Mes petits enfants, je vous écris parce que vos péchés vous sont pardonnés par son nom. Pères, je vous écris parce que vous avez connu celui qui est dès le commencement. Jeunes gens, je vous écris parce que vous avez vaincu l’esprit malin.
Jeunes enfants, je vous écris parce que vous avez connu le Père. Pères, je vous écris parce que vous avez connu Celui qui est dès le commencement. Jeunes gens, je vous ai écrit parce que vous êtes forts et que la Parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu l’esprit malin.
Après que Jésus a disparu de ce monde, laissant son œuvre aux mains de ses disciples animés de l’Esprit, c’est tout d’abord la personnalité de saint Pierre qui nous apparaît au premier plan de l’histoire de l’Église. Sans avoir sur ses collègues une primauté, qui n’est ni selon l’esprit ni selon la lettre de l’Évangile, et que son humilité n’eût point acceptée, il est néanmoins appelé au rôle d’initiateur et de fondateur qui convenait aux traits principaux de son caractère et à ce nom prophétique par lequel le salua Jésus. Tu seras appelé Céphas, c’est-à-dire Pierre. C’est à la parole de saint Pierre que les murs de la chambre haute s’écartent pour laisser entrer un flot de trois mille Juifs dans l’Église de Jésus-Christ. C’est après sa vision de Joppe que tombe la barrière qui retenait encore les païens loin du royaume de Dieu. La première moitié du livre des Actes, cette épopée des triomphes de l’Église naissante, a pour héros saint Pierre dont l’individualité saillante fixe tous les regards.
Saint Paul est le héros de la seconde. Tandis que le fils de Jona va porter dans des églises éloignées un ministère enveloppé d’obscurité et de silence qui se terminera par la fin tragique que son Maître lui a mystérieusement annoncée, le converti de Damas devient l’instrument le plus visible et le plus efficace de l’œuvre de Dieu. Ses discours, ses voyages, ses miracles, ses périls, ses triomphes, ses persécutions, défraient à eux seuls les annales de l’Église jusqu’à ce jour mémorable où, comme on l’a dit, chargé de fers, il va porter à la ville éternelle la liberté de Jésus-Christ.
Le dernier apôtre qui demeure sur la scène, c’est saint Jean, le disciple bien-aimé. « Astre paisible et pur, a dit Vinet, il ne devait se lever à l’horizon de l’Eglise, il ne devait verser sur elle la lumière de ses enseignements qu’après que tous les autres auraient agi, auraient parlé. » Saint Jean est le vrai patriarche du siècle apostolique, présidant, pour ainsi dire, avec sa couronne de cheveux blancs, aux jours les plus avancés de cet âge d’or de l’Église. De là, sous la plume de l’apôtre, ces expressions souvent répétées : Mes enfants, mes petits enfants, qui trahissent la tendresse, paternelle et l’autorité caressante du vieillard. De là ces exhortations adressées à plusieurs générations qu’il a eu le temps de voir grandir à son ombre : « Pères, je vous écris… jeunes gens, je vous écris… jeunes enfants, je vous écris. » Car nous prenons ici, à l’exemple de Calvin, ce lumineux et sûr interprète, les désignations de pères, de jeunes gens, d’enfants, dans le sens naturel. Nous croyons que saint Jean a voulu avant tout parler des âges, des âges proprement dits de la vie humaine, et nous montrer que la piété, qui sied à tous les âges, revêt pour chacun d’eux un caractère spécial : naïve et confiante dans l’enfance, active et militante dans la jeunesse, ferme et fidèle dans la virilité et sur le soir de la vie. C’est à cette interprétation littérale que nous nous en tiendrons, sans méconnaître qu’on peut aussi donner un sens figuré aux paroles de l’apôtre et y voir, marqués des mêmes caractères, les divers âges de la vie spirituelle, qui a aussi son enfance, sa jeunesse et sa maturité.
Heureuses. les âmes pour lesquelles ces deux applications peuvent se confondre ; et en qui la vie de la nature et la vie de la grâce, avançant d’un même pas, se développant d’un même essor, offrent le spectacle d’un développement parallèle et harmonieux !
