L’apologétique externe est celle qui, pour établir l’autorité divine de la doctrine chrétienne, en appelle au caractère extraordinaire, prodigieux et surnaturel soit des faits qui ont signalé cette doctrine à l’attention des hommes, ou des effets qui ont suivi son apparition, ou enfin des documents qui l’ont transmise à la postérité.
Comme, en effet, la doctrine, à laquelle était réduite l’essence du christianisme par ses propres défenseurs, n’eût pas suffi à elle seule à s’accréditer comme divine, c’était aux prodiges dont on la disait escortée et suivie à attester son origine divine aux contemporains et à la postérité ; et la preuve de la réalité de ces prodiges eux-mêmes, exigée par tous ceux qui n’en avaient pas été les témoins immédiats, était demandée aux caractères des documents, destinés à prêter à leur contenu l’autorité surnaturelle et divine dont ils étaient réputés revêtus.
L’histoire évangélique tout entière fut donc accaparée par l’apologétique ; les faits les plus importants et les plus constitutifs de l’œuvre de la rédemption, dépouillés de leur efficacité propre, paraissaient n’être issus que d’une intention démonstrative, et chacun n’apparaissait sur la scène que pour être aussitôt rapporté à un autre, soit passé pour le confirmer, soit futur pour en établir d’avance la crédibilité. Les arguments traditionnels semblaient avoir passé un contrat d’assurance mutuelle, les forts portant les faibles, les faibles aidant aux forts, et la doctrine chrétienne s’avançait dans le monde toute chargée de preuves et d’appuis, succombant sous le faix de tant d’évidences empruntées, et figurant un édifice étançonné de tant de façons qu’il fait attendre à tous les passants sa ruine prochaine.
« L’Evangile, dit Abbadie, n’est qu’un tissu de circonstances miraculeuses ; ce n’est qu’un catalogue de malades guéris, d’aveugles illuminés, de morts ressuscités ; et la première impression que cet Evangile fait dans l’esprit est que Jésus-Christ, dans l’espace de trois ans et demi qu’a duré son ministère, a fait plus de miracles et de plus éclatants qu’on n’en avait vu depuis la naissance du monde ; de sorte que croire l’Evangile, c’est croire qu’il a fait ces miracles tant
de fois répétés, si circonstanciés, si liés avec les autres accidents de sa viea. »
a – De la vérité de la Religion chrétienne.
« Il y a trois choses à considérer dans l’histoire de la vie de Jésus-Christ, a écrit à son tour Ostervald ; savoir la doctrine de Jésus-Christ, ses miracles et la sainteté de sa vie. Il a prêché une doctrine toute sainte, qui tend uniquement à la gloire de Dieu et au bonheur de l’homme. Il a fait un grand nombre de miracles, où l’on voit briller une puissance et une bonté infinies ; et par ces miracles, il a fait voir qu’il était le Fils de Dieu, et que sa doctrine était véritable. Sa vie a été parfaitement sainte. On y trouve l’exemple de toutes sortes de vertus, et particulièrement d’une charité et d’une humilité admirables, d’un zèle extraordinaire et d’un entier détachement du mondeb. »
b – Catéchisme. Abrégé de l’Histoire sainte, chap. VII.
On remarquera la distinction faite entre les miracles et la sainteté de Jésus-Christ, comme si les uns ne faisaient pas partie intégrante de l’autre. C’est que les miracles devaient jouer ici le rôle de succédanés de la doctrine ; et l’objet essentiel de cette doctrine de Christ elle-même n’était pas sa propre personne et sa propre œuvre.
Dans le chapitre de la Résurrection de Christ, ce fait central du christianisme figure comme fondement de nos certitudes plutôt que de notre rédemption elle-même.
A la question : Quels fruits recevons-nous de cette résurrection ? Il est répondu : « Elle nous assure que Jésus-Christ a expié nos péchés et que sa mort a été agréable à Dieu. Et elle nous est un gage que nous ressusciterons au dernier jour. »
Dans la polémique engagée il y a trente ans entre MM. Jalaguier et Secrétan, et que nous avons mentionnée plus haut, le premier de ces deux controversistes, représentant de la méthode externe ou historique, en trace le programme en ces termes : « Cette méthode constate d’abord l’authenticité des livres saints, d’où suit leur crédibilité, par conséquent la certitude des faits qu’ils attestent ; et de la nature des faits elle conclut la céleste origine du christianisme, remontant de l’intervention divine démontrée à l’intervention divine, objet de la foi et fondement du salut, mais indémontrable en elle-mêmec. »
c – Supplément théologique, 1861, pape 250.
