Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve, invoquez-le tandis qu’il est près.
Mes frères, l’expérience est un grand maître ; c’est un docteur irréprochable qui n’avance que des preuves claires, certaines, incontestables. La raison est bien une lumière qui nous est donnée pour guide dans la recherche de la vérité. La révélation a bien été ajoutée à la raison, pour la rectifier et pour la conduire : mais elles ont l’une et l’autre leurs difficultés. La raison est bornée, ses vues sont courtes, ses égarements sont fréquents ; les faux pas qu’on lui voit faire rendent suspectes ses démarches même les plus assurées et les plus fermes. La révélation, quelque vénérable que soit son tribunal, quelque infaillibles que soient ses décisions, « est folie à l’homme animal 1 Corinthiens 2.14, » selon l’expression de l’apôtre, et se trouve exposée aux gloses des faux docteurs, aux difficultés des hérétiques, et aux contradictions mêmes des incrédules. Mais l’expérience est au-dessus de toute exception : elle parle au cœur, aux sens, à l’esprit : elle ne raisonne pas, elle n’argumente pas seulement ; elle convainc, elle démontre ; elle entraîne le consentement du chrétien, du philosophe, de l’athée même, en sorte qu’il n’y a qu’un renversement de cerveau qui puisse faire appeler de ses décisions.
C’est ce grand maître qui doit prêcher aujourd’hui dans cette chaire. Ce n’est pas assez qu’en vous expliquant les paroles de notre texte, nous vous ayons fait voir par la raison et par l’Écriture, dans nos derniers discours, quelle est la folie du pécheur qui diffère sa conversion. Ce n’est pas assez que la philosophie et la religion aient concouru à vous prouver que, pour travailler à son salut avec succès, il faut le faire de bonne heure, dans le temps de la santé, et dans les années de la jeunesse. Nous voulons vous le prouver par l’expérience, nous voulons vous montrer de tristes garants des vérités que nous vous avons annoncées ; nous voulons produire à vos yeux de funestes images du courroux du ciel, qui vous crient d’une voix forte et pathétique : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve, invoquez-le tandis qu’il est près. »
Ces témoins, ces garants, ces images seront pris des personnes qui furent autrefois ce que vous êtes maintenant, instruits des volontés de Dieu, sommés par ses serviteurs, vivant dans les jours où « la patience de Dieu les attendait 1 Pierre 3.20, » comme s’exprime saint Pierre. Et vous, vous chrétiens, vous seriez un jour ce qu’ils sont aujourd’hui, exemples sinistres de la colère de Dieu, monuments éternels de sa fureur et de sa vengeance, si vos yeux ouverts à tant de lumières, si vos cœurs touchés de tant de motifs, si vos consciences bouleversées au son formidable des jugements de Dieu, ne vous portaient à prévenir l’arrêt qui se trace dans ses conseils éternels, et dont l’exécution est à la porte. Mais ne vous semble-t-il pas, mes frères, que nous entreprenons un ouvrage trop pénible, lorsque nous nous engageons à vous prouver par l’expérience que la patience de Dieu a ses bornes, et que différer sa conversion, c’est s’exposer au danger éminent de ne se convertir jamais ? Vous nous alléguez déjà, je m’assure, l’exemple d’un nombre presque infini de pécheurs, qui semble détruire nos principes : tant de serviteurs appelés dans la dernière heure du jour ; tant de cœurs que la grâce a transformés dans un instant ; tant d’âmes pénitentes qui, aux premières démarches de la repentance, ont trouvé les bras de la miséricorde ouverts, et dont les succès heureux rassurent encore aujourd’hui les imitateurs de leurs crimes.
Nous écouterons vos raisons, avant que de vous proposer les nôtres. Nous voudrions, s’il était possible, ne laisser rien en arrière qui pût vous faire illusion, sur une matière où il est si dangereux de se tromper, et notre discours roulera sur ces deux articles. D’abord nous allons parcourir les exemples de ces pécheurs qui favorisent en apparence la conduite des chrétiens qui diffèrent leur conversion ; après quoi nous alléguerons, en deuxième lieu, ceux qui fortifient nos principes, et qui combattent la sécurité et les délais d’une manière directe.