« Mes petits enfants, je vous écris parce que vos péchés vous sont pardonnés par son nom. Jeunes enfants, je vous écris parce que vous avez connu le Père. »
Je m’adresse à vous les premiers, mes jeunes amis, au sein de ce vaste auditoire. J’y suis doublement autorisé, et par la nature de ce service qui est avant tout pour vousb, et par l’exemple de saint Jean lui-même. Laissez-moi tout d’abord vous féliciter du grand privilège que vous a accordé le Seigneur en vous faisant naître dans le sein de son Église. L’Évangile que vous avez, pour ainsi dire, trouvé à côté de votre berceau, vous a enseigné dès vos jeunes années ce que tant d’hommes, tant de peuples ignorent encore ; ce que le monde a ignoré pendant quatre mille années, ce qu’il n’a commencé à comprendre que lorsque Jésus est descendu du ciel pour le lui révéler… c’est que Dieu est votre Père. Oui, mes enfants, on vous a dit dans vos familles, j’aime à le penser, on vous a dit à l’école de la semaine et à l’école du dimanche, on vous a dit dans nos temples et du haut de nos chaires, que, comme vous avez un père qui vous a donné le jour et dont vous voyez le visage, il y a là haut un Père que vous ne voyez pas, mais qui a créé, par sa seule parole, tout ce que vous voyez, le ciel, la terre, la mer, tous les hommes, tous les êtres. On vous a dit que ce Père habite bien au delà de ce ciel dont l’azur profond brille au-dessus de vos têtes, et que, de si haut et de si loin en apparence, il conduit toutes choses, il soutient et vivifie, toutes ses créatures ; il vous connaît, il vous distingue, il vous garde vous-même, mon cher enfant, dans cet immense univers ! On vous l’a dit, tout petit que vous êtes, vous pouvez vous approcher de ce Père qui est dans les cieux ; et, comme vous vous adressez au père d’ici-bas pour obtenir le pain du corps ou celui de l’intelligence, pour demander un secours, un conseil, ou un objet qui vous est nécessaire, vous pouvez vous adresser au Créateur pour lui demander tout ce dont vous avez besoin. On vous l’a dit enfin, lorsque vous avez commis quelque faute (et vous savez que vous en commettez souvent), il faut vous humilier devant ce Dieu qui vous a vu dans le secret, et qui, dans sa miséricorde infinie, est disposé à vous pardonner vos péchés au nom de Jésus-Christ.
b – Ce discours a été prêché dans le temple de l’Oratoire, au Service des écoles, qui a lieu une fois par année dans l’Église réformée de Paris.
On vous a dit tout cela, et, je le répète, je vous en félicite, car c’est un grand privilège que de le savoir. Mais il y a savoir et savoir, mes chers enfants. Vous pouvez savoir que Dieu est votre Père, parce que vous avez appris par cœur l’immortelle prière qui commence par ces mots : Notre Père qui est aux cieux ; mais sans le rechercher, sans vous approcher de Lui, sans entrer en rapport direct et réel avec Lui. Alors Dieu est pour vous comme serait un personnage dont on vous aurait parlé, dont vous sauriez le nom et l’adresse, mais que vous n’auriez jamais été trouver et avec lequel vous n’auriez jamais fait connaissance.
Pour connaître le Père, mes enfants, il faut beaucoup penser à Lui, il faut vous souvenir de Lui à toute heure, à la maison, à l’école, dans votre travail, dans vos jeux même, le matin à votre réveil, le soir au moment de fermer les yeux pour vous endormir dans ses bras. Pour le connaître, il faut écouter une voix secrète et douce, la voix de votre cœur qui vous dit de la part de Dieu : cherchez ma face ; et cette autre voix, grave et austère, la voix de votre conscience qui vous dit : fais le bien, évite le mal, et qui « vous approuve ou vous condamne » selon que vous avez fait l’un ou l’autre. Pour le connaître, il faut lire souvent et avec attention sa Parole, qui vous dépeint sa grandeur, sa bonté, sa miséricorde ; qui vous raconte ses œuvres, vous fait entendre ses promesses, vous dénonce ses jugements. Pour le connaître, enfin, il faut beaucoup méditer la belle histoire de ce Christ, qui est la splendeur de sa gloire, l’image empreinte de sa personne, et en qui Dieu s’est si bien révélé que Jésus a pu dire : Celui qui m’a vu a vu mon Père. C’est là un grand mystère, mes enfants, mais un mystère bien doux : ce Dieu qui était caché, inaccessible, a fait plus que de nous parler dans la Bible, il s’est approché de nous jusqu’à venir sur la terre dans la personne de Christ, tellement que le prophète a appelé Jésus : Emmanuel, ce qui signifie, Dieu avec nous, que saint Paul a pu écrire : Dieu était en Christ réconciliant le monde avec Lui, et Thomas s’écrier, en tombant à ses pieds : Mon Seigneur et mon Dieu ! Aussi, mes enfants, quand nous connaissons Christ, nous connaissons Dieu ; c’est comme si nous l’avions vu. Alors ce n’est plus un nom que nous prononçons, ce n’est plus une idée que notre esprit conçoit, c’est un Etre réel, vivant, connu, aimé, qui a sa place dans notre vie, et avec lequel nous entretenons des rapports de tous les jours et de toutes les heures.
