; et moi je ne puis pas concevoir comment, tenant la foudre à la main, il semble pourtant n’être que spectateur oisif de tes sacrilèges ; et moi je ne puis pas concevoir comment la terre ne s’ouvre pas sous tes pieds, et comment ses gouffres affreux n’anticipent pas la peine que la vengeance divine t’apprête dans les enfers.
Mais, dit-on, cette miséricorde, dont on nous donnait de si grandes idées, a donc des bornes étroites. Mais plutôt comment se peut-il qu’on ose se former des difficultés de ce genre ? Dieu, « le Dieu souverainement heureux 1 Timothée 6.15, » l’Être suprême vous tire du néant, il vous donne son Fils, il vous offre son Esprit, il vous promet de vous supporter tels que vous êtes, avec vos infirmités, avec votre corruption, avec vos faiblesses ; il vous ouvre les portes du ciel ; il veut se donner lui-même à vous ; il ne vous demande autre chose, si ce n’est que vous lui consacriez ce peu de jours que vous devez vivre sur la terre ; il n’exclut du paradis que les impénitents, que les endurcis : comment peut-on dire que la miséricorde de Dieu soit bornée ? Quoi ! Dieu ne peut-il être miséricordieux, sans couronner vos injustices ? Et ne concevez-vous de miséricorde à votre gré, que celle qui vous permet un abandon général au crime ?
Mais encore, dit-on, si les conditions de l’alliance de grâce sont telles qu’on les a marquées, c’est donc une grande tâche que celle du chrétien, et il est donc bien difficile d’être sauvé. Mais, mes frères, croyez-vous que cette difficulté nous épouvante ? Ne savez-vous pas que « c’est la porte étroite, que c’est le chemin étroit qui mène à la vie Matthieu 27.14 ? » Ne savez-vous pas qu’il faut « s’arracher un œil, se couper un bras Matthieu 28.8, » surmonter les penchants les plus tendres et les plus doux, rompre les liens de la chair et du sang, de l’amour-propre et de la nature ? Ne savez-vous pas qu’il faut « se dépouiller du vieil homme Éphésiens 4.21, renoncer à soi-même Matthieu 16.24 ? » Ne savez-vous pas qu’il faut « joindre à la foi la vertu, à la vertu la science, à la science la patience, à la patience l’amour fraternel, à l’amour fraternel la charité 2 Pierre 1.5-6, » à la charité toutes les vertus ?
Mais, ajoute-t-on, il y aura donc bien peu de gens sauvés : autre objection que nous redoutons très peu. Elle serait insoluble, peut-être, si Jésus-Christ ne nous avait appris lui-même à y répondre. Mais est-ce là un nouvel Évangile ? Est-ce une doctrine nouvelle, de dire qu’il y aura peu de gens sauvés ? et Jésus-Christ ne l’a-t-il pas déclaré lui-même ? J’en appelle ici à tous ceux qui entendent la doctrine des types. Je leur propose un type, un type parlant, un type non équivoque, mais un type terrible : c’est cette malheureuse troupe d’Israélites qui murmurèrent contre Dieu après qu’ils furent sortis d’Égypte. Le but où ils tendaient, c’était le pays de Canaan. Dieu fait des miracles sans nombre pour les y introduire. la mer s’ouvre pour leur faire un passage, le pain descend du ciel pour les nourrir, on voit des eaux sourdre d’un rocher pour les abreuver. Une seule chose leur manque, c’est qu’ils n’entrent point en Canaan Deutéronome 1.35-36. Il n’y en a que deux parmi ces milliers de personnes qui y soient admis. Que signifie ce type ? Cela même qu’on nous oppose. Les Israélites représentent ces auditeurs ; les miracles représentent les soins de la Providence pour votre salut ; le Canaan représente le paradis où vous aspirez. Et Josué et Caleb seuls reçus dans un pays que tant de miracles semblaient promettre à tout le peuple, que signifient-ils par rapport à tous ces chrétiens ? Mes frères, je n’ose pas en faire l’application. Je vous laisse cet objet à contempler, et cet effrayant sujet à méditer.