Examinons premièrement l’exemple de ces pécheurs qui paraissent ébranler ce que nous vous dîmes dans nos discours précédents. Tout ce que nous proposâmes alors peut se rapporter à deux chefs. Nous vous dîmes premièrement que, pour acquérir l’habitude de la piété, il n’y a qu’un moyen unique, c’est d’en faire des actes réitérés. Nous établîmes en second lieu que la miséricorde a ses bornes, et qu’on est en danger d’en être exclu, lorsqu’on ne peut offrir à Dieu que les derniers soupirs d’une vie presque éteinte. Nous fondâmes notre première proposition sur la force des habitudes, et sur le génie de l’économie du Saint-Esprit, qui abandonne pour l’ordinaire à leur turpitude ceux qui résistent à ses opérations. Ce fut la matière de notre premier sermon, et de la première partie de l’autre. Nous établîmes notre seconde proposition sur la nature de l’alliance de grâce, qui, ne nous offrant la miséricorde que sous les conditions de la foi, de la repentance et de l’amour de Dieu, rend très suspect, par cela même, l’état de ceux qui n’ont pas employé à l’acquisition de ces vertus un temps qui suffise pour y parvenir. Voilà les deux chefs principaux auxquels se rapporte tout ce que nous vous proposâmes sur cette matière.
On peut nous opposer aussi deux sortes d’exemples. Dans la première classe, on peut ranger ces conversions subites, ces transformations que la grâce a faites tout à coup et dans un instant, et qui semblent détruire ce que nous avons avancé sur la force des habitudes et sur le génie de l’économie du Saint-Esprit. Dans la seconde classe, on mettra ces autres pécheurs, qui, après avoir commis des crimes énormes, en ont obtenu le pardon par un soupir, par une prière, par quelques larmes, et qui nous donnent lieu de présumer qu’à quelque excès que nous ayons porté le crime, nous ne sortirons jamais des termes de la miséricorde, mais que nous serons toujours reçus au trône de la grâce. Écoutons les difficultés que l’on puise dans ces deux sources.
Premièrement on nous allègue ces conversions précipitées, ces transformations faites sur-le-champ et dans un instant, sans peine, sans travail, sans actes réitérés. On en voit divers exemples dans l’Écriture. A cette classe peuvent se rapporter celui d’un Simon, celui d’un André, celui d’un Jacques, fils de Zébédée, et de la plupart des apôtres que Jésus-Christ trouva jetant leurs filets dans la mer, occupés du vil emploi de prendre des poissons ou de recueillir des péages, et qui tout à coup, sur-le-champ, dans un instant, revêtent de nouvelles pensées, de nouveaux désirs, de nouvelles inclinations ; deviennent, de bas artisans qu’ils étaient, les héros de l’Évangile, forment le noble dessein de conquérir l’univers, et de soumettre le monde entier à l’empire de leur maître.
A cette classe peut se rapporter encore l’exemple d’un Zachée, qui semble renaître dans un instant, qui corrige sur-le-champ, sans actes réitérés, la passion la plus opiniâtre, celle qui croît le plus avec l’âge, et dont presque personne ne se corrige, je veux dire l’avarice, et qui tient ce langage inouï dans la bouche d’un négociant, et d’un négociant avare : « Voici, je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait tort à quelqu’un, j’en restitue le quadruple Luc 19.8. » A cette classe peut se rapporter encore l’exemple de tous ces milliers de personnes qui changèrent leur foi et leurs mœurs aux premières prédications des apôtres.
