Mais les apôtres et les frères qui étaient dans la Judée apprirent que les païens aussi avaient reçu la parole de Dieu.
Ce que saint Luc rapporte sur le bruit de la conversion d’une maison et famille fut divulgué entre les frères, procédait de la surprise. Car les Juifs réputaient comme une chose fort étrange et monstrueuse, que les Gentils leur fussent associés, tout ainsi que s’ils eussent entendu que des hommes eussent été formés de pierres. Avec ce l’amour excessif de leur nation les empêchait de connaître que ce fut une œuvre de Dieu. Car nous voyons que pour cette ambition et arrogance l’Eglise de Dieu a été troublée, pour ce qu’ils ne pourraient souffrir une égalité qui semblait diminuer leurs prérogatives. Et c’est pourquoi ils ont tant obstinément combattu pour assujettir les Gentils sous le joug de la Loi. Mais vu qu’il avait été prédit par tant d’oracles de Prophètes, que l’Eglise serait recueillie de tous gens et peuples après l’avènement du Messie, et que Jésus-Christ avait donné mandement aux apôtres de prêcher l’Evangile par tout le monde, comment s’est pu faire cela, que la conversion de quelque petit nombre de personnes en émeuve certains, comme une chose inouïe, et que les autres l’aient comme une chose monstrueuse en horreur ? Je réponds que tout ce qui était prédit de la vocation des Gentils, était tellement pris des Juifs, comme si les Gentils eussent dû venir à la Loi de Moïse pour avoir lieu en l’Eglise. Or le moyen de la vocation de laquelle ils voyaient pour lors les commencements, non seulement leur était inconnu, mais aussi leur semblait être contraire à toute raison.
Car ils imaginaient qu’après que les cérémonies seraient abolies, les Gentils ne pourraient être mêlés en un même corps avec les enfants d’Abraham, que grande injure et outrage ne fut fait à la sainte alliance de Dieu. Car à quel propos était donnée la Loi, sinon qu’elle fut comme une paroi entre les Juifs et Gentils, pour montrer la séparation qui était entre eux ? De plus, pour ce que toute leur vie ils avaient été accoutumés à cette division, cette nouveauté nullement attendue les rend tellement étonnés, qu’ils oublient tout ce qui devait apaiser ce grand ébahissement. Bref, ils ne comprennent pas du premier coup le secret, lequel a été occulte et caché aux Anges depuis la création du monde, comme remontre saint Paul en Ephésiens 3.9.
Et lorsque Pierre fut monté à Jérusalem, ceux de la circoncision discutaient contre lui,
Il advient ordinairement qu’une erreur n’est point sans obstination. C’était déjà un vice d’une ignorance trop lourde, que les Juifs ne recevaient point paisiblement en leur giron les Gentils qui étaient unis avec eux d’un même Esprit de foi. Mais non seulement ils se retirent, mais débattent contentieusement contre saint Pierre, et blâment ce qu’il avait fait, qui toutefois était digne de grande louange. Ils entendent que les Gentils avaient reçu la parole de Dieu. Qui les empêche donc de les recevoir en société comme sous l’obéissance d’un même Dieu ? Y-a-t-il lien de conjonction plus sacré, que quand tous adhèrent à Dieu d’un même consentement ? Et comment ne seraient unis en un même corps, ceux qui se constituent pour chef le Messie et Oint de Dieu ? Mais pour ce qu’ils voyaient que la forme externe de la Loi était violée, il leur semblait que ce fut mêler le ciel avec la terre, par manière de dire. Or il nous faut noter que quand S. Luc a dit ci-dessus, que les apôtres et frères ont entendu ce bruit, il n’a fait nulle mention du scandale. Mais maintenant il introduit comme une nouvelle secte de gens, qui se sont pris à débattre contre saint Pierre. Les frères entendirent, dit-il. Il n’ajoute rien après. Il s’ensuit :
Et quand Pierre fut monté en Jérusalem, ceux de la Circoncision débattaient contre lui. Certes il faut bien que c’en ait été d’autres que les premiers. D’avantage, quand il dit, Ceux de la Circoncision, il ne dénote pas simplement les Juifs, mais des gens qui étaient trop acharnés aux cérémonies de la Loi. Car il n’y en avait point pour lors de ceux de Jérusalem au troupeau de Jésus-Christ, qui ne fussent circoncis. Desquels donc séparait-il ceux-ci ? Finalement il ne semble pas vraisemblable, que les apôtres et ceux qui étaient les plus tempérés et modérés du nombre des fidèles, aient entrepris ce débat. Car encore qu’ils eussent été scandalisés, nonobstant ils pouvaient prendre saint Pierre à part, et lui demander la raison de ce fait. Voici les raisons qui me poussent à penser qu’ils sont appelés ainsi, à savoir de la Circoncision, pour ce qu’ils avaient une si grande révérence à la Circoncision, qu’ils ne donnaient lieu au Royaume de Dieu, sinon à ceux qui auraient fait profession de la Loi, et qui étant introduits en l’Eglise par cette sainte cérémonie, seraient dépouillés de leur immondicité.
disant : Tu es entré chez des hommes incirconcis et tu as mangé avec eux.
Ceci n’était point, défendu par la Loi, mais était une observation que les pères avaient ordonnée. Et toutefois saint Pierre ne réplique point en cet endroit qu’on le presse de trop près, et qu’il n’y a nulle nécessité de Loi humaine qui le puisse obliger. Il laisse toute cette défense, et répond seulement que les autres sont premièrement venus à lui, et lui ont été présentés comme de la main de Dieu. Au surplus, nous voyons ici une singulière modestie de saint Pierre, que combien qu’ayant bonne cause il peut mépriser ces pauvres ignorants qui l’accusent à tort, toutefois (comme il faut faire entre frères) il s’excuse doucement et modestement envers eux. Il est vrai que cette tentation était grave, qu’il était injustement accusé, pour ce qu’il avait fidèlement obéi à Dieu ; mais pour ce qu’il savait que cette condition était imposée à toute l’Eglise, qu’un chacun fut prêt de rendre raison de sa doctrine et de sa vie, toutes les fois qu’il est requis, et qu’il se souvenait bien qu’il était l’un du troupeau, non seulement il souffre d’être appelé à rendre raison de son fait, mais aussi il se soumet au jugement de l’Eglise de son bon gré. Il est vrai que la doctrine (si elle est de Dieu) est par-dessus tout humain jugement ; mais pour ce que Dieu veut que la prophétie soit jugée, 1 Corinthiens 14.29, 32, il ne faut point que les serviteurs de Dieu refusent cette condition, qu’ils se montrent être tels qu’ils veulent être estimés.