Mais encore, dit-on, pourquoi vient-on nous prêcher une doctrine si terrible ? C’est renverser la religion, c’est porter les hommes au désespoir. Grand péril en effet, danger éminent, de porter au désespoir les personnes que je combats ! Supprimez les poisons, enlevez les poignards, fermez tous les accès de la mort à ces cœurs que le souvenir de leur crime va porter aux derniers excès. Mais quoi ? Ces esprits que nous venons de dépeindre, ces hommes froids, ces âmes indolentes, ces cœurs vendus au monde et à ses voluptés, sont-ce là ces consciences faibles et délicates que nous devons épargner, et chez qui nous devons craindre que les idées de la justice divine ne produisent des impressions trop vives et trop profondes ? Ah ! malheureux, qui nous proposez des difficultés de ce genre, si vous vous trouviez dans un lit de mort, si, parvenus au bout d’une carrière criminelle, vous voyiez l’enfer ouvert sous vos pieds, tout prêt à vous engloutir, si vous n’aviez plus pour ressource que les derniers efforts d’une âme expirante, vous seriez dignes de pitié. Mais vous respirez encore, la grâce vous est offerte, tous les chemins de la pénitence vous sont ouverts, « l’Éternel se trouve encore ; » il n’y a personne au milieu de vous qui ne puisse l’invoquer avec succès. Mais vous voulez donner au monde le temps de votre vie, vous voulez vieillir dans vos vices, vous voulez vous enraciner dans vos mauvaises habitudes, et quand on vous presse, quand on vous fait voir votre turpitude, quand on vous montre l’abîme où vous vous plongez volontairement, vous dites que c’est là vous désespérer. Nous admettons cette conséquence : pour des gens tels que vous, il n’y a rien à attendre que l’horreur et le désespoir. Plût à Dieu que notre voix devenue semblable au son du tonnerre, et la lumière de nos discours rendue aussi vive que celle dont saint Paul fut terrassé sur le chemin de Damas, vous abattissent aux pieds du Seigneur, comme cet apôtre ! Plût à Dieu que l’idée du désespoir et l’image affreuse de l’enfer vous remplissent d’une frayeur salutaire, et vous portassent à l’éviter ! Plût à Dieu que « le corps livré, » dès ce moment, « à Satan, l’esprit trouvât son salut dans la journée du Seigneur 1 Corinthiens 5.3,5 ! »
C’est à vous à vous appliquer ces choses, mes frères, et à profiter dès aujourd’hui des moyens de conversion que la Providence vous offre. Et s’il y a quelque ressource encore, quelque espoir pour le pécheur qui diffère de se convertir, ce n’est point aux ministres de l’Évangile à vous les annoncer. Nous ne sommes pas les maîtres de la religion : « nous sommes les ambassadeurs de Christ 2 Corinthiens 5.20 ; » nous avons nos ordres précis, et notre commission bornée. Dieu veut que nous publions son alliance, que nous vous promettions tous les secours de la grâce, que nous vous ouvrions tous les trésors de ses miséricordes, et que nous vous conduisions aux lieux saints, à la trace du sang du Sauveur du monde. Mais chacun de ces privilèges a ses conditions annexées, et vous en avez vu la nature. Remplissez-les : repentez-vous, donnez de votre conversion des marques effectives, solides, constantes : alors il y aura pour vous des trésors de grâce. Mais tant que vous persisterez dans le crime, et (pour vous dire aujourd’hui des choses qu’il sera peut-être inutile de vous dire demain) tant que vous y aurez persisté pendant votre vie, et que l’idée d’une mort prochaine et la crainte de l’enfer vous arracheront quelques protestations forcées et vous feront revêtir quelque fantôme de conversion, nous ne saurions, sans passer nos ordres et sans aller au delà de notre commission, parler de paix à vos âmes et vous annoncer le salut.
Et ces réflexions doivent disculper les ministres de l’Évangile, qui savent soutenir la majesté de leur emploi, et répondre à leur caractère. Si elles ne nous disculpent pas dans vos esprits, elles nous justifieront au moins dans ce grand jour, où les choses les plus cachées seront mises en évidence. On n’a point d’idée de notre ministère. On nous appelle chez un mourant, que nous savons avoir été un scélérat, ou du moins avoir été très éloigné de remplir les conditions de l’alliance de grâce. Ce scélérat, aux approches de la mort, se compose, ne parle que de repentir, que de miséricorde, que de larmes : on voudrait qu’à la vue de cet extérieur de conversion, nous supposassions qu’un tel homme est plus que converti, et que, dans cette téméraire supposition, nous lui offrissions les premières places dans le séjour des bienheureux.
Mais malheur, malheur à ces ministres, qui, par une cruelle douceur, précipitent des âmes dans l’enfer, sous prétexte de leur ouvrir le paradis ! Malheur au ministre de l’Évangile qui sera si libéral des faveurs de Dieu ! Au lieu de parler de paix à un tel homme, « je crierai à plein gosier, je ferai retentir ma voix comme une trompette Ésaïe 58.1 », je censurerai, je tonnerai, je décocherai contre lui « les flèches du Tout-Puissant ; » je lui en ferai « sucer tout le venin Job 6.4. » Heureux si je me fais jour à travers tant de passions invétérées, si je sauve « par frayeur Jude 1.23, » et si j’arrache comme du feu un cœur endurci dans le crime !
