Christ est ma vie, et la mort m'est un gain. Saint Paul.
L'Église à laquelle était attaché le coeur du Sadhou n'était point une institution visible. – J'appartiens au corps de Christ, disait-il, qui est la véritable Église formée de tous les chrétiens sauvés par Jésus-Christ, ceux qui vivent ici-bas et ceux qui, entrés dans le monde de la lumière, font partie de l'Église triomphante.
Par le baptême, Sundar était membre de l'Église anglicane des Indes, et a toujours exprimé son respect pour les hommes qui en portaient les responsabilités. Il reconnaissait son autorité en envoyant aux missionnaires, pour les faire baptiser, ceux qui se convertissaient par son moyen.
Bien qu'il fût lui-même indépendant de toute autorité extérieure établie dans l'Église, il en reconnaissait, pour la majorité des hommes, la valeur pédagogique.
Obéissant au commandement du Christ, il participait, lorsqu'il en avait l'occasion, au sacrement de la sainte Cène, et cela dans toutes les églises chrétiennes, à l'exception de l'Église catholique romaine. Il en éprouvait bénédiction et puissance, mais ne croyait pas à la présence réelle du Christ dans le sacrement, selon la doctrine catholique ou luthérienne. – Je ne crois pas que le pain et le vin deviennent réellement le corps et le sang de Christ ; mais leur effet sur le croyant est aussi puissant que s'il en était ainsi. Il n'y a rien de spécial dans le pain et le vin : l'eucharistie, comme moyen de grâce, dépend de notre foi.
Le Sadhou vivait dans la pensée de l'unité chrétienne, mais d'une unité essentiellement intérieure et fondée en Christ. Il ne croyait pas à une fédération extérieure des différentes Églises, ni à l'union des catholiques et des protestants. – Quand vous mélangez deux couleurs, vous en obtenez une troisième ; de même ici vous verriez surgir de nouvelles sectes. Seulement ceux qui sont unis en Christ seront « un » dans le ciel.
La faute n'en est pas au Sadhou, mais bien aux dénominations chrétiennes, s'il n'a pu saisir la pleine signification de l'Église. Sans aucun doute, sa position ecclésiastique a été voulue de Dieu. Ainsi que l'écrit le professeur Heiler, le fait que Sundar Singh, cet apôtre au coeur large, humble, aimant, n'a pu se rattacher sans réserve à une Église chrétienne, montre plus clairement que quoi que ce soit, combien grand est le besoin du christianisme actuel.
Ce qui est réconfortant, c'est qu'un disciple du Christ, comme le Sadhou, ait pu parler librement dans n'importe quelle église et que son message ait été bien accueilli de tous. Parce qu'il n'appartenait à aucune association chrétienne, il n'y avait point pour lui de barrières ecclésiastiques. – Dans toutes les communautés où Christ est aimé, je me sens au milieu de mes frères. En Christ tous les chrétiens sont un et parlent la même langue. Il n'y à qu'un seul Dieu : alors pourquoi tant d'Églises et tant de divisions ?
Le Sadhou n'a jamais cherché à susciter un mouvement de ceux qui ont été amenés à la foi par sa prédication. Quatre cents jeunes gens lui ont demandé de devenir ses disciples, il ne l'a point voulu. Je suis un disciple moi-même, comment pourrai-je faire des autres mes disciples ?
Il disait à ceux qui désiraient le suivre : – Avant de vous lancer dans cette carrière qui ressemble au vaste océan agité par les vagues, apprenez à nager dans votre étang. Il y a autour de vous une quantité d'âmes qui périssent ; commencez par sauver celles-là.
– Si je n'aime pas les organisations, j'aime l'ordre. Dieu est un Dieu d'ordre. Il y a une grande différence entre l'ordre et l'organisation qui n'est souvent qu'un mécanisme rigide.
– Vous faites un programme pour Dieu afin de lui montrer comment il doit conduire les affaires du monde et de l'Église ! Je n'appartiens à aucune société missionnaire, et ne dépends d'aucun comité. Il se peut que les gens me trouvent peu pratique ; mais partout où j'ai été, Dieu m'a accordé des bénédictions, et cela sans nulle organisation. J'ai vu de magnifiques résultats, de nombreuses conversions, faites non par moi, mais par le Saint-Esprit. C'est Dieu qui convertit les âmes. Des milliers voudraient que je les baptise, mais je n'ai pas été appelé à cela, ni à créer un groupement : C'est à d'autres à le faire, car il y a des organisations qui sont inspirées par Dieu. Pour moi, mon travail est de prêcher l'Évangile et de rendre mon témoignage.