Après tant de trophées dressés à l’efficace de la grâce, que deviendront vos raisonnements, nous dit-on, sur la force des habitudes et sur le génie de l’économie du Saint-Esprit ? Qui osera soutenir encore que l’habitude de la piété ne peut s’acquérir sans travail, sans peine, sans actes réitérés ? Pourquoi ne pourrai-je pas me promettre, si je donne à l’exercice du crime la plus grande partie de ma vie, d’avoir autant de pouvoir sur moi-même qu’en eurent Zachée, les apôtres, les premiers disciples de l’Évangile ? Pourquoi ne pourrai-je pas espérer ces irradiations qui les éclairèrent, ces secours qui les attirèrent, cette force créatrice qui les régénéra dans un instant ? Et pourquoi ferai-je de ma vie un martyre perpétuel pour avancer un ouvrage qu’un de ces moments heureux consommera parfaitement ? Voilà la première difficulté, voilà les premiers exemples qu’on nous allègue.
On nous oppose en deuxième lieu l’exemple de ces pécheurs qui, après les plus grands crimes, et aux premières démarches de la pénitence, ont trouvé les bras de la miséricorde ouverts pour les recevoir. Il y en a aussi grand nombre dans l’Écriture. Les principaux sont celui de David, celui de saint Pierre, celui de saint Paul, et plus particulièrement celui du brigand converti, qui a avec notre sujet un rapport plus intime que les autres. Voilà des noms que les pécheurs ont presque toujours dans la bouche ; et il faut reconnaître que ce sont là d’illustres monuments des miséricordes divines. Il semble qu’on en peut tirer cette conséquence, qu’à quelque degré qu’on ait porté le crime, on a lieu d’espérer le salut et le pardon.
Après tant d’exemples de la miséricorde divine, nous disent encore les pécheurs, pourquoi vient-on jeter des terreurs paniques dans nos esprits ? Pourquoi faire de la justice de Dieu des images si effrayantes ? Et pourquoi soustraire les pécheurs, de quelque genre qu’ils puissent être, au tribunal de la grâce ? Moi qui aurai noué une intrigue criminelle à peine soupçonnée, loin d’être connue dans le monde, aurai-je plus de peine à obtenir miséricorde que David qui commit un adultère à la face de tout Israël ? Moi qui me serai écarté pour un temps de la vraie Église, aurai-je plus de peine à obtenir miséricorde que n’en eut saint Paul qui persécuta les chrétiens, ou que saint Pierre qui renia Jésus-Christ si ouvertement, et devant Jésus-Christ lui-même ? Moi qui n’aurai pas volé directement, mais qui me serai contenté de gagner du bien par quelques voies obliques véritablement, mais pourtant autorisées de l’exemple et de la coutume, par quelques droits fraudés avec art, par quelques mensonges palliés, par quelque serment contraire à la vérité, mais nécessaire dans l’emploi où le ciel m’appelle, serai-je plus coupable que le brigand converti qui volait sur les grands chemins ? Qui m’empêcherait donc de persister dans mes crimes, de suivre ces personnages dans leurs péchés pendant tout le cours de ma vie, sauf à moi à me jeter comme eux entre les bras de la miséricorde, et à imiter leur repentance dans mon lit de mort ?
Avez-vous assez dit, pécheurs ? Sont-ce là toutes vos « cachettes de honte 1cor.4.2 » et tous les prétextes frivoles dont le démon de la sécurité vous berce ? Voilà donc à quoi vous sert votre religion, et l’usage que vous retirez de nos Écritures ! Le Saint-Esprit vous y a tracé la vie de ces illustres personnages qui furent autrefois des vases d’honneur dans la maison du Seigneur : il vous a « environnés d’une nuée de témoins Hébreux 12.1 » pour vous animer dans votre course, en vous faisant voir des hommes comme vous, qui l’ont finie avec succès. Il vous a laissé aussi l’histoire de leurs faiblesses pour vous exciter à la vigilance, et pour dire à chacun de vous : Prends garde à toi, pécheur ; si ces grands saints ont chancelé, quelle ne sera pas ta chute lorsque tu viendras à te relâcher ? Si ces grandes colonnes ont été ébranlées, que ne doivent point redouter ces frêles roseaux ? Si les cèdres du Liban ont été prêts à tomber, quelle ne sera pas la destinée de l’hysope des murailles ? Vous êtes sourds à ces réflexions, et comme pour tromper la sagesse éternelle, et « être plus prudents dans votre folle génération Luc 16.8 » que le père même de lumière, vous faites de ces exemples, destinés à vous rendre sages, des motifs pour vous affermir dans le crime. Nous allons travailler à résoudre tous ces sophismes.