Que si, comme il arrive pour l’ordinaire, le mourant ne donne à sa conversion que les restes d’un corps usé, et les derniers soupirs d’une vie mourante : malheur, malheur encore au ministre de l’Évangile, qui, par une lâche politique, viendra, pour ainsi dire, canoniser ce mourant, comme s’il était expiré de la « mort des justes Nombres 23.10 ! » Et qu’on ne dise pas : Que voulez-vous ? Voulez-vous troubler les cendres d’un mort ? Voulez-vous désespérer une famille ? Voulez-vous mettre une note d’infamie dans une maison ? Ce que je veux ? Je veux soutenir les intérêts de mon maître ; je veux agir en digne ministre de Jésus-Christ ; je veux vous faire éviter de prendre pour une bonne mort une mort antichrétienne ; je veux mettre à profit la perte que je viens de faire, et que la proie que le démon vient de m’enlever épouvante les assistants, une famille, toute une église.
Voulez-vous savoir, mes chers frères, quel est le moyen de prévenir de si grands malheurs ? Voulez-vous savoir quel est le véritable temps d’implorer la miséricorde, d’attirer le Saint-Esprit dans vos cœurs ? C’est ce moment, c’est à présent : « Cherchez l’Éternel tandis qu’il se trouve. » Oui, il se trouve aujourd’hui ; il se trouve dans cette assemblée ; il se trouve dans cette parole que nous vous adressons encore ; il se trouve dans ces exhortations que nous vous faisons de sa part ; il se trouve dans vos cœurs par ces remords, par ces peines, par ces mouvements qu’il y excite, et qui vous disent, « de sa part, de chercher sa face Psaumes 27.8 ; » il se trouve dans vos cabinets, où il s’offre d’avoir avec vous les entretiens les plus familiers et les plus tendres ; il se trouve chez ces pauvres, chez ces malades, chez ces cadavres mouvants, chez ces images vivantes de la mort et du tombeau, qui sollicitent vos compassions, et qui vous ouvrent un chemin de charité, pour aller au Dieu qui est la charité même. Il se trouve aujourd’hui, et peut-être demain il ne se trouvera plus ; peut-être demain vous le chercherez vainement ; peut-être demain la mesure sera comblée ; peut-être demain la grâce sera retirée pour jamais ; peut-être demain l’arrêt qui doit décider de votre destinée éternelle sera prononcé !
O qui saurait connaître ce que vaut un temps si précieux ! O qui saurait se comparer avec ces malheureuses victimes que la vengeance divine s’immole dans les enfers et pour lesquelles il « n’y a plus de temps Apocalypse 10.6. » Qui saurait, au sortir de ce temple, au lieu de tant de vains entretiens et de dissipations criminelles, qui saurait aller se jeter aux pieds de la majesté de Dieu, pleurer le passé, régler le présent, prendre de salutaires précautions pour l’avenir ! Qui saurait le forcer par des soupirs entrecoupés, par des prières ferventes, par des torrents de larmes de ne se retirer jamais ! Qui saurait lui dire, et plus du cœur que de la bouche : « Demeure avec moi, Seigneur Genèse 32.26, je ne te laisserai point aller que tu ne m’aies béni », » que tu n’aies triomphé de ma corruption, que tu ne m’aies donné les arrhes de mon salut ! Seigneur, le temps de ma visitation est comme expiré, je le vois, je le sais, je le sens, il faut un miracle pour ma conversion ; mais je te le demande ce miracle, et je l’obtiendrai de tes compassions.
Mes frères, mes chers frères, nous n’avons point d’expression assez tendre, point de mouvement assez pathétique, point de prière assez touchante, pour vous porter à ces devoirs. Que votre zèle supplée à notre faiblesse.
Si nous avons fait briller à vos yeux le glaive de la vengeance divine, ce n’est pas pour vous perdre, c’est pour vous sauver ; ce n’est pas pour vous désespérer, c’est pour exciter en vous « une tristesse selon Dieu, une repentance dont vous ne vous repentirez jamais 2 Corinthiens 7.10. » Il ne tient qu’à chacun de ces chrétiens qui m’écoutent et qui me regardent, de participer à ces avantages. Puissiez-vous, dès à présent, former la résolution de mettre à profit une liberté si précieuse ! Puisse l’heure de votre mort, répondant à la sincérité de vos résolutions, et à la sainteté de votre vie, vous ouvrir les portes du ciel, et vous faire trouver, dans la gloire, ce Dieu que vous aurez trouvé favorable dans l’Église ! Dieu vous en fasse la grâce. Au Père, au Fils et au Saint-Esprit soient honneur et gloire à jamais. Amen.