Il avait cependant formé une petite assemblée de chrétiens tibétains. Ceux-ci étaient pour lui le sujet d'une grande reconnaissance, car bien que très isolés et sans personne pour les guider, ils demeuraient fidèles. Sundar espérait que l'un d'eux pourrait venir aux Indes et y être instruit afin d'enseigner ensuite son propre peuple.
– Avec Sundar Singh commence une nouvelle école de mission aux Indes, dit le Docteur Five, missionnaire presbytérien. Le Sadhou a exercé sur les chrétiens et les non chrétiens, sur jeunes et vieux, une influence qui n'a jamais été dépassée. Il occupe une place unique dans le nord de l'Inde. Il n'y a qu'un Sundar Singh. Dans toute l'histoire des missions, peu d'hommes ont eu une aussi grande sphère d'activité. Sa prédication a atteint aussi bien les chrétiens d'Occident que les hindous et les bouddhistes. Sa personnalité et son message ont révélé les erreurs et la superficialité si évidente de la chrétienté. Il a rappelé le fait central du christianisme : un appel à la conscience à revenir au Christ lui-même, « la seule chose nécessaire ».
Le christianisme de l'Occident s'est constamment égaré dans les choses extérieures, les formules dogmatiques, les organisations ecclésiastiques, l'importance exagérée donnée à la culture intellectuelle. Mais l'époque actuelle n'est pas riche en saints. Il y a des théologiens capables et instruits, des hommes d'église avisés, des réformateurs sociaux, mais il y a très peu d'hommes de Dieu pour lesquels Christ est tout et qui puissent montrer aux chrétiens le chemin de la communion avec Dieu.
– Les gens en Europe, dit le Sadhou, sont si savants en science et en philosophie, mais si ignorants des réalités divines, qu'ils sont anxieux d'explorer toutes les régions de la connaissance, sauf celle qui concerne leur condition spirituelle. Ils sont avides de savoir quand il y aura une éclipse de soleil ou de lune, ou ce qui en est des taches du soleil ; ils essaient de sonder la profondeur des nuages, mais ne s'inquiètent guère des nuages du péché dans leur vie.
Bien des théologiens ont abandonné une vie de prière et de méditation et cherchent à couvrir la nudité de leur christianisme par les feuilles de figuier de leur science théologique.
Si le Sadhou a été si sévère à l'égard de la théologie, c'est qu'il est venu en Europe dans les années où la négation de la divinité de Jésus-Christ et la critique biblique étaient très répandues. Depuis lors, nous assistons à une évolution de l'enseignement théologique qui devient plus positif et plus biblique. Le Sadhou avait du reste prédit le déclin de cette grave erreur. – C'est comme une épidémie d'influenza qui passera, dit-il, mais non sans avoir fait beaucoup de victimes.
Aux professeurs de théologie, il donne le conseil d'abandonner pendant quinze jours leurs travaux et d'aller, avec leurs étudiants, évangéliser les contrées environnantes.
– Aux Indes, un jour que je causais avec un ami, chimiste distingué, il prit un bol de lait et en fit l'analyse, indiquant les quantités d'eau, de sucre et d'autres matières contenues dans le liquide. Je lui dis : Un enfant est incapable d'analyser le lait, mais son expérience lui enseigne qu'il est bon et qu'il fortifie. Il ne saurait expliquer comment, mais il le sait. L'enfant est plus sage que le chimiste. Il en est ainsi des gens qui analysent perpétuellement leur lait et ne le boivent jamais...
De nos jours nombreux sont ceux qui savent qui est Jésus-Christ, parlent de lui, et en ont une connaissance intellectuelle ; mais il en est peu pouvant dire : « je sais en qui j'ai cru ; je le connais, car il habite en moi. »
Un candidat en théologie d'Oxford, profondément impressionné par les discours du Sadhou, trouva inutile d'acquérir la connaissance intellectuelle. « Dès que j'aurai passé mon premier examen, dit-il, je partirai comme missionnaire, sans étudier la théologie. » – Sundar, mis au courant de cet incident, répondit : – Ce n'est pas là ce que j'ai voulu dire : les ecclésiastiques doivent étudier, mais le savoir sans la vie est comme un ossement desséché. Je ne suis pas en principe opposé à la science, mais proteste avec force contre la tendance actuelle qui en exagère la valeur. Le langage de la Bible est spirituel ; pour le comprendre, maître et élève doivent être enseignés par le Saint-Esprit.
– Certains prédicateurs ont été établis par l'Église et non par le Saint-Esprit. Seuls ces derniers gagnent des âmes. Il ne suffit pas d'être membre d'une Église, il faut être un membre de Christ. John Wesley et le général Booth, en opposition avec l'Église, suivirent les ordres de Dieu et il se trouva qu'ils eurent raison.
