Élisée fils de Saphat

13.
Le chemin du salut

Longtemps on a pu voir, non loin de Bethléem, une pierre couverte d’une mousse séculaire, qui semblait conservée pour communiquer au voyageur de grands et sublimes enseignements. Le patriarche Jacob la dressa sur la tombe de sa bien-aimée Rachel. Elle subsiste dans le récit biblique (Genèse 25.18) comme témoin fidèle d’un événement plein d’une signification profonde.

Ce fut de là que Rachel fut rassemblée avec ses frères. — Presque tous les croyants d’autrefois moururent comme elle sur le chemin de Bethléem. Après avoir vécu, combattu, supporté mille peines dans la vive attente de l’Orient d’En Haut, au moment, pensaient-ils, de le voir paraître, ils fermaient les yeux à la lumière. — Il en est encore ainsi de plusieurs âmes. Elles demeurent ici-bas au point de vue de l’Ancien Testament. Il semble qu’elles n’aient à faire qu’a Moïse. Il est douloureux de voir ces consciences oppressées et gémissantes. Toutefois elles arriveront, quoique le Seigneur ne leur accorde point de se désaltérer maintenant au puits de Bethléem.

Il faut toujours que la mort précède l’arrivée à Bethléem, ou bien l’on n’y arrive que comme partout ailleurs. Mais de quelle mort parlons-nous ? Ce fut la belle Rachel qui mourut. Elle doit aussi mourir en toi ; il faut qu’une pierre tumulaire s’élève sur ta propre justice, sur ta propre force, alors tu parviendras à Ephrat et tu en contempleras les scènes merveilleuses.

Rachel mourut en mettant au monde un fils. — Lorsqu’un homme meurt spirituellement, les sons de la cloche d’allégresse se mêlent à ceux de la cloche de deuil. C’est que le moment de la mort est aussi pour lui le moment de la naissance. Que ce nouvel homme ne s’arrête point, qu’il continue sa route avec son Père jusqu’au delà de Migdal-Héder.

Le fils de Rachel reçut un double nom. Sa mère, en mourant, le nomma Bénoni, ce qui veut dire : fils de ma douleur. C’est aussi le nom que plusieurs voudraient donner au nouvel homme. Le prince de l’air, tout irrité de sa défaite, l’appelle Bénoni. Ses parents, tout chagrins de ce qu’il s’affranchit de leurs vains exemples, l’appellentBénoni. Sa propre chair de péché l’appelle Bénoni. Dans un tout autre sens, l’âme qui peut-être lutta avec larmes pour sa naissance l’appelle Bénoni ; et, du haut du ciel, Celui qui l’engendra par ses douleurs pourrait aussi l’appeler Bénoni ; mais lors même que sous le poids de la croix il voudrait lui-même s’appeler Bénoni, ce n’est point là, non plus que pour le fils de Rachel, son véritable nom.

Il s’appelle Benjamin, le fils de ma droite, mon fils chéri ! Telle est la volonté décisive de son père. Que ce nom glorieux ne sorte point de notre souvenir. Que sa signification profonde nous soit toujours présente.

2 Rois 5.11-13

11 Mais Naaman se mit en grande colère et s’en alla en disant : Voici, je pensais en moi-même : il sortira incontinent, et il invoquera le nom de l’Eternel son Dieu, et il avancera la main sur l’endroit de la plaie, et il délivrera le lépreux. 12 Abana et Parpar, fleuves de Damas, ne sont-ils pas meilleurs que toutes les eaux d’Israël ! Ne m’y laverais-je pas bien ? Mais deviendrais-je net ? Ainsi donc il s’en retournait et s’en allait tout en colère. 13 Mais ses serviteurs s’approchèrent et lui parlèrent, en disant : Mon père, si le prophète t’eût dit quelque grande chose ne l’eusses-tu pas faite ? Combien plutôt donc dois-tu faire ce qu’il t’a dit : lave-toi et tu deviendras net.

