« Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé (Marc 16.16). » La grande majorité des chrétiens admettent qu’il s’agit ici du baptême d’eau ; et pourtant peu se hasarderaient à affirmer que ce rite est essentiel au salut. Admettons, cependant, que ce soit une institution chrétienne ; n’est-il pas étrange alors de voir Jean-Baptiste, justement à cause de la place que le baptême d’eau occupe dans son ministère, établir un si grand et si profond contraste entre le baptême qu’il administre et celui de Christ ? « Moi, dit-il, je vous baptise d’eau, pour vous amener à la repentance… Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu (Matthieu 3.11). » Et de voir le Seigneur, après sa résurrection, insister sur cette même distinction fondamentale ? « Car Jean a baptisé d’eau, dit-il, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit (Actes 1.5). » Ce que dit Pierre aux apôtres et aux frères, quand il explique devant l’Église de Jérusalem pourquoi il a mangé avec Corneille, n’est pas moins digne d’attention. « Lorsque je me fus mis à parler, dit-il, le Saint-Esprit descendit sur eux comme sur nous au commencement. Et je me souvins de cette parole du Seigneur : Jean a baptisé d’eau, mais vous, vous serez baptisés du Saint-Esprit (Actes 11.16). » Et bien qu’il ait dit plus haut (Actes 10.47), sous forme interrogative : « Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que nous », il est clair qu’il n’accorde à cette purification extérieure qu’une importance secondaire. Corneille et sa maison avaient passé par le changement intérieur ; ils avaient reçu le don de l’esprit ; ils étaient devenus de nouvelles créatures en Christ. Quelque chose d’extérieur de plus ne peut avoir été, aux yeux de Pierre, qu’une affaire de convenance, un signe pour ceux du dehors.
Le baptême d’eau était une des cérémonies nécessaires de l’admission des convertis au judaïsme. Il était donc naturel qu’elle se maintint, comme beaucoup d’autres pratiques tombées peu à peu en désuétude, chez les Judéo-chrétiens.
En effet, dans sa première épître, quand il parle de Noé et de sa famille comme ayant été sauvés à travers l’eau, cette comparaison n’est pour lui qu’une image de la délivrance spirituelle, et il déclare que le baptême « qui nous sauve… n’est pas la purification des souillures du corps, mais l’engagement d’une bonne conscience envers Dieu par la résurrection de Jésus-Christ (1 Pierre 3.21) ». De même Paul considère le baptême dans lequel le chrétien est enseveli avec Christ, comme un acte purement spirituel, et il le joint à la « circoncision que la main n’a pas faite ».
Colossiens 2.11-12 ; Cf. Éphésiens 5.26. — On a souvent supposé que les paroles de Christ à Nicodème : Si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu, établissaient la nécessité du baptême d’eau. Mais il est bien évident que Notre Seigneur ne parle pas plus ici de l’eau, en tant qu’élément, que Jean ne parlait du feu matériel, lorsqu’il disait : Il vous baptisera de Saint-Esprit et de feu. C’est pour cela que Christ ajoute : Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’esprit est esprit. Jean 3.1-6.
Reste enfin l’ordre donné par Jésus-Christ aux apôtres : « Allez, instruisez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Matthieu 28.19). » Quel que soit le sens qu’on attache à ces paroles, il est évident qu’on doit les rapprocher des fortes expressions employées par le Seigneur lui-même dans le passage que nous venons de citer et dans d’autresa, et qui établissent le caractère spirituel du baptême.
a – Marc 10.38-39 ; Cf. Luc 12.50 ; Jean 6.63.
