Note d’introduction
Les pages suivantes reproduisent le texte de conférences prononcées, en tout ou en partie, à Sainte-Croix, à Genève, à Lausanne et à Paris.
Leur intention n’est pas d’engager une polémique de partis ou d’aiguiser des rivalités personnelles, comme quelques-uns l’ont cru, mais simplement de mettre les Églises en garde contre une altération du christianisme évangélique, à laquelle un certain nombre de fidèles risquent de céder trop aisément aujourd’hui et que l’auteur tient pour désastreuse.
Les ouvrages qu’il cite ne constituent pas l’objet propre de son étude ; à peine en furent-ils l’occasion. Les rares emprunts qu’il leur fait et les renvois qu’il met en note n’ont d’autre but que d’illustrer et de soutenir sa pensée.
Il ne prétend pas non plus se prononcer sur l’évolutionnisme scientifique ; il ne préjuge nullement de sa valeur explicative dans le domaine de la nature et ne vise point à déterminer, dans cette sphère, les bornes de son légitime emploi. Cela est au-dessus de sa compétence et en dehors de son dessein. Bien moins encore songe-t-il à contester le fait même de l’évolution ; ce serait nier l’histoire, son exact synonyme.
Mais le fait reconnu, faut-il l’admettre aussi à titre de principe ? En d’autres termes, l’évolution, qui est un phénomène à interpréter, a-t-elle le droit de se poser en principe d’interprétation ? en principe unique d’interprétation intégrale ? Voilà le problème à la solution duquel ces pages tentent de contribuer.
Désireux d’éviter autant qu’il était possible les apparences d’une controverse personnelle, l’auteur a donc dû traiter, non de l’évolutionnisme tel qu’il estime l’apercevoir chez l’un ou l’autre des théologiens modernes, mais de l’évolutionnisme en soi et comme philosophie, c’est-à-dire en tant que principe d’explication universelle. Cette philosophie, il l’a prise à la fois dans sa rigueur et dans sa simplicité ; il lui a fait porter, spécialement dans l’ordre moral et religieux, toutes les conséquences qu’elle entraîne ; c’est sur ce terrain seulement et au nom de ses conséquences qu’il l’a voulu combattre.
A ceux qui lui reprocheraient, ce faisant, de parler dans le vide, d’enfoncer des portes ouvertes, et, nouveau Don Quichotte, de partir en guerre contre des moulins à vent, sous prétexte qu’aucun des représentants actuels de l’évolutionnisme religieux — même ceux qui lui accordent les gages les plus décisifs — ne sont parfaitement fidèles à la philosophie dont ils s’inspirent et que, du plus au moins, tous en répudieraient les résultats logiques, il répondra qu’un système n’a pas besoin d’être entièrement réalisé pour produire ses effets et qu’il n’exerce pas d’ordinaire sa plus grande influence à l’heure qui suit, mais à l’heure qui précède l’avènement de sa formule définitive. « L’extrême logique d’une idée, dit quelque part Vinet, en est le vrai nom. C’est à l’extrême qu’il faut tout de suite porter une idée pour la bien connaître ; et c’est bien souvent en se retenant sur la pente, en s’imposant des restrictions arbitraires, et, pour dire vrai, en se mentant à elles-mêmes, que de grandes erreurs, qui eussent scandalisé tout le monde si elles eussent prononcé leur dernier mot, ont été presque édifiantes en le taisant. »
Une fois en circulation, elles vivent d’ailleurs, comme la vérité, d’une vie indépendante ; il n’appartient plus à personne, surtout pas à ceux qui les ont émises, de leur fixer une limite ou de retenir leur marche. « Que d’autres parlent, écrit encore Vinet, d’erreurs oisives ou indifférentes, je n’en conçois point. Aucun principe, vrai ou faux, ne s’endort. Il opère sourdement ou il agit avec éclat ; il fait son chemin avec lenteur ou rapidement, mais il ne demeure pas inactif un instant, depuis le jour où quelqu’un l’a déposé dans les esprits. Il n’importe pas même qu’il ait été régulièrement rédigé : avant d’avoir trouvé sa formule, il aura trouvé sa conclusion. »
Or, on soutiendra difficilement que les tendances maîtresses qui dirigent actuellement une importante fraction de la théologie chrétienne ne procèdent en droite ligne de l’évolutionnisme religieux tel qu’il est ici conçu.
C’en est assez pour justifier une entreprise dont l’auteur ne se dissimule ni les imperfections, ni les lacunes, mais sur la faiblesse de laquelle il invoque le secours tout-puissant de la grâce de Dieu.