D’abord nous faisons cette réflexion générale : c’est que quand nous vous avons dit dans nos discours précédents, que, pour acquérir l’habitude de la piété, il faut en faire les actes, et que pour être admis au trône de la grâce, il faut justifier sa foi par une succession d’actions vertueuses, nous n’avons voulu vous parler que de ce qui arrive communément, et du cours ordinaire de la religion. Nous n’avons pas embrassé dans nos réflexions ce qui se fait par miracle, et par des coups inopinés et extraordinaires de la grâce ; car, mes frères, Dieu, qui s’est plu quelquefois à franchir les lois de la nature, franchit quelquefois aussi celles de la religion, et aime à étendre les bornes de l’alliance de grâce. Les lois qu’il suit dans la nature sont établies avec sagesse. Il a assigné un pavillon au soleil ; il a fixé la « terre sur ses bases Job 38.6, » il a donné des limites à la mer, et ce superbe élément vient respecter sur l’arène les ordres du Créateur qui lui disent : « Tu t’arrêteras là ; là se brisera l’impétuosité de tes vagues Job 38.11. » Cependant on l’a vu franchir les lois de la nature, et faire paraître autant de sagesse dans leur violation qu’il en avait montré dans leur établissement. On a vu quelquefois la terre trembler, le soleil s’arrêter et suspendre son cours, les eaux de la mer se précipiter en avant ou rétrograder en arrière, et se diviser « comme en deux murs à droite et à gauche Exode 14.22, » soit pour favoriser des peuples élus, soit pour confondre des nations rebelles. De même les lois de la religion sont des lois très sages ; les conditions de l’alliance de grâce sont fondées également sur la bonté et sur la justice : cependant Dieu se plaît quelquefois à s’affranchir de ces lois, et à étendre les bornes de ces conditions.
Et cette réflexion s’applique à plusieurs de ces exemples que vous alléguez, et particulièrement à ces conversions opérées dans un instant. Ce n’est pas là la manière dont le Saint-Esprit se conduit communément ; ce n’est pas là le cours ordinaire de la religion : ce sont des exceptions aux lois générales ; ce sont des miracles. Au lieu de juger des lois générales de la religion par ces exemples particuliers, vous devez regarder l’idée de ces exemples particuliers par les lois générales de la religion. Directeurs commodes, casuistes relâchés, pestes publiques qui endormez vos pénitents par des espérances trompeuses, voilà notre première solution. Lorsqu’un médecin, après avoir épuisé tous les secrets de son art pour rendre la santé à un malade, voit que les remèdes sont sans fruit, que ses soins sont sans succès, que ses lumières sont épuisées ; lorsqu’il voit que le cerveau se trouble, que le mouvement du sang se dérègle, que la poitrine se remplit, et que la nature accablée est prête à céder sous le poids de la maladie, il dit que ce malade est dans un état désespéré. Il ne prétend pas que Dieu ne puisse le guérir ; il ne prétend pas même que l’on n’ait jamais vu d’exemple d’un pareil retour ; il parle du cours ordinaire des choses humaines, il parle selon les maximes de son art, il parle comme médecin, et non comme thaumaturge. De même quand nous voyons dans l’Église qu’un homme a persisté trente, quarante, cinquante années dans une habitude criminelle ; quand nous voyons que cet homme est attaqué d’une maladie mortelle ; que d’abord ses premiers soins sont pour la guérison de son corps, qu’il appelle l’art et la nature à son secours, que ses espérances étant perdues du côté du monde, il se tourne du côté de la religion ; qu’il dit qu’il veut se convertir, qu’il pleure, qu’il soupire, qu’il demande grâce, et qu’il ne l’ait paraître à nos yeux que des fantômes de conversion et de pénitence, nous disons que l’état de cet homme est suspect et infiniment suspect. Mais nous parlons selon les lois ordinaires de la religion ; nous ne voulons pas exclure la voie des miracles ; nous savons bien que Dieu est tout-puissant. Ainsi tous ces exemples que vous nous opposez, tous ces prodiges de conversion, à l’égard desquels Dieu est comme sorti des lois ordinaires, ne tirent point à conséquence ; et tous ces discours qu’on y ajoute sur la puissance de Dieu, sur la force « efficace, irrésistible, créatrice, victorieuse » de la grâce, tous ces discours solides d’ailleurs, appliqués à notre sujet, sont de vaines déclamations qui ne font rien contre nous.