Ecoutez, mes enfants, ce que faisait un jeune garçon de votre âge, le comte Zinzendorfc, qui vivait en Allemagne au dix-huitième siècle. Il était si plein de la pensée de Jésus, que, lorsqu’il lui tombait sous la main, du papier, une plume et de l’encre, il écrivait des lettres au Seigneur ; puis, ouvrant la fenêtre, il les jetait au vent, persuadé qu’elles parviendraient infailliblement à leur adresse… Et elles y parvenaient en effet. Et le Seigneur recevait avec amour ces messages de l’enfant pieux…. Vous souriez, mes enfants, de la naïveté du jeune comte. Vous savez très bien, vous, qu’il n’est pas besoin de papier, ni de plume, ni d’encre pour s’adresser à Dieu, mais qu’il suffit de se mettre à genoux et de prier, pour être aussitôt en rapport avec Lui.
c – Le comte Zinzendorf, par Félix Bovet, vol, I, p. 27.
Eh bien ! puisque vous le savez, le faites-vous ? Priez-vous, mes enfants ? Priez-vous, non seulement par devoir et par habitude, mais par un besoin de cœur ? Priez-vous, non seulement en répétant notre Père, ou toute autre prière apprise, mais, en parlant vous-mêmes à Dieu, à votre manière, de tout ce que vous éprouvez, de tout ce que vous désirez ? Lui demandez-vous sans cesse de vous éclairer, de vous conduire, de vous garder de corps et d’âme, et de bénir avec vous tous ceux que Dieu vous a donnés à aimer ici-bas ? Lui demandez-vous surtout la grâce par excellence, le pardon de vos péchés ? Souffrez-vous de vos péchés, mes chers enfants ? les sentez-vous peser d’un poids douloureux sur votre conscience, et allez-vous supplier le Seigneur de vous en délivrer ? Comprenez-vous que c’est Dieu, Dieu lui-même, que vous offensez dans chacune de vos fautes, et vous empressez-vous, même lorsque vos parents, ou vos maîtres vous ont pardonné, d’aller chercher par la prière, un pardon qui vient de plus haut, le pardon suprême du Père au nom de Jésus-Christ ? Si vous vous reconnaissez à ces traits, si c’est bien là l’expérience de vos jeunes âmes, alors vous êtes des enfants chrétiens : vous êtes faibles sans doute, mais vous implorez le secours du Tout-Puissant : il y a du mal en vous sans doute, mais du moins vous en savez et vous en cherchez le remède ; et ces deux bonnes pensées, la pensée du Père qui vous a créés et qui vous aime, la pensée du Sauveur qui vous pardonne vos péchés, seront comme deux sources pures qui arroseront votre âme et lui feront porter de bons fruits ; comme une double et sainte influence qui vous rendra bon fils, bon écolier, bon camarade, et vous préservera de beaucoup de péchés ! — Ou bien, mes chers enfants, seriez-vous pour la plupart étrangers à ces choses ? Malgré tant d’instructions, tant de lumières, tant d’appels, seriez-vous encore aussi ignorants, et aussi éloignés de Dieu que les pauvres païens que l’Ecriture nous représente « assis dans les ténèbres ? » Votre, âme serait-elle toute fermée aux souffles du ciel et déjà tout ouverte aux souffles du monde ? Et si le vieux saint Jean revenait sur la terre, s’il écrivait encore une lettre aux églises, faudrait-il qu’il ne parlât qu’aux grands et laissât les petits, parce qu’il n’y en aurait point ou presque point parmi vous, auxquels il pourrait dire : jeunes enfants, je vous écris par ce que vous avez connu le Père. Petits enfants je vous écris par ce que vos péchés vous sont pardonnés par son nom ?