Le Sadhou, a déclaré un pasteur suisse, a bien diagnostiqué notre maladie : « Vous êtes dans une trop grande hâte, vous n'avez pas le temps de prier et de vivre. » A un autre pasteur, qui lui demandait ce qu'il fallait pour que son travail fût efficace, Sundar répondit simplement : « Plus de prière. » – Dans ce domaine, dit l'évêque Soederblom, le Sadhou a pour nous un message qui vient, non des Indes, mais de l'Évangile : « L'activité de plus en plus grande des chrétiens d'Europe ne peut compenser la faiblesse de la vie intérieure. »
– Le Sadhou est plus digne que nous tous qui avons étudié la théologie, dit encore un pasteur. Nous pécherions contre la vérité si nous refusions de l'admettre. Quand un théologien commence à approfondir une vie si richement douée de la grâce de Dieu, sa conscience est étrangement bouleversée.
Un autre ecclésiastique suisse parle ainsi de sa rencontre avec le Sadhou : – Quand je le vis devant moi et l'entendis parler de sa vie spirituelle – tandis que j'étais entouré de savants théologiens – la question se posa à mon esprit : Quel but visons-nous par nos études ? Pourquoi devons-nous apprendre tant de choses de moindre importance quand nous ne donnons pas dans nos vies la place primordiale à la chose essentielle ? Des hommes, comme cet Hindou, peuvent mouvoir des nations, mais nous, qu'avons-nous fait ?
Il est impossible de ne point être frappé de la similitude de l'expérience chrétienne du Sadhou et de celle de saint Paul. Converti par une vision étonnamment semblable à celle du chemin de Damas, le Sadhou, comme le grand apôtre, après avoir haï le Christ et persécuté ses disciples, devint son plus fidèle serviteur. L'un et l'autre ont reçu l'Évangile, non de la bouche des hommes, mais par une révélation directe du Sauveur, et sont devenus ses puissants témoins. Les paroles de Jésus à Paul : « Cet homme est un instrument que j'ai choisi pour porter mon nom jusqu'aux extrémités de la terre, et je lui montrerai tout ce qu'il doit souffrir pour mon nom », peuvent également s'adresser au Sadhou.
A son tour, Sundar pouvait parler de ses souffrances dans les termes mêmes de Paul : « ... souvent en danger de mort... fréquemment en voyage, j'ai été en péril sur les fleuves, en péril de la part des brigands, en péril de la part de ceux de ma nation... en péril dans les villes, en péril dans les déserts. J'ai été dans le travail et dans la peine, exposé à la faim et à la soif, à des jeûnes multipliés. » Comme Paul, le Sadhou a renoncé à tout et a regardé toutes choses comme une perte à cause de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, son Seigneur. Comme lui, il a reçu cette paix qui surpasse toute intelligence. A son tour il avait « l'assurance que ni la mort, ni la vie, ni les choses présentes, ni les choses à venir... ni aucune autre créature ne pourra le séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ ».
Comme saint Paul, le Sadhou fut ravi en extase et enlevé dans le paradis « où il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas possible d'exprimer ». Avec lui il pouvait dire en toute vérité : « J'ai été crucifié avec Christ, et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. »
En avançant dans la vie, la communion de Sundar avec son Sauveur devenait de plus en plus intime. L'Évangile de Jean, et plus spécialement les derniers discours de Jésus et la prière sacerdotale, avaient une profonde résonance dans son âme. « Moi en eux et toi en moi, afin qu'ils soient parfaitement un. » C'était une fusion de tout son être avec Christ. Il avoua un jour a un chrétien, en Suisse, qu'il trouvait difficile de chanter le cantique bien connu : « Plus près de toi, mon Dieu », parce que cela semblait dire que Christ était en dehors et comme séparé de lui, tandis qu'en vérité il était « en lui », dans l'homme intérieur : plus deux, mais un.
Le Sadhou avait reçu de Jésus-Christ, au profond de sa vie intérieure, cette source d'eau vive qui jaillit jusque dans la vie éternelle.
