Sa présence

PLUS MOI

« Je suis crucifié avec Christ et ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. »

(Galates 2.20)

Je vous propose de faire une petite expérience par une belle journée ensoleillée de juin ou de juillet. Efforcez-vous de regarder fixement le soleil pendant quelques instants, puis regardez autour de vous en essayant de distinguer ce que vous avez devant les yeux. Encore ébloui, vous ne verrez pratiquement plus rien sinon des ronds lumineux partout qui estompent ou voilent gens et paysage. Aveuglé par cette vive lumière vous n’êtes plus capable d’apercevoir vos mains et vos pieds. Votre personne a disparu pour quelques instants.

De même, tenez-vous dans la présence du Seigneur, contemplez-le sans hâte et le monde vous apparaîtra tout autre. Sa divine lumière transfigurera toute chose : les montagnes neigeuses, le brin d’herbe, les ruisseaux et les champs, un oiseau, la rue grouillante… tout vous semblera rempli de sa présence, une présence qui, en même temps, oblitèrera ce « Moi » si vivace et si encombrant.

Les prédicateurs ont sans doute raison de prêcher avec insistance la mort à soi-même, le renoncement au monde, la crucifixion du moi… Souvent sans grand succès. La plupart des auditeurs, qui ne comprennent pas toujours de quoi il s’agit, ne cherchent guère à approfondir ce message important. Et puis, savent-ils par où commencer ? Certains, les plus sérieux peut-être, s’engagent mais tombent très vite dans un légalisme étroit parce qu’ils n’empruntent pas le bon chemin. Décidés à mater le moi, ils s’imposent austérités et mortifications qui ne changent rien. Leur religion est triste. Négatifs, ils deviennent critiques, distants, sermonneurs. Ils s’évertuent à chasser l’orgueil sans pour autant s’épanouir. Inconsciemment sans doute, ils attachent une idée de mérite à leurs tentatives répétées d’évacuer la « chair », ce qui ne manque pas d’irriter le Dieu de la grâce. Le Moi qu’on s’emploie à éliminer rebondit toujours comme un bouchon lâché dans l’eau. Plus on veut « comprimer » le Moi et plus il se montre. Mettez-le au pilori et le voilà sur le trône. Il est si tortueux qu’il réussit même à tirer orgueil des assauts qu’il subit lorsqu’on tente de le déloger. A preuve, le récit suivant :

Prenant à la lettre une parole de Jésus (Luc 14.10), un croyant, déterminé à devenir humble pour plaire à son Dieu, va s’installer à la dernière place, tout au bout de la table, lors d’un grand festin réunissant de nombreux invités. A peine assis dans son coin mal éclairé, il se félicite d’avoir choisi le siège dont personne ne veut : « Je l’avais deviné, je suis le seul à m’être installé au fond de la salle. C’est pitoyable ! Tous ces gens en grande tenue veulent plastronner aux places d’honneur ! L’orgueil les tient ! Heureusement que je ne suis plus de cette espèce ! Dieu soit béni. » Et tandis que notre bonhomme admire son humilité… le diable en rajoute, lui susurrant : « Bravo ! Pour l’humilité il n’y en a pas deux comme toi dans cette salle ! Tu es le champion de l’humilité ; les autres sont loin derrière ! Tu es merveilleux chrétien et tu peux être fier de ton humilité ! »

Comme c’est vrai ! Le péché prend vie lorsque nous nous efforçons d’obéir au commandement divin (Romains 7.9). Plus nous nous appliquons à devenir humble et plus l’orgueil nous envahit. Tout nous est bon pour nous rengorger et chez nous, la vanité se faufile partout, habile comme une anguille dans l’eau, entre joncs et rochers. Nous sommes fiers. fiers de notre piété, fiers de notre zèle et de nos talents, fiers d’exercer la charité, fiers d’appartenir à une église conquérante. Nous tirons gloire de tout, de notre témoignage, de nos prédications, de nos expériences, des bontés de Dieu, de nos actes de foi, de notre fidélité à assister aux réunions… ! Quand nous faisons un pas vers Jésus et lui ouvrons la porte, nous nous glorifions de cette initiative, alors qu’il est à l’origine de notre démarche. N’est-ce pas lui qui a frappé à notre porte inlassablement pour que nous le laissions – enfin ! – entrer (Apocalypse 3.14) ? Et parce que nous sommes soucieux de rehausser l’éclat de notre petite personne, nous poursuivons des chimères qui nous essoufflent et cherchons à satisfaire d’inutiles ambitions qui nous éloignent de Dieu. Le moindre échec, la plus infime critique, la désapprobation la plus anodine se paient par des heures de tourment qui paralysent notre marche.