Que vos consciences répondent ! Et hâtez-vous d’appeler Dieu à votre aide, car vous grandissez et vous touchez à cet âge difficile entre tous, où l’on devient la proie du mal, si l’on n’a pas reçu et soigneusement entretenu dans son cœur ces saintes impressions qui sont la sauvegarde de toute la vie !
Jeunes gens, je vous écris, parce que vous avez vaincu l’esprit malin. Jeunes gens, je vous ai écrit, parce que vous êtes forts et que la Parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu l’Esprit malin. La jeunesse est le temps de la lutte, la période du combat. En effet, dans ces jours pleins de charme, mais pleins de péril, le mal se déchaîne de toutes parts contre le jeune homme pieux et moral, pour lui ravir sa foi et pour l’entraîner à la perdition. — C’est sa raison orgueilleuse qui s’éveille et qui semble essayer ses premières forces contre les saintes croyances qui lui ont été inculquées. — Ce sont les maximes d’incrédulité qu’il entend dans plus d’une conversation, qu’il lit dans plus d’un livre, qu’il respire de toutes parts dans l’atmosphère du siècle, et qui viennent du dehors se joindre aux objections de son mauvais cœur. — Ce sont les camarades qui tournent en dérision tout principe religieux, toute conviction chrétienne — C’est le monde qui, entrevu à travers le prisme de son imagination, lui fait ses offres les plus séduisantes et semble le convier comme Daniel et ses compagnons à ce banquet des joies terrestres où abondent les mets savoureux, les parfums exquis, les liqueurs enivrantes. — C’est le flot des passions, enfin, qui s’élève et bouillonne au dedans de lui… Jeune homme, voici l’heure de la lutte et du vaillant combat, voici l’épreuve redoutable et décisive, voici ces deux routes ouvertes devant tes pas, dont parlait la mythologie antique, et que Jésus appelle la voie large et le chemin étroit. Jeune homme, dit encore la sainte Parole, fortifie-toi et te renforce !… Mais pour lutter, mes chers amis, il faut une arme, une arme divine et céleste ; cette arme, quelle sera-t-elle, sinon la Parole elle-même, la Parole de Dieu demeurant en vous, dit saint Jean ; demeurant en vous, c’est-à-dire non pas seulement confiée à votre mémoire, lue de temps à autre, ou écoutée dans nos temples, mais devenue, par la foi, votre propre pensée, votre certitude intime, le trésor vivant de vos cœurs ! Ah ! dites-vous bien que selon l’expression d’un prophète et d’un apôtre, la Parole de Dieu demeure éternellement. Dites-vous bien que ses promesses sont certaines comme ses menaces. Dites-vous bien que, selon cette parole, il y a un Dieu là haut qui vous a créés, qui prend garde à toutes vos actions, et qui vous en demandera compte ; que ce Dieu vous a donné son Fils pour Sauveur et que quiconque a le Fils, a la vie, mais que quiconque n’a pas le Fils, n’a point la vie. Voilà la vérité, mes jeunes amis, la vérité immuable et éternelle. Opposez-la aux sophismes de l’incrédulité, aux vaines pensées de votre cœur charnel, aux conseils des faux amis, à cette triple séduction du monde que l’apôtre saint Jean appelle immédiatement après notre texte : la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l’orgueil de la vie ! Courage, le Seigneur combat avec vous, il vous tend la main du haut de son ciel : vous n’êtes pas seuls, si vous voulez regarder à Lui. Il vous déclare forts, vous naturellement si faibles. On est fort en effet avec cette parole, car cette parole ce n’est pas seulement un recueil de textes, c’est Christ lui-même, la Parole vivante, habitant et combattant en vous. Courage ! ne vous dites pas qu’il est impossible de résister, qu’on doit un jour ou l’autre succomber, à votre âge. Non, vous êtes destinés à la victoire et non à la défaite. Il en est qui ont glorieusement vaincu, et vous vaincrez aussi. Christ vous le déclare, il affirme non seulement que vous vaincrez, mais que si vous êtes à lui vous avez déjà vaincu, car votre triomphe c’est le sien. Dès l’entrée de la lice, il pose la couronne sur votre front et vous dit, par cela seul que vous vous appuyez sur Lui : Jeunes gens, vous avez vaincu l’esprit malin.