En toutes choses il fut conduit par l'Esprit de Dieu. Sa vie fut une vie d'obéissance. C'est par obéissance qu'il partit pour le Tibet et affronta des difficultés et des dangers, en face desquels les plus braves eussent reculé. Celui-là seul, dont la vie se passait dans le monde surnaturel de la prière, inspiré par un amour pour Dieu plus fort que tout amour terrestre, pouvait envisager les terribles épreuves qui l'attendaient. Il ne prenait pas, comme n'importe quel voyageur l'aurait fait, toutes les précautions possibles, pour se préparer à affronter les risques d'une telle entreprise. Il partait seul, comme un Sadhou, se confiant uniquement à la grâce de Dieu, sachant qu'il était dans la ligne de sa volonté. C'est aussi par obéissance, afin de rendre témoignage à Jésus-Christ, qu'il quitta les Indes pour entreprendre ses longs voyages dans le monde entier. Et dans sa vie quotidienne, sa soumission était immédiate aux moindres indications du Saint-Esprit.
Ainsi, un soir, tandis qu'il était en prière, il entendit comme un appel venir de la vallée : certainement quelqu'un désirait son aide. On le supplia d'attendre le lever du jour et ne pas s'exposer de nuit aux dangers de la forêt. Mais le Sadhou insista pour partir au moment même. Il revint après quelques jours d'absence, ayant accompli sa mission. Une personne gravement malade avait eu, en effet, un urgent besoin de son assistance.
L'appel soudain de l'Esprit pendant une nuit de prière silencieuse, et l'immédiate réponse de Sundar, sans souci au danger, est un trait caractéristique de son ministère.
La santé du Sadhou s'était altérée. Les souffrances endurées au Tibet, le dur labeur, les longs et fatigants voyages avaient miné sa forte constitution. Il souffrait d'une faiblesse des poumons et de la gorge, de troubles du coeur et de maux gastriques. Dans l'été 1925 il fit avec un ami une expédition missionnaire dans les villages au nord de Sabathou. Subitement se déclara un mal à un oeil, qui se développa bientôt en un ulcère qui le fit beaucoup souffrir et causa la perte de cet oeil.
Dès lors il renonça aux grandes réunions, refusant cinq à six cents invitations en une seule année. Il consacra son temps à la vaste correspondance lui arrivant du monde entier et à ses écrits. Il pensait atteindre par la publication de ses livres, un plus grand nombre de personnes. – Du reste, disait-il, les gens me connaissent et peuvent venir me voir toutes les fois qu'ils le désirent.
Une ombre de tristesse, occasionnée sans doute par des souffrances, passait parfois sur son visage. – Cette faiblesse physique, c'est mon écharde dans la chair pour me garder dans l'humilité. – Pourtant il n'y avait point d'orgueil en lui et il s'étonnait que Dieu l'eût choisi pour accomplir un travail mondial. – Si les gens connaissaient ma faiblesse, ils n'auraient pas tant d'admiration pour moi. J'ai besoin de vos prières, disait-il à ses amis.
Il avait le pressentiment qu'il ne vivrait pas longtemps, et désirait mourir pour être avec Christ, « ce qui de beaucoup est le meilleur ». Christ remplissait sa vie et était au centre de toutes ses pensées. « Pour moi, vivre c'est Christ. » – Je n'ai jamais vu quelqu'un, dira un ami, pour qui cette parole était à ce point littéralement et absolument vraie.
La demeure de Christ en lui n'était pas une conception intellectuelle, mais une profonde réalité. Il s'absorbait durant des heures dans le monde spirituel et en ressortait renouvelé. Sa joie en Christ restait inaltérable et dominait ses peines. – Ce n'était pas, disait-il, seulement la joie dans la souffrance, mais la souffrance elle-même était transformée en joie. – En 1924, il tint encore quelques réunions bibliques. Elles furent presque toujours suivies de faiblesses de coeur qui le laissaient inconscient pendant plusieurs heures.
Malgré son état si précaire, il voulut, en avril 1927, partir encore une fois pour le Tibet. Il fit à pied la longue route suivie par les pèlerins jusqu'à la place sacrée de Babrinath. Avant d'atteindre le but de son voyage, il eut une violente hémorragie. Le compagnon tibétain qui l'accompagnait le conduisit jusqu'à une station où il prit le chemin de fer qui le ramena à Sabathou. Lentement il recouvra ses forces et, en 1928, prit une part active à une convention chrétienne. En automne, ceux qui le rencontrèrent à Kotgarh furent alarmés de sa faiblesse croissante. Constamment il devait s'arrêter dans ses promenades pour reprendre son souffle. Sa respiration lui faisait mal et l'effort d'une montée lui donnait des palpitations.
