Le pape pousse Henri à la guerre – Sermon de Colet – Campagne de Henri – Mariage de Louis XII et de Marie Tudor – Anne Boleyn – Fêtes – Mort de Louis – Mariage de Marie et de Suffolk – Anne Boleyn et Marguerite de Valois – Les lettres en Angleterre – More et Henri – Wolsey veut une réforme – Colet et Érasme – Prédication du doyen – On l’accuse – École de Saint-Paul – Les Troyens et les Grecs
Un message du pape vint arrêter Henri au milieu de ces divertissements. Partout, en Écosse, en Espagne, en France, en Italie, le jeune roi ne comptait alors que des amis ; mais la papauté allait troubler cette bonne harmonie. Un jour, au moment où l’on venait de célébrer les saints mystères en présence du roi, l’archevêque de Cantorbéry déposa à ses pieds, de la part de Jules II, une rose d’or bénie par ce pape, ointe d’huile et parfumée de musca, avec une lettre où Henri VIII recevait le titre de chef de la ligue italienne. Le belliqueux pontife ayant abaissé les Vénitiens, voulait humilier la France, et employer Henri comme instrument de ses haines. Ce prince venait, il est vrai, de renouveler son alliance avec Louis XII ; mais le pape ne se laissait pas arrêter par si peu de chose, et bientôt le jeune roi ne rêva plus qu’aux gloires de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt. En vain ses plus sages conseillers lui disaient-ils que l’Angleterre, dans des temps plus propices, n’avait pu se maintenir en France, que la mer était le véritable champ ouvert à ses conquêtes ; Jules, connaissant sa vanité, lui avait promis d’ôter à Louis le titre de roi Très-Chrétien pour le lui donner à lui-même. « Sa Sainteté, lui faisait-il dire, espère que Votre Grâce exterminera totalement le roi de Franceb. » Henri ne trouva rien à redire à cette parole peu apostolique, et se décida à substituer aux tournois et aux fêtes le jeu terrible des combats.
a – Odorifico musco aspersam. (Wilkins, Concilia, 3 p. 652.)
b – Lettre du cardinal Bambridge. Cotton library. Vitell. B 2. p. 8.
Au printemps de l’an 1511, après quelques essais peu encourageants tentés par ses généraux, il pensa à se rendre lui-même en France. Il était au milieu de ses préparatifs, quand les fêtes de Pâques arrivèrent. Le doyen Colet, prêchant le vendredi saint devant le roi, montra plus de courage qu’on n’eût pu en attendre d’un humaniste, car il y avait en lui une étincelle de l’esprit chrétien. Il choisit pour sujet de son discours la victoire de Jésus-Christ sur la mort : « Celui qui prend les armes par ambition, s’écria-t-il, combat, non sous l’étendard de Christ, mais sous celui de Satan. Si vous voulez lutter contre vos ennemis, suivez Jésus-Christ votre capitaine, plutôt qu’Alexandre ou Jules César. » On se regardait étonné ; les humanistes s’effrayaient, et les prêtres inquiets de l’essor que prenait alors l’esprit humain, se promettaient de profiter de cette occasion pour porter un rude coup à leurs adversaires. Il y avait parmi eux de ces hommes, dont on doit condamner les opinions, mais dont on ne peut s’empêcher de respecter le zèle pour ce qu’ils pensent être la vérité, Bricot, Fitz-James et surtout Standish. Leur zèle alla pourtant un peu trop loin en cette occasion ; on parlait de brûler le doyenc. Au moment où le service venait de finir, on dit à Colet que le roi le demandait dans le jardin des Franciscains, et aussitôt les prêtres et les moines se pressèrent vers la porte, dans l’espérance de voir leur adversaire emmené comme un criminel. « Qu’on nous laisse seuls, dit Henri ; mettez votre cape, Monsieur le doyen, et promenons-nous. Rassurez-vous, continua-t-il, vous n’avez rien à craindre. Vous avez parlé admirablement sur la charité chrétienne, et m’avez presque réconcilié avec le roi de France. Mais, hélas ! la guerre que j’entreprends est une nécessité, une guerre défensive et légitime ; veuillez l’expliquer dans un prochain sermon. Je craindrais, sans cela, que mes soldats ne se méprissent sur le sens de vos paroles. » Colet n’était pas un Jean-Baptiste ; touché de la condescendance du roi, il se hâta de donner l’explication demandée, et le prince satisfait, s’écria : « Celui-ci est mon docteur ! et je lui porte un toast ! » Il était jeune alors ; ce n’était pas ainsi que Henri devait traiter plus tard ceux qui contrarieraient ses desseins.
c – Dr. Colet was in trouble and should have been burnt. (Latimer’s Sermons. Parker edition, p. 440.)