Quelle promesse, mes chers amis ! Mais ne vous faites aucune illusion. Ayez conscience de vos périls. La condition du triomphe, c’est une lutte opiniâtre. La lutte, voilà la vocation de votre âge. Vous êtes en pleine bataille ; il faut combattre, ou vous êtes perdu. Ah ! il ne s’agit pas de céder, même un instant, à vos inclinations naturelles, de marcher comme votre cœur vous mène et selon le regard de vos yeux… car les forces surabondantes de votre âge ne sauraient rester oisives. La sève de vos jeunes années s’épandra en floraison céleste ou en fruits empoisonnés. Si l’ardeur qui est en vous ne vous emporte pas vers Dieu et vers le bien, elle vous emportera loin de Dieu, dans les régions du mal… Si vous ne gravissez pas les pentes, vous les descendrez… et vous pourrez rouler jusques dans ces abîmes, d’où l’on ne revient plus ou bien d’où l’on ne remonte que meurtri et souillé de fange… Mais si vous entrez courageusement dans la lutte morale, l’œil fixé sur Jésus-Christ, quel, noble destin que le vôtre, mes jeunes amis !… Restés purs au milieu des souillures du monde, vous pouvez sans trouble, soutenir le regard d’un père et recevoir le baiser maternel. Votre jeunesse a gardé tout son charme en même temps qu’elle s’est revêtue d’une énergie virile. Vous avez acquis, dans ces salutaires combats, une élévation et une force de caractère que n’étonneront aucune des difficultés ou des vicissitudes de la vie. Victorieux de la chair et du sang, vous le serez de la paresse qui nous condamne à la médiocrité ; de l’égoïsme, qui nous rend inutiles aux autres et finit par nous rendre insupportables à nous-même ; de la mollesse de corps et d’âme qui fait reculer tant de jeunes gens devant ces choses grandes, belles, généreuses, qu’ils avaient rêvées dans un premier élan, mais qu’ils ont lâchement abandonnées, parce qu’elles leur demandaient quelques efforts et quelques sacrifices ! Ce n’est pas vous qui, dans le choix ou l’exercice d’une profession, ne consulterez que votre profit ou votre tranquillité. Ce n’est pas vous qui, dans une alliance, ne serez touchés que des avantages matériels, ou ferez passer avant l’attrait du cœur de froides convenances. Ce n’est pas vous qui, pour votre succès ou votre avancement, serez capables de voies tortueuses et de mesquines intrigues. Ce n’est pas vous qui, dans la vie publique, serez prêts pour toutes les inconstances et toutes les servilités. Non, réussir et jouir ne seront pas pour vous le but de la vie, mais plutôt servir Dieu et vos frères, servir la vérité, la justice, la liberté, toutes les causes saintes et généreuses ! Et lorsque nous porterons nos regards sur ce lendemain inconnu et redoutable où votre génération remplacera la nôtre, nous pourrons nous dire avec consolation : quelles que soient les difficultés et les épreuves, quelles que soient les séductions de l’esprit de mensonge, quels que soient les devoirs et les sacrifices que puissent imposer l’église et la patrie… ils sont chrétiens, ils ne failliront pas !
O jeunesse contemporaine, telle pourrait être ton œuvre et ta magnifique récompense ! Mais, est-ce bien ce que nous pouvons espérer de toi ?…
Ah ! j’entends encore ces paroles sévères, prononcées il y a près de dix ans, à l’Académie Française, et dont je voudrais pouvoir contester la douloureuse actualité : « Il est au sein de cette chère jeunesse une portion trop nombreuse, plus nombreuse, hélas ! qu’autrefois, qui semble déjà languir indifférente et énervée, les yeux détournés de tout but élevé, de toute responsabilité personnelle : tiède et défiante à l’endroit de tout ce qui s’élève au-dessus du niveau commun, idolâtre de la force et de la multitude qui en est le symbole. On la dirait fatiguée avant d’avoir combattu, découragée par des périls qu’elle n’a pas courus, affamée d’un repos qu’elle n’a pas mérité, et résignée aux fausses joies d’une sécurité éphémère. Souhaitons-lui les délicates fiertés et les nobles ambitions qui sont la marque des âmes bien nées. Souhaitons-lui ces poésies de l’adolescence et ces enthousiasmes de la jeunesse, qui enfantent les sacrifices et transforment les mondes. Souhaitons-lui jusqu’à des passions, s’il le faut, oui, des passions à dompter, à discipliner, à féconder, parce que tout vaut mieux pour elle que la décrépitude précoce et le scepticisme corrupteur ! »
Qu’ajouter à ces nobles accents ? Un seul mot. C’est que si l’apôtre saint Jean s’adressait à la jeunesse contemporaine, hélas ! à part une élite trop peu nombreuse dans laquelle nous voudrions pouvoir vous compter tous, ô fils de nos familles, il ne dirait plus : « Jeunes gens, je vous écris parce que vous avez vaincu l’esprit malin. » Mais il dirait, avec une profonde tristesse : « Jeunes gens, je vous écris parce que l’esprit malin vous a vaincus ! »
Après avoir exhorté les enfants et les jeunes gens, l’apôtre exhorte les pères, c’est-à-dire ceux qui, après avoir connu les pieuses impressions du premier âge et les luttes ardentes du second, sont parvenus à cette troisième période qui s’étend des jours de la virilité jusqu’au terme de la vie terrestre.
