Quelques femmes de la Réforme

Jeanne Grey

1536-1553



Jeanne Grey

Depuis six ans seulement les restes mortels d’Henri VIII reposaient dans les caveaux de Westminster et déjà son fils Edouard VI allait se trouver dans le cas de se nommer un successeur. Tout jeune, la mort l’avait frappé de son empreinte ; il languissait sur un lit de maladie, tandis que son royaume, dont l’administration avait été d’abord confiée au duc de Sommerset, frère de sa mère, était déchiré par l’intrigue et l’ambition des grands. Les passions, momentanément assoupies sous le règne despotique d’Henri VIII, s’étaient réveillées. Ecartant du pouvoir tous ceux qui lui faisaient ombrage, l’orgueilleux duc de Northumberland avait causé la mort du duc de Sommerset, et, s’emparant adroitement de l’esprit du jeune roi, il travaillait en secret à faire poser la couronne sur la tête de sa belle-fille, Jeanne Grey, fille du duc de Suffolk et petite-nièce d’Henri VIII. L’intérêt de la Réforme, publiquement introduite en Angleterre sous Edouard VI, fut le but avoué de cette intrigue, qui excluait du trône Marie et Elisabeth, sœurs du roi. Affaibli par les souffrances, entraîné d’ailleurs par l’intérêt qu’il portait à Jeanne, sa compagne d’enfance, Edouard se laissa guider par les conseils de l’ambitieux, courtisan. L’acte qui assurait la couronne à Jeanne fut bientôt suivi de la mort du roi, qui arriva le 6 juillet 1553, après un règne de six ans, cinq mois et dix-neuf jours.

Marie et Elisabeth, que le duc de Northumberland avait su prudemment tenir à l’écart, accouraient pour voir leur frère malade, lorsqu’elles apprirent sa mort et la proclamation qui excluait Marie de ses droits au trône. Avertie à temps et craignant les embûches du duc, elle s’enfuit dans le comté du Suffolk, s’enferma dans le château de Freminghamen et se prépara à soutenir ses droits les armes à la main.

Depuis peu mariée au duc Guilford, quatrième fils du duc de Northumberland, Jeanne ignorait complètement les projets de son beau-père. Etrangère aux événements politiques et aux intrigues des cours, elle vivait dans la retraite et consacrait tout son temps à l’étude. Cette jeune princesse était à peu près du même âge que le roi Edouard, avec qui elle avait été élevée. Instruite par le docteur Elmer, plus tard évêque de Lincolnshire, elle avait reçu une éducation brillante ; elle parlait, et écrivait le grec, le latin, l’anglais et la plupart des langues modernes. Traitée avec dureté par ses parents, privée des joies de la famille, Jeanne avait concentré toutes ses affections sur le cher instituteur qui présidait à ses études. Belle et gracieuse, elle avait passé toutes ses jeunes années loin des plaisirs frivoles et ne connaissait d’autre joie que celle de s’enfermer dans son cabinet pour lire et commenter les philosophes, ou pour correspondre avec les hommes les plus distingués de l’Europe. Elle était déjà dans la Tour de Londres, où tous les rois de la Grande Bretagne vont passer 10 jours avant leur couronnement, qu’elle ignorait tout encore. En apprenant la mort du roi, son ami d’enfance, Jeanne versa d’abondantes larmes. Mais lorsqu’elle fut instruite des moyens mis en usage pour priver Marie de ses droits, elle refusa net une couronne acquise à ce prix. — « Le trône, dit-elle, n’est pas fait pour moi, il appartient à Marie ; personne n’a le droit de l’en priver. A quel titre irais-je m’emparer d’un bien qui lui est acquis par sa naissance ? Suis-je donc plus qu’elle digne de la couronne ? Mieux qu’elle saurais-je faire le bonheur de l’Angleterre ? Moi qui ne suis jamais sortie de mon obscure retraite, moi dont toute l’ambition se borne à désirer une vie ignorée, pourrais-je dignement régner sur la nation anglaise ? Le trône que vous m’offrez est un joug qui me ferait gémir, s’il ne m’accablait pas ; et des chaînes, pour être d’or, n’en sont par moins pesantesa ? » Voyant ses efforts inutiles pour fléchir la volonté de Jeanne, qui paraissait inébranlable, le duc de Northumberland tenta un dernier moyen en usant de l’influence de Guilford, que sa jeune femme aimait avec adoration. Confiante en la droiture de celui que Dieu lui avait donné pour époux, Jeanne céda à ses sollicitations, non sans larmes et sanglots, et fut proclamée reine le 10 juillet. La haine qu’on portait au duc de Northumberland, auquel on attribuait la mort du duc de Sommerset et des Seymours, ne rendait pas populaire l’élection de Jeanne. Bien peu de voix se joignirent à celles des partisans du duc, pour célébrer son avènement au trône. Une grande partie de la noblesse s’était déclarée pour Marie, après avoir exigé d’elle qu’elle ne changerait rien à la religion réformée. Les amis de l’ordre et de la paix, puis tous les catholiques désireux de voir leur culte rétabli, s’étaient aussi rangés de son côté, enfin Londres même abandonna la cause de Jeanne et reconnut les droits de Marie au trône d’Angleterre. Lorsque cette nouvelle parvint à la Tour, la consternation fut générale ; Suffolk, Guilford et leurs partisans étaient au désespoir. Seule, Jeanne conserva sa sérénité. Pouvait-elle regretter un trône sur lequel elle était montée avec tant de répugnance ? Elle ne vit dans ce qu’on regardait comme un affreux malheur, qu’un arrêt de Dieu, qui confondait à temps des projets auxquels sa conscience lui reprochait d’avoir prêté les mains. Un triste pressentiment du sort qui lui était réservé éteignait toutefois dans son cœur l’espérance de reprendre jamais sa vie retirée et les occupations qu’elle chérissait : « Ah ! qu’avec plaisir j’abandonne cette couronne, dit-elle ; Dieu veuille que celle à qui je la rends de bon cœur se souvienne plutôt de ma restitution volontaire que de mon involontaire usurpation ! »

