Matthieu 26.63-64 : Et le grand-prêtre prenant la parole lui dit : Je t’adjure au nom du Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu ? — (Marc 14.61 : Es-tu le Christ, le Fils de Celui qui est béni ?) — Jésus lui dit : C’est toi qui l’as dit. D’ailleurs, je vous le déclare : dès à présent vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel — (Marc 14.62 : … Je le suis, et vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel).
Il y eut une première comparution de Jésus devant Anne, beau-père de Caïphe, lui-même ancien sacrificateur et portant encore le titre de souverain sacrificateur (Jean 18.15-16,19, comp. Actes 4.6 et Luc 3.2), et cette comparution est mentionnée seulement dans Jean 18.13-24). En revanche, tandis que cet Évangéliste dit simplement que Jésus fut conduit de chez Anne vers Caïphe et de chez Caïphe au prétoire, Matthieu et Marc parlent expressément de deux séances du Sanhédrin occasionnées par la condamnation de Jésus : l’une qui eut lieu encore dans la pleine nuit, dans la troisième veille appelée celle du chant du coq, et où Jésus fut condamné (Matthieu 26.57-66 ; Marc 14.53-64) ; l’autre, plus courte, qui commença au point du jour et où l’on avisa aux moyens d’exécuter la sentence (Matthieu 27.1-2 ; Marc 15.1).
[Les Romains et les Juifs à l’époque de la venue du Sauveur divisaient la nuit ou l’intervalle compris entre le coucher du soleil et son lever en quatre veilles, de trois heures chacune. cette manière de diviser la nuit est nettement indiquée : Marc 13.35 : Veillez donc, car tous ignorez quand doit venir le maître de la maison, si c’est le soir, ou à minuit, ou au chant du coq, ou le matin. A l’époque de la mort du Seigneur, la première veille, correspondant au soir (ὀψὲ), avait donc lieu de 6 à 9 heures du soir ; la seconde, appelée minuit (μεσονύκτιον), de 9 à 12 ; la troisième, le chant du coq (ἀλεκτοροφωνία), de 12 à 3 ; la quatrième, le matin (πρωΐ) de 3 à 6. Il est surtout important de ne pas perdre de vue ce qui était alors appelé proprement le matin.]
St. Luc, dont le récit est plus abrégé, ne parle que de la seconde en y faisant entrer ce qui se passa dans la première. Voici du reste son récit :
Luc 22.66-70 : Et lorsque le jour fut venu, le corps des anciens du peuple se réunit, ainsi que les grands-prêtres et les scribes, et ils le firent conduire devant leur assemblée, disant : Si tu es le Christ, dis-le-nous. Mais il leur dit : Si je vous le disais, vous ne le croiriez certainement pas, et si je vous interrogeais, vous ne répondriez certainement pas. Mais dès maintenant le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. Or ils dirent tous : Tu es donc le Fils de Dieu ? Et il leur dit : Vous-mêmes vous dites que je le suis.
Mais laissant de côté la question générale des formes de la procédure dont Jésus fut la victime, arrêtons-nous seulement sur la comparution de Jésus devant le Sanhédrin, telle qu’elle nous est racontée par Matthieu et Marc, et plus particulièrement encore sur la réponse de Jésus à la question de Caïphe.
Après la première comparution devant Anne, Jésus avait été conduit devant le Sanhédrin, et là plusieurs témoins avaient déposé contre lui, mais sans que leurs dépositions s’accordassent entre elles ou fussent de nature à faire prononcer une condamnation à mort ; ce fut alors que Caïphe l’adjura de déclarer s’il était le Christ, le Fils de Dieu. C’est toi qui l’as dit, répondit Jésus. Cette réponse équivalait à une affirmation et elle est ainsi très fidèlement reproduite, quant au sens, par ces mots correspondants de Marc : Je le suis. Mais Jésus ne se borna pas à cette affirmation et il ajouta : D’ailleurs, je vous le déclare : dès à présent vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. Pour interpréter ces paroles, nous ne pouvons mieux faire que de traduire d’abord quelques lignes de Bleek : « La puissance est la toute-puissance divine. La droite de la puissance équivaut à la droite du Dieu tout-puissant. C’est de la même manière que chez les Juifs postérieurs גְּבוֹרָה est employé comme une des désignations de Dieu. Aussi dans Luc y a-t-il : à la droite de la puissance de Dieu. Cette séance de Jésus à la droite de Dieu désigne toujours dans le Nouveau Testament l’état de gloire et de puissance dans lequel il se trouve depuis son retour auprès du Père céleste à la suite de l’ascension, tandis que cette venue sur les nuées du ciel se rapporte à son glorieux retour sur la terre à la fin des jours pour l’inauguration de son royaume. Même d’après les termes employés ici par Matthieu et Marc, je ne crois pas qu’il soit permis, avec Neander, Meyer et de Wette, d’entendre par la venue sur les nuées comme par la séance à la droite de Dieu, une preuve continue de la révélation spirituelle et de la puissance de Jésus, depuis son retour dans le ciel. La venue sur les nuées désigne certainement la glorieuse apparition du Fils de l’homme à la fin des jours, et voici quelle est la liaison des deux membres de la phrase : Dès à présent, comme vous pourrez vous en convaincre vous-mêmes par les effets de mon activité, le Fils de l’homme sera assis à la droite de Dieu et participant à sa puissance et à sa majesté, jusqu’à ce qu’il revienne dans la plénitude de sa gloire. »
Dans sa réponse à Caïphe, Jésus ne se borne donc pas à déclarer qu’il est en effet le Messie, le Fils de Dieu, il confirme encore cette déclaration en annonçant d’une part la puissance et la majesté dont il allait être revêtu dans le ciel et dont les effets seraient bientôt visibles, même pour ses ennemis, et d’autre part son glorieux retour sur la terre à la fin de l’économie actuelle.