Dans cette phase nouvelle, le développement chrétien doit changer de nature et s’accomplir plutôt en intensité qu’en surface, plutôt au dedans qu’au dehors. Il s’agit moins de renoncer au monde extérieur dont les attraits s’émoussent peu à peu, que de renoncer à nous-mêmes et à ce monde de nos propres pensées, de notre propre volonté, où se réfugie notre rébellion. Il s’agit moins de remporter des victoires éclatantes sur la chair et le sang, que des triomphes obscurs et peut-être plus difficiles sur un secret orgueil, sur un égoïsme opiniâtre, ou sur quelque désobéissance cachée. Il s’agit non plus d’entrer au service de Christ dans le premier élan de la conversion, mais d’y persévérer jusqu’à la fin, et de garder nos convictions, notre joie chrétienne, notre zèle pour le règne de Dieu, notre amour pour le Seigneur et pour les hommes, comme un trésor intact et vivant, à travers les doutes du siècle, les vicissitudes de la destinée, et les désenchantements de la vie. Il s’agit de traduire en pratique, en réalité, en fidélité de tous, les jours et de toutes les heures, tout ce que Dieu nous a donné de connaissances et de lumières. Il s’agit de rendre un constant témoignage à la foi que nous professons, dans la vie publique et dans la vie de famille, ces deux écoles d’application de la piété, et de nous montrer inflexibles dans nos principes, esclaves de notre conscience, et cependant modérés, doux, humbles, patients, serviables, généreux, dévoués. Il s’agit enfin, dans la sphère la plus intime, celle de nos rapports directs avec Dieu, de demeurer dans son amour, de chercher à lui plaire en toutes choses, de cultiver sa présence par une prière continuelle, de ne pas contrister son Esprit, de discipliner de plus en plus sous sa sainte loi toutes nos pensées, tous les mouvements de nos cœurs, de nous laisser enfin remplir, selon l’expression de saint Paul, de toute plénitude de Dieu.
C’est bien là le troisième âge de la vie chrétienne, caractérisé par cette expression de l’apôtre : Pères, je vous écris parce que vous avez connu Celui qui est dès le commencement. Oui, connaître Celui qui est dès le commencement, c’est-à-dire Jésus-Christ « en qui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science » qui seul est la pleine révélation de Dieu, car il a dit : nul ne vient au Père que par moi : — le connaître de cette connaissance, non de l’esprit seulement mais du cœur, qui est une expérience, une vie, un saint commerce de l’âme avec son objet divin, de cette connaissance dont parlait Jésus quand il disait dans sa prière sacerdotale : « La vie éternelle, c’est de te connaître toi seul vrai Dieu et Jésus-Christ que tu as envoyé ; » — connaître Celui qui est dès le commencement, pénétrer sur les ailes de saint Jean dans les profondeurs de sa nature divine, méditer à la lumière des évangiles sa parfaite humanité, en se souvenant de cette parole de Saint-Pierre : « Christ nous a laissé un exemple afin que nous suivions ses traces, » et de cette autre parole de saint Jean : « Celui qui dit qu’il demeure en Lui doit vivre comme Christ a vécu ; » faire reposer toutes ses espérances sur son mystérieux sacrifice, jusqu’à « ne savoir autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ; » — connaître Celui qui est dès le commencement, sentir tous les autres objets saintement décroître de valeur, d’importance, de beauté, de réalité en regard de cet objet suprême, et par une contemplation toujours plus assidue, aspirer à une ressemblance toujours moins imparfaite ; — voilà la vraie maturité de la vie spirituelle, voilà le fécond automne qui fait porter au chrétien fidèle les fruits les plus beaux et les plus savoureux, et qui en prolonge jusque dans l’hiver de nos années l’heureuse abondance, selon cette belle parole du Psalmiste : « Le juste s’avancera comme la palme et croîtra comme le cèdre du Liban… Étant plantés dans la maison de l’Eternel, ils fleuriront dans les parvis de notre Dieu. Ils porteront des fruits jusques dans la vieillesse toute blanche ; « ils seront en vigueur et resteront toujours vertsd ! »
d – Psaumes 92.12-14.
