Comme ils approchaient de Jérusalem et qu’ils étaient déjà à Bethphagé, près du mont des Oliviers, Jésus envoya deux disciples, en leur disant : Allez à la bourgade qui est devant vous ; vous y trouverez d’abord une ânesse attachée et son ânon avec elle : détachez-les et amenez-les-moi. Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous direz que le Seigneur en a besoin, et aussitôt il les enverra. Or, tout cela se fit afin que ces paroles du prophète fussent accomplies : Dites à la fille de Sion : Voici ton roi qui vient à toi, débonnaire et monté sur un âne, sur le poulain de celle qui porte le joug.
Les disciples s’en allèrent donc et firent comme Jésus leur avait ordonné ; et ils amenèrent l’ânesse et l’ânon ; et ayant mis leurs vêtements dessus, ils l’y firent asseoir.
Alors des gens en grand nombre étendaient leurs vêtements par le chemin ; et d’autres coupaient des branches d’arbres et les étendaient par le chemin. Et ceux qui allaient devant, et ceux qui suivaient, criaient, disant : Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très hauts ! Et quand il fut entré dans Jérusalem, toute la ville fut émue, et on disait : Qui est celui-ci ? Et le peuple disait : C’est Jésus le prophète, de Nazareth en Galilée.
Et Jésus entra dans le temple de Dieu, et il chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple ; et il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des pigeons. Et il leur dit : Il est écrit : ma maison sera appelée une maison de prière, mais vous en avez fait une caverne de voleurs. Alors des aveugles et des boiteux vinrent à lui dans le temple, et il les guérit. Mais les principaux sacrificateurs et les scribes voyant les merveilles qu’il avait faites, et que les enfants criaient dans le temple et disaient : Hosanna au fils de David ! ils en furent fort indignés ; et ils lui dirent : Entends-tu ce que ces enfants disent ? Et Jésus leur dit : Oui. N’avez-vous jamais lu ces paroles : Tu as tiré une parfaite louange de la bouche des enfants et de ceux qui tètent ?a
a – Sermon prêché le 25 mars 1866 dans le Temple de l’Oratoire, pour une réception de catéchumènes.
Mes frères,
Ne trouvez-vous pas une émouvante coïncidence entre le jour des Rameaux et la solennité qui nous rassemble ?
Jérusalem a tressailli à la voix du prophète : « Dites à la fille de Sion : Ton roi vient à toi, débonnaire, monté sur un âne et sur le poulain de celle qui porte le joug. » Un jour au moins les yeux de l’infidèle cité se sont ouverts, et elle a reconnu son Maître. Un jour l’idéal est devenu une réalité. Un jour le règne de Christ s’est manifesté sur la terre, et elle a semblé ne pas devoir s’accomplir la mélancolique parole de saint Jean : « Il est venu chez soi et les siens ne font point reçu. » Israël salue aujourd’hui son souverain légitime et accourt au-devant de lui, avec des palmes et des acclamations joyeuses. Le Fils de Dieu, qui s’est si souvent dérobé aux offres d’une royauté terrestre, accepte, à deux pas de sa fin sanglante, cet hommage spontané rendu à sa royauté éternelle. Porté par les flots du peuple, il traverse la sainte cité, va droit au temple, et là il déploie tout ensemble sa sainte autorité en chassant les profanateurs, son pouvoir miséricordieux en guérissant les malades, sa divine condescendance en recueillant les louanges des petits enfants.
N’est-ce pas une image, mes frères, de ce qui se passe aujourd’hui au milieu de nous ? Comme Jérusalem, l’Église est tout émue ; elle accourt avec de saints transports au-devant de son Sauveur, lui amenant ces jeunes gens, ces jeunes filles qui viennent se consacrer à son service et se ranger sous ses lois. Jésus aussi s’avance vers eux, vers nous, vers son Église, et il va droit au sanctuaire de notre vie morale, c’est-à-dire à nos cœurs, où il veut s’asseoir et régner.