Malgré cela, il envisageait pour le printemps, une nouvelle expédition au Tibet. Ce voyage dans les hautes montagnes, avec ses passages difficiles et périlleux, ne pouvait être entrepris que par un montagnard vigoureux. Ses amis firent tout pour le dissuader, car c'était clairement – dans l'état de faiblesse où il se trouvait – risquer sa vie. Mais aucun pouvoir sur la terre n'était capable de convaincre le Sadhou d'abandonner la tâche à laquelle il se sentait divinement appelé. Son intention était de partir avec le Tibétain qui l'avait accompagné précédemment et de suivre la même route des pèlerins jusqu'à une bifurcation plus à l'est. Elle devait le conduire au Niti Pass à plus de 5000 mètres d'altitude, avant qu'il pût atteindre l'intérieur du Tibet. Sundar voulait visiter une famille chrétienne qui vivait, très isolée, près du lac de Manasorawa.
Il avait promis à ses amis, et tout spécialement à Mrs Parker, qu'il considérait comme une mère spirituelle, d'envoyer un message dès qu'il le pourrait et de les prévenir en cas de maladie. Il pensait rentrer par le même chemin en automne, si Dieu le permettait. Un ami, M. Watson, fut chargé de recevoir sa correspondance et de répondre aux lettres urgentes. Il laissa ses instructions à ses deux exécuteurs testamentaires, au cas où il ne reviendrait pas. Il léguait tout ce qu'il possédait pour le travail missionnaire au Tibet et pour encourager l'éducation chrétienne des jeunes enfants. Envisageant la mort en face, il envoya à ses amis, avant son départ, le passage des Actes 20.22,25 où Paul fait ses adieux aux anciens d'Ephèse : « Lié par l'Esprit, je ne fais pour moi aucun cas de ma vie, comme si elle m'était précieuse... Et maintenant voici, je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous tous au milieu desquels j'ai passé en prêchant le royaume de Dieu. »
Sundar partit de Sabathou le 18 avril 1929, après avoir pris congé de chacun. Et dès lors plus aucune nouvelle ; le silence est absolu. Des mois s'écoulent ; ses amis sont inquiets. Deux d'entre eux organisent une caravane, partent à sa recherche, et font un périlleux voyage jusqu'au Tibet. Nulle trace du Sadhou ne fut retrouvée ; personne ne l'avait vu ; personne n'avait entendu parler de lui.
Le gouvernement entreprit à son tour des démarches officielles, examinant les registres des pèlerins aux différentes haltes. Toutes les recherches furent vaines et durent être abandonnées.
En 1933, une courte notice parue dans le « Times », et reproduite par de nombreux journaux, disait que, n'ayant aucune nouvelle du Sadhou Sundar Singh depuis son départ pour le Tibet en 1929, le gouvernement des Indes le considérait comme mort.
Pour beaucoup de ses amis, cependant, la question restait ouverte. Deux éventualités étaient également défendables. Les uns croyaient fermement que Sundar s'était retiré dans quelque retraite de l'Himalaya pour y mener, loin du monde, une vie de prière. D'autres qui le connaissaient mieux, pensaient qu'il était bien mort. N'avait-il pas promis de donner signe de vie ? Ils étaient certains qu'il aurait tenu parole. Et quatre années s'étaient écoulées. Ils se souvenaient aussi de ce que Sundar avait toujours dit : « Dieu ne nous a pas créés pour vivre solitaires, mais pour vivre parmi les hommes afin de les aider. Si nous sommes en Christ, nous ne pouvons faire autrement que de servir nos frères. »
Il est facile de se représenter que Sundar peut avoir succombé le long de la route des pèlerins, où sévissait alors une violente épidémie de choléra. Son corps aurait-il été jeté dans la rivière avec tant d'autres, sans être identifié par personne ? Aurait-il disparu dans les grandes solitudes de l'Himalaya, loin de toute habitation humaine ? Avec sa mauvaise vue, sa frêle santé, un accident pouvait facilement lui arriver sur ces pentes glacées, et sur ces sentiers étroits longeant des précipices. Il pouvait être tombé dans un gouffre sans laisser de traces.
Toujours il avait espéré mourir en martyr. Il semble cependant peu probable qu'il ait pu atteindre le Tibet et périr de la main des hommes. Toutes ces questions restent sans réponse, et nous ne pouvons que nous incliner devant ce mystère que Dieu a voulu laisser subsister.
Et Sundar ne nous avait-il pas dit lui-même : « Ne pensez pas : il est mort, mais dites : il est entré dans le ciel et dans la gloire éternelle, il est avec Christ dans la vie parfaite. »
Mais que le Sadhou soit parti de mort violente, ou qu'il ait été enlevé sans souffrances, la parole prononcée jadis par la Genèse sur Hénoc s'impose à notre esprit : « Il marcha avec Dieu ; puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit. »
Sundar Singh n'est plus. Mais son exemple et son message demeurent.
Ne serons-nous pas attentifs à la voix de ce témoin du Christ ?