Mais tous ces exemples de conversion et de pénitence sont-ils des miracles? Non, mes frères ; aussi n’est-ce pas là tout ce que nous avons à répondre ; et eussions-nous démontré qu’ils sont tous tels en effet, nous eussions peu fait encore, et vous retourneriez dans vos maisons, peut-être, chacun flatté de la chimérique espérance que Dieu fera dans votre lit de mort de pareils prodiges en votre faveur. Entrons dans une plus exacte discussion ; remarquons, et c’est la grande solution que nous avons à proposer, remarquons que de tous ces pécheurs dont on nous oppose l’exemple, il n’y en a pas un seul, pas un seul qui soit dans le cas d’un chrétien qui diffère sa conversion, et qui ne prétend donner à Dieu que la lie de ses jours et les derniers moments d’une maladie mortelle. Non, de tous ces pécheurs il n’y en a pas un seul qui soit dans le cas d’un chrétien, et par conséquent il n’y en a pas un seul, pas un seul qui puisse fournir de prétexte raisonnable pour flatter les chrétiens que nous combattons. Développons cette réflexion, elle est de la dernière importance. Remarquez cinq différences essentielles : il y a de la différence, ou par rapport à leurs lumières, ou par rapport à leurs motifs, ou par rapport à la durée de leur crime, ou par rapport à leurs vertus, ou enfin par rapport à la certitude de leur conversion et de leur pénitence ; cinq considérations, mes frères, que vous ne sauriez inculquer trop avant dans vos esprits. Quelques-unes conviennent à tous, quelques autres à une partie. Vous prendrez sur vous d’appliquer vous-mêmes chacune de nos réflexions à l’exemple qui lui sera propre.
Nous parlons d’abord des lumières de ces deux sortes de pécheurs ; nous soutenons qu’il y a une différence essentielle entre ces pécheurs, dont on nous oppose l’exemple, et les chrétiens qui diffèrent leur conversion. Car de tous ces pécheurs il n’y en a pas un seul qui fût éclairé au point où nous le sommes aujourd’hui. Zachée, les apôtres, les prophètes, David, toutes ces personnes dans l’époque dont il est question, étaient à cet égard inférieurs au plus ignorant des chrétiens. « Le plus petit au royaume des cieux est plus grand qu’eux Luc 7.28 ; » c’est Jésus-Christ qui l’a décidé. Saint Pierre n’avait pas encore vu la résurrection de Jésus-Christ, lorsqu’il eut la faiblesse de le renier. Le brigand converti n’en avait peut-être jamais ouï parler, lorsqu’il s’abandonnait à ses crimes, et saint Paul suivait les vieux préjugés du judaïsme, lorsqu’il persécutait les chrétiens, « et péchait par ignorance, 1 Timothée 1.13 » comme il le reconnaît lui-même. Première considération qui aggrave votre condamnation, et qui rend votre salut plus douteux si vous en différez l’ouvrage. « La grâce vous a été manifestée Tite 2.11. » Dieu vous a fait naître dans un siècle si éclairé, qu’il semble que l’esprit humain est allé au période de perfection le plus élevé où sa faiblesse lui permet d’atteindre ; la philosophie est dégagée de tous ces termes ambigus, de tous ces points inutiles, de tous ces riens pompeux, dont on gâtait autrefois l’esprit de ceux à qui on voulait le former. On a porté la morale au degré suprême. La théologie est purgée, du moins dans quelques endroits, plut à Dieu le fût-elle partout ! de toutes ces recherches épineuses, de toutes ces vaines questions qui amusèrent nos pères ! Si quelques petits esprits suivent encore ces vieilles idées, on s’en rit, ils sont le sujet de l’ennui des peuples et l’aversion des savants, et on les laisse débiter leurs idées aux murs poudreux de leurs solitaires écoles.