Là, comme au temple de Sion, il vient tout purifier par sa présence et il est armé d’un fouet de cordes pour chasser les profanateurs. Mais il vient aussi, dans sa douceur et dans sa miséricorde, soulager, consoler ceux qui souffrent, panser les blessures de la pauvre humanité ! Il vient enfin recueillir de la bouche de ces jeunes gens, comme de celle des enfants de Jérusalem, une parfaite louange. Et s’il demande l’hommage de tous, celui de l’homme au midi de ses années, celui du vieillard pour lequel le soir commence à venir, c’est surtout votre hommage, chers catéchumènes, qui êtes encore au matin de la vie, c’est votre foi, c’est votre amour, c’est votre obéissance qu’il réclame aujourd’hui. Allez donc à Lui, chers amis, de tout l’élan de vos cœurs, qui tressaillent à cette heure d’une émotion si vive…, et que de ce jour béni, date entre vous et votre divin Roi, une sainte, une heureuse, une éternelle alliance !
Jésus est votre Roi, mes jeunes amis, il l’est à un double titre, au nom de la nature et au nom de la grâce, par droit de possession primitive et par droit de conquête.
En tant que Fils unique de Dieu, Un avec le Père non seulement de pensée et de volonté, mais de substance et de nature, participant à l’essence divine et à tous les attributs divins, étant la manifestation de Dieu, l’organe de la création, la Parole éternelle, par laquelle toutes choses ont été faites, sans laquelle rien de ce qui a été fait n’a été fait, il est votre Roi et vous êtes ses sujets naturels. Et à qui seriez-vous, si ce n’est à Celui par lequel vous êtes ? A qui appartiendrait ce corps qu’il anime de son souffle et qu’il a ennobli pour jamais, en daignant le revêtir aux jours de sa chair ? A qui cette intelligence, qui n’est qu’un rayon de sa Lumière, un reflet de sa pensée, une émanation de ce Verbe éternel qui illumine tout homme venant au monde ? A qui ce cœur dont il a formé en vous la noble palpitation ? A qui cette volonté qu’il vous a donnée pour qu’elle s’unisse librement à la sienne, une elle-même avec la volonté du Père ? A qui enfin ce merveilleux ensemble qui constitue l’être humain, si ce n’est à celui qui a dit de concert avec le Père et avec l’Esprit éternel : Faisons l’homme à notre image ?
Ainsi, par cela seul que vous êtes, étant de Lui et par Lui, vous êtes à Lui. Mais vous Lui appartenez à un autre titre. Ces droits naturels de Dieu et de son Oint, vous le savez, l’homme les a méconnus. Il a dit, comme les impies dont parle David au psaume deuxième : Rompons leurs liens et jetons loin de nous leurs cordes. Il s’est jeté, dès ses premiers pas, dans la rébellion et dans le péché. C’est l’histoire de l’homme et de tout homme, et c’est déjà la vôtre, mes jeunes amis. Qu’un monde superficiel et d’une complaisance intéressée vous appelle innocents, pour vous, si vous écoutez votre conscience, vous vous appellerez coupables. Le péché est déjà un hôte connu de votre pauvre cœur. J’en atteste plus d’un souvenir, j’en atteste ces regrets, ce mécontentement de vous-même, que vous avez tous éprouvés ; j’en atteste ce trouble qui vous saisit chaque fois que vous vous placez par la pensée devant le Saint des saints, ce trouble que vous éprouvez à cette heure même où vous vous sentez plus particulièrement en sa présence ! Eh bien ! mes jeunes amis, Jésus-Christ voyant cette humanité déchue, plongée dans le mal et marchant à la mort, s’est écrié dans un élan de compassion que votre cœur généreux peut comprendre : Je veux la sauver ! — Mais, Seigneur, pour la sauver, il faudra que tu quittes le sein du Père, la société des anges et que tu descendes sur notre pauvre planète… — Et il a dit : J’y descendrai. — Il faudra que tu revêtes notre chair infirme… — Et il a dit : je la revêtirai. — Il faudra que tu portes nos langueurs et nos maladies et que tu te charges, toi le Saint et le Juste, de nos péchés comme s’ils étaient