Le rôle assigné au caractère miraculeux des faits dans la méthode ainsi définie est justifié plus longuement par l’auteur dans un autre endroit en ces termes : Peu importe que le miracle sur lequel on place l’onus probandi soit moral ou physique, ou intellectuel ; qu’il soit pris dans le contenu doctrinal et vital de l’Evangile ou dans la rénovation spirituelle qu’il opère ou dans les faits qui ont accompagné sa promulgation ou dans les oracles qui l’avaient annoncé, c’est toujours le miracle, miracle historique, appréciable et démontrable par les procédés de la critique ordinaire : c’est une intervention immédiate de Dieu, constatée comme fait et en garantissant une autre qui ne peut se constater ainsi : c’est une manifestation divine certifiée et certifiant la révélation divine. »
« Que nous sommes loin, s’écriait il y a quarante ans M. Astié, en prenant pour modèle de véritable apologétique le discours de saint Paul à Athènes, que nous sommes loin de notre apologétique ordinaire, aussi lourde, indigeste et embarrassée qu’érudite ; de cette apologétique habituée à compter les preuves plus qu’à les peser, qui entasse sans cesse Pélion sur Ossa et se traîne boiteuse à travers les siècles, depuis la porte du Paradis terrestre jusqu’à l’étable de Bethléem, où elle arrive épuiséed. »
d – Revue chrétienne. 1re année. 1854. L’apologie récusée par le Vicaire savoyard et l’apologie irrécusable de Pascal, page 107.
L’erreur fondamentale de la méthode dite externe, qui argue des miracles accomplis par Jésus-Christ en faveur de la divinité de son enseignement, étant d’avoir déplacé le pivot de l’argumentation en faisant passer l’essence de la religion chrétienne du fait à la doctrine, tous les raisonnements rattachés à cette première donnée étaient faussés d’avance.
Mais cette donnée même étant supposée admise, nous disons que la méthode qui part de l’élément prodigieux de la révélation chrétienne pour en établir l’origine divine, se condamnait dès le début à résoudre la question par la question.
Ou bien, en effet, la réalité historique des miracles, dont l’évidence ne devait toucher que leurs témoins oculaires, était, à une si grande distance des temps et des lieux, présupposée dans l’esprit de ceux que l’on prétendait convaincre ; et dès lors tous les arguments bibliques invoqués sous l’empire de cette présupposition illicite, étaient frappés de caducité ; ou bien, si l’on se mettait en devoir de faire la preuve historique des miracles, et de donner ainsi à l’apologétique sa base indispensable, faute d’une marche régressive remontant du connu à l’inconnu, du christianisme contemporain au christianisme originel, on ne savait que créer des cercles vicieux où les faits contestés recevaient leur vérification les uns des autres.
Le plus fréquent de ces arguments que nous pourrions appeler circulaires, consistait à établir l’historicité des miracles racontés dans l’Evangile sur la crédibilité, et celle-ci à son tour sur la canonicité des livres du N. T., dont l’authenticité était en même temps tacitement supposée.
Nous avons exposé précédemment les graves périls que présente cette marche, en donnant les raisons qui nous ont déterminé à placer dans notre Encyclopédie la canonique à la suite de l’apologétique et non avant elle.
Qui ne voit d’ailleurs que, dans le meilleur cas possible, celui où les questions d’authenticité et de canonicité des documents bibliques seraient résolues à la satisfaction de l’apologète, la cause principale de la défense du christianisme, qui apparemment n’a pas de temps à perdre ni le droit d’attendre, ne pourrait que souffrir à être si fréquemment reculée par des questions incidentes. S’il faut que l’histoire des religions et la critique sacrée aient livré leurs secrets pour que l’apologétique ait la permission de commencer son enquête, il est à craindre que le résultat n’en soit ou tardif ou indéfiniment ajourné.