La scène que nous venons de lire est aussi instructive qu’intéressante. Il semble que le cœur de Naaman soit ouvert devant nous. Mais le cœur humain est partout le même ; en examinant attentivement ce qui se passe en Naaman, ce sont nos propres sentiments que nous apprenons à connaître. L’étrange colère de Naaman et la sage répréhension qu’il reçoit, tels sont les deux points sur lesquels nous dirigerons aujourd’hui notre attention.

I

La figure de Naaman s’assombrit. Son âme se remplit de colère et d’indignation, il lui semble qu’on se joue de lui et que toutes ses peines sont perdues et ses espérances encore une fois détruites. Il s’irrite contre ceux qui lui conseillèrent ce voyage, contre la petite Israélite, puis contre le roi Joram qui l’a laissé induire en erreur, contre les citoyens de Jéricho, et enfin contre le prophète qui, évidemment, lui semble-t-il, n’est pas capable de rien faire pour sa guérison. Mais Naaman eût eu plus de raisons de s’irriter contre lui-même ; car, s’il était retourné à Damas sans avoir été guéri, s’il était tombé victime de l’horrible maladie dont il était rongé, qui aurait-il pu accuser sinon lui-même ? c’est dans son propre cœur que s’élèvent les écueils qui menacent la barque de ses espérances. Ces écueils, ce sont ses pensées présomptueuses, ses jugements précipités, ses raisonnements humains. Cependant le secours est près de lui ; pourquoi n’en profite-t-il pas ? Hélas ! parce que ce secours se présente à lui sous une autre forme que celle sous laquelle il s’est imaginé qu’il lui serait accordé !

« Voici, je pensais, dit-il en prenant déjà le chemin du retour, que telle et telle chose arriverait. » Je pensais ! Ah ! voici bien venir ce qu’il y a de plus pernicieux sur la terre. C’est la chaîne du démon, la maison d’arrêt de l’enfer, le plus puissant des boulevards qui s’élèvent entre les pécheurs et celui qui peut les sauver. Plusieurs commencent à s’apercevoir qu’ils sont perdus  ; mais alors ils commencent aussi à penser que Dieu aura égard à leur faiblesse, et n’exigera point d’un homme plus qu’il ne peut faire. Plusieurs entendent la voix de leur conscience leur crier qu’ils ont besoin d’expiation ; mais bientôt ils viennent à penser qu’ils peuvent faire eux-mêmes cette expiation en s’abstenant du mal, et la mort en est la suite, parce que le seul refuge qui soit donné aux pécheurs leur demeure ainsi caché. Plusieurs désireraient voir le Dieu des dieux plus distinctement que dans les nuages de leurs conceptions et de leurs pressentiments ; mais ils continuent à ramper devant leurs ténèbres, parce qu’ils viennent à penser que l’abaissement de la Divinité faite chair est une chose incompréhensible. D’autres, dont la vie n’est qu’une suite des avertissements les plus solennels, ne se précipitent pas moins dans l’abîme avec une inconcevable sécurité, parce qu’ils pensent en leur cœur qu’il n’y a rien à craindre de la part du Dieu qui est amour. Quelle témérité que d’exposer ainsi son avenir sur de vaines suppositions ! Un commerçant expose-t-il hasardeusement sa fortune entière ? Quelqu’un a dit : « Il y a des milliers de personnes qui terminent leur course terrestre en disant :je pense (telle et telle chose) ; et qui devront commencer leur existence éternelle en disant : je pensais ! Je pensais que mes péchés ne seraient pas comptés et que Dieu me pardonnerait. Je pensais que l’enfer n’existait pas et que le démon n’était qu’une fiction. Je pensais que l’éternelle damnation n’était qu’un épouvantail, destiné à effrayer les âmes faibles. Je pensais…, mais hélas ! combien les choses sont autrement, et dans quel abîme m’ont jeté mes suppositions téméraires !