tiens. — Et il a dit : je les porterai. — Mais, Seigneur, ne vois-tu pas cette sombre avenue où tu t’engages ? A l’entrée, une crèche, au terme, une croix ? — Et il a dit : je me coucherai dans cette crèche et je me laisserai étendre sur cette croix. — Et ce qu’il a dit, il l’a fait. Et du haut de cette croix sanglante, embrassant de son œil mourant cette humanité tout entière, pour laquelle il donnait sa vie, il a pu se dire à lui-même avec une joie infinie, au sein d’une infinie douleur : « Elle est à moi maintenant, la pauvre race déchue. Elle est à moi, car je l’ai rachetée, je l’ai reconquise, je l’ai sauvée, par mes abaissements, par mes sueurs, par mes larmes, par mon sang, par ma croix. » Jeunes-gens, voilà votre Roi ! Et vous ne sauriez en avoir un autre. Ce n’est point le monde, ce n’est point le péché qui peut s’appeler votre Maître. Ce n’est pas une créature, si grande ou si précieuse qu’elle soit. Ce n’est pas vous-même. C’est Lui, et Lui seul qui est votre roi légitime, car il a sur vous les droits absolus du Créateur et du Rédempteur. Voilà votre Roi ! Qu’il est auguste, et qu’il est doux ! Qu’il est majestueux et qu’il est aimant ! Qu’il est glorieux et qu’il est sympathique, sous sa couronne de douleur ! Ne voulez-vous pas vous jeter à ses pieds ?… Voyez avec quels transports l’accueille en ce jour la Sion terrestre. Jamais entrée triomphale, jamais réception magnifique d’un prince de la terre, ne valut cette ovation spontanée, cette allégresse universelle, ce triomphe pacifique décerné par tous les cœurs. Regardez cette foule empressée et ravie. Elle jette ses vêtements sur le chemin du Christ, afin que chacun de ses pas marque sa domination sur son peuple. Elle dépouille les arbres de leur verdure, vêtement splendide du printemps, comme pour prosterner devant Lui la nature aussi bien que l’humanité. Elle chante en son honneur l’un des plus beaux hymnes d’Israël : Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très-hauts ! — Allez et faites de même, mes jeunes amis ! Dépouillez-vous, dépouillez-vous, rejetez tout fardeau pour lui frayer le chemin de vos cœurs ! Mettez à ses pieds tout ce qui est à vous, pensée, affection, volonté, biens de ce monde, énergies du corps et de l’âme ! Offrez-lui les fleurs, les parfums, les vertes palmes de votre jeunesse ! Chantez-lui le cantique joyeux de son peuple : Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! — Hosanna ! Savez-vous ce que ce mot signifie, chers catéchumènes ? Il signifie : Sauve, je te prie ! Douce acclamation, toujours bien placée sur des lèvres humaines, combien plus sur les vôtres ! — Hosanna ! sauve, je te prie ! N’est-ce pas le cri spontané de vos cœurs ? Seigneur, sauve-nous ! nous sommes si jeunes, si faibles, si fragiles ! Sauve-nous de la colère à venir ! Sauve-nous des périls de la vie présente ! Sauve-nous de, nous-mêmes, Seigneur ! — Hosanna, sauve, je te prie ! C’est le cri de vos parents dans ce jour où ils sentent redoubler en votre faveur, leur tendresse avec leur sollicitude. Ah ! ce qu’ils te demandent pour eux, Seigneur, ce n’est pas la gloire humaine, ce ne sont point les succès terrestres, ce n’est point la richesse ou la jouissance, ce n’est pas même la santé et la vie (biens éphémères que tout cela) ! c’est le salut de leurs âmes ! — Hosanna, sauve, je te prie ! C’est le cri de vos pasteurs. Maintenant que leur tâche est terminée, terminée hélas, dans le sentiment de beaucoup d’imperfection et de misère, au sein du trouble et de l’angoisse, ils regardent en haut et ils disent : Seigneur supplée à toutes les lacunes, à tous les défauts de notre œuvre ! Cette œuvre c’est la tienne, ô mon Dieu ! Accomplis-la Toi-même dans leurs âmes ! Nous avons enseigné et averti, nous avons planté, nous avons arrosé ! Seigneur, donne l’accroissement ! Sauve, ô puissant Rédempteur, sauve-les pour le temps et pour l’éternité !