aProtestants illustres de Doin.

Aussi lâche dans l’infortune qu’il avait été arrogant dans la prospérité, Northumberland, envoyant toute chance de succès perdue pour lui, abandonna son parti et vint implorer sa grâce aux genoux de Marie. Il poussa la bassesse jusqu’à abandonner sa croyance pour faire profession de catholicisme. Mais ce fut peine inutile ; accusé de rébellion et condamné à mort, il périt du dernier supplice. Sa mort fut le prélude de toutes celles qui ensanglantèrent le règne de Marie-la-Catholique. A peine au pouvoir, celle-ci, autant par haine de la religion réformée que par un sentiment de vengeance personnelle, fit retenir Jeanne prisonnière. Tous ceux qui avaient pris les armes furent condamnés à mort. Le duc de Suffolk, Guilford et Jeanne furent mis en jugement et condamnés à la peine capitale, le 3 novembre 1553. Le supplice de Jeanne ne suivit pas immédiatement sa condamnation ; ses amis secrets espéraient encore que sa jeunesse finirait par toucher le cœur de la reine. Malheureusement Lord Suffolk, élargi momentanément sous caution, s’était mis de nouveau à la tête d’un parti de seigneurs révoltés. Le complot ayant été découvert, quelques-uns des conjurés parvinrent à se soustraire par la fuite au ressentiment de Marie ; d’autres furent saisis et Suffolk était du nombre. Son imprudence assura la perte de toute sa famille.

Ignorant tout ce qui se passait au dehors, Jeanne attendait la mort avec calme et résignation. « Quand on m’éleva sur le trône, disait-elle, je voyais l’échafaud derrière et je suis prête à passer de l’un à l’autre. » — Elle s’oubliait elle-même pour ne s’inquiéter que du sort de son père et de son époux ; elle devait montrer tout ce que la force d’en haut peut développer d’énergie et de courage chez une femme de seize ans.