Au reste, nous entendrons tantôt ci-après, jusques où doit avoir lieu la défense tant des faits que de la doctrine. Pour cette heure nous avons seulement à retenir que saint Pierre condescend volontiers à rendre compte quand on réprouve son fait. Que si le Pape est successeur de S. Pierre, pourquoi ne sera-t-il pas tenu à une même condition ? Prenons encore le cas, qu’il se soit soumis volontairement à cela ; toutefois pourquoi est-ce que son successeur n’ensuit un tel exemple de modestie qui lui est ici montré ? Combien qu’il n’est point ici besoin d’un long circuit. Car si ce que les Papes vomissent en leurs puants et abominables décrets, est vrai, saint Pierre a fait déloyalement de quitter ainsi les privilèges de son siège ; et par ce moyen il a été traître au siège Romain. Car après qu’ils ont fait le Pape juge de tout le monde, qui ne soit aucunement assujetti à jugement quelconque des hommes ; après qu’ils l’ont élevé pardessus les nuées, afin qu’étant hors de cette condition de rendre raison, il mette en avant son plaisir ou appétit pour Loi, incontinent ils le constituent protecteur et grand défenseur du siège Apostolique, pour maintenir vaillamment les privilèges dudit siège. Ainsi donc, de quelle lâcheté serait digne d’être blâmé saint Pierre, s’il a quitté si légèrement, et renoncé si facilement à un droit qui lui a été donné de Dieu ? Pourquoi ne répliquait-il pour le moins qu’il n’était point sujet aux lois ? ou qu’il était exempt de l’ordre commun ? Or est-il qu’il ne proteste rien de tout cela ; mais il entre droit en cause. Ainsi quant à nous, rappelons-nous que rien ne nous doit empêcher de mépriser hardiment cette idole ; vu que s’usurpant une tyrannie si exorbitante et orgueilleuse, il s’est mis hors du nombre des Évêques et Pasteurs.
Mais Pierre se mit à leur exposer ce qui s’était passé, en suivant l’ordre des faits, disant :
Pour ce que c’est un même récit que celui que nous avons eu au chapitre précédent, et que ce sont presque les mêmes paroles et mots, s’il y a quelque chose qui ait besoin d’interprétation, les lecteurs auront recours audit chapitre. Or l’intention de saint Pierre et toute la somme du propos sera connue par la conclusion. Mais avant que passer outre, il faut noter en bref, qu’il fait la prédication de l’Evangile cause de salut, quand il dit : Il te dira des paroles, par lesquelles tu seras sauvé. Non pas que le salut soit enclos en la voix d’un homme ; mais pour ce que Dieu nous offrant là son Fils en vie bien heureuse et éternelle, fait en même temps que nous jouissions de lui par foi. Vraiment voici une bonté admirable de Dieu, que combien que les hommes n’aient rien en eux que matière de mort, et que non seulement ils soient sujets à la mort quant à eux, mais aussi ne puissent apporter que mort aux autres, toutefois il les fait administrateurs de vie. Cependant le monde montre bien une horrible et plus que vilaine ingratitude en ceci, lequel dédaignant et se fâchant du vrai et certain salut qui lui est proposé devant ses yeux, et le laissant là comme foulé aux pieds, imagine divers saluts et frustratoires, et aime beaucoup mieux en les cherchant bâiller de faim, que d’être repu et suffisamment rassasié de la grâce présente de Dieu.
J’étais en prière dans la ville de Joppé, et, étant en extase, j’eus une vision : un vase qui descend semblable à une grande toile, tenue par les quatre coins, qui s’abaissait du ciel, et il vint jusqu’à moi.
Et fixant sur lui mes regards, je le considérai, et je vis les quadrupèdes de la terre et les bêtes sauvages et les reptiles et les oiseaux du ciel.
Et j’entendis aussi une voix qui me disait : Lève-toi, Pierre, tue et mange.
Mais je dis : Nullement, Seigneur ; car jamais rien de souillé ou d’impur n’est entré dans ma bouche.
Et pour la seconde fois une voix répondit du ciel : Ce que Dieu a purifié, toi ne l’appelle pas souillé.
Or cela se produisit jusqu’à trois fois ; puis tout fut de nouveau retiré dans le ciel.
Et voici, au même instant, trois hommes, envoyés vers moi de Césarée, se présentèrent à la porte de la maison où nous étions.
Or l’Esprit me dit d’aller avec eux sans hésiter. Et ces six frères vinrent aussi avec moi ; et nous entrâmes dans la maison de Corneille.
Or il nous raconta comment il avait vu, dans sa maison, l’ange se présentant à lui et lui disant : Envoie à Joppé, et fais venir Simon, surnommé Pierre,
qui te dira des choses par lesquelles tu seras sauvé, toi et toute ta maison.
Et comme je m’étais mis à parler, l’Esprit saint descendit sur eux, de même que sur nous aussi au commencement.
Et je me souvins de la parole du Seigneur, quand il disait : Jean a baptisé d’eau, mais vous serez baptisé d’Esprit saint.
