C’est la cinquième fois que Jean-Paul gravit le grand escalier. Jusque là, il n’est pas arrivé à découvrir par quelle voie on accède à la tour. Existerait-il un souterrain secret ? Il a bien inspecté les environs, mais sans succès.
Le voilà au deuxième où il s’arrête. Il lui semble qu’en cet endroit, il « brûle » parce qu’il est au niveau de la chambre bleue. Devra-t-il redescendre encore sans savoir ?
Jean-Paul colle l’oreille à la première porte de gauche, derrière laquelle il perçoit des pas qui se rapprochent rapidement. Il voudrait voir par le trou de la serrure, mais la clé est engagée de l’intérieur. Avant qu’il n’ait pu se dérober ou prendre une attitude plus digne, la porte s’ouvre brusquement. C’est Francine qui apparaît, chargée d’une corbeille de linge.
— C’est moi. bredouille Popol, honteux d’avoir été surpris.
A peine si la jeune fille, toujours pressée, a pris garde au gamin. Sa présence là, devant la porte, ne paraît pas l’étonner. En tous les cas, elle ne laisse rien paraître. Elle esquisse son même sourire et descend gaillardement, comme si elle avait les mains vides.
Cependant, Jean-Paul ne regrette pas cette rencontre humiliante, car il a bien vu, de ses yeux vu avant qu’elle ne ferme, un couloir sombre qui s’enfonce en direction de la tour.
Euréka ! s’écrie-t-il ! J’ai compris maintenant. Ce couloir mène tout droit à la chambre mystérieuse, je peux m’y rendre les yeux fermés. Je gage que la bonne porte est au fond et à droite.
Jean-Paul redescend pleinement satisfait de sa découverte. Il n’en voulait pas davantage aujourd’hui. Avec de la persévérance, on arrive à bout de tout. Sagement, le petit bonhomme est allé s’étendre dans le petit bois de chênes, à cent mètres de la maison. L’atmosphère lui paraît légère en cette belle après-midi d’été. Malgré son désir, il n’arrive pas à s’endormir car il ne peut débarrasser ses pensées de la grande aventure qu’il va vivre cette nuit.
— Demain, foi de Jean-Paul, je saurai bien quel est l’homme qui se cache dans la vieille tour.
Les ténèbres sont encore épaisses. Jean-Paul ne peut fermer l’œil, d’abord parce qu’il craint de s’oublier, et d’autre part la perspective d’une équipée nocturne l’excite beaucoup. Dans le lointain, les heures sonnent lentement. Le garçon compte : un, deux, trois.
— C’est bien tôt pour agir ! Tant pis, il vaut mieux être en avance.
Le voilà habillé en un tour de main, des pantoufles aux pieds pour circuler sans bruit dans les couloirs. Il ne craint rien cependant car à cette heure, le sommeil est solide. C’est justement le moment où les cambrioleurs opèrent leurs mauvais coups.
Muni de sa lampe électrique, il ouvre la porte de sa chambre avec précaution, puis grimpe au 2e étage, aussi souple qu’un jeune chat. Il faut être doublement prudent maintenant car grand-père et Francine dorment par là, tout près. D’ordinaire, les vieillards ont le sommeil léger.
Jean-Paul a repéré la porte du couloir intérieur qu’il reconnaît bien. Emu, il pèse sur le loquet, puis la fait pivoter lentement en retenant son souffle. Elle craque un peu, comme toutes les portes, mais pas assez pour alerter les voisins. Elle craque comme les meubles qui vieillissent. La voilà refermée… tout s’est très bien passé.
Le couloir sent le renfermé. C’est sûrement un lieu peu fréquenté si l’on considère la poussière qui l’habite. Il y a deux portes à gauche et deux portes à droite. Jean-Paul s’oriente facilement et comprend que celle du fond est la bonne.
— La voici ! dit-il avec certitude, comme s’il la franchissait souvent !
Ce n’est pas sans trembler qu’il tourne la poignée… Si le bonhomme était déjà là ! La porte résiste.
— Zut ! elle est barricadée.
Adieu les secrets ! Jean-Paul est déçu et s’apprête à battre en retraite, comme dans le grenier. Que peut-il faire ? La secouer, la forcer serait le meilleur moyen pour alerter toute la maison. Et puis, Popol n’est pas un cambrioleur !
Avant de repartir, machinalement, il promène sa lumière sur les murs du couloir blanchis à la chaux.
— Euréka !
La clé est suspendue à un clou planté assez haut dans le chambranle de la porte.
Il introduit fébrilement la clé, puis fait grincer la serrure. La porte s’ouvre. Une bouffée âcre le saisit, une odeur de vieux papier. Jean-Paul pénètre dans une petite nièce ronde, qui n’a vraiment rien d’extraordinaire. A gauche, une bibliothèque rustique est encombrée de vieux livres, à peine rangés. A droite, une cheminée ancienne cachée par un rideau jauni. Une table au centre, une unique chaise. et c’est tout ! Sur la table un gros livre ouvert que Jean-Paul n’a même pas remarqué.
— Mais alors, que fait-on ici, tous les matins ? se demande Popol visiblement déçu.
Cependant, le garçon estime qu’il ne faut pas abandonner la partie parce qu’il y a tout de même quelque chose d’insolite dans cette chambre. Le mieux, c’est de se cacher et d’attendre. Il sera si facile de se glisser derrière le rideau et de se blottir au fond de la cheminée. Les toiles d’araignée couvertes de poussière sont rassurantes car elles prouvent au moins que la cachette n’est pas souvent fouillée.
— Reste la question de la porte. Si je laisse la clé dans la serrure, je vais éveiller des soupçons et rendre le mystérieux personnage plus méfiant encore. Bah ! s’exlame-t-il, je vais tout simplement suspendre la clé à sa place. Notre bonhomme croira avoir oublié de la tourner dans la serrure ; ce sont des choses qui arrivent !
Ainsi fait Jean-Paul. Délicatement il soulève le rideau jauni, imprégné de l’odeur de papier qui flotte dans la pièce, et il s’installe de son mieux dans la cheminée noire de suie. Mais qu’importent la suie et la poussière, il faut être prêt à tout pour réussir ! Il s’agit maintenant d’attendre et… d’être prudent.