1.[1] Abram émigra à Gérare en Palestine, accompagné de Sarra, qu'il faisait passer pour sa sœur ; c'était le même subterfuge que naguère, inspiré par la crainte, car il redoutait Abimélech, roi de ce territoire, qui, lui aussi, épris de Sarra, était capable de violence. Mais sa passion fut dérangée par une grave maladie dont Dieu l'accabla ; déjà les médecins désespéraient de lui, quand il eut un songe et vit qu’il ne devait pas outrager la femme de son hôte ; se sentant mieux, il déclare à ses amis que Dieu lui inflige cette maladie pour défendre les droits de son hôte et garder la femme de celui-ci à l'abri de toute violence (car ce n'était pas sa sœur qu’il avait emmenée, mais sa femme légitime), et que Dieu lui promet dorénavant sa clémence, si Abram est rassuré au sujet de sa femme. Cela dit, il mande Abram, sur le conseil de ses amis, et l'exhorte à ne plus craindre pour sa femme aucune tentative déshonnête, car Dieu prenait souci de lui et, conformément à l'alliance qu'il avait conclue, il la lui rendrait inviolée. Prenant à témoin Dieu et la conscience de Sarra, il déclara qu'il ne l'aurait même pas recherchée au début s'il l'avait sue mariée ; croyant prendre la sœur d'Abram, il n'avait point mal agi. Il le prie, en outre, de lui montrer de la bienveillance et de lui concilier la faveur divine : s'il désirait demeurer chez lui, il lui fournirait tout en abondance ; s'il préférait partir, il lui accorderait une escorte et tout ce qu'il était venu chercher chez lui. A ces mots, Abram répond qu'il n'a pas menti en alléguant sa parenté avec sa femme, car elle était l'enfant de son frère, et, sans le subterfuge dont il avait usé, il aurait cru manquer de sécurité durant son voyage. Il n'était pas responsable de la maladie du roi, il souhaitait ardemment sa guérison et se déclarait prêt à demeurer chez lui. Alors[2] Abimélech lui attribue une part de son pays et de ses richesses ; ils conviennent ensemble de gouverner loyalement et prêtent serment au-dessus d'un puits qu'ils nomment Bersoubai[3], c'est-à-dire le puits du serment : c'est encore le nom que lui donnent aujourd'hui les habitants.
[1] Genèse, XX, 1.
[2] Genèse, XXI, 22.
[3] En hébreu : Beerçéba'. Josèphe traduit par ὅρκου φρέαρ ; cf. LXX, Gen., XXI, 31 : φρέαρ ὁρκισμοῦ et v. 33 : ἐπὶ τῷ φρέατι τοῦ ὅρκου.
2.[4] Abram, peu de temps après, eut également un fils de Sarra, ainsi qu'il lui avait été annoncé par Dieu ; il l'appela Isac[5], ce qui signifie rire ; il lui donna ce nom parce que Sarra avait souri quand Dieu lui eut dit qu'elle enfanterait, elle qui ne s'attendait pas à devenir enceinte à son âge ; elle avait, en effet, quatre-vingt-dix ans et Abram cent. Leur enfant naît donc l'année après (la prédiction des anges)[6] ; on le circoncit le huitième jour. De là vient la coutume pour les Hébreux de pratiquer la circoncision après huit jours ; les Arabes attendent la treizième année, car Ismaël leur ancêtre, qui naquit d'Abram par la concubine, fut circoncis à cet âge : je vais présenter à son sujet les détails les plus précis.
[4] Genèse, XXI, 1.
[5] En hébreu : Yiçhak ; LXX : Ἰσαάκ. Cf. Apollonius Molon ap. Al. Polyhistor (F. H. G., III, 213 ; Textes, p. 61) : ἐκ δὲ τῆς γαμετῆς υἱὸν αὐτῷ γενέσθαι ἕνα, ὃν ἑλληνιστὶ Γέλωτα ὀνομασθῆναι.
[6] Ce passage est peu intelligible dans le grec. Il faut problablement écrire avec Bekker τῷ ὑστέρῳ (mss. ὑστάτῳ) ἔτει.
3. Sarra, au début, chérissait cet Ismaël, né de sa servante Agar, avec toute la tendresse qu'elle eût témoignée à son propre fils ; on l'élevait, en effet, pour succéder au commandement ; mais quand elle eut mis au monde Isac, elle ne crut pas devoir élever avec lui Ismaël, qui était l'aîné et pouvait lui nuire après que leur père serait mort. Elle persuade donc à Abram de l'envoyer s'établir ailleurs avec sa mère. Mais lui, dans le principe, ne donnait pas son adhésion aux projets de Sarra ; il estimait qu'il n'y avait rien de si inhumain que de congédier un enfant en bas âge et une femme dénuée de toutes les ressources nécessaires à la vie. Mais plus tard, — aussi bien Dieu approuvait-il les desseins de Sarra —, il cède, remet Ismaël à sa mère, car il ne pouvait encore cheminer tout seul, et la congédie, avec une outre pleine d'eau et un morceau de pain ; la nécessité lui servirait de guide. Elle s'en fut et quand le nécessaire vint à manquer, elle se trouva dans une situation cruelle ; comme l'eau s'épuisait, elle posa son enfant mourant sous un pin et, pour n'être pas là quand il rendrait l'âme, elle alla un peu plus loin. Un ange de Dieu la rencontre, lui indique une source dans le voisinage et lui recommande de veiller à la nourriture de son enfant ; car le salut d'Ismaël serait pour elle la source de grands biens. Elle reprend courage à ces promesses, et rencontre des bergers dont la sollicitude la tire de peine.
4.[7] Quand son enfant eut atteint l'âge d'homme, elle lui fit prendre une femme de cette race égyptienne dont elle était elle-même originaire : Ismaël eut de cette femme en tout douze fils : Nabaïôth(ès), Kédar(os), Abdéel(os)[8], Massam(as)[9], Idoum(as)[10], Masmas(os)[11], Massès[12], Chodad(os)[13], Théman(os), Jétour(os), Naphais(os), Kedmas(os)[14]. Ceux-ci occupent tout le pays qui s'étend depuis l’Euphrate jusqu'à la mer Erythrée et qu'ils appelèrent Nabatène. Ce sont eux dont les tribus de la nation arabe ont reçu les noms en l'honneur de leurs vertus et en considération d'Abram.
[7] Genèse, XXV, 12 ; I Chroniques, I, 29.
[8] En hébreu : Adbeèl. Ναβδεέλ.
[9] En hébreu : Mibsam.
[10] Hébreu et dans LXX : Douma.
[11] En hébreu : Misma'.
[12] En hébreu : Massa.
[13] En hébreu : Hadad ; LXX : Χοδδάν.
[14] Hébreu et dans LXX : Kedma.