Comme nous venons de le voir, la prédication de Wesley a touché — et avec quelle puissance ! — au problème social de la richesse. Mais là ne s’est pas bornée son action sociale, et nous croyons ne pas trop sortir du domaine que nous assigne le titre de ce livre, en consacrant quelques pages à Wesley comme réformateur sociala. « Son cœur, si grand et si chaud, a dit Punshon, a tendrement palpité pour l’humanité souffrante et protesté avec énergie et vaillance contre tous les maux qui dégradent le corps, rapetissent l’esprit ou perdent l’âmeb. »
a – Nous y serons grandement aidé par l’article qu’a publié, sous ce titre, notre ami, le pasteur Edmond Gounelle, dans la Revue du Christianisme Social, septembre-octobre 1913.
b – Conférence sur Wesley, traduite par M. Lelièvre.
Dès ses années d’étude à l’Université d’Oxford, John et Charles Wesley, avec leurs amis auxquels la malice de leurs camarades a déjà donné le surnom de méthodistes, visitaient assidûment la geôle du Château.
« Tout nouveau venu dans la prison était l’objet d’une enquête serrée et pénétrante, dans quatre ou cinq tête-à-tête. On le prenait à part ; on lui demandait s’il ne gardait pas rancune à ceux qui l’avaient poursuivi, ou à d’autres, s’il se repentait de sa vie passée. Paraissait-il bien disposé, on venait chaque jour pour le soutenir et de même pour ceux que frappait une sentence de mort. Aux illettrés, on enseignait à épeler, et parfois cela n’allait pas tout seul ; on leur faisait répéter le catéchisme et les commandements, les prières du matin et du soir. On les questionnait tous sur leur position dans le monde ; on exécutait leurs commissions : Stewart priait Wesley de lui procurer un arrêt du Tribunal, et Coster, de passer chez Mme Ebbins, tapissière près de la Tour de Londres, qui aurait les moyens de le secourir ; et Salmon avait besoin de 20 shillings pour citer un témoin à son procès ; et Mme Baxter avait des difficultés avec son propriétaire. On y avisait, on les aidait à acheter livres, médicaments, et tout ce dont ils avaient besoin. Parfois se produisaient des querelles qu’il fallait apaiser. A Noël 1730, une lettre de John parle d’organiser un dînerc. »
c – Léger, Jeunesse de Wesley, p. 144.
On a vu, dans la Vie de Wesley avec quel zèle il s’occupa des prisonniers de guerre. En 1759, il en visita à Knowle, près de Bristol, de 1200 à 1300, qu’il trouva gisant sur la plage en haillons. Il prêcha à Bristol sur ce texte : « Tu n’opprimeras point l’étranger. » Et il plaida avec tant de chaleur la cause de ces malheureux que la collecte faite en leur faveur produisit 600 francs. Avec cette somme, il acheta des vêtements et les distribua aux prisonniers. Il écrivit aussi des articles dans plusieurs journaux quotidiens, entre autres le London Chronicle et le Lloyd’s Evening Post, pour faire appel aux sentiments généreux et humains de son peuple. Les lettres qu’il fit publier provoquèrent de nombreux dons et apportèrent quelque soulagement à de grandes misères.
Il accompagna souvent, jusqu’au pied de la potence des condamnés à mort. L’un d’eux, qui avait demandé d’être assisté par lui, rendit témoignage, avant de mourir, qu’il quittait cette vie, réconcilié avec Dieu. Charles Wesley, qui accompagnait son frère, adressa quelques paroles d’exhortation à la foule rassemblée, et il écrivit, le soir même dans son journal : « Seigneur, accepte-nous, même parmi ces publicains et ces pécheurs. »
Etudiant à Oxford, il ne négligeait pas plus les hôtes du Workhouse, où les indigents étaient casernés, que les prisonniers du château. Avec ses camarades de collège, il ne s’épargnait pas pour leur être agréable.