Les derniers jours de sa vie se passèrent en discussions avec les convertisseurs de la reine. L’à-propos et la sagesse de ses réponses étaient remarquables. Fecknam, depuis peu évêque de Westminster, fut envoyé vers elle de la part de la reine, pour la détourner de sa foi et de sa religion. Nous citerons quelques passages de cette conférence, recueillie par Jeanne. « Votre venue m’est bien agréable, dit-elle à l’évêque, pourvu que vous soyez venu pour me donner quelque exhortation chrétienne. Tant s’en faut que mon affliction me soit trop ennuyeuse ; car je l’estime comme un signe de grande faveur divine. Ainsi il n’est point nécessaire qu’une chose si salutaire pour moi vous contriste, ni aucun de ceux qui me portent faveur. » Après l’avoir interrogée sur les devoirs du chrétien, l’évêque lui parla de la foi et des œuvres. — « Il est certain que par la foi nous sommes sauvés, dit Jeanne, mais il est nécessaire que les chrétiens, pour suivre leur maître Jésus, fassent de bonnes œuvres. Ce n’est pourtant pas dire qu’elles profitent pour le salut, car, après avoir fait tout ce que nous pouvons faire, nous ne sommes encore que des serviteurs inutiles ; la seule foi au sang de Christ nous sauve » L’évêque lui demanda sur quelle autorité elle fondait ses croyances. — « Je fonde ma foi, répondit-elle, sur la Parole de Dieu et non sur l’Église, car si l’Église est vraie Église, sa foi doit être approuvée par la Parole de Dieu et non par la parole des hommes. Croirai-je l’Église en raison de son antiquité ou donnerai-je foi à une église qui me refuse une part au souper du Seigneur et qui ne veut pas permettre qu’un laïque prenne la cène sous les deux espèces, prétendant que cela n’appartient qu’à ceux qui se disent gens d’église ? Je dis que c’est une église maligne, et non pas l’épouse du Christ, mais celle du Diable qui change la cène du Seigneur en y ajoutant et en y diminuant… Vous n’aurez pas appris cela de Saint Paul, quand il administrait la cène aux Corinthiens… Pourquoi l’Église changerait-elle la volonté de Dieu et ses ordonnances ?… Que fait Dieu à l’égard de Saül avec toutes ses belles intentions ? »