Aussi l’adversaire de toute révélation positive restait-il le maître du terrain en face de l’apologétique du temps, lorsqu’il écrivait par la plume de Rousseau :
« Dieu a parlé, voilà certes un grand mot. Et à qui a-t-il parlé ? Il a parlé aux hommes. Pourquoi donc n’en ai-je rien entendu ? Il a chargé d’autres hommes de vous rendre sa parole. J’entends : ce sont des hommes qui vont me dire ce que Dieu a dit. J’aimerais mieux avoir entendu Dieu lui-même ; il ne lui en aurait pas coûté davantage, et j’aurais été à l’abri de la séduction. Il vous en garantit en vous manifestant la mission de ses envoyés. Comment cela ? Par des prodiges. Et où sont ces prodiges ? Dans les livres. Et qui a fait ces livres ? Des hommes. Et qui a vu ces prodiges ? Des hommes qui les attestent. Quoi ! toujours des témoignages humains ! toujours des hommes qui me rapportent ce que d’autres hommes ont rapporté ! Que d’hommes entre Dieu et moie ! »
e – Emile, Livre IV ; Profession de foi du Vicaire savoyard.
L’objection est très forte lorsque tout le faix de la preuve porte sur les prodiges particuliers qui ont dû attester comme tels et pour tous les siècles la vérité et la divinité de la doctrine chrétienne.
Si la prophétie à son tour n’est conçue que comme un oracle annonçant à plusieurs siècles d’intervalle un événement particulier et concret qui s’est effectué dans le premier siècle de notre ère ; si la prophétie de l’Ancienne alliance, détachée des circonstances et du milieu historique qui lui ont donné naissance, n’est plus que l’annonce d’un événement futur très propre à figurer comme pièce de conviction dans un système d’apologétique, et que l’accomplissement ne soit que la coïncidence plus ou moins curieuse de cet événement avec cet oracle antérieur, l’objection du même auteur à l’argument tiré de la prophétie nous paraîtra tout aussi sérieuse : « Pour que la prophétie pût faire effet sur moi, il faudrait trois choses dont le concours est impossible : savoir que j’eusse été témoin de la prophétie, que je fusse témoin de l’événement, et qu’il me fût démontré que cet événement n’a pu cadrer fortuitement avec la prophétie ; » ou encore, il faudrait être certain que, comme le disait Strauss, les récits évangéliques ne sont pas procédés précisément du besoin de vérifier d’anciens oracles restés en suspens.
Nous donnons donc raison à M. Secrétan lorsque, dans sa polémique avec M. Jalaguier, il écrivait les lignes suivantes :
« Il s’agit de l’apologétique, qui a pour objet de constater positivement la réalité du fait chrétien et, comme le dit mon honorable critique, « de légitimer le christianisme à l’intelligence par l’intelligence. » Il s’agit de l’apologie au XIXe siècle, d’une apologie efficace, et non d’une apologie abstraite et conventionnelle. Le but à atteindre n’est pas de disposer dans un ordre parfaitement net les opinions d’un esprit déjà convaincu, mais de surmonter les résistances de l’incrédulité contemporaine, telle que nous la connaissons. Il ne suffit donc pas d’établir un lien logique solide entre les prophéties, les miracles et l’autorité de la Parole écrite ; il faut au préalable démontrer non moins solidement l’accomplissement des prophéties, la réalité des miracles. Il les faut démontrer non pas de manière à satisfaire l’intelligence méthodique du théologien croyant, mais de manière à lever les objections de ceux qui ne croient point. Accordons qu’à son apparition l’Evangile avait besoin des miracles, et qu’en fait les miracles ont été une puissante démonstration du christianisme pour ceux qui les ont vus eux-mêmes ou qui vivaient au milieu des témoins oculaires de ces événements surnaturels. Mais en est-il de même de nos contemporains qui en lisent le récit dans nos saints livres ? Il s’agit précisément de savoir si ces récits sont réels, s’ils ont été inventés à dessein ou s’ils sont l’expression d’une crédulité naïve. On veut asseoir l’Evangile sur la réalité des miracles qui ne peut être admise que sur la foi de l’Evangile ; n’est-ce pas un cercle vicieux ? »
Evidemment cette façon d’accumuler de petites preuves, d’échafauder des arguments incidentels les uns sur les autres, devait exposer l’ensemble de l’édifice aux chances funestes d’un seul vice ou d’une seule lacune. La conviction à peine formée devait en grande partie se dissiper au cours de tant de circuits, et le lecteur, bénévole d’ailleurs, mais simple et indifférent de sa nature, confessait volontiers que de ce long enchaînement de raisons, il avait laissé échapper le commencement et n’avait pas saisi la fin.