Mais suivons le Seigneur à travers les rues de Jérusalem. Où porte-t-il ses pas ? Dans le temple, mes frères, dans ce lieu qui était le centre de la nation, le foyer de sa vie, le symbole de tous ses souvenirs et de toutes ses espérances, et comme la patrie dans la patrie, le trône de Dieu au sein du peuple de Dieu. Et là, que voit-il ? Dans les parvis sacrés, un marché profane ; des animaux destinés aux sacrifices, des vendeurs et des acheteurs, des changeurs assis à leurs tables et auxquels on avait recours « pour que l’impôt de deux deniers, prélevé pour les frais de l’autel fût payé en monnaie juive, sans aucun vestige d’images interdites.b » En face de cette profanation du Lieu saint, Jésus s’indigne, et ayant fait un fouet de cordes, il chasse les vendeurs du temple et renverse les tables des changeurs. On s’est étonné, mes frères, de cette action du Seigneur, on s’en est même scandalisé, on l’a trouvée étrange et déplacée, et on a voulu s’en faire une arme contre cette sainteté parfaite de Jésus-Christ qu’une voix éloquente vous démontrait naguères…. Eh ! quoi ! nous scandaliserons-nous de cet éclat de la sainteté indignée de Notre Maître, tout autrement sensible que nous au péché et au scandale ? Jésus-Christ n’est-il pas chez lui, dans la maison de son Père, et n’a-t-il pas le droit de la purifier comme il l’entend, sans s’astreindre à notre mesure et à nos convenances ? N’est-ce pas, d’ailleurs, une des attributions du Juge et du Souverain que de faire respecter la justice, d’arrêter le désordre et de réprimer le scandale ? Quel est donc ce Jésus, efféminé, doucereux, qu’on voudrait substituer à la mâle et naïve figure qui ressort de tous les récits évangéliques ? Pour nous, nous reconnaissons ici, Celui que l’Ecriture appelle à la fois l’agneau de Dieu et le lion de Juda, et nous nous rappelons ce mot de Pascal : saint à Dieu, terrible aux démons ! Aussi, voyez comme ces profanateurs reconnaissent d’instinct sa puissance royale…. A la seule vue de ses traits irrités et du fouet de cordes qui arme sa main, ils fuient en désordre, laissant Jésus entouré de ses disciples et de la foule respectueuse dans le sanctuaire purifié.
b – De Pressensé. — Jésus-Christ, sa vie et son œuvre, p. 401.
Chers catéchumènes, Jésus venant vers vous, va droit au temple, c’est-à-dire à votre cœur. C’est là qu’il apporte sa grâce et son pardon, mais une grâce sanctifiante, un pardon régénérateur. C’est là qu’il veut régner, mais régner sans partage, en chassant tous ceux qui, comme les vendeurs, les acheteurs, les changeurs de Jérusalem, viendraient souiller son temple, c’est-à-dire votre cœur ! Ces profanateurs…, vous les connaissez déjà, mes jeunes amis. Ce sont ces pensées, ces désirs, ces mouvements coupables, qui ont déjà tenté de s’établir dans les parvis de votre âme. Hélas ! ils reviendront toujours plus nombreux, toujours plus hardis, toujours plus redoutables, envahir votre cœur et chercher à y établir au lieu de la présence de Christ, un bruyant et profane marché où ce qui sera mis en vente, ce ne sera pas seulement tel objet du temple, mais le temple lui-même !! C’est l’heure, mes jeunes amis, de leur opposer, en vous appuyant sur Jésus, une résistance vigoureuse, c’est l’heure de leur livrer un combat sans quartier, car si Christ ne règne pas au-dedans de vous, ce sont eux qui y régneront ! Ces profanateurs de l’âme de nos enfants, dois-je les signaler ? dois-je les taire ? Un mot, un seul mot, chers catéchumènes, que je vous supplie de bien retenir.
Jeunes filles, prenez garde à la vanité ! elle peut se glisser insidieusement dans votre âme. C’est le goût du beau, innocent, légitime en lui-même. C’est une enfantine jouissance à se parer… Mais, peu à peu, la vanité envahit l’âme tout entière, la ferme aux impressions sérieuses, l’ouvre aux mauvais désirs du dedans et aux séductions du dehors. Dieu s’éloigne, le ciel se voile, et le monde demeure avec sa fascination redoutable. Jeunes filles, jeunes ouvrières, n’avez-vous jamais vu dans les rues de notre capitale un de ces fronts hautains à la fois parés et flétris… Oh ! tremblez en pensant où la vanité peut conduire !
Jeunes gens, abstenez-vous des convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme ! Fuyez, fuyez, comme on fuirait un serpent, toute lecture, toute conversation, toute société, tout spectacle qui pourrait ternir la pureté de votre âme. Laissez-moi vous faire entendre cet avertissement d’une sinistre éloquence qui retentit, non du haut d’une chaire, mais du sein même des abîmes souillés du siècle :
Le cœur de l’homme vierge est un vase profond ;
Mais quand la première eau qu’on y verse est impure,
La mer y passerait sans laver sa souillure,
Car l’abîme est immense… et la tache est au fond !