Nous avons déjà assez amplement montré au premier chapitre, quand Jésus-Christ proférait cette sentence, qu’il n’a fait comparaison de double Baptême, mais a voulu montrer quelle différence il y avait entre lui et Jean. Or tout ainsi que nous distinguons la figure ou le signe de sa vérité ; aussi est-il nécessaire qu’il y ait distinction entre le ministre et l’auteur, afin que les hommes mortels ne tirent à eux ce qui est propre à Dieu. Les hommes ont le signe en la main ; il n’y a que Jésus-Christ qui lave et régénère. Car ceci n’est pas de petite importance, à quelle fin et but les entendements des hommes soient dressés, quand il faut chercher les grâces de Dieu ; d’autant qu’une goutte seule ne distillera point sur eux hors Jésus-Christ. Il y a donc cette différence générale entre Jésus-Christ et tous les ministres de l’Eglise, que les ministres ont bien le signe externe pour conférer, mais le Seigneur Jésus accorde efficace au signe par la vertu de son Esprit. Il était besoin d’avertir derechef les lecteurs de ceci en ce passage ; pour ce que plusieurs recueillent mal de ceci, qu’il y a diversité entre le baptême de Jean et le nôtre ; pour autant que Jésus-Christ se réservant le Saint Esprit, et l’attribuant à soi seul, ne laisse rien de reste à Jean que l’eau.
Au reste, si certains s’appuyant et se faisant fort de ce témoignage, voulait faire du baptême un spectacle froid et vide de toute grâce du Saint Esprit, celui-là aussi sera grandement abusé. Car l’Écriture a coutume de parler en deux façons des Sacrements, comme il a été dit ailleurs. Car d’autant que le fils de Dieu n’est point trompeur en ses promesses, il ne souffre que ce qu’il a ordonné soit vain. Mais quand la sainte Ecriture attribue au baptême la vertu de laver et régénérer, elle attribue tout cela au Fils de Dieu notre Seigneur Jésus ; et montre seulement que c’est que celui-ci fait en la vertu de son Esprit par le signe visible et par la main d’un homme. Quand Jésus-Christ est ainsi conjoint avec le ministre, et la grâce et efficace du Saint Esprit avec le signe extérieur, alors on attribue aux Sacrements autant qu’il est de besoin et expédient. Au reste, cette conjonction ne doit point être tellement confondue, que les hommes ayant leurs esprits détournés des hommes et de tout ce que les yeux charnels peuvent contempler es éléments du monde, n’apprennent à regarder en la seule vertu du Saint Esprit, et attendre salut du seul Fils de Dieu. Car quiconque se détourne du Saint Esprit pour dresser ses yeux sur les signes, il ne saurait si peu faire cela qu’il ne décline du but de la foi ; et quiconque ôtera tant peu soit de la louange et gloire du Seigneur Jésus pour en orner l’homme, celui-ci est sacrilège. Au reste, il nous faut aussi se rappeler que Jésus-Christ a aussi bien dénoté sous ce mot d’Esprit, toute la grâce de notre renouvellement et régénération, que le don des langues et autres choses semblables. Mais pour ce que ces dons étaient un témoignage singulier de la grande puissance de Jésus-Christ, cette sentence leur convient fort proprement. Je dirai ceci plus clairement : Quand Christ conférait les grâces visibles du Saint Esprit aux apôtres, il a montré ouvertement qu’il avait le Saint Esprit en sa main. Ainsi il a rendu témoignage par ce moyen qu’il est auteur unique de la pureté et justice, et de toute la régénération. Or saint Pierre l’accommode à son propos en cette sorte : Que d’autant que le Fils de Dieu allait devant, portant avec soi la vertu et efficace du baptême, lui devait suivre avec l’accessoire, à savoir le signe externe de l’eau.
Puis donc que Dieu leur a fait le même don qu’à nous, qui avons cru au Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je, moi, pour pouvoir m’opposer à Dieu ?
Nous voyons maintenant à quel propos S. Pierre a fait cette narration, à savoir afin qu’il donnât à entendre que Dieu avait été guide et auteur de tout l’affaire. Le point donc de toute la question réside en l’autorité de Dieu. Saint Pierre débat qu’il n’a rien fait que par bon ordre, pour ce qu’il a obéi à Dieu. Il montre qu’il n’a point mal ou follement employé la doctrine de l’Evangile, vu qu’il l’a employée où Jésus-Christ avait mis les dons et les grâces de son Saint Esprit. Voilà la règle selon laquelle il faut déterminer l’approbation tant de notre doctrine que de tous nos faits, toutes les fois que les hommes nous en demandent raison. Car quiconque s’appuie sur le commandement de Dieu, il a assez de défense, et plus qu’il ne lui est de besoin. S’il ne satisfait point aux hommes, il ne faut point qu’il s’arrête plus à leurs pervers jugements. Et de ceci nous pouvons recueillir que les fidèles ministres de la parole de Dieu peuvent rendre tellement raison de leur doctrine, qu’ils ne diminuent rien de l’autorité et certitude de celle-ci, à savoir s’ils montrent qu’elle leur a été divinement enseignée. Que s’ils ont affaire avec gens déraisonnables, lesquels la révérence de Dieu ne puisse contraindre à se rendre, qu’ils les laissent là avec tout leur orgueil et obstination. Il nous faut aussi noter que non seulement en combattant ouvertement nous résistons à Dieu, mais aussi en étant paresseux, à savoir en n’exécutant point ce qui est propre à notre vocation. Car saint Pierre dit ici, qu’il n’a pu dénier le baptême et la société fraternelle aux Gentils, qu’il ne se montrât adversaire de Dieu. Et toutefois il n’eût rien attenté qui fut ouvertement contraire à la grâce de Dieu. Cela est bien vrai ; mais celui qui ne reçoit pas ceux que Dieu lui présente, et qui ferme la porte que Dieu avait ouverte, empêche l’œuvre de Dieu, pour sa part. Comme nous disons aujourd’hui, que ceux qui tâchent de renverser le baptême des petits enfants, entreprennent de fait la guerre contre Dieu ; pour ce qu’ils chassent cruellement de l’Eglise ceux que la promesse de Dieu avait adoptés en l’Eglise, et privent du signe extérieur ceux auxquels Dieu fait cet honneur de les appeler enfants. Il y a une autre manière de résistance quasi semblable en plusieurs gens adonnés à simulation et dissimulation, lesquels en lieu qu’étant en état de Magistrat devaient pour le regard de leur office aider aux Martyrs de Christ, s’efforcent de leur clore la bouche, et réprimer leur sainte liberté. Car pour ce que la vérité est odieuse, ils voudraient qu’elle fut supprimée.