Au fond, le roi ne se souciait guère plus des victoires d’Alexandre que de celles de Jésus-Christ. Ayant équipé splendidement son armée, il s’embarqua au mois de juin, accompagné de son aumônier Wolsey, dont la faveur commençait à poindre, et partit pour la guerre comme pour un tournois. Quelque temps après il se rendit, tout couvert de joyaux, au-devant de l’empereur Maximilien, qui le reçut modestement vêtu d’un simple pourpoint et d’un manteau de serge noire. Victorieux dans la journée des Eperons, Henri, au lieu de s’élancer à la conquête de la France, revint tranquillement au siège de Thérouanne, y célébra des joûtes et des fêtes, donna à son aumônier l’évêché de Tournay, puis retourna en Angleterre, glorieux d’avoir fait une partie de plaisir.
Louis XII, veuf, âgé de cinquante-trois ans, et courbé sous les infirmités d’une vieillesse prématurée, mais voulant à tout prix empêcher le renouvellement de la guerre, demanda la main de la belle princesse Marie, âgée de seize ans, et sœur du roi. Marie, qui aimait Charles Brandon, voulait lui sacrifier l’éclat d’une couronne ; mais la raison d’État s’y opposait. « La princesse, dit Wolsey à Henri VIII, reviendra bientôt en Angleterre, veuve et avec un douaire royal. » Cette perspective décida l’affaire. Marie, triste, abattue, pleurant Brandon et l’Angleterre, objet de la pitié universelle, s’embarqua à Douvres avec une suite de trois mille personnes, et le duc d’Angoulême l’ayant reçue à Boulogne, la conduisit au roi, tout fier d’épouser la plus belle princesse de l’Europe.
Louis XII
Mary Tudor
Charles Brandon
Parmi les dames qui accompagnaient Marie, se trouvait la jeune Anne Boleyn. Sir Thomas, son père, avait été chargé par Henri, conjointement avec l’évêque d’Ely, des négociations diplomatiques qu’avait nécessitées ce mariage. Anne avait passé son enfance dans le château de Rocheford, entourée de tout ce qui pouvait exalter son imagination. Son grand-père maternel, le comte de Surrey, dont le fils aîné avait épousé la sœur de la reine, femme de Henri VII, avait occupé, ainsi que ses fils, les premières charges de l’Etat. Agée alors de sept ans selon les uns, de treize selon les autres, et appelée à la cour par son père, elle lui écrivit en français la lettre suivante, qui paraît se rapporter à son départ pour la France :
« Monsieur, votre désir est que je me comporte comme une femme respectable quand j’irai à la cour, et vous m’informez que la reine prendra la peine de me parler. La pensée de parler avec une personne si discrète et si honorable, me réjouit fort. Ceci augmente mon désir de continuer à parler français et aussi à l’écrire, surtout puisque vous me le recommandez tant. Je viens vous informer par cette lettre que je m’appliquerai autant que je pourrai à ces choses
Quant à moi-même, soyez certain que je ne répondrai pas par de l’ingratitude aux bontés d’un père, et que je me conformerai à ce qu’il me prescrit. Je veux vivre aussi saintement qu’il vous plaît de me le commander, et je vous assure que mon amour est fondé sur une base si ferme qu’il ne pourra jamais s’affaiblir. Je finis maintenant, en me recommandant à votre gracieuse faveur. — Écrit à Hever, par votre très humble et très obéissante fille,
Anna De Boulland. »
d – L’auteur a pu se procurer en français les lettres de Henri VIII et d’Anne de Boleyn, mais non pas celle-ci qui est antérieure. Il l’a traduite de l’anglais.
Tels étaient les sentiments dans lesquels cette jeune et intéressante Anglaise, si calomniée par des écrivains de la papauté, se présentait à la cour.