Ah ! pour que cette tache que tout l’océan terrestre ne saurait laver ne s’imprime pas au fond de votre être, pour que cette profanation suprême ne vienne pas déshonorer votre cœur, pour que, ô fils de nos familles, vous puissiez toujours recevoir sur un front pur le baiser maternel et apporter, dans un jour de ravissement, une main pure à celle qui partagera votre destinée… considérez votre cœur comme le temple de Dieu, et dites aux profanateurs : Vous n’y entrerez point ! Mais pour qu’ils n’y entrent pas, il faut que Christ y habite, et avec lui tout ce qui est beau, tout ce qui est pur, tout ce qui est sérieux et vrai, la passion de toutes les nobles causes, la poésie, l’enthousiasme, l’élan, la sève, la jeunesse en un mot ; oui, la jeunesse que le siècle flétrit, que le siècle épuise, que le siècle tue ; mais que la foi entretient en même temps qu’elle la purifie, et qu’elle prolonge à travers le cours entier de la vie, jusque dans la vieillesse toute blanche ! Jeunes gens, arrière la corruption, arrière tout ce qui pourrait déflorer votre âme ! Et que Christ, demeurant en vous, y entretienne une salubre atmosphère morale, semblable à « cet air de certaines îles lointaines, qui est si pur qu’aucune vermine ne peut y vivre.c »
c – Vinet.
Nous avons prévu pour vous la tentation, il faut prévoir la souffrance. La souffrance ? On n’y croit pas à votre âge. La vie s’annonce comme une fête, l’horizon est riant, le ciel sans nuage, le sentier fleuri. Vous le savez pourtant, la souffrance n’est épargnée à aucune vie humaine. Déjà, mes jeunes amis, vous avez pleuré ! Avez-vous en ce moment autour de vous tous ceux que vous aimez ? N’en est-il pas parmi vous qui cherchent en vain, dans ce temple, quelque aïeul vénérable, peut-être un père, une mère, un frère, une sœur ? Et si nous connaissions cet avenir que nous avons la consolation d’ignorer, que de brèches à notre bonheur n’apercevrions-nous pas avec épouvante ? Que de points lumineux devenus des points sombres, que d’espérances cruellement trompées, que de ris changés en pleurs et de joies en tristesses ! Chers amis, un seul vous consolera toujours, c’est Jésus-Christ. Contemplez-le encore dans le temple de Jérusalem : lui, naguère si indigné, si sévère contre le mal, comme il est miséricordieux pour la souffrance ! Regardez ces aveugles et ces boiteux qui viennent vers lui. Il ne les repousse point, Il ne les néglige point au milieu de son triomphe ; Il se penche vers eux avec compassion et les guérit. N’est-ce pas son triomphe aussi, n’est-ce pas sa gloire que de consoler ? Que vous réserve l’avenir, chers catéchumènes ? Encore une fois, nous l’ignorons ; mais ce que nous savons, c’est qu’il ne vous réserve aucune douleur pour laquelle Jésus-Christ n’ait des soulagements ineffables.
Vous pourrez connaître des revers de fortune dans ces jours incertains où la ruine est prompte comme l’élévation. Vous, dont la vie coule aujourd’hui si facile, si heureuse, vous sentirez peut-être la pression de la gêne, les humiliations de la pauvreté. Oh ! la pauvreté sans Jésus-Christ, quel affreux désert ! Rien ici, rien là-haut ! Mais, avec Jésus-Christ, on peut tout supporter. Dans notre dénuement, n’est-Il pas notre trésor ? Avons-nous tout perdu lorsqu’il nous reste les biens éternels, le pardon, la paix, la vie de Dieu… et le ciel demain !