Or, après qu’ils eurent entendu ces choses, ils se calmèrent, et ils glorifièrent Dieu, en disant : Dieu a donc donné aux païens aussi la repentance pour qu’ils aient la vie !
L’issue démontre bien que ceux qui avaient ému ce débat contre saint Pierre, n’étaient point poussés de malice. Car c’est un signe évident de crainte de Dieu, qu’étant faits certains de la volonté de Dieu, tout soudain ils cessent de débattre. Par lequel exemple nous sommes enseignés qu’il ne faut point mépriser ceux qui étant offensés sans cause de quelque chose, la reprennent incontinent par un zèle inconsidéré ; mais il faut par la parole de Dieu apaiser leurs consciences qui sont troublées par ignorance ou erreur, et pour le moins jusques-là éprouver leur docilité. Quant à nous, nous apprenons semblablement de ceci, d’où doit dépendre notre jugement, à savoir de la seule et simple volonté de Dieu. Car cet honneur lui est dû, que sa volonté nous soit une certaine et souveraine règle d’équité et vérité. Toutes les fois qu’il est expédient et bon pour notre salut de savoir la cause de chacune chose, Dieu ne la cache point ; mais afin qu’il conduise et accoutume notre foi à une vraie obéissance, il prononce quelque fois simplement et précisément que ceci ou cela lui plaît. Celui qui se lâche la bride de s’enquérir plus outre, que fait-il sinon se précipiter d’un orgueil et audace diabolique ? Or saint Luc ne dit pas seulement que ceux-ci se sont tus, mais avec cela qu’ils ont donné gloire à Dieu. Il y en a certains qui sont contraints de honte de se taire, lesquels toutefois tiennent serré en leurs cœurs ce qu’ils n’osent proférer. Cela est plutôt un faux semblant d’humilité ou modestie, que docilité. Mais ceux-ci se soumettent tellement du tout à Dieu, et acquiescent à sa Parole, qu’ils n’ont point de honte de se dédire promptement de ce qu’ils avaient dit.
Dieu donc a aussi donné, etc. Saint Luc montre en bref par ces paroles ce que contient l’Evangile, et à quel but il tend ; à savoir afin que Dieu renouvelant les hommes par son Esprit, les réconcilie à soi. Il est vrai qu’il y a ici seulement le mot de Repentance exprimé ; mais quand il est ajouté, Pour avoir vie, il est montré assez ouvertement, que la repentance n’est pas séparée de la foi. Si on veut donc droitement profiter en l’Evangile, il faut dépouiller le vieil homme, et méditer la nouveauté de vie, Ephésiens 4.22 ; puis après il nous faut être assurés que nous ne sommes point en vain appelés à repentance, mais que le salut nous est préparé en Jésus-Christ. Ainsi il adviendra que la confiance de salut ne se reposera que sur la bonté et miséricorde gratuite de Dieu ; et toutefois cependant la rémission des péchés ne sera point cause d’une nonchalance ou assurance oisive. Ce mot, Donner repentance, peut être exposé en deux sortes ; ou que Dieu a donné aux Gentils loisir de se repentir, quand il a voulu que son Evangile leur fut publié et annoncé ; ou bien qu’il a circoncis leurs cœurs par son Esprit, comme dit Moïse, Deutéronome 30.6 ; et que de cœurs de pierre il en a fait des cœurs de chair, comme dit Ezéchiel 2.9. Car c’est une œuvre propre à Dieu de réformer les hommes, et les régénérer, afin qu’ils commencent à devenir nouvelles créatures. Et ce second sens convient mieux, et est moins contraint, et plus accordant au style de l’Écriture.
Ceux donc qui avaient été dispersés par la persécution survenue à l’occasion d’Etienne, allèrent de lieu en lieu jusqu’en Phénicie, en Chypre et à Antioche, n’annonçant la Parole à personne, si ce n’est à des Juifs seulement.
Saint Luc retourne maintenant au fil de l’histoire précédente. Car il avait touché ceci ci-dessus, qu’après la mort de S. Etienne la cruauté et rage des méchants augmenta, et pourtant plusieurs s’enfuirent étonnés de crainte, en sorte qu’il n’y eut quasi que les apôtres qui demeurèrent en Jérusalem. Lors que le corps de l’Eglise était déchiré par ce moyen, et qu’il semblait que les fugitifs dussent avoir la bouche close à cause de la timidité qu’ils pouvaient concevoir, ou du mépris auquel ils pouvaient être à l’étranger ; il montre qu’une issue s’en est suivie, qu’on n’eût jamais attendue. Car tout ainsi qu’on répand la semence, afin qu’elle apporte fruit ; aussi est-il advenu par la suite de leur dispersion, que l’Evangile a été répandu jusques à des régions fort lointaines, lequel était auparavant enfermé dedans les murailles d’une ville, comme en un grenier. Voilà comment s’est fait, que le nom du Seigneur Jésus a traversé les mers et hautes montagnes, et est parvenu jusques aux derniers bouts du monde. Ainsi suivant la prophétie d’Esaïe.10.23, la consomption a abondé en justice. Si tant de fidèles et chrétiens n’eussent été chassés hors de la ville de Jérusalem, Chypre et le Liban n’eussent rien entendu de Jésus-Christ ; et même l’Italie et l’Espagne, qui étaient encore plus loin. Mais le Seigneur a fait, que d’aucuns membres déchirés, plusieurs corps en ont été formés. Car dont est venu qu’il y a eu Eglise assemblée tant à Rome qu’à Pouzzoles, sinon pour autant que quelque petit nombre de gens fugitifs et bannis avaient là apporté avec eux l’Evangile ? Or tout ainsi que Dieu renversa pour lors miraculeusement les efforts de Satan ; aussi ne faut-il point douter qu’il ne se dresse et prépare des triomphes encore aujourd’hui de la croix et persécution, en sorte que la dispersion fera que l’Eglise soit beaucoup mieux unie. Le Liba est contiguë à la Syrie, et voisine de Galilée. Antioche est la ville la plus renommée de Syrie, du côté qu’elle touche la Cilice.