Lassé de n’en pouvoir venir à bout, Fecknam prit le parti de se retirer. Jeanne employa les derniers instants de son existence à consoler sa famille, à exhorter son père, qu’elle craignait de voir chanceler à l’aspect du supplice : elle l’engage à persévérer et lui parle de la vie à venir. Elle écrivit une lettre pleine de reproches sérieux à Harving, son ancien chapelain, qui avait abjuré. Voici quelques fragments de cette épître : « Quand je remets en mémoire les terribles et redoutables paroles de Dieu, que celui qui met les mains à la charrue et regarde derrière lui n’est point digne d’entrer au royaume des cieux, et, d’autre part, quand je considère les paroles consolantes de notre Sauveur Jésus-Christ, qu’il adresse à tous ceux qui renoncent à eux-mêmes et le suivent, j’ai grande occasion de m’étonner et de me lamenter sur toi, qui au temps passé étais un membre vivant de Christ et maintenant es un esclave difforme du Diable ; autrefois le temple de Dieu, aujourd’hui le canal du Démon : autrefois mon frère fidèle, mais maintenant étranger et apostat ; voire même autrefois un ferme et assuré champion de Christ, mais maintenant révolté et fugitif… Pourquoi as-tu ci-devant instruit les autres d’être fermes en Christ, et maintenant toi-même abuses du Testament et de la Loi du Seigneur ? Toi qui as prêché qu’on ne dérobe plus, tu dérobes abominablement, non pas les hommes, mais Dieu ; et, comme un sacrilège, tu dérobes Christ, ton Seigneur, du droit de ses membres ; tu dérobes et fraudes ton corps et ton âme, quand tu te montres aimer mieux vivre misérablement avec honte en ce monde, que mourir et régner en gloire et honneur avec Jésus-Christ, duquel en mourant on obtient la vie Dieu… dit qu’il est un Dieu jaloux, lequel veut qu’on lui attribue tout honneur et gloire et qu’on l’adore seul, et Jésus-Christ, au quatrième chapitre de St. Luc, en parlant à Satan, qui le tentait : Il est écrit, dit-il, tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. Ce passage et les autres semblables te défendent, et à tout chrétien, d’adorer aucun autre Dieu que celui qui était avant tous les siècles et qui a fondé le ciel et la terre. Et tu le veux délaisser, honorant une idole détestable inventée par le pape de Rome et par l’abominable secte des cardinaux ? Christ s’est offert une fois pour toutes, le veux-tu offrir journellement selon ton bon plaisir ? O source de péché, ô enfant de perdition ! Veux-tu faire que la mort de Christ soit vaine et annuler le triomphe de sa croix ?… Veux-tu, par crainte de la mort ou par espoir de vivre, renier et rejeter ton Dieu, qui a enrichi ta pauvreté, guéri ton infirmité ? Ne considères-tu point que le fil de ta vie dépend de celui qui l’a fait ? Qui est celui qui peut à son plaisir doubler le fil pour plus durer ou le dédoubler pour être plus tôt rompu ? — Remets, remets en mémoire les paroles que Jésus a dites : Qui aime sa vie la perdra, mais qui la perdra pour mon nom, il la retrouvera. Ne t’enfuis pas comme un lâche traître, du lieu où ton capitaine Christ t’a ordonné en cette vie. Bataille virilement, vienne la vie, vienne la mort ; c’est la cause de Dieu et sans doute la victoire est à nous Quoi ! tu ne veux pas rompre l’union entre Satan et ses membres, l’union des ténèbres, l’accord de l’antéchrist et de ses adhérents. Ah, ah ! tu te déçois avec des imaginations controuvées ! Sois averti qu’il n’y a pas d’union sinon où Christ suit les siens, sois même assuré que Christ est venu pour mettre en guerre et division l’un contre l’autre, le fils contre le père, la fille contre la mère. Donne-toi donc garde d’être de ceux qui jouissent de la splendeur du nom d’union. L’accord d’un chacun n’est pas union, mais plutôt conspiration… Retourne, retourne donc en la bataille de Christ, et, comme un fidèle soldat doit faire, prends les armes que Saint Paul nous enseigne être nécessaires à un chrétien. Humilie-toi en la crainte de la terrible vengeance de Dieu pour cette grande et vilaine apostasie et te confie aux promesses de Celui qui est prêt à te recevoir quand tu retourneras à lui… Ne sois pas honteux de revenir comme Marie et de pleurer amèrement comme Pierre… Sois constant, sois constant, ne crains point le tourment ; Christ t’a racheté et le ciel est encore pour toi. »

La reine Marie avait décidé que Jeanne et son époux périraient en public ; mais, craignant l’impression de ce spectacle sur la foule, elle renonça à son premier projet et fit exécuter Guilford seul. Jeanne devait avoir la tête tranchée dans l’intérieur de la Tour. Quelques instants avant de mourir, Guilford témoigna le désir de faire ses adieux à Jeanne, mais celle-ci n’y voulut pas consentir, « car, disait-elle, cette entrevue ne convient point à notre situation. »

Toujours calme, toujours sereine, elle vit sans effroi passer sous ses fenêtres la voiture qui renfermait le corps sanglant de Guilford. « Adieu, s’écria Jeanne, adieu, cher époux ! Ce n’est là que la partie vile de votre être ; la plus noble est déjà dans le ciel. Bientôt je vais vous rejoindre et c’est alors que notre union sera éternelle. »