Supposé que tous les prodiges qui ont dû accréditer la doctrine chrétienne fussent historiquement établis, nous disons, en second lieu, que la divinité de cette doctrine n’en ressortirait pas pour cela. Il y a, selon l’Ecriture elle-même, deux ordres de surnaturel : le surnaturel d’en haut et le surnaturel d’en bas ; il y a des miracles de vérité et des miracles de mensonge ; il y a les prodiges divins et les prodiges diaboliques, ce qui est déjà supposé dans la scène racontée : Exode 7.8-25, et positivement annoncé pour les derniers temps (Matthieu 24.24 ; 2 Thessaloniciens 2.9 ; Apocalypse 13.13). Nous avouons n’être pas absolument sceptique à l’égard des arts occultes qui ont fleuri en tout pays et depuis les premiers âges connus, comme cela résulte de la parole de Moïse à son peuple (Deutéronome 13.1-3 ; 18.10-11). Il faut donc apprécier le prodige menteur d’après la doctrine qui l’accompagne, pour pouvoir discerner quelle en est la véritable origine (Deutéronome 13. 13.2). Mais si c’est la doctrine qui, dans certains cas, doit caractériser le prodige, ce n’est donc pas à celui-ci à accréditer celle-là.
Mettons même que les prodiges qui attestent et doivent attester la vérité soient plus éclatants que ceux qui accompagnent et accréditent l’erreur, et que ce soit là le seul critère qui leur soit propre, ce ne sera plus qu’une différence quantitative, qui paraîtra indigne de Dieu et de ses œuvres, à supposer même qu’il fût toujours possible d’évaluer cette différence. J’accorde que la verge d’Aron a englouti celle des magiciens ; mais ce fut déjà trop pour la foi de Pharaon que de voir changer devant lui un bâton en serpent, même mangeable et mangé.
« En ce qui concerne les miracles, a écrit Schleiermacher, à prendre le mot au sens plus étroit de phénomènes dans le domaine de la nature corporelle, mais censés produits d’une manière surnaturelle, nous ne pouvons les reconnaître comme tels, soit qu’il s’agisse de ceux que Jésus lui-même a opérés ou de ceux qui ont été opérés en son nom ; car, d’une part, nous ne connaissons ces miracles que par les mêmes Ecritures qui nous racontent des miracles semblables de la part de ceux qui se rangent plutôt parmi les ennemis de la religion, sans nous donner des critères distinctifs des miracles probants et non-probants. Mais aussi l’Ecriture elle-même atteste et que la foi a été produite même sans miracles, et que les miracles ne l’ont pas produite ; d’où il faut conclure que là où elle se rattache aux miracles, elle n’a pourtant pas été produite par eux, mais d’une façon originelle. Si donc les miracles avaient eu pour but de produire la foi, Dieu aurait interrompu l’ordre de sa nature en pure perte…f »
f – Christl. Glaube, sect. XIV, pages 92 et sq.
Concédant même un peu plus loin la valeur apologétique que certains miracles de Jésus-Christ ont pu avoir pour leurs témoins immédiats, notre auteur ne laisse pas de poser en fait que cette valeur est nulle pour nous, les après-venants, et nous l’accorderons dès que l’impossibilité d’en établir la réalité historique aura été définitivement constatée.
« Si déjà alors la reconnaissance dont Christ était l’objet, a pu dans certains cas être occasionnée ou confirmée par les miracles, mais sans jamais être fondée sur eux, ils doivent être pour nous, à l’égard de notre foi, absolument inutiles. Car ce n’est que grâce à la vision immédiate que les miracles peuvent servir à diriger le besoin spirituel sur un objet déterminé, ou, si cette direction est déjà prise, fortifier cette relation d’une façon extérieure. »
Comme les Jésuites, sans contester le miracle de la Sainte-Epine, prétendaient que c’était par la doctrine qu’il fallait juger le fait, Pascal fut amené, dans un langage, il est vrai, très elliptique, à soutenir tout à la fois que, selon la différence des temps, « les miracles discernent la doctrine et que la doctrine discerne les miracles ».