Sans annoncer à personne, etc. Par aventure que la seule crainte de la persécution ne les empêchait pas de parler même aux Gentils, mais aussi ce sot scrupule qu’ils avaient de penser qu’en ce faisant on jetait le pain des enfant aux chiens ; comme ainsi soit toutefois que Jésus-Christ eût commandé depuis sa résurrection, que l’Evangile fut indifféremment prêché à tout le monde, Marc 16.15.
Mais quelques-uns d’entre eux étaient des hommes de Chypre et de Cyrène, qui, étant venus à Antioche, parlèrent aussi aux Grecs, annonçant le Seigneur Jésus.
Finalement saint Luc expose qu’aucuns d’entre eux ont porté ce trésor jusques aux Gentils. Aucuns entendent ici par les Grecs ceux qui étaient sortis des Juifs, mais habitaient en Grèce. Ce que je ne reçois aucunement. Car vu que les Juifs, desquels il a un peu auparavant fait mention, étaient en partie Cypriens, il faudrait nécessairement qu’ils fussent mis en ce nombre, d’autant que les Juifs mettent Chypre pour une partie de Grèce. Mais saint Luc sépare et discerne d’eux, ceux qu’il appelle Grecs puis après. D’avantage, après avoir dit que la Parole avait été seulement annoncée aux Juifs du commencement, entendant par cela ceux qui étant hors de leur pays habitaient en Chypre et Liban ; comme voulant corriger cette exception, il dit que les Grecs ont été enseignés par aucuns d’entre eux. Certes cette opposition nous contraint de l’exposer des Gentils. Car saint Luc signifie qu’il y en eut quelque petit nombre qui semèrent plus librement la doctrine de l’Evangile, d’autant que la vocation des Gentils ne leur était point inconnue. Au demeurant, la grande constance de tous ne mérite point peu de louange, d’autant qu’étant presque tire du milieu de la mort, toutefois ils ne font difficulté de rendre leur devoir à Dieu, voire avec grand danger. Dont nous recueillons à quelle fin et jusques où il est licite aux Chrétiens de fuir la persécution ; à savoir afin qu’ils emploient à bon escient le reste de leur vie à avancer la gloire de Dieu. Si on demande d’où venait une si grande hardiesse à ces nouveaux venus, et qui pouvaient être suspects, et haïs de tous les Juifs, pour ce qu’ils avaient été chassés de Jérusalem ; je réponds que ceci a été fait par un singulier mouvement de Dieu, et qu’ils ont pris soudain conseil de l’occasion qui leur a été offerte. Car aussi cette délibération ne procède point de la chair et du sang.
Et la main du Seigneur était avec eux ; et un grand nombre, ayant cru, se convertirent au Seigneur.
Saint Luc montre par l’issue, que l’Evangile n’a point été offert aux Gentils aussi à la volée, et inconsidérément par les frères Cypriens et Cyréniens, d’autant que leur labeur a été utile et fructueux. Or un tel profit ne s’en fut jamais suivi, sinon que Dieu y eût favorisé et l’eut ordonné. Il s’ensuit donc qu’il a plu à Dieu que les Gentils fussent appelés. Quant à ce mot de Main, il est assez notoire qu’il signifie vertu et puissance. S. Luc donc veut dire que Dieu par son assistance et faveur présente a donné a entendre que les Gentils ont été appelés par sa conduite ensemble avec les Juifs, pour participer à la grâce du Seigneur Jésus. Et cette bénédiction de Dieu a servi grandement à confirmer les cœurs de tous. Au reste, il nous est remontré par ce passage, que tout le labeur et étude que les Ministres de Dieu emploient à enseigner, sera vain et inutile, si Dieu ne bénit leur travail du ciel. Car c’est à nous de planter et arroser, comme saint Paul enseigne, 1 Corinthiens 3.7 ; mais l’accroissement vient de Dieu seul, en la main duquel sont les cœurs des hommes, pour les dresser et former selon son bon plaisir. Toutes les fois donc qu’il est question de la foi, rappelons nous cette façon de parler : Que Dieu a travaillé par ses Ministres, et par sa main, c’est-à-dire, qu’il a donné efficace à la doctrine par inspiration secrète de son Esprit. Par quoi que le Ministre n’attente rien se fiant à son entendement ou à son industrie ; mais qu’il recommande son labeur au Seigneur, de la grâce duquel dépend tout l’événement. Et quand la doctrine aura fructifié, que ceux qui auront cru apprennent de faire à Dieu hommage et reconnaissance de leur foi. D’avantage, il nous faut observer ce que saint Luc dit que plusieurs furent convertis à Dieu par la foi. Car il exprime très bien quelle est la vertu et la nature de la foi ; à savoir que ce n’est point une connaissance froide, ni oisive, mais telle qu’elle remet sous l’obéissance de Dieu et unit à sa justice les hommes qui étaient auparavant détournés de lui.
Or le bruit en parvint aux oreilles de l’Eglise qui était à Jérusalem, et ils envoyèrent Barnabas jusqu’à Antioche.
Si ce bruit fut venu devant l’excuse de saint Pierre, plusieurs eussent repris aigrement ces bons personnages, desquels toutefois Dieu avait scellé le ministère par la grâce de son Esprit ; mais ils avaient déjà ôté cette superstition de leurs esprits, après que Dieu avait montré ouvertement par signes, que nulle nation ne devait être réputée profane. Et pourtant ils ne disputent plus, et n’arguent point de témérité ce qu’aucuns avaient osé proposer Jésus-Christ aux Gentils ; mais envoyant secours ils témoignent qu’ils approuvent ce qui avait été fait par eux. Or voici la cause pourquoi ils ont envoyé Barnabas. Pour lors les apôtres soutenaient tout le fardeau du Royaume de Christ ; et pourtant leur office était de dresser et former des Eglises par tout ; d’entretenir tous les fidèles en un pur et saint consentement de la foi, en quelque part qu’ils fussent ; et là où il y aurait quelque nombre de fidèles, d’y constituer des Pasteurs et Ministres. On soit bien quelle est la ruse de Satan. Aussitôt qu’il voit que la porte est ouverte à l’Evangile, il tâche en toutes sortes de corrompre ce qui est pur. Par ce moyen est advenu que beaucoup et diverses hérésies se sont levées avec la doctrine du Fils de Dieu. Par quoi tant plus que chacune Eglise est douée de grâces excellentes tant plus doit-elle être soigneuse que Satan ne brouille ou mêle quelque chose entre les rudes et ceux qui ne sont encore bien confirmés en la droite foi. Car il n’y a rien plus facile à faire que de corrompre le blé en la première herbe. En somme, Barnabas a été envoyé pour élever plus haut les commencements de la foi, pour mettre les affaires en quelque bon ordre, pour donner forme au bâtiment qui était commencé, afin qu’il y eût un droit état d’Eglise.