Mais qu’avait donc pensé Naaman ? Toutes sortes de choses, dont le contraire arrive devant ses yeux. Il avait pensé qu’Élisée se hâterait de venir au devant de lui ; il s’attendait à beaucoup d’égards, à beaucoup de déférence. Son orgueil s’irrite de se voir traité comme le dernier de ceux qui ont besoin du prophète, et aussitôt il décide en lui-même que cet homme est incapable de le soulager. Nous sourions de ce jugement, et cependant quoi de plus commun ? en est-il autrement de nos jours ? Notre doctrine ne regarde ni au rang, ni à la naissance. Elle traite tous les hommes indistinctement comme de pauvres péagers et leur offre un salut gratuit. Mais c’est précisément ce qui la fait mépriser du monde ; c’est précisément pour cela qu’il ne veut point reconnaître en elle la parole de Dieu. Et que pensait-il encore l’aveugle Syrien ? Je pensais, ajoute-t-il, qu’il sortirait incontinent, qu’il invoquerait le nom de l’Eternel son Dieu, qu’il avancerait sa main sur la plaie et délivrerait le lépreux. Voilà l’idée toute faite qu’il avait apportée avec lui. Déjà il se représentait un pompeux spectacle, une cérémonie telle qu’il était accoutumé à en voir au milieu des païens ; il faisait du prophète un magicien aux paroles mystérieuses, aux gestes solennels, tenant une baguette en sa main, traçant des cercles magiques, invoquant le nom de son Dieu, palpant les plaies du malade, lui imposant gravement les mains et faisant mille autres choses semblables. Telles étaient les images fantastiques qui flottaient devant son âme, et parce qu’il ne voit rien de ce qu’il a attendu, il se croit trompé et s’imagine que tout est perdu. Sans ces conjectures hasardées, il serait arrivé sans doute à une conclusion différente ; en voyant Élisée agir si simplement, il aurait acquis la conviction que cet homme ne pouvait être un nuage sans eau, mais qu’au contraire c’était à cause de la pleine assurance du succès qu’il lui avait donné cette injonction : Va et te lave sept fois dans le Jourdain et tu deviendras net.

Mais Naaman est retenu par les chaînes de l’erreur ; il place les choses divines et les choses humaines sur le même rang ; il ne s’aperçoit pas que, si ce qui procède de l’homme a besoin de pompe et d’ornement, ce qui procède de Dieu ne serait qu’obscurci par tout embellissement qu’on essaierait d’y ajouter. — II en est beaucoup qui pensent comme Naaman, et qui, par conséquent, se scandalisent comme lui et d’une manière plus funeste encore. Leurs illusions, qui procèdent de la chair et du sang, sont pour eux comme le voile de Moïse qui leur cache la gloire de Christ. La parole de Dieu n’existe pas pour eux dans le monde, parce que l’opinion qu’ils se sont faite de ce que serait cette parole, si Dieu ouvrait réellement sa bouche, est loin de se rapporter au style et au langage des hommes inspirés. Ils ne reconnaissent point de miracles, parce que rien de ce qu’on donne pour tel ne correspond à la pompeuse représentation qu’ils se sont faite d’une intervention de Dieu dans les choses du monde. Il en est de même de leurs idées relativement au salut. C’est ainsi que par leurs opinions et leurs suppositions, ils se privent de jouir de tout ce qui est réellement grand, divin et propre à donner le bonheur, pendant qu’ils exaltent jusqu’à l’idolâtrie des choses qui sont d’autant plus nulles et vides en elles-mêmes qu’elles se donnent, aux yeux des simples, un air plus grandiose et plus sublime. Que celui donc qui désire entrer dans le sanctuaire de la vérité, fasse sur le seuil le sacrifice de ses propres idées. Ce n’est pas à la forme sous laquelle nous apparaît ce qui est divin, que nous devons attribuer l’incrédulité du monde, mais à l’orgueil des hommes qui voudrait soumettre la révélation à des idées préconçues. Ces opinions en l’air sont les plus fortes colonnes du trône du prince des ténèbres. C’est par leur moyen que Satan gouverne le monde, et ce n’est que lorsque l’homme commence à s’en défier que l’enfer tremble. Lorsqu’un homme commence à comprendre que l’expérience des choses divines peut seule enseigner comment Dieu se communique, il n’est pas loin du royaume de Dieu. Car il hérite la simplicité enfantine qui ne veut point savoir avant d’avoir été enseigné ; la simplicité enfantine qui dit : Faites-moi voir le soleil, puis je vous dirai comment il brille et éclaire. Un homme qui essaierait de tracer la carte d’Allemagne avant de connaître le pays, serait considéré par tout le monde comme un fou ; et à plus forte raison si, venant plus tard à le parcourir, il prétendait que ce ne peut être l’Allemagne parce qu’il ne ressemble point à sa carte. Eh bien, il y a des milliers d’hommes qui n’agissent pas moins follement à l’égard de la foi. Ils nient en face que la vérité soit la vérité parce que, ô méprise inouïe ! ils ont eux-mêmes tracé le signalement de cette fille des cieux, avant que de la connaître, avant même que d’avoir contemplé ses traits.