Le mariage fut célébré à Abbeville, le 9 octobre 1514, et après un somptueux banquet, le roi de France distribua ses royales largesses aux seigneurs d’Angleterre, ravis de tant de courtoisie. Mais le lendemain fut affreux pour la jeune reine. Louis XII avait congédié la suite nombreuse qui l’avait accompagnée, et même lady Guilford, à laquelle Henri l’avait spécialement confiée. On ne lui avait laissé qu’un enfant, Anne Boleyn. L’infortunée Marie s’abandonna à la plus vive douleur. Pour la consoler, Louis fit annoncer un grand tournois. A cette nouvelle, Suffolk accourut en France ; et tandis que le roi, couché languissamment sur un lit, pouvait à peine suivre des yeux ce brillant spectacle, que la reine, triste encore, mais rayonnante de jeunesse et de beauté, présidait au combat, Suffolk remportait toutes les couronnes. Marie ne put cacher son émotion, et Louise de Savoie, qui l’observait, devina son secret. Mais Louis, s’il connut les angoisses de la jalousie, ne les éprouva pas longtemps ; il mourut le 1er janvier 1515.
Pendant que l’on tendait de noir les appartements de la reine, son cœur s’ouvrait à l’espérance. François Ier, impatient de lui voir épouser quelque personnage sans importance politique, encourageait son amour pour Suffolk. Celui-ci, chargé par Henri de porter à sa sœur ses compliments de condoléance, craignait la colère de son maître s’il osait prétendre à la main de la princesse. Mais Marie, résolue à tout braver, dit à Brandon : « Vous m’épouserez dans quatre jours ou vous ne me verrez plus. » Le choix que Henri avait fait de Suffolk pour son ambassadeur, n’annonçait pas qu’il voulût être cruel. Le mariage fut célébré dans l’abbaye de Clugny, et Henri pardonna.
Tandis que Marie retournait en Angleterre comme l’avait prédit Wolsey, la jeune Anne restait en France. Sir Thomas, désireux que sa fille devînt une femme accomplie, la confia à la vertueuse Claude de France, la bonne reine, autour de laquelle se formaient les filles des premières familles du royaume. La Marguerite des Marguerites (c’est ainsi qu’on a nommé la sœur de François Ier), venait souvent charmer par ses conversations le cercle de la reine ; elle distingua bientôt la jeune Anglaise, fut frappée de ses grâces et de son intelligence, et se l’attacha. Anne Boleyn devait être un jour à Londres un reflet de Marguerite de Valois, et ses rapports avec cette princesse ne furent pas sans influence sur la réformation de l’Angleterre.
En effet, le mouvement des lettres, qui d’Italie avait passé en France, semblait alors devoir passer de France dans la Grande-Bretagne. Oxford exerce sur l’Angleterre une influence aussi grande que celle de la métropole ; et c’est presque toujours dans ses murs qu’un mouvement commence, en bien comme en mal. Une jeunesse enthousiaste y accueillait alors avec joie les premiers rayons du nouveau soleil, et poursuivait de ses sarcasmes la paresse des moines, l’immoralité du clergé et la superstition du peuple. Dégoûté du sacerdotalisme du moyen âge, épris des écrivains de l’antiquité et des lumières nouvelles, Oxford demandait instamment une réforme qui brisât les chaînes de la domination cléricale et émancipât les intelligences. Les lettrés crurent pendant quelque temps avoir trouvé dans l’homme le plus puissant de l’Angleterre, Wolsey, l’allié qui leur donnerait la victoire.
Wolsey avait peu de goût pour les lettres, mais voyant le vent de la faveur publique souffler dans cette direction, il se hâta d’y déployer ses voiles. Il se fit passer pour un profond théologien, en citant quelques mots de Thomas d’Aquin, et s’acquit la réputation d’un Mécène et d’un Ptolémée, en invitant les lettrés à ses somptueux festins. « O heureux cardinal, s’écriait Érasme, qui entoure sa table de tels flambeauxe. »
e – Cujus mensa talibus luminibus cingitur. (Erasm. Ep. 725.)