La veille de sa mort, elle écrivit à sa sœur Catherine, en lui envoyant un Nouveau Testament grec : « Je vous envoie, ma bonne sœur, un livre, lequel combien qu’il ne soit pas poli ou orné extérieurement et couvert d’or, néanmoins intérieurement est plus digne que ne sont pierres précieuses. C’est le livre, chère sœur, de l’évangile du Seigneur ; c’est sa dernière volonté et testament qu’il a laissé à nous pauvres misérables, et, si vous le voulez lire avec un vrai désir de suivre à sa parole, il vous conduira à la vie immortelle. Que si vous appliquez votre étude à entendre ce livre et la réglez d’après ce qui y est contenu, vous serez héritière des richesses que les hommes ne vous pourront ôter ni les larrons dérober, ni la teigne corrompre. Priez avec David, bonne sœur, d’avoir l’intelligence de la loi du Seigneur votre Dieu ; vivez toujours pour mourir, afin que par la mort vous puissiez acquérir la vie éternelle : et ne vous fiez pas que votre âge vous doive prolonger la vie, car le jeune meurt aussi vite que le vieux. Apprenez donc toujours à mourir, abandonnez le monde, renoncez au diable et méprisez la chair. Prenez votre seule dilection au Seigneur. Faites comme le serviteur fidèle qui est toujours veillant, afin que, quand la mort viendra comme le larron qui vient de nuit, vous ne soyez pas trouvée la servante du diable en dormant… Réjouissez-vous en Christ, portez votre croix et l’embrassez. Touchant ma mort, réjouissez-vous comme je le fais, car je serai déchargée de cette corruption ; car je suis assurée qu’en perdant la vie mortelle, j’aurai la vie immortelle, laquelle je prie Dieu de vous donner et de mourir en la foi chrétienne. Je vous supplie au nom de Dieu de ne jamais la renier ni pour espérance de vie ni pour crainte de la mort… Adieu, ma chère sœur, mettez votre espérance en Dieu, lequel vous donnera secours. Votre bien-aimée sœur Jeanne. »

Voilà le secret de cette force et de cette confiance mystérieuse au moment suprême de la mort. Jeanne avait puisé à longs traits à la source vivifiante de la Parole ; elle avait mis son cœur aux trésors éternels, et avait appris à mourir. Nous reproduirons textuellement le récit qu’a fait Crespin des derniers instants de Jeanne Grey, lorsqu’elle fut introduite dans la chambre tendue de noir où devait avoir lieu son supplice. Après avoir déclaré qu’elle était innocente du forfait pour lequel on l’envoyait à la mort, elle reconnaît qu’elle a offensé Dieu de mille manières et supplie les assistants de prier avec elle pour que le Seigneur lui pardonne ses péchés : « Lors ouvrant le livre récita de grande affection le Pseaume O Dieu aie merci de moi selon ta clémence, etc., depuis le commencement jusqu’à la fin. Cela fait, elle se leva sur ses pieds et bailla ses gants et mouchoirs à dame Tylnée sa servante, le livre au seigneur Bruge, frère de celui qui avait charge de la Tour ; puis se voulant despouiller, commença à destacher premièrement sa grand’robe. Là, le bourreau accourut pour lui aider ; mais elle le pria de la laisser un peu, et, se tournant vers deux siennes nobles servantes se laissa dévestir par icelles. Et, après qu’ elles lui eurent osté ses ornements et son atour de teste, lui baillèrent le bandeau en la main dont elle se devait fermer les yeux. Sur cela le bourreau, se mettant à genoux, la requit humblement lui vouloir pardonner ; ce qu’elle fit de bon cœur. Puis après il la pria se vouloir un peu retirer du lieu où il mettait la paille. Ce faisant, elle aperçut le tronc sur lequel on la devait décapiter. Lors elle dit au bourreau : « Je te prie que tu te dépesches hastiment. » Les choses accoustrées, la jeune princesse se jeta à genoux, demandant au bourreau s’il lui trancherait premièrement la teste, que la mettre sur le bloc. « Non, dit-il, Madame. » Et s’estant bandée et ayant la face couverte, s’écria piteusement : « Que ferai-je maintenant ? que me faut-il faire ? où est ce bloc ? » Sur cela un des assistants lui mit la main dessus. Et elle, baissant la teste et se couchant tout de son long : « Seigneur, dit-elle, je recommande mon esprit entre tes mains. » Comme elle proférait ces paroles, le bourreau ayant dégainé, lui coupa la tête, l’an du Seigneur 1553, le douzième février. Elle était âgée de dix-sept ans quand elle mourut et non plusb. »

b – Crespin V. 277.

Priée par Jean Bruge, garde de la Tour, d’écrire quelque chose sur un livre qu’elle lui avait donné, elle y traça ces mots : « Vis comme si tu devais mourir journellement. Meurs en telle sorte que toujours tu vives sans jamais mourir. Le jour de la mort vaut mieux que celui de la naissance. »

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