II

Au reste, ce qui irritait si fort Naaman, ce n’était pas tant seulement la conduite étrange d’Élisée, que la simplicité du remède qu’il lui proposait : Va et te lave sept fois au Jourdain, et ta chair te reviendra telle qu’auparavant, et tu seras net. Quoi ! me laver au Jourdain ? s’écrie-t-il. Abana et Parpar ne sont-ils pas meilleurs que toutes les eaux d’Israël, ne m’y laverais-je pas bien ? Sans doute, à son point de vue, il a raison. Jusqu’à nos jours, les eaux de la Syrie ont été réputées meilleures que la plupart de celles de la Terre Sainte. Mais qui lui disait de comparer les propriétés chimiques du Jourdain et des fleuves de Syrie ? Que dirions-nous si quelqu’un assurait que telles ou telles eaux minérales sont plus saines que celle avec laquelle nous baptisons ? ou que tel ou tel pain a des qualités plus nutritives que celui que nous mangeons dans la Cène ? Pourrions-nous trouver assez étranges de telles absurdités ? C’est pourtant ainsi que raisonne notre héros. Il ne considère pas qu’une divine promesse est attachée pour lui aux eaux du Jourdain. L’assurance lui est donnée au nom du Tout-Puissant qu’il sera guéri au moyen de ces eaux ; de là seulement leur vertu salutaire. Oui, avec une promesse du Seigneur, une chaumière est préférable à un splendide palais ; un pain d’orge est plus délicieux qu’un somptueux banquet ; la verge de Moïse est plus puissante que le sceptre des rois. Qu’étaient toutes les pharmacies du monde en comparaison du serpent d’airain, duquel le Seigneur a dit : Quiconque le regarde sera guéri ? Qu’étaient de nombreuses tonnes d’huile en comparaison de la pauvre cruche de la veuve après qu’Élie eut dit : L’huile qui est dans la fiole ne défaudra point ? — La valeur de toutes choses dépend de la promesse que Jéhovah y a attachée. La table mal servie, la cave vide et la couche misérable du plus pauvre des enfants de Dieu ont plus de valeur que les tables surchargées et que les moelleux coussins de ceux auxquels il n’a point été dit : « Je prendrai soin de vous : vous ne manquerez d’aucun bien. »

Naaman jugeait donc selon les apparences et non selon la foi. Les eaux du Jourdain étaient pour lui les eaux du Jourdain et rien de plus. Il ne voyait pas l’ange qui, comme à Bethesda, venait de descendre, tout prêt à le bénir. Le désespoir s’empare de lui, il ne voit plus de guérison possible ; le cœur rempli d’amertume et de colère, il ordonne à ses serviteurs de retourner les chariots et de partir sans délai. Il est obéi, déjà tout est prêt pour le départ ; nos cœurs se serrent en voyant cet homme retourner chez lui dans de telles illusions ! Et sans doute il l’eût fait, si Dieu, de sa main puissante, n’eût arraché le bandeau épais dont ses yeux étaient couverts. L’auteur et le consommateur de la foi à de pareils plans de miséricorde envers tous ceux qu’il veut sauver. Ah ! s’il ne nous conduisait comme il conduisit Naaman, lors même que nous soupirerions après la délivrance en face de la crèche et de la croix, nous nous égarerions encore pour périr bientôt dans l’obscurité d’un sentier de notre choix.