M. Havet a expliqué comme suit la pensée de Pascal sur ce point : « Ceux qui disent hautement qu’ils ne sont pas pour Jésus-Christ, Dieu peut les laisser faire des miracles, car ils ne séduiront pas pour cela les vrais fidèles, l’impiété de leur doctrine étant plus claire pour détourner d’eux un chrétien que l’autorité de leurs miracles pour le gagner. Mais ceux dont la doctrine, quoique mauvaise au fond, est équivoque, s’ils faisaient des miracles, tromperaient les fidèles ; car l’autorité de leurs miracles serait chose plus claire que la perversité de leurs doctrines. Dieu ne permettra donc pas qu’ils en fassent. Si donc il s’en fait chez les Jansénistes, c’est qu’on a tort de les tenir pour suspects, et qu’ils sont vraiment pour Jésus-Christ. »
Il restait à l’adversaire la ressource de prétendre que l’erreur janséniste était assez manifeste pour faire juger le miracle qui l’avait accompagnée.
Si c’est aux seuls prodiges qui ont accompagné la doctrine à en fournir la démonstration, nous sommes en droit de nous demander comment il se fait que tous les témoins de ces prodiges n’aient pas été convertis ni convaincus (Jean 6.30) ; comment ils pouvaient raisonnablement demander de nouveaux signes plus éclatants que les précédents (Matthieu 12.38 ; 16.1), et pourquoi ces signes sont refusés à l’incrédulité (cf. Jean 6.26-27 ; surtout Matthieu 13.58). Pourquoi même Jésus-Christ défend-il de publier les miracles qu’il a opérés (Marc 1.44) ? attachant si peu au prodige en soi une valeur apologétique définitive que, selon lui, le plus éclatant de tous, la résurrection d’un mort, n’eût pas suffi à convaincre ses contemporains (Luc 16.31).
Nous n’attachons pas non plus une valeur décisive à la conclusion tirée des effets extraordinaires de la religion chrétienne dans le monde, qui nous paraîtrait émaner de la théorie du succès ; et nous disons que l’absence de tout succès de cette religion ne devrait pas plus nous empêcher de reconnaître son origine divine, si celle-ci était réelle, que la réalité de ses effets n’établit nécessairement cette origine, puisque cette efficacité est commune à elle et à d’autres manifestations religieuses opposées à elle et les unes aux autres. A ce compte-là, le protestantisme aurait tort contre le catholicisme, et le christianisme lui-même contre le paganisme. On dira sans doute que les succès de l’évangile ont été obtenus par de tout autres moyens que ceux des autres religions ; qu’ils ont été remportés sur les penchants naturels de l’homme, qu’ils sont dus aux causes même qui devaient lui nuire et qui auraient arrêté la marche de toute autre religion. Mais prenons y garde : ni l’histoire des missions chrétiennes à partir du moment où l’Eglise cessa d’être persécutée ne fut immaculée, ni la propagation de toute autre croyance, du mahométisme, par exemple, n’a été exclusivement le fait de la violence ou de la fraude ; et à ne prendre en considération que la rapidité et même la moralité des succès des deux religions rivales, l’adversaire à convaincre sera autorisé à ne retenir entre elles qu’une différence de degré.
Une réaction, déjà indiquée dans notre Résumé historique, que nous jugeons, comme toutes les réactions, excessive sur plusieurs points, et que nous montrerons telle, bien qu’elle se réclame, quelque peu abusivement, selon nous, de Pascal et de Vinet, a compté parmi ses principaux champions de langue française, MM. de Pressensé, Charles Secrétang et Astié. C’est la méthode désignée sous le nom d’apologétique interne.
g – Nous nommons ici de nouveau M. Secrétan. dont il serait il serait injuste de résumer le point de vue dans la question qui nous occupe, celle de l’autorité, dans la citation que nous avons faite. A diverses reprises, soit dans ses deux ouvrages : Recherches de la méthode, et : De la raison et du christianisme, ainsi que dans ses articles polémiques précités, il a déclaré sa foi à une autorité religieuse et morale limitant celle de la conscience individuelle. Où tracer cette limite ? c’est ce que nous allons lui demander.