« Que de démarches, dit M. Léger, pour faire admettre un protégé ! Puis il s’agissait, là aussi, d’éduquer jeunes et vieux ; Dieu sait que ce n’était pas superflu : Il n’y a presque pas une âme qui sache lire dans tout l’établissement ; et ceux qui savent ne comprennent pas un mot de ce qu’ils lisent. Chaque semaine, des familles pauvres étaient secourues et exhortées à domicile ; on secouait le petit Gervais, qui faisait l’école buissonnière tous les matins jusqu’à onze heures, et l’on subventionnait la maîtresse d’une école gratuite, inspectée régulièrement, et dont on habillait par-dessus le marché la clientèle. L’alphabet et le catéchisme n’y proscrivaient pas l’art de tricoter et de filer.
Tout cela supposait des fonds : quelques admirateurs y contribuaient chaque trimestre ; de ci, de là, un haut personnage déboursait 25 sous pour empêcher le Mont-de-Piété de vendre les hardes de Gervais. En général, les goussets où l’on puisait et les mains qui distribuaient appartenaient aux mêmes propriétaires. Wesley avait 30 livres par an ; il en dépensait 28 et donnait 40 shillings. L’année suivante, en recevant le double, il dépensa la même chose et donna 32 livres. La troisième année, il reçut 90 livres et en donna 62. La quatrième année, il reçut 126 livres. Continuant à en dépenser 28, il en donna 92 aux pauvres. Par une froide journée d’hiver, une fillette (de celles dont ils supportaient les frais d’école) vint le trouver. Vous semblez à moitié morte de froid, lui dit Wesley. N’avez-vous rien d’autre pour vous couvrir que cette mince bande de toile ? C’est tout ce que j’ai, monsieur, dit-elle. Il fouilla dans sa poche ; il ne lui restait presque rien. Cette pensée le frappa aussitôt : Ton Maître te dira-t-il : cela va bien, bon et fidèle serviteur ? Tu as décoré tes murs avec l’argent qui aurait pu préserver du froid cette pauvre créature. Ô justice ! ô merci ! ces tableaux ne sont-ils pas le sang de cette pauvre fille. Vois sous le même jour ton coûteux appareil, ta robe, ton chapeau, ta coiffure.
La coiffure ! ce n’était point un article insignifiant, dans cet âge de perruques poudrées, où la mode voulait que fellows et étudiants se fissent accommoder avant les repas ; plutôt que d’y faillir, on se serait privé de paraître dans la grande salle du Collège… Et de se conformer à cet usage coûtait de dix à douze shillings par trimestre.
Wesley fit ce sacrifice héroïque… car il partait de ce principe : Tout ce qui autour de toi coûte plus que le devoir chrétien ne t’oblige d’y dépenser, est le sang des pauvresd. »
d – A. Léger, La Jeunesse de Wesley, pp. 145,146.
Dès lors, il ne voulut plus entendre parler de dépenses inutiles ou somptuaires. Aux collecteurs des impôts qui s’informaient de ce qu’il possédait en argenterie, il répondit qu’il n’avait que deux cuillers en argent à Londres et deux à Bristol, « et je compte ne pas en acheter davantage tant qu’il y aura autour de moi un si grand nombre de gens manquant de pain. » Et il mourut pauvre, — chacun le sait, — ne laissant après lui, comme on l’a fait observer spirituellement, qu’« une bonne bibliothèque, une vieille robe de pasteur très usée, une réputation fort maltraitée…, et l’Église méthodiste ». De lui, comme de Calvin, le pape Pie IV aurait donc pu dire :
« Ce qui a fait la force de cet hérétique, c’est que l’argent n’a jamais été rien pour lui ; avec de pareils serviteurs, je serais maître des deux rives de l’Océan. »
Wesley était toujours prêt à voler au secours de tous ceux qui souffraient de la faim ou du froid. Pendant les hivers 1740 et 1762, qui furent particulièrement rigoureux, il se dépensa sans compter pour venir en aide aux miséreux. Et, avec les collectes qu’il organisa, il réussit à nourrir quotidiennement 100 et parfois 150 personnes ; et, le second de ces hivers, il fit distribuer de la soupe à des milliers de bateliers de la Tamise, qui étaient sans travail, par suite de la congélation du fleuve.
Dans une brochure dont la presse anglaise se préoccupa, Wesley indiqua les causes du renchérissement des denrées, et il proposa des remèdes, notamment la prohibition de l’alcool, l’abaissement des taxes, et il s’éleva contre le gaspillage et le luxe. Il s’indigne aussi du fait que la société est organisée de telle sorte que les valides qui voudraient travailler ne le peuvent pas toujours.