Qu’il est doux à contempler, mes frères, ce dernier développement de la foi, ce beau soir d’une vie chrétienne !
Si la piété du jeune homme nous charme par le contraste entre un front riant et une âme sérieuse, la piété du vieillard nous émeut par une sainte harmonie : harmonie entre la gravité de l’âge et la gravité des convictions, entre la longue expérience des hommes et la connaissance approfondie de Dieu ; harmonie entre les forces qui déclinent et les sentiments qui se détachent ; harmonie entre les approches de la tombe et la proximité de l’éternelle lumière qui pour le chrétien se lève derrière la tombe. La vieillesse, a dit M. de Chateaubriand, est une voyageuse de nuit, elle ne découvre plus que le ciel. — Nous saluons avec sympathie l’ardent Moïse, s’arrachant au palais des Pharaons et « préférant l’opprobre de Christ aux délices de l’Egypte. » Mais, après quarante ans de retraite au pays de Madian, le Moïse du désert, s’entretenant avec Dieu « comme un ami avec son ami, » portant avec une longue patience « son peuple de col roide » jusques dans la Terre-Promise ; ce Moïse couronné de cheveux blancs, n’est-il pas celui dont l’image vénérée s’est fixée dans nos souvenirs ? — Nous sommes doucement émus à la vue de Samuel, pieux dès l’âge le plus tendre, attentif à la parole de Dieu, dans le tabernacle où veille la lampe sacrée, et nous dictant de sa voix enfantine ce modèle de prière : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! Mais ce même Samuel, au terme d’une carrière fidèle, abdiquant les honneurs du pouvoir sans en déposer les sollicitudes, conseiller infatigable des deux rois qu’il a créés par l’ordre de Dieu, et intercédant pour eux et pour tout son peuple auprès de l’Eternel des armées, ne nous pénètre-t-il pas d’un plus tendre respect et d’une admiration plus profonde ? — Nous aimons Timothée, cet enfant pieux d’Eunice, cet adolescent sympathique gagné à Jésus-Christ par la parole brûlante de Saint-Paul. Mais avec quelle affectueuse vénération n’aurions-nous pas contemplé l’apôtre de l’amour, alors que lassé par les années, il se faisait porter au sein des assemblées chrétiennes et les édifiait par sa seule présence et par une parole d’exhortation à la charité ! Il y a encore, grâces à Dieu, de ces patriarches de la foi, de ces Abraham, de ces Jacob, de ces David « rassasiés de jours », de ces saint Jean penchés jusqu’à la fin « sur le sein de leur Maître. » Nous avons eu le privilège d’en rencontrer dans le cours de notre vie, et leur sanctifiant souvenir ne s’effacera jamais de notre cœur. Nous aimions l’énergie, la simplicité, la sérénité de leur foi : ils ne connaissaient pas nos doutes, nos défaillances, nos orages… A leur aspect, il nous semblait entendre cette parole de l’Écriture : Lève-toi devant les cheveux blancs et honore la personne du vieillard ! Et, quand sonna l’heure de leur délogement, leur départ fut si facile et si doux, que la nuit même de la tombe paraissait absorbée entre les derniers rayons du couchant de leur vie et l’aurore de l’Eternité. O bénédiction, ô charme céleste, ô couronne d’honneur d’une vieillesse chrétienne !…
Mais aurai-je le courage, maintenant, de vous parler d’une vieillesse qui ne serait pas chrétienne, d’exposer devant vous le triste tableau d’un homme qui avance dans la vie, sans connaître et sans vouloir connaître Celui qui est dès le commencement ? Hélas ! il s’approche de l’éternité, mais il ne s’approche pas de ce Dieu qui peut seul la lui faire paisible et heureuse. L’homme « extérieur » se détruit, mais l’homme « intérieur » ne se renouvelle point ; il se ferme de plus en plus aux impressions de la Grâce. Le chemin de la vie se fait pour lui toujours plus rude et plus aride, l’horizon toujours plus terne et plus décoloré : les désenchantements, les regrets, les mécomptes se pressent dans son amère mais stérile expérience ; les tombes de ceux qu’il aime se creusent à ses côtés, en attendant que la sienne s’ouvre à son tour… et à mesure qu’il poursuit sa triste route, il n’a pas devant lui une autre patrie dont les perspectives consolent ses regards et dont les brises restaurantes puissent rafraîchir son âme comme l’âme de l’exilé qui regagne le sol natal. Pour lui, il va d’un exil dans un autre exil, de l’exil terrestre dans l’exil éternel ! Le monde le quitte et il ne veut pas quitter le monde ; il s’y cramponne avec une rage impuissante et il lui mendie encore peut-être des jouissances coupables, ou tout au moins de misérables distractions et une coupe d’étourdissement ! Et cependant, il s’en va… il s’en va pièce à pièce, il s’en va triste et morose, mais non sérieux, dégoûté mais non détaché, mécontent mais non repentant, lassé de la vie et épouvanté de la mort… O mon Dieu ! mon Dieu ! quel départ !… et là-haut, quelle arrivée !