Celui-ci étant arrivé, et ayant vu la grâce de Dieu, se réjouit ; et il les exhortait tous à demeurer attachés au Seigneur, d’un cœur ferme.
En premier lieu saint Luc montre par ces paroles, que ce qu’ils ont reçu était le vrai Evangile ; après cela il déclare que Barnabas n’a cherché autre chose que la gloire du Seigneur Jésus. Car quand il explique qu’il voit la grâce de Dieu, et les exhorta tous de persévérer, nous recueillons de cela, qu’ils avaient été droitement enseignés. Or sa joie est un témoignage de la sincérité et pur zèle de Dieu qui était en lui. L’ambition est toujours envieuse et maligne. Ainsi nous en voyons plusieurs, lesquels veulent être honorés et loués en reprenant les autres, d’autant qu’ils sont beaucoup plus convoiteux de leur propre gloire que de la gloire du Seigneur Jésus. Mais il faut qu’à l’exemple de Barnabas les fidèles serviteurs de Christ soient joyeux quand ils voient l’avancement ou fruit de l’Evangile, par quelques gens que Dieu ait voulu glorifier son Nom. Et de fait, ceux qui emploient leur labeur du industrie pour le profit commun, en telle sorte qu’ils reconnaissent que tant le fruit qui en procède est œuvre de Dieu, ne seront jamais envieux l’un de l’autre, et ne chercheront point des occasions de reprendre ; mais glorifieront Dieu, et célébreront sa vertu tous d’une même bouche et d’un même courage. Derechef, il est bien à noter que saint Luc attribue ici à la grâce de Dieu la foi de ceux d’Antioche, et tout ce qui était là digne de louange. Il pouvait raconter par le menu les vertus qui y étaient, ce qui eût servi à la louange des hommes ; mais il comprend sous ce seul mot de Grâce, tout ce qui était excellent en cette Église-là. Finalement notons l’exhortation de Barnabas. Nous avons déjà remontré ci-dessus, que Barnabas approuvait la première doctrine que ceux-ci avaient reçue. Mais afin que la doctrine ne s’écoule et perde, il faut nécessairement qu’elle soit vivement engravée dedans les cœurs des fidèles par continuelles exhortations. Car vu que nous avons à batailler continuellement contre tant et si puissant ennemis, et que nos esprits sont si glissant, si un chacun ne s’arme soigneusement, il tombera bas tout incontinent. Et combien y en a-t-il tous les jours qui montrent par leur révolte cela être par trop véritable ? Quant au moyen de persévérer ainsi qu’il le détermine, à savoir qu’ils aient une fermeté de cœur, nous sommes enseignés par cela, que la foi a pris lors fortes et vives racines, quand elle a son siège au cœur. Par quoi il ne se faut nullement étonner, si à grand-peine il y a de dix l’un de ceux qui se disent avoir la foi, qui persévère fermement jusques à la foi en sa profession. Car à la vérité il y en a bien peu qui connaissent que c’est d’affection et fermeté de cœur.
Car c’était un homme de bien, et rempli d’Esprit saint et de foi. Et une foule considérable se joignit au Seigneur.
Il est vrai que Barnabas est loué par le témoignage du Saint Esprit ; nonobstant il nous faut entendre que ceci n’est point dit tant pour lui que pour nous. Car tous ceux qui sont envieux et brûlent de dépit quand ils voient que les labeurs des autres apportent fruit, sont ici condamnés comme malicieux et méchants. Il nous faut aussi noter la description que met ici saint Luc d’un homme de bien ; à savoir qu’il était plein du Saint Esprit et de foi. Car après l’avoir nommé homme de bien et entier, il montre la source d’où procédait cette bonté, à savoir d’autant qu’ayant renoncé aux affections de la chair, il embrassait de tout son cœur la piété et s’y adonnait. Mais pourquoi sépare-t-il la foi d’avec le Saint Esprit, vu que la foi est un don de celui-ci ? Je réponds qu’elle n’est point nommée à part comme une chose diverse, mais plutôt qu’elle est proposée expressément comme le principal témoignage, par lequel on pouvait connaître que Barnabas était plein du Saint Esprit.
Et grande multitude fut adjointe au Seigneur. Combien que déjà il y eût grand nombre de fidèles, toutefois saint Luc dit qu’il crût encore par la venue de Barnabas. Voilà comment le bâtiment de l’Eglise s’avance, quand les uns aident aux autres par consentement mutuel, et que ce qui a été commencé par l’un, l’autre l’approuve franchement et d’une bonne affection.
Et Barnabas s’en alla à Tarse, pour chercher Saul.