Pour mieux comprendre encore cette réponse, rappelons qu’en la faisant Jésus s’appliquait deux prophéties très connues de l’Ancien Testament, l’une tirée de Psaumes 110.4, l’autre de Daniel 7.13-14. Voici la seconde, telle qu’elle est traduite par Perret-Gentil : Je regardais durant les visions nocturnes, et voici sur les nuées du ciel, arrivait quelqu’un qui ressemblait à un fils de l’homme, et il parvint jusqu’à l’Ancien des jours, et ils le firent approcher de Lui. Et à lui fut donné l’empire, l’honneur et la royauté, afin que tous les peuples, les nations et les hommes de toute langue le servent ; son empire est un empire éternel qui ne passera point, et sa royauté est impérissable. Peu auparavant Jésus s’était déjà appliqué cette prophétie devant ses disciples : Matthieu 24.30, 34.
Quant à la première, qui nous intéresse plus spécialement dans cette étude et sur laquelle nous espérons revenir dans notre seconde partie, elle est tirée de ce psaume messianique si remarquable où le Messie est représenté à la fois comme le plus puissant des monarques et comme sacrificateur pour l’éternité à l’instar de Melchisédec. Le verset 1 est ainsi conçu : Cantique de David. L’Éternel dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que je te donne pour marchepied tes ennemis.
Peu de jours avant son arrestation, Jésus avait déjà interrogé les scribes sur ce psaume : il leur avait demandé comment David pouvait y appeler le Christ et son fils et son Seigneur. Les scribes n’avaient su que répondre, et cela se comprend, car la difficulté ne s’explique que par la considération du double caractère divin et humain du Rédempteur (Matthieu 22.41-46).
Je vous le déclare, répondit Jésus à Caïphe, dès à présent vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel.
Si dans nos Évangiles, comme dans le monde des Alpes, on peut s’élever de hauteur en hauteur et de cime en cime, cette parole de Jésus doit compter parmi les plus grandes sorties de ses lèvres.
Ce fut presque la seule qu’il prononça devant le Sanhédrin d’Israël, présidé par le souverain sacrificateur de l’ancienne Alliance. Par elle, l’accusé qui dans quelques instants va être condamné à mort, annonce à ses juges, avec une incomparable majesté, qu’ils auront à comparaître eux-mêmes devant un tribunal tout autrement plus solennel et que lui-même siégera dans ce tribunal. Lui, d’ordinaire si réservé dans ses déclarations sur la souveraine dignité de sa personne, à moins qu’il n’eût devant lui une pauvre Samaritaine, un humble aveugle dont il avait ouvert les yeux et qui venait de le confesser devant les sages et les forts de ce monde, ou encore le cercle intime de ses disciples, — il choisit et réunit les plus glorieuses prophéties concernant le Messie promis pour se les appliquer ouvertement devant le Sanhédrin. Et quelles infinies perspectives ne sait-il pas révéler dans les mots que sa bouche fait entendre après un long silence ? Un de ces mots annonce une période qui devait embrasser bien des siècles et pendant laquelle, invisible lui-même pour la terre, mais visible dans son œuvre, dans les hauts faits de sa toute-puissance, il devait siéger à la droite du Très-Haut ; — l’autre prophétise son retour sur les nuées pour recevoir, aux yeux de tous, l’empire, l’honneur et la royauté.
Cette parole entraînera de suite sa condamnation, sa bouche va être fermée sur la croix, le soleil des âmes va disparaître derrière l’horizon ; mais quels rayons ne projette-t-il pas avant de disparaître ! Quel couchant eut jamais pareilles splendeurs ! Elles ne peuvent être comparées qu’à la gloire toute spirituelle de l’aurore qui eut lieu lorsque l’Esprit de Jésus descendit sur ses disciples au jour de la Pentecôte, ou mieux encore à la plénitude de gloire qui éclatera de toutes parts lorsque le Maître reviendra sur les nuées du ciel.