On ne peut cependant pas mettre en doute l’emploi du baptême d’eau par les apôtres, bien que les actions de grâces que rend Paul pour avoir baptisé lui-même si peu de Corinthiens convertis aient une évidente importance(1 Corinthiens 1.13-17). Rien de plus simple que le baptême sous sa forme primitive. Tout le monde pouvait l’administrerb, mais bientôt une valeur superstitieuse commença à y être attachée. Nous en avons donné la preuve en racontant l’histoire de l’apôtre Jean et du brigand. C’est dans la première Apologie de Justin (138) que nous trouvons la plus ancienne description de ce rite. On se rappelle que c’est à la même source que nous avons puisé la première description du culte chrétien. Probablement, dès cette époque, les prosélytes devaient recevoir d’abord un cours préparatoire d’instruction religieuse. D’où leur nom de catéchumènesc. Nous allons voir, d’après la description de Justin, combien, en matière de baptême, le ritualisme a fait de progrès. Nous l’avions déjà constaté pour la Cène.
b – « Même les laïques, dit Tertullien, ont le droit d’administrer le baptême. Ce que tous ont également reçu, tous peuvent également le donner. » Du baptême, ch. 17. Cf. Mosheim, I, 135, trad. de Félice.
c – Personne qu’on instruit pour la disposer au baptême.
« Tous ceux, dit-il, qui sont arrivés à la persuasion que ce que nous disons et enseignons est vrai, et qui conforment leur conduite à la doctrine, commencent par jeûner et prier pour la rémission de leurs péchés. Nous jeûnons et prions tous avec euxd. Puis nous les amenons près de l’eau, et ils sont régénérés de la même manière que nous l’avions été avant eux. En d’autres termes, ils reçoivent le baptême d’eau au nom de Dieu le Père, de Christ le Sauveur et du Saint-Esprit. Car Christ a dit : Si vous n’êtes régénérés (ne naissez pas de nouveau), vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu… Et Esaïe le prophète indique comment ceux qui ont péché et se repentent éviteront la condamnation : Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions… Apprenez à faire le bien… Si vos péchés sont comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme la neige ; s’ils sont rouges comme la pourpre, ils deviendront comme la laine. »
d – On trouvera, en appendice à cette première partie, une traduction complète de la Didachè, ou Enseignement des douze apôtres, récemment découverte. La durée du jeûne y est indiquée. Il était de un ou deux jours.
[Ire Apologie, ch. 61. Ce mot régénéré, ἀναγεννῶνται est analogue à l’expression γεννηθῇ ἄνωθεν, employée par Notre Seigneur. Justin et Irénée semblent en faire le synonyme de baptisé.]
Mais Justin lui-même savait ne donner à l’acte extérieur que sa vraie valeur. De son temps, la spiritualité de l’enseignement de Christ et des apôtres n’avait pas encore été étouffée par une interprétation matérielle et charnelle des mystères chrétiens. Ainsi, à propos de ce même passage d’Esaïe, Justin dira : « A quoi sert le baptême, s’il ne purifie que la chair, que le corps ? Votre âme doit être baptisée et purifiée de la colère et de l’avarice, de l’envie et de la haine ! alors votre corps sera pur. » Et ailleurs : « Quel besoin ai-je du baptême [d’eau] moi qui ai reçu le baptême du Saint-Esprite. »
e – Dialogue de Tryphon, ch. 14, 29.
Du temps de Tertullien (200), le rite se complique et la croyance à une vertu, à une puissance de l’acte extérieur lui-même s’accentue. On ne croit pas encore, cependant, à une sorte d’effet mécanique, indépendant de la foi. Voici ce que dit Tertullien : « Un peu avant d’entrer dans l’eau, nous faisons, en présence de l’assemblée et entre les mains de celui qui préside, une profession solennelle de renoncer au diable, à sa pompe et à ses anges. Puis nous sommes plongés trois fois dans l’eau, dépassant ainsi en quelque mesure l’institution évangélique. Lorsque nous sortons de l’eau, on nous donne un mélange de lait et de miel et nous nous abstenons de notre bain journalier pendant une semaine entière. »
De la couronne, ch. 3. De nos jours encore, en Syrie, des membres des églises orientales dégénérées ne se lavent pas pendant des mois et des années, de peur d’effacer leur baptême.