Le roi avait alors la même ambition que son ministre, et après avoir goûté tour à tour des plaisirs de la guerre et de la diplomatie, il se tournait maintenant vers les lettres. Il demanda à Wolsey de lui présenter Thomas More. — « Qu’irai-je faire à la cour ? répondit celui-ci. Je m’y tiendrai aussi gauchement qu’un apprenti cavalier sur sa selle ! » Heureux dans le cercle de sa famille, où père, mère, enfants, réunis autour de la table, formaient un groupe délicieux, que le pinceau d’Holbein nous a conservé, More s’obstinait à n’en pas sortir. Mais Henri n’était pas homme à supporter un refus ; il employa presque la force pour attirer More au palais, et bientôt le roi ne put se passer de l’humaniste. Pendant le calme d’une nuit étoilée, ils se promenaient ensemble sur les terrasses du château et discouraient sur le mouvement des astres. Si More ne paraissait pas à la cour, Henri partait pour Chelsea et partageait le modeste dîner de la famille, avec quelques simples gens des environs. « Où est l’Athènes, disait Érasme, où est le Portique, où est le Lycée qui vaille la cour d’Angleterre ?… Elle est un musée plutôt qu’une cour… Un âge d’or commence et j’en félicite l’univers. »
Mais les humanistes ne se contentaient pas des festins du cardinal et des faveurs du roi ; il leur fallait des victoires, et c’était contre les cloîtres, ces forteresses de la hiérarchie et de l’impudicité, qu’ils dirigeaient surtout leurs traitsf. L’abbé de Saint-Alban ayant fait d’une femme mariée sa concubine, et l’ayant mise à la tête d’un de ses monastères, ses moines avaient suivi son exemple, et s’étaient livrés aux plus honteux débordements. L’indignation publique éclata, en sorte que Wolsey lui-même, Wolsey, père de plusieurs enfants illégitimes, et qui portait la peine de ses désordresg, entraîné par l’esprit du temps, demanda au pape une réforme générale des mœurs. A l’ouïe de cette requête, les prêtres et les moines jetèrent les hauts cris. « Qu’allez-vous faire ? dirent-ils à Wolsey. Vous donnerez gain de cause aux ennemis de l’Église, et vous aurez pour salaire la haine de l’univers. » Ce n’était pas le compte du cardinal ; il abandonna son projet et en conçut un plus facile. Voulant justifier le nom de Ptolémée que lui donnait Érasme, il entreprit de fonder deux grands collèges, l’un à Ipswich, sa ville natale, l’autre à Oxford ; et trouva commode de prendre les fonds nécessaires à cette création, non dans sa bourse, mais dans celle des moines. Il signala au pape vingt-deux monastères où, dit-il, le vice et l’impiété avaient établi domicileh. Le pape accorda leur sécularisation, et Wolsey s’étant ainsi procuré 2 000 livres sterling de revenu, fit poser les vastes fondements de son collège, tracer plusieurs cours et construire de superbes cuisines. La disgrâce le surprit avant qu’il eût achevé son œuvre ; aussi Gualter dit-il avec malice : « Il a commencé un collège et bâti un restauranti. » Toutefois un grand exemple était donné, le chemin des couvents était frayé par un pape, et la première brèche leur était faite par un cardinal. Cromwell, alors secrétaire de Wolsey, remarqua comment s’y prenait son maître, et sut profiter plus tard de la leçon.
f – Loca sacra etiam ipsa Dei templa monialium stupro et sanguinis et seminis effusione profanare non verentur. (Papal bull. Wilkins, Concilia, p. 632.)
g – Morbus venereus. (Burnet.)
h – Wherein much vice and wickedness was harboured. (Strype, 1, p. 169.)
i – Instituit collegium et absolvit popinam. (Fuller, cent. 16. p. 169.)
Heureusement les lettres avaient à Londres des amis plus sincères que Wolsey ; c’était Colet, doyen de Saint-Paul, dont la maison fut le centre du mouvement littéraire qui précéda la Réformation, et Érasme, son commensal. Hardi pionnier, celui-ci frayait alors à l’Europe moderne la route de l’antiquité. Un jour il entretenait les convives de Colet d’un nouveau manuscrit ; un autre jour des formes de la littérature ancienne ; puis il livrait de rudes assauts aux scolastiques et aux moines, et Colet lui venait en aide. Le seul antagoniste qui osât se mesurer avec eux, était Thomas More, qui, quoique laïque, commençait à soutenir vivement les ordonnances de l’Église.