Les prédicateurs ne feraient-ils pas fausse route en citant comme un modèle à suivre la parole de Jean-Baptiste : « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jean 3.30) ? Diminuer… ? Allons donc ! En tous cas ce n’est pas l’opinion de Paul, encore moins celle de Jésus. L’apôtre ne conseille pas de « diminuer » mais de « mourir ». De son côté, le Fils de l’homme recommande solennellement à chacun de ses disciples de « perdre sa vie » (donc de mourir), de « porter sa croix » (la croix étant signe de mort). Donc : PLUS moi. Il ne s’agit nullement de laisser de moins en moins de prérogatives au Moi, de se montrer de moins en moins orgueilleux, de moins en moins présent, de moins en moins menteur, de moins en moins voleur ou sensuel…

On sait que Jean-Baptiste avait été envoyé devant le Messie (et non à côté) pour l’annoncer et lui ouvrir le chemin, d’où son titre de précurseur. Il était d’ailleurs conscient de sa mission, lui qui déclarait : « J’ai été envoyé devant lui » (Jean 3.28). Dans la pensée de Dieu, son activité devait cesser quand débuterait celle de Jésus, c’est-à-dire au moment où il désigna le Christ à ses disciples : « Voilà l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jean 1.29). Et parce qu’il continua de baptiser et de prêcher, le ministère de Jean se révéla avantageusement concurrencé par celui de Jésus dont le succès allait grandissant. Les disciples du baptiste, au lieu de rejoindre le Christ, en éprouvèrent du dépit et de la jalousie, ce qui entraîna d’inévitables difficultés (Jean 3.26). L’intervention brutale d’Hérode qui incarcéra et fit périr le prophète, mit fin à cette apparente compétition.

Oui, PLUS moi. Toute la place revient au Seigneur. Ma part est de le vouloir fermement, de dénoncer sans pitié l’orgueil qui se cache dans mes pensées ou mon comportement, et surtout de me « regarder comme mort avec Christ » en m’approchant de lui dans un joyeux abandon. Toutefois, lui seul peut m’amener à renoncer à moi-même pour que je sois tout à lui car le Moi ne connaît pas l’humilité. Jamais il ne sera humble et cédera sa place au Seigneur. Et s’il y a de l’humilité en moi ce sera celle de Jésus, non la mienne.

En dernière analyse, l’humilité, qu’est-elle ? Ou d’abord, que n’est-elle pas ?

Quelqu’un a dit : « L’orgueil, c’est le mouvement par lequel l’homme fait de son Moi un Dieu. L’humilité place Dieu au centre et maintient le moi crucifié au Calvaire. »

Ah ! si nous pouvions être délivrés de ce Moi envahissant qui occupe trop souvent l’avant-scène de la vie des hommes ! Alors la critique ne nous atteindrait pas ; nous ne ferions pas de ces complexes qui nous éloignent des autres, nous rendent soupçonneux ou nous incitent au mensonge. Nous n’aurions pas pour moteur de stupides ambitions dont la poursuite rageuse nous épuise, ni de folles susceptibilités qui nous rendent mesquins et insupportables. L’homme humble est tellement conscient qu’en lui rien n’est bon (Romains 7.19) que sa seule ressource est de tout attendre de son Seigneur, de ne dépendre que de lui.

C’est pour cette raison que l’apôtre me recommande :

  1. De me dépouiller de tout orgueil (Colossiens 3.5). De le dénoncer en refusant de céder à la vanité chaque fois que je la discerne. Avec détermination.
  2. Il me recommande d’autre part de « revêtir l’humilité » (Colossiens 3.12 ; 1 Pierre 5.5). Comment cela… ? En allant à Celui qui dit inlassablement : « Venez à moi » (Jean 7.37) afin de…
  3. … se revêtir de « Jésus mon humilité ». Celui qui fut par essence « doux et humble de cœur » a le pouvoir de me communiquer l’une et l’autre de ces vertus. Se revêtir de lui c’est s’abandonner à lui avec confiance, pleinement assuré qu’il fera en moi ce qui lui est agréable (Hébreux 13.21).

« Grâces soient rendues à Dieu qui nous fait toujours triompher en Christ » (ou « qui triomphe toujours de nous » — 2 Corinthiens 2.14).

« L’humilité de l’âme éblouie par la contemplation de Dieu, remarque T. Kelly, ne dure qu’autant que l’âme continue à regarder le soleil de justice. Nos progrès en humilité sont fonction de nos progrès dans l’habitude de garder le regard fixé sur Dieu. Et nul n’est près de Dieu qui n’est extrêmement humble. » Que Dieu soit présent et le Moi ne pourra tenir devant lui. Approchons-nous donc de notre Seigneur. Cherchons sa face. Tenons-nous dans sa présence et Dieu opèrera son œuvre.

Questions :

  1. Avez-vous vraiment compris que l’orgueil attriste le Seigneur et empoisonne votre vie de chrétien ? Vous arrive-t-il de céder souvent à la vanité ? Dans quels domaines êtes-vous préoccupé de briller ? Soyez ouvert au Saint-Esprit qui vous révèlera éventuellement ce qui l’attriste.
  2. Êtes-vous déterminé à repousser toute velléité de paraître et à vous réfugier dans le Seigneur qui pardonne et délivre ?
  3. Croyez-vous que le Christ peut prendre la place du Moi et vous rendre capable d’humilité ? A sa seule gloire ?

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