Et ailleurs : « Lorsque nous sortons de la piscine (lavacro), nous sommes, suivant l’antique usage, complètement oints d’une onction sainte. Ainsi, les prêtres étaient oints avec l’huile de la corne. Cette onction n’atteint pas seulement notre chair ; elle profite à notre âme, exactement comme le baptême lui-même, acte matériel en ce sens que nous sommes plongés dans l’eau, a cet effet spirituel de nous délivrer de nos péchés. On nous impose ensuite les mains, en invoquant le Saint-Esprit en notre faveur.… et, à ce moment, l’Esprit de sainteté descend librement du Père sur nos corps purifiés et consacrés. » « Ainsi, ajoute-t-il avec un accent de triomphe, ainsi, sans aucune pompe, sans aucune préparation extraordinaire, sans frais, un homme descend dans l’eau, y est plongé, puis en sort après que quelques mots ont été prononcés. Chose incroyable ! tandis que son corps a été à peine purifié, s’il l’a même été du tout, cet homme possède désormais la vie éternelle. »
[Du baptême, ch. 7-8. Ibid., ch. 2 Hippolyte († 238) se laisse aller a ce même langage hyperbolique. Interprétant, aussi peu exactement que Justin, Ésaïe 1.18, il dit : « Remarquez, chers frères, comment le prophète a parlé d’avance du pouvoir purifiant du baptême. Celui qui, rempli de foi, descend dans la piscine de la régénération, renonce au diable et s’attache à Christ, en sort aussi brillant que le soleil, et étincelant de justice. » Discours sur la sainte Théophanie, ch. 10.]
Le traité du Baptême est dirigé contre les sectateurs d’une certaine Quintilla, qui avait prêché l’Évangile à Carthage un peu auparavant. Tertullien s’y montre sévère et même grossier envers les membres de cette secte, qui rejetait le baptême d’eau comme inutile et considérait que la foi seule, comme du temps d’Abraham, suffisait au salut.
Ch. I. Il appelle Quintilla une vipère, et dit que de tels reptiles recherchent les endroits desséchés et sans eau. « Mais nous, dit-il, nous sommes comme des petits poissons, et à l’exemple de notre Ἰχθύς, Jésus-Christ, nous naissons [de nouveau] dans l’eau, et n’avons pas de salut ailleurs. » Ἰχθύς signifie poisson, et ses lettres sont les premières des mots : Ἰησοῦς Χριστὸς Υίος Σωτἤρ, Jésus-Christ Fils de Dieu Sauveur. Ce rapprochement fantaisiste fit du poisson un emblème chrétien.
A cette même époque, d’autres sectes encore rejetaient et le baptême d’eau et l’Eucharistie. Ainsi les Ascodrutes, qui soutenaient que les divins mystères, étant les images de choses invisibles, ne pouvaient être représentés par des éléments visibles, ni ce qui est incorporel par ce qui est corporel ou visible, mais que la rédemption complète est la connaissance vraie de tout ce qui existef. On les considérait comme des gnostiques, et il est bien possible qu’à côté de leurs idées vraies ils défendissent de nombreuses erreurs. Mais il est non moins possible que ce fut leur protestation contre le ritualisme envahissant qui leur valut cette censure imméritée.
f – Théodoret, Hær. Fab., I, ch. 10. Irénée a le même passage. La seule différence est, qu’au lieu de « tout ce qui existe », il écrit de l’ineffable grandeur ». Adv. Hær., I, ch. 21, § 4.
Citons encore les Séleuciens et les Hermiens, qui rejetaient le baptême d’eau comme n’ayant pas été institué par Christ. Ils s’appuyaient particulièrement sur ces paroles de Jean-Baptiste : Pour moi, je vous baptise d’eau, etcg.
g – Bingham, Antiquities of the Christian Church, liv. XI, ch. 2.