Il faut que Naaman soit désabusé, humilié et enseigné. Observons la manière dont s’y prend le Seigneur pour atteindre ce triple but. Avant de soulager le malade, il lui laisse exhaler toute sa fureur, afin que le Syrien puisse reconnaître qu’il est aussi impur moralement que physiquement. Le Seigneur ne l’empêche pas non plus de se remettre en route, mais il paraît au contraire ne pas s’inquiéter de ce qui le concerne. Cette indifférence apparente de Jéhovah ne fait sans doute qu’exciter davantage sa colère ; mais il y avait aussi là quelque chose d’excessivement humiliant, et ce sentiment ne dut pas être affaibli par le choix que fit le Seigneur des plus humbles de ses domestiques pour le reprendre, comme jadis il employa l’ânesse de Balaam pour censurer la folie du prophète. Déjà Naaman s’était remis en route. Élisée, toujours dans sa chaumière, priait pour que les écailles tombassent de ses yeux. Soudain les serviteurs du lépreux se pressent autour de lui et le supplient, avec de respectueuses instances, de suivre les conseils du prophète et de vouloir bien essayer le remède qui lui est indiqué : « Mon père, lui disent-ils, avec une tendre confiance : si le prophète eût dit quelque chose de bien considérable ; ne l’aurais-tu pas fait ? combien plutôt donc dois-tu faire ce qu’il t’a dit : Lave-toi et tu deviendras net. » Qui donc a donné une telle sagacité à des conducteurs de chameaux ? A quelle école ont-ils puisé leur science ? Qui les a rendus capables de pénétrer si avant dans les mystères du cœur humain, et de nous révéler, dans un langage concis et si justement approprié, l’un de ses traits les plus délicats et les plus cachés ? Ils disent vrai. Si Élisée eût proposé quelque grand moyen, tel qu’un pèlerinage dans les déserts de l’Arabie, ou de monter sur ses genoux au sommet d’une haute montagne, ou de faire un long jeûne, ou quelque somptueux sacrifice, alors sans doute Naaman eût conçu de grandes espérances. Il se serait empressé d’obéir au prophète. Mais se baigner dans le Jourdain lui paraît un acte trop facile pour que le Dieu d’Israël puisse y attacher un miracle ! — Combien est ancrée dans l’esprit de l’homme, l’idée qu’il doit faire quelque travail pénible pour obtenir le salut ; combien peu il comprend la grâce et qu’il est peu disposé à la recevoir ! Il rejette avec indignation l’Evangile parce qu’il l’enrichirait gratuitement. Pauvre insensé ! tu resterais débiteur toute l’éternité si ton salut dépendait du strict accomplissement d’un iota de la loi ! — Tout ce que l’homme peut faire, c’est de payer avec de la fausse monnaie et cependant il ne veut point accepter de grâce ; il s’indigne qu’on lui propose la justice de Christ comme le seul moyen d’éviter la condamnation. « Je ne veux pas de parure empruntée, » s’écrie-t-il. « Jésus est bon à suivre comme modèle, mais je vous le laisse comme victime expiatoire. Les œuvres, les œuvres seules, peuvent gagner la couronne et non un tranquille repos dans la grâce de Dieu. » Que de fois n’entendons-nous pas ce langage ! C’est celui de l’homme naturel, qui est l’adversaire né de l’Evangile, et qui peut se réjouir aujourd’hui de voir son triste système formulé sous le nom de Rationalisme, et publiquement avoué par le monde.