La simplicité de Barnabas nous est derechef louée, en ce que combien qu’il peut obtenir le premier lieu en Antioche, toutefois il s’en alla en Cilice, afin que de là il fît venir Paul, lequel il savait lui devoir être préféré. Nous voyons donc que s’oubliant soi-même il ne regarde à autre chose, sinon que Jésus-Christ soit seul éminent, qu’il n’a rien devant ses yeux que l’édification de l’Eglise, et se contente pourvu que l’Evangile avance toujours de mieux en mieux. Donc Barnabas ne craint point que la venue de Paul lui diminue rien, moyennant que Christ en soit glorifié. Or il ajoute puis après, qu’un si saint accord a été béni du ciel. Car ce n’était point un petit honneur, que de là est sorti le sacré nom des Chrétiens pour être répandu par tout le monde. Combien que les apôtres eussent si longuement enseigné en Jérusalem, nonobstant Dieu n’avait fait encore cet honneur à l’Eglise qui était là, de l’orner du titre de son Fils, soit pour ce qu’en Antioche grand peuple tant des Juifs que des Gentils était assemblé en un corps, ou pour ce que les choses y étant paisibles il avait été plus aisé de mieux ordonner et dresser une Eglise ; ou pour ce qu’ils ont été plus hardis à faire franche confession de leur foi. Il est vrai qu’il y avait auparavant des Chrétiens de fait tant en Jérusalem qu’en Samarie ; et nous savons que Jérusalem a été la vraie source et fontaine, de laquelle la religion Chrétienne est premièrement découlée. Et de fait, être disciple de Jésus-Christ, qu’est-ce autre chose sinon être Chrétien ? Mais quand ils ont commencé à être manifestement appelés ce qu’ils étaient, l’usage du nom a grandement servi à magnifier la gloire du Seigneur Jésus ; car par ce moyen toute la religion était rapportée à Jésus-Christ seul. Et pourtant c’a été un grand honneur à la ville d’Antioche, que de là le Fils de Dieu Jésus-Christ a déployé son Nom comme une bannière, afin qu’il fut notoire à tout le monde qu’il y avait un peuple, duquel Jésus-Christ était capitaine et gouverneur, et lequel se glorifiait du nom et titre de celui-ci. Or si Rome avait une telle occasion de s’élever, qui pourrait porter les arrogantes vanteries du Pape et de toute sa bande ? Alors ils auraient couleur pour se vanter à pleine bouche, que Rome est la mère et le chef de toutes les Eglises. Mais cela va bien, que combien qu’il n’y ait rien qu’ils ne s’attribuent, nonobstant quand ce vient au fait, on trouve qu’ils sont du tout vides. Au surplus, Antioche même nous est un trop clair enseignement, combien il s’en faut qu’un lieu dure toujours en une même condition. Encore que nous accordions aux Romains ces titres favorables : Autrefois nous avons été ceci et cela ; néanmoins s’oseront-ils usurper la moitié de ce qui revient à Antioche ? La dignité d’Antioche est-elle plus grande aujourd’hui, pour ce que les Chrétiens ont tiré leur nom de là ? Mais plutôt elle nous est un miroir clair et évident de là vengeance horrible de Dieu. Car vu qu’on n’aperçoit rien en cette qu’une dissipation horrible et difforme, que reste-il sinon que nous apprenions à nous humilier sous la main puissante de Dieu, et sachions que Dieu ne dissimule pas jusques-là l’ingratitude des hommes, qu’ils puissent persévérer a se moquer de lui sans en recevoir puis après juste punition ?
Et l’ayant trouvé, il l’amena à Antioche. Et il arriva qu’ils furent même une année entière réunis dans l’Eglise et enseignèrent une foule considérable, et qu’à Antioche les disciples reçurent, pour la première fois, le nom de chrétiens.
Or, en ces jours-là, des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche.
Saint Luc loue ici la foi de ceux d’Antioche par le fruit, en ce qu’ils se sont efforcés de subvenir de leur abondance à la nécessité de l’Eglise, de laquelle ils avaient reçu l’Evangile ; et ont fait cela sans avoir été requis. Une telle sollicitude pour leurs frères nécessiteux montre bien de quelle vraie affection ils honoraient Jésus-Christ le chef de tous. Or saint Luc signifie que cette Eglise d’Antioche était fort renommée, quand il dit qu’aucuns excellents personnages descendirent là, venant de Jérusalem. Au demeurant, comme ainsi soit que le nom de Prophète est pris diversement au nouveau Testament, comme on le peut recueillir de la 1re aux Corinthiens ; ici il appelle Prophètes ceux qui avaient le don de prédire les choses à venir ; comme aussi les quatre filles de Philippe seront ci-après appelées de ce même nom. Or quant à ce qu’il attribue à Agabus seul qu’il a prédit la famine, nous pouvons recueillir de cela, que cette grâce de connaître les choses à venir avait été donnée a chacun par certaine mesure.
Et l’un d’eux, nommé Agabus, s’étant levé, prédit par l’Esprit qu’il y aurait une grande famine sur toute la terre, laquelle arriva sous Claude.
Saint Luc exprime ouvertement, que l’Esprit de Dieu a été auteur de cette prophétie, afin que nous sachions que ce n’a point été une conjecture prise des astres ni d’autres causes naturelles ; bref, qu’Agabus n’a point humainement philosophé, mais qu’il a proféré par une secrète inspiration du Saint Esprit ce que Dieu avait délibéré de faire. Il est bien vrai qu’on peut quelques fois prédire la stérilité par la situation des astres ; mais il n’y a rien certain en telles prognostications, tant à cause des concurrences opposites, que principalement d’autant que Dieu gouverne selon son bon plaisir les choses terrestres bien d’une autre façon qu’on n’a pu conjecturer par les astres ; et ce afin que les hommes soient détournés d’abuser des astres, et y regarder autrement qu’il ne faut. Au reste, déjà soit que telles prophéties ou prognostications aient leur degré, toutefois les prophéties et oracles du Saint Esprit sont bien par-dessus. Mais il semble que cette prophétie de la famine ne fut guère désirable, comme apportant quelque malheur. Car quel besoin était-il qu’en prédisant un événement triste et malheureux, les hommes fussent rendus misérables devant le temps ? Je réponds qu’il y a plusieurs causes pourquoi les hommes doivent être exhortés de bonne heure des jugements de Dieu et des punitions dues pour les offenses, quand tels jugements sont prochains. Je laisse les autres causes, lesquelles on trouve par tout chez les Prophètes, à savoir que loisir est donné aux hommes de se repentir, afin que ceux qui ont provoqué l’ire de Dieu contre eux, préviennent son Jugement ; que les fidèles sont instruits de bonne heure pour se préparer à patience ; que la malice perverse et obstinée des méchants est convaincue ; que par ce moyen tant les bons que les mauvais apprennent que les esclandres et afflictions n’adviennent point par cas fortuit, mais Dieu les envoie pour punir les péchés du monde ; qu’en cette sorte ceux qui se plaisaient trop en leurs ordures et vices, sont réveillés de leur stupidité. On voit clairement par la déduction du texte l’utilité et fruit de cette présente prophétie ; d’autant qu’elle a servi d’aiguillon à ceux d’Antioche pour les inciter à secourir à la nécessité des pauvres frères.