Je n’oublierai jamais la visite que je fis un jour, accompagné d’un ami chrétien, à un vieillard qui avait vécu « sans Dieu dans le monde. » Nous lui lûmes ensemble la parole de vie, nous lui annonçâmes « tout le conseil de Dieu, » nous priâmes à son chevet… Mais pas une corde ne vibrait dans cette âme, la vérité n’y éveillait plus aucun écho. Tandis que nous le pressions, au nom des compassions de Dieu, de se repentir et de croire pour avoir la vie, son regard impassible semblait dire : je ne comprends pas, je ne sens pas, je ne puis plus comprendre, je ne puis plus sentir !… Seigneur, tu es le seul Juge des âmes et tu tiens en réserve, pour la dernière heure, des ressources de miséricorde insondables à l’humaine pensée !… Mais, mes frères, à en juger par ce qui paraissait à nos yeux cet homme allait mourir comme il avait vécu, sans Dieu et sans espérance au monde… Tandis que nous redescendions tristement l’escalier de cette demeure, le serviteur de Dieu qui m’accompagnait interrompit notre silence par ce passage des écritures dont je compris pour la première fois toute la portée : Souviens-toi de ton Créateur aux jours de ta jeunesse, avant que les jours mauvais viennent où tu pourrais dire : je n’y prends plus de plaisir.
Ce sera là, mes frères, la dernière pensée de ce discours.
Voulez-vous une vieillesse chrétienne ? Je ne connais qu’un moyen assuré : ayez une jeunesse chrétienne. Dès l’entrée de la voie, et jusqu’à son issue, prêtez l’oreille aux invitations de l’Esprit ! Consacrez au Dieu de l’Evangile votre enfance naïve, l’ardeur de votre jeunesse, les jours de votre virilité et votre vieillesse toute blanche ! Que votre vie tout entière s’illumine des reflets d’une piété en harmonie avec ses diverses phases, ainsi qu’un fleuve réfléchit le soleil dans tout son cours et colore successivement ses ondes de la pourpre du matin, de l’éclat du midi brûlant et des rayons voilés du soir ! O vous qui avez les années, qui avez l’avenir devant vous, nous vous en conjurons, écoutez aujourd’hui l’appel d’en haut ! Comme Jésus, « croissez en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes ! » Faites marcher d’un même pas la vie de la terre et la vie des cieux !
Mais vous, qui ne pouvez presque plus porter vos regards sur l’avenir et qui sentez, tristement peser sur votre âme un long passé, plein de péchés, de regrets, de remords… n’aurons-nous donc aucune parole de consolation et d’espérance à vous faire entendre. Hommes faits, vieillards peut-être dans l’ordre de la nature, vous pouvez devenir dès aujourd’hui, (béni soit Dieu !) les nouveaux-nés de la grâce ! oh ! laissez dès aujourd’hui une vie impérissable et une jeunesse immortelle s’inoculer à votre être… où le souffle de la vie terrestre va s’éteindre ! Il est encore des compassions pour vous. Dieu « vous attend pour faire grâce. » Venez, « ouvriers de la onzième heure, » il y a place pour vous à la moisson céleste ! Venez ! le Maître est ici et il vous appelle… et vous recevrez de ses gratuités infinies le même salaire : dès maintenant « la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit, et au siècle à venir la vie éternelle ! »
Amen.