Des propos de table ne pouvaient suffire au doyen ; un immense auditoire venait l’entendre à Saint-Paul. La spiritualité des paroles de Jésus, l’autorité qui les caractérise, leur admirable simplicité et leur mystérieuse profondeur, l’avaient ravi : « J’admire les épîtres des apôtres, s’écriait-il, mais je les oublie presque quand je contemple la majesté admirable de Christj. » Laissant donc les textes prescrits par l’Église, il expliqua, comme Zwingle, l’Évangile selon saint Matthieu. Il alla bientôt plus loin. Profitant d’une convocation du clergé, il prononça sur la conformation et la réformation un discours qui fut l’un des nombreux préludes de la grande rénovation du seizième siècle. « On voit paraître de nos jours des idées étranges et hérétiques, dit-il, je l’accorde. Mais sachez qu’il n’y a pas pour l’Église de plus dangereuse hérésie que la vie dégradée de ses prêtres. Il faut une réformation ; et cette réformation, il faut que ce soit par vous, ô évêques, qu’elle commence, et par vous, ô prêtres, qu’elle continue ! Le clergé une fois réformé, nous procéderons à la réformation du peuplek. » Ainsi parlait Colet. Les bourgeois de Londres l’écoutaient avec ravissement, et l’appelaient un nouveau saint Paull.
j – Ita suspiciebat admirabilem illam Christi majestatem. (Erasm. Epp. 707.)
k – Colet, Sermon to the Convocation.
l – Pene apostolus Paulus habitus est. (Polyd. Virg. p. 618.)
De tels discours ne pouvaient demeurer impunis. Fitz-James, évêque de Londres, vieillard de quatre-vingts ans, superstitieux, opiniâtre, amateur du gain, d’une susceptibilité irritable, peu théologien, mais prosterné devant Duns Scott, le docteur subtil, appela à son aide deux autres évêques, aussi zélés que lui pour la conservation des abus, Bricot et Standish, et dénonça à Warham le doyen de Saint-Paul. L’archevêque ayant demandé ce qu’il avait fait : « Ce qu’il a fait ! reprit l’évêque de Londres, il enseigne qu’il ne faut pas adorer les images, il traduit le Pater en anglais, il prétend que dans le Pasce oves meas, il ne faut nullement comprendre les subsides temporels que le clergé doit retirer de ses ouailles. De plus, ajouta-t-il avec quelque embarras, il a parlé contre ceux qui portent des cahiers en chaire et qui lisent leurs sermons ! » C’était l’habitude de l’évêque ; aussi l’archevêque ne put-il s’empêcher de sourire, et Colet ayant refusé de se justifier, Warham prit lui-même sa défense.
Dès lors Colet travailla avec un nouveau courage à dissiper les ténèbres ; il consacra la plus grande partie de son patrimoine à rétablir à Londres la célèbre école de Saint-Paul, dont le savant Lilly fut le premier recteur. Deux partis, les Grecs et les Troyens se mirent à lutter, non avec la lance, comme dans l’antique épopée, mais avec la langue, avec la plume, et quelquefois avec le poing. Si les Troyens (les ignorants) avaient le dessous dans les disputes publiques, ils prenaient leur revanche dans le secret du confessionnal. Cave a Græcis ne fias hæreticus ! Telle était la consigne que les prêtres ne cessaient de rappeler à la jeunesse. Ils regardaient, dit-on, l’école fondée par Colet, comme le cheval monstrueux du parjure Sinon, et annonçaient que de ses flancs sortirait inévitablement la ruine du peuple. Colet et Érasme ne répondaient au fanatisme des moines qu’en leur portant de nouveaux coups. Linacer, enthousiaste des lettres, Grocyn, d’un esprit mordant et pourtant d’une âme généreuse, et d’autres encore, renforçaient la phalange des Grecs. Henri VIII lui-même, prenait d’ordinaire l’un d’eux pour l’accompagner dans ses voyages, et si quelque Troyen malencontreux venait à attaquer en sa présence la langue de saint Paul et de Platon, le jeune prince lançait sur lui son Hellène. Les rives du Xante et du Simoïs, ne virent pas jadis plus de batailles.