Vous pouvez connaître la maladie, vous, aujourd’hui si sain et si vigoureux. Riche, vous irez redemander en vain, de climat en climat, une santé perdue. Pauvre, vous languirez peut-être sur un lit d’hôpital… Qui sait si quelqu’un d’entre vous ne s’en ira pas, jeune soldat, combattre au loin…, et tomber sur la terre étrangère ? Ecoutez. Dans l’une des batailles de cette guerre de Crimée, où la France et l’Angleterre, unirent leurs armes victorieuses pour la défense d’une même cause, un jeune officier anglais prépare ses soldats au combat en leur lisant quelques versets des saintes Ecritures. Il s’élance à la tête de sa colonne… Au fort de l’action, il tombe… On s’empresse autour de lui, on ouvre son uniforme, on découvre sa poitrine ensanglantée, et on trouve sur son cœur le Nouveau-Testament que lui avait donné sa mère, et qu’on renvoie à celle-ci comme un souvenir suprême. Pauvre mère ! Grande fut ta douleur, mais grande aussi ta consolation, car le Sauveur t’avait remplacée auprès de ton enfant ; Il s’était penché vers lui ; Il avait recueilli son dernier souffle et fait voir à son œil mourant les bords de la patrie éternelle !
Peut-être Dieu vous réserve-t-il, chers catéchumènes, des douleurs plus poignantes encore. Ce jeune homme, vaincu par les obstacles du dehors ou les impuissances du dedans, connaîtra les humiliations d’une carrière manquée ; il sera victime du découragement, de l’injustice ou de la trahison. Cette jeune fille, si paisible et si souriante sous l’aile maternelle, marche peut-être vers la plus amère des souffrances, celle d’une union malheureuse !… O mes pauvres enfants, dans la bataille de la vie, comme un romancier l’a nommée, nous ne pouvons, malgré tout notre amour, écarter de vous la flèche qui vole de jour, la destruction qui fait le dégât en plein midi, ou la mortalité qui s’avance dans les ténèbres ; mais nous pouvons vous dire avec assurance que si Christ demeure en vous et si vous demeurez en lui, rien, non rien ne saurait vous nuire. Nulles armes forgées contre toi ne prospéreront. Quand tu passeras par les fleuves, ils ne te noieront point ; quand tu passeras par les flammes, elles ne te brûleront point. Vous aurez des afflictions dans le monde, mais prenez courage, j’ai vaincu le monde !
Christ est-il à vous, et vous à Lui ? voilà toute la question. A vous de la résoudre chers catéchumènes, en lui disant dès aujourd’hui : tu es mon rocher et mon partage à toujours. Vous avez besoin de Lui dans vos tentations et dans vos peines. J’ose vous dire que Lui aussi a besoin de vous. C’est à votre hommage, qu’en ces jours difficiles, il attache le plus grand prix. Le dernier trait de son entrée triomphale à Jérusalem, c’est sa joie de voir les enfants eux-mêmes accourir auprès de Lui, et s’écrier aussi : hosanna au fils de David : béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Ces voix fraîches et pures réjouirent son cœur : ces petites mains qui agitaient des palmes, charmèrent ses regards, et il se rappela ces belles paroles du psalmiste « Tu as tiré une parfaite louange de la bouche des petits enfants. » Mais si ces premiers élans d’une piété naissante furent doux à son âme, avec quelle sympathie n’accueillera-t-il pas, ô jeunes gens, les vives impressions, les nobles ardeurs d’une âme plus développée mais non desséchée encore par la vie, cette sève généreuse qui anime vos belles années, cette intelligence déjà capable d’admirer son Evangile, cette volonté dont l’énergie grandissante peut se consacrer si utilement à son service ! Jeunes gens, c’est vous que le Seigneur convie avec prédilection à marcher sous sa bannière, c’est vous qui lui servirez de témoins devant un monde indifférent et corrompu. Lorsqu’un homme se tourne vers Lui, au midi de la vie ou sous les glaces de l’âge, on peut dire que c’est après avoir épuisé les coupes d’ici-bas qu’il veut essayer de la coupe céleste, on peut attribuer son retour à Dieu, à je ne sais quelle lassitude de la vie, ou aux serviles terreurs de l’éternité qui s’approche. Mais quand un jeune homme renonce au monde au moment même où le monde lui fait ses offres les plus enivrantes ; lorqu’un David blond et beau de visage trouve toute sa joie à chanter sur sa lyre les doux cantiques d’Israël ; lorsqu’un Daniel refuse de se souiller à la table royale ; lorsqu’un Basile et un Grégoire de Nazianze fuient la société de leurs compagnons frivoles pour chercher, dans les forêts de la Cappadoce, une austère retraite qu’ils trouvent heureuse et riante ; quand un Luther, au sortir d’un joyeux repas d’amis, entre courageusement au couvent des Augustins parce que c’est là qu’il croit pouvoir sauver son âme immortelle ; quand un jeune missionnaire quitte, le visage baigné de larmes mais la joie au cœur, la maison paternelle et le sol natal ; quand une jeune fille préfère à toutes les fêtes mondaines, les émotions de la maison de Dieu et les saintes occupations de la charité, — il y a là une belle apologie de l’Evangile, il y a là un éclatant triomphe de l’invisible sur le visible et du ciel sur la terre, non sur la terre dépouillée et couverte d’un voile de deuil, mais sur la terre parée et riante ; il y a là une victorieuse réfutation de cet injuste préjugé répandu dans le monde : l’Evangile vient déflorer et mutiler la vie.