Le nombre de ces dissidents a probablement été beaucoup plus considérable qu’on ne veut bien le dire. En tous cas, le fait de leur existence indique suffisamment que, déjà à cette époque reculée, les protestations ne manquaient pas, dans l’Église, contre le levain du formalisme et des observances cérémonielles.
On ne sait pas au juste à quelle époque le baptême des enfants commença à être pratiqué. Avant Irénée, personne n’en parle. Quant à lui, on pense qu’il y fait allusion lorsqu’il dit : « Christ est venu pour sauver tous ceux qui ont été régénérés par lui ; les enfants en bas âge, les petits garçons et les jeunes gens aussi bien que les vieillardsh. » Quelques années après, nous voyons Tertullien s’y opposer énergiquement. « Pourquoi, dit-ili, considérez-vous comme nécessaire le baptême des petits enfants ? Vous exposez leurs parrains et marraines à un double danger : ils peuvent mourir tous deux et être, par conséquent, incapables de remplir leurs engagements ; et, d’autre part, ceux pour qui ils ont fait des promesses peuvent grandir avec de mauvaises dispositions. Sans doute le Seigneur a ditj : Laissez venir à moi les petits enfants et ne les en empêchez pas. Mais ces paroles signifient : Laissez-les venir à moi pendant qu’ils grandissent, pendant qu’ils apprennent, pendant qu’on leur enseigne où ils doivent en arriver ; mais ne les laissez devenir chrétiens (être baptisés) que lorsqu’ils sont devenus capables de connaître Christ. »
h – Adv. Hær., II, ch. 22, § 4.
i – Du baptême, ch. 18.
j – Matthieu 19.14. Est-il besoin de faire remarquer que ces paroles n’ont rien de commun avec la question du baptême ?
Trente ou quarante ans plus tard, Origène invoque en faveur du baptême des enfants la tradition apostolique. « Les petits enfants, dit-il, sont baptisés conformément à l’usage de l’Église. » Et ailleurs : « L’Église a reçu des apôtres cette tradition, que les enfants devaient être baptisés. » Neander fait remarquer à ce sujet que le fait de ne pas trouver cette tradition affirmée avant le troisième siècle prouve, non pas en faveur de son origine apostolique, mais contre elle. A ce moment-là, en effet, il y avait une tendance très marquée à donner une origine apostolique à toutes les pratiques considérées comme importantes. Et cependant, le temps avait accumulé un si grand nombre d’obstacles entre la période apostolique et le moment où vivait Origène, qu’il n’était déjà plus possible de distinguer sûrement ce qui était apostolique de ce qui ne l’était pask.
k – Neander, Etablissement de l’Église chrétienne, I, 163, et Hist. Eccl, I, 435, de la traduction anglaise.
Il faut franchir de longues années pour trouver le baptême des enfants généralement pratiqué. Le doyen Stanley indique Chrysostome, Grégoire de Nazianze, Basile, Éphrem d’Edesse, Augustinl et Ambroise, comme ne l’ayant pas reçu, avant leur âge mûr, bien qu’ils fussent nés de parents chrétiens. Neander pense qu’il ne devint pas universel avant le ve sièclem.
l – Lorsque Augustin naquit, son père n’était pas chrétien.
m – Hist. des dogmes (trad. angl.), p. 234.
[Christ. Instit., p. 2. On peut ajouter Jérôme à la liste. Au ive siècle, on retardait généralement les baptêmes. Chez les uns, c’était indifférence. Chez d’autres, la crainte que les péchés commis par les enfants après leur baptême ne leur en fit perdre le bénéfice. Beaucoup de catéchumènes adultes et de prosélytes ne se décidaient que sous le coup d’une grave maladie. Tel fut le cas de Constantin le Grand, par exemple, ainsi que nous le verrons ci-dessous, IIe partie, ch. 2. — Cependant le baptême des enfants s’introduisit peu a peu dans l’Église. Voy. Schaff., Nicene Christianity, 483, 484.]