Novateur zélé dans le domaine de la bienfaisance, il fonda bien des Institutions de charité, par exemple en 1746, à Londres et à Bristol, des dispensaires pour les malades indigents où des remèdes étaient gratuitement distribués, et où lui-même donnait des consultations, car il avait des connaissances médicales. Il était aidé dans cette tâche par un pharmacien et un chirurgien. Pendant les cinq premiers mois, cinq cents personnes environ eurent recours à ses bons offices. Et leur nombre alla toujours en augmentant.
Il créa aussi, en 1748, près de la chapelle de la Fonderie, à Londres, un petit établissement pour les veuves âgées, sans ressources. Il emménagea pour elles deux petites maisons qu’il avait louées, après avoir pris conseil de ses amis, et sans savoir exactement d’où lui viendrait l’argent pour les frais considérables d’entretien, car il se rendait bien compte que les collectes faites les jours de culte et à la Sainte Cène seraient tout à fait insuffisantes pour les couvrir. Mais il attendait tout de son Dieu. « La terre est à lui », disait-il. « Nous avons en ce moment neuf veuves, une femme aveugle, deux pauvres enfants et deux domestiques. Je puis ajouter : quatre ou cinq prédicateurs ; car moi-même, aussi bien que les autres prédicateurs qui se trouvent à Londres, nous mangeons avec les pauvres la même nourriture qu’eux et à la même table ; et nous sommes heureux, comme si déjà nous mangions ensemble le pain dans le royaume de notre Père. Je bénis Dieu pour cette maison depuis qu’elle est ouverte, et toujours de plus en plus. En agissant ainsi, nous nous sommes inspirés des institutions de l’âge apostolique. Maintenant, je puis dire partout : Venez et voyez comment ces chrétiens s’aiment les uns les autres. »
Mais ce n’est pas tout. Wesley établit une école gratuite — du moins pour les nécessiteux — que fréquentaient, chaque jour une soixantaine d’enfants pauvres et déguenillés, au-dessus de 6 ans. Ils devaient être au sermon à 5 heures du matin, en classe de 6 heures à midi et d’une à 5 heures le soir. Et tout élève qui, par paresse, manquait deux jours dans la semaine était impitoyablement exclu de l’école. Les règles étaient sévères. Aussi n’est-ce pas sans peine qu’il trouva deux instituteurs bien qualifiés pour cette œuvre.
Il va sans dire qu’il avait organisé, dès le début — avant même la fondation de ces établissements — une Société de visiteurs de pauvres, sorte de Diaconat. Un grand nombre de membres méthodistes s’étaient offerts de suite pour être employés en cette qualité. Et Wesley en choisit parmi eux 64 qu’il jugea les plus aptes à cette œuvre, qui consistait à voir dans les divers quartiers de la ville (que les 64 se partageaient) les malades, trois fois par semaine, et à leur apporter les secours et les consolations nécessaires.
Wesley eut encore l’idée — et lui le tout premier — d’une société de prêt pour les valides momentanément dans la gêne, « dont les administrateurs avaient pour devoir de prêter à ceux qui en avaient besoin de petites sommes qui, d’abord, ne devaient pas dépasser 25 francs et que les emprunteurs s’engageaient à restituer au bout de trois mois ». « Il peut paraître incroyable, écrit Wesley, mais il n’en est pas moins vrai qu’avec cette somme minime nous avons pu secourir 250 personnes en 1747. Est-ce que Dieu ne mettra pas au cœur de quelque ami de l’humanité d’augmenter notre petit capital ? Si ce n’est pas là prêter à l’Éternel, qu’on me dise ce que c’est ! »
« Dès le milieu du xviiie siècle, Wesley avait donc constitué l’une de ces sociétés de prêt au travail dont on parle beaucoup de nos jours. Il eut la satisfaction de constater, par des faits nombreux, l’utilité de cette fondation ; des centaines de familles pauvres lui durent l’amélioration de leur condition ; et quelques-uns, la fondation de leur fortunee. »
e – Lelièvre, Vie de Wesley, 4e éd., p. 204.