Qu’il nous est difficile à nous-mêmes de nous familiariser avec l’Evangile, lors même que les écailles sont tombées de nos yeux et que nous avons décidément jeté vers Jésus l’ancre de notre espérance. Vraiment la libéralité de l’économie évangélique nous gêne ; le sentier de la nouvelle alliance nous fatigue par sa facilité même. Nous préférerions payer quelque chose, lors même que nous ne possédons rien. Tout accepter gratuitement paraît à notre orgueil un acte méprisable et notre sens légal s’en fait scrupule. On consent bien à espérer mourir dans la paix. Mais on n’oserait se vanter dès à présent de la bourgeoisie céleste. Plus de repentance, plus de sainteté, plus d’amour et nous pourrons nous glorifier en Christ, et nous considérerons ce qui est à Lui comme nous appartenant en propre ! Quelle fausse idée du caractère de ce royaume qui a pour base la médiation du Fils de Dieu ! Après que sa justice a été satisfaite par l’obéissance du Fils, le Père ne nous demande que de célébrer sa gratuité ! La grâce ne stipule pas de conditions. La grâce cherche des pécheurs et non pas des justes. Il est des routes au bout desquelles on voit resplendir la couronne de vie. A l’entrée de l’une on lit : « Fais ceci et tu vivras ! » A l’entrée de l’autre est écrit : « Viens et achète sans argent et sans aucun prix. » L’une est la route des œuvres ; l’autre celle de la foi. Elles sont l’une et l’autre parfaites et irréprochables. C’est pourquoi, frère, choisis celle que tu veux suivre. L’une est un sentier d’honneur. Tu y seras l’artisan de ton propre salut, tu en paieras toi-même le prix, tu recevras la récompense des mains de la justice et non de celles de la miséricorde. Mais songe que tu n’y rencontreras point l’indulgence, mais bien la sévérité ; sache qu’une sainteté parfaite t’y sera demandée ; sache qu’aucun effort ne pourra détourner de toi la malédiction si, au bout de ta course, tu demeures débiteur d’un seul quadrant, car le pardon n’y trouve point d’accès. — L’autre sentier est celui de l’humiliation et de la douleur ; il faut y entrer et y marcher avec les habits d’un mendiant. La couronne qu’on voit briller n’est plus une récompense, mais un don gratuit. Il n’y a rien à payer, mais tout à recevoir. Un autre a combattu et a remporté la victoire à ta place. Le plus léger désir de coopérer en quelque chose à cette conquête, y serait un attentat à la gloire de Celui à qui seul toute gloire appartient. Mais tout est prêt pour celui qui veut tout accepter gratuitement. A lui appartient la bonne part de Marie, sans les peines et les agitations de Marthe !…

Choisis donc, frère ! Dans la première de ces routes, tu jouiras, à l’entrée des satisfactions de l’orgueil, au milieu de la route, tu souffriras les peines de la mortification, et à la fin les tourments d’une chute totale et sans remède. Dans la seconde route, tu sentiras d’abord ton extrême indigence ; mais, en avançant, tu éprouveras les joies de la réhabilitation en Christ et, à la fin, les extases d’une éternelle et ineffable exaltation. — Dans la première tu te croiras libre et tu ne seras qu’un misérable esclave ; tu travailleras avec zèle et cependant tu ne recueilleras que la mort et la malédiction. Dans la seconde, tu perdras une gloire imaginaire, mais ce sera pour recueillir la gloire véritable ; tu te dépouilleras de toi-même, mais ce sera pour devenir un avec Dieu. — Dans la première tu dépenseras ton argent pour ce qui ne nourrit pas, tu travailleras pour ce qui ne donne aucune satisfaction et tu tisseras des toiles d’araignées. Dans la seconde, tu seras l’hôte de Jéhovah, tu vivras dans la gloire, et tu porteras les vêtements de fête de ton frère aîné. — Dans la première, l’officier te poursuivra armé de verges ; le créancier te visitera avec sa créance, et le bourreau t’attendra avec le glaive. Dans la seconde, rien ne te poussera à la sainteté que ton propre cœur ; les bénédictions et l’amour de Dieu te visiteront seuls, et les portes de l’éternelle cité seront ouvertes devant toi.

Venez donc, vous tous qui aimez vos âmes. Ne vous appuyez plus sur vos bonnes œuvres ; car elles ne vous donneront point le salut, vous ne pouvez le recevoir que des mains de la miséricorde. Mais la miséricorde ne trafique ni ne marchande ; elle donne librement et n’a point d’acception de personnes. Les larmes de la reconnaissance sont la seule oblation qu’elle accepte. La sueur d’un pénible travail, fait en vue de la récompense, n’est d’aucun prix à ses yeux.

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