Laquelle aussi advint sous l’empereur Claude. Suétone aussi fait mention de cette famine ; lequel explique qu’on jeta des croûtes contre la tête de l’empereur Claude en plein marché ; dont il eut si belle peur d’être lapidé, qu’après cela il eut tout le temps de sa vie un soin singulier de donner ordre sur les vivres communs. Et Josèphe au quinzième livre des Antiquités, raconte que le pays de Judée fut grandement affligé de faute de vivres à cause des sécheresses continuelles. Mais on fait ici une question, vu que ce mal était commun à tous, pourquoi a-t-il fallu qu’un peuple ait été secouru plutôt que les autres ? Je réponds, comme ainsi soit que la Judée eût été grandement molestée par guerres, et eût soutenu d’autres grands maux, ce n’a point été sans cause que les Antiocheniens ont été plus es-mus de la misère des frères qui étaient là ; d’avantage, tant plus que les ennemis exerçaient grande cruauté en Judée, tant plus la condition des frères qui y étaient, était dure et difficile à porter. Finalement, saint Paul démontre assez clairement en l’épître aux Galates, qu’il y avait des nécessités particulières en Judée, auxquelles non sans cause les autres ont eu égard. Or cette reconnaissance a été digne de grande louange, que ceux d’Antioche ont estimé que c’était bien raison qu’ils secourussent leurs pauvres frères, desquels ils avaient reçu l’Evangile. Car aussi il est bien raisonnable que ceux qui ont semé entre nous des biens spirituels, en recueillent des nôtres terrestres. Selon que chacun n’est que trop attentif à donner ordre à ses propres affaires, un chacun d’eux pouvait répliquer : Pourquoi est-ce que je ne regarderai à moi, que je n’aie faute, plutôt que de regarder aux autres ? Mais quand ils se rappellent ce qu’ils devaient à leurs frères, ils laissent là ce souci excessif, et s’appliquent à secourir leurs pauvres frères. En somme, cette aumône tendait à double fin. Car d’un côté ceux d’Antioche ont montre un devoir de charité envers leurs pauvres frères ; et d’autre part ils ont rendu témoignage par cette collecte et contribution, combien ils prisaient l’Evangile, quand ils ont honoré le lieu d’où l’Evangile était procédé.
Et les disciples résolurent d’envoyer, chacun selon ses moyens, un secours aux frères qui demeuraient en Judée ;
On voit ici que ceux d’Antioche gardent le moyen que saint Paul ordonne aux Corinthiens ; (2 Corinthiens 8.3, 7) soit qu’ils aient fait cela de leur bon gré, soit qu’ils eussent été instruits par son commandement. Ainsi il ne faut point douter qu’il n’ait toujours tenu son propos ferme en tous les deux lieux. Voici donc, la règle qu’il nous faut garder, qu’un chacun considérant combien il a reçu de Dieu, comme ayant à rendre compte, en distribue bénignement à ses frères nécessiteux. Ainsi celui qui n’aura pas beaucoup de biens, aura toutefois un cœur libéral, et une petite aumône sera réputée comme un sacrifice gras et opulent. Par ce mot de Proposer, S. Luc signifie que c’a été une oblation volontaire qu’ils ont faite. Ce que nous devons faire aussi, comme S. Paul nous remontre que nous tendions la main aux pauvres, non point à regret, ni comme contraints par nécessité, 2 Corinthiens 9.7. Quand il dit Chacun, c’est autant comme s’il disait, que les uns n’ont point imposé Loi aux autres, ni grevé les autres par leur exemple, mais qu’un chacun s’est étendu et a usé de libéralité comme il lui a plu. Il faut aussi noter le mot d’Administrer, par lequel nous sommes enseignés que les riches ont reçu plus grande abondance, à cette condition qu’ils soient ministres des pauvres, en dispensant les biens qui leur ont été mis entre mains par la bonté de Dieu. Finalement saint Luc enseigne que cette bénédiction n’a point été envoyée à toute la nation des Juifs, mais seulement aux domestiques de la foi ; non pas que les incrédules ne se doivent jamais sentir de notre générosité et humanité, vu que la charité se doit étendre à tout le genre humain ; mais pour ce que nous devons préférer ceux que Dieu nous a conjoints de plus près et d’un lien plus sacré.
ce qu’ils firent aussi, l’envoyant aux anciens par les mains de Barnabas et de Saul.
Nous devons ici observer deux choses ; à savoir que ceux d’Antioche ont choisi des gens fidèles et d’une prudhommie approuvée pour porter leur aumône ; et puis qu’ils l’ont envoyée aux Anciens pour la distribuer fidèlement et prudemment. Car si on jette une aumône entre le commun populaire, ou si on la met là au milieu, un chacun la voudra ravir à soi tout incontinent, comme une chose exposée en proie ou en butin ; et ainsi toujours le plus hardi frustrera les pauvres ; et même par sa convoitise insatiable coupera la gorge à ceux qui déjà meurent de faim. Nous devons donc bien noter ces passages, lesquels nous remontrent que non seulement nous devons procéder en rondeur et bonne foi, mais aussi qu’un certain ordre y est requis et prudence, tant à choisir les personnes, qu’en toute l’administration. Il appelle Anciens ceux qui avaient le gouvernement de l’Eglise ; entre lesquels les apôtres obtenaient le premier lieu. Ceux d’Antioche ont soumis au jugement de ceux-là l’argent sacré qu’ils avaient destiné et ordonné pour les pauvres. Si quelqu’un objecte, que cet office avait été enjoint aux Diacres, quand les apôtres remontrèrent qu’ils ne pouvaient pas suffire pour servir aux tables, et administrer la Parole ; la réponse est facile : Que les Diacres étaient ordonnés tellement pour servir aux tables, que toutefois ils étaient sous les Anciens, et ne faisaient rien que par l’autorité de ceux-ci.