En présence d’une jeunesse pieuse et pure, les croyants sont fortifiés, ils se rappellent les joies du premier amour, ils comprennent mieux ce beau cantique :
Que de douceur se trouve en ton service !
Seigneur Jésus, que ton joug a d’attraits !
et ce témoignage rendu à la sagesse : Ses voies sont des voies agréables, et ses sentiers ne sont que prospérité. L’incrédule se sentira ébranlé dans cette forteresse où il se défend contre l’Evangile, et se demandera si ce qui remplit d’une sainte flamme un cœur de vingt ans, n’est pas la puissance de Dieu, la sagesse de Dieu. Et la jeunesse contemporaine voyant dans ses propres rangs quelques types de piété sincère, vivante et aimable, sera peut-être tentée de leur ressembler !
Me trompé-je, mes jeunes amis, en pensant que cette perspective enflamme vos cœurs généreux et que dans ces temps où plusieurs se retirent de Christ, ou veulent lui ravir les rayons de sa gloire, vous éprouvez un ardent besoin de vous serrer autour de sa croix, et de lui amener comme ses premiers apôtres, des Philippe et des Nathanaël pour le servir avec vous ?
Jeunes gens, jeunes filles, répondez à la voix de Jésus-Christ. C’est aujourd’hui le jour favorable, c’est aujourd’hui le jour du salut. Aujourd’hui tous les enseignements, tous les appels que vous avez recueillis dans le cours de votre instruction religieuse, se concentrent en une lumière et une sommation décisives. Aujourd’hui toutes les invitations de votre Sauveur se résument en une invitation suprême : voici, j’ai mis devant vous la bénédiction et la malédiction, la vie et la mort. Choisissez donc la vie, afin que vous viviez ! Aujourd’hui l’Esprit qui plane sur cette assemblée et l’Épouse qui est l’Eglise disent à chacun de vous : viens ! Aujourd’hui il y a des fidèles qui vous entourent de toute leur sympathie et qui vous portent dans leur cœur devant Dieu. Aujourd’hui vos parents bien aimés qui dirent au Seigneur au jour de votre naissance : Seigneur, qu’ils soient tes enfants, redisent avec plus de ferveur encore, comme si vous leur étiez donnés de nouveau : Seigneur, qu’ils soient à toi ! Aujourd’hui vos pasteurs sentent dans leur âme de saintes douleurs pour vous enfanter à Christ ! Aujourd’hui est un jour de grâce, un jour où le Seigneur est près, un jour unique dans votre vie !
Aujourd’hui donc, catéchumènes, sous le regard du Dieu trois fois saint, en présence de l’Eglise de la terre et de l’Eglise des cieux, couverts de nos bénédictions, de nos prières et de nos larmes, aujourd’hui et pour toujours, donnez-vous au Dieu de Jésus-Christ !
O Dieu ! Dieu Sauveur ! Dieu fort et puissant ! prends-les, et lie-les à toi ! Accompagne-les dans tout le cours de leur destinée, nous ne te demandons pas de les retirer du monde, mais de les préserver du mal… Et si les impressions de ce jour pouvaient se dissiper au vent du siècle, si entraînés par le tourbillon des choses terrestres ils pouvaient t’oublier et t’abandonner, Seigneur, ah ! ne les abandonne pas ! Poursuis-les de retraite en retraite ! Arrête-les sur le penchant de l’abîme par le souvenir de cette grande journée !… Et lorsque le pasteur et les catéchumènes, les pères et les enfants se rencontreront au delà du voile devant Celui qui doit juger les vivants et les morts, que le pasteur et les pères puissent te dire, ô mon Dieu : Me voici avec ceux que tu m’avais donnés ! AMEN !