Comment n’a-t-on pas prouvé, par exemple, l’existence d’un Dieu ? Sur combien de preuves claires, aisées, démonstratives, n’a-t-on pas fondé ce point capital de la religion ? Comment n’a-t-on pas éclairci le dogme de l’immortalité de l’âme ? Avec quelle dextérité la philosophie ne s’est-elle pas accommodée avec la religion sur cet article, pour démêler l’esprit d’avec la matière, pour marquer les fonctions de chaque substance, pour distinguer ce qui appartient au corps, ce qui appartient à l’esprit ? Comment n’a-t-on pas prouvé encore la vérité de la religion chrétienne ? Avec quelle adresse n’a-t-on pas fouillé dans les enfoncements du passé le plus éloigné, montré à nos yeux, et rendu palpables des prodiges faits il y a dix-sept siècles ?
Je ne dis pas ces choses pour faire l’éloge de notre siècle, et pour vous en donner une grande idée. Mes frères, j’ai des vues plus relevées. Toutes ces connaissances de nos jours sont dispensées par cette sage Providence qui veille sur votre salut, et serviront chacune à vous réfuter. Elles entrent dans l’économie du Saint-Esprit qui vous illumine. S’il est donc vrai que l’atrocité du crime se mesure par les connaissances de celui qui le commet ; s’il est vrai que « ceux qui auront connu la volonté de leur maître seront punis de plus de coups que ceux qui ne l’avaient négligée que pour l’avoir ignorée Luc 12.47 » s’il est vrai « que le péché de ceux qui voient subsiste Jean 9.41 » (comme disait Jésus-Christ) ; s’il est vrai « qu’il vaudrait mieux n’avoir jamais connu la voie de la justice, que de se détourner du saint commandement 2 Pierre 2.21 ; » s’il est vrai que Dieu redemandera cinq talents à ceux qui ont reçu cinq talents, tandis que ceux qui n’en avaient reçu que deux ne seront responsables que de deux ; s’il est vrai que Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que Corazin et Bethzaïda ; il est vrai aussi que votre raisonnement est sophistique, que l’exemple de ces pécheurs ne peut vous donner que des espérances trompeuses, pour vous flatter dans le délai de votre conversion.
De cette première considération il en naît une autre qui fait une seconde différence, se sont les motifs de conversion qui vous pressent et que les autres avaient à peine entrevus. Vous êtes pressés plus qu’eux par des motifs de reconnaissance : car qu’étaient toutes les grâces qu’ils avaient reçues de Dieu, au prix de celles dont il vous comble, vous qu’il a fait naître dans le « temps favorable, » dans « les jours de salut 2 Corinthiens 6.2, » dans ces jours heureux où tant de « justes et tant de prophètes avaient désiré d’atteindre Matthieu 13.17 ? » Plus qu’eux, par des motifs d’intérêt ; vous qui avez « reçu de sa plénitude grâce sur grâce Jean 1.16 ; » vous à qui « Jésus-Christ a révélé l’immortalité et la vie, » et qui, ayant de telles promesses, devez d’autant plus vous retirer « de toutes souillures de chair et d’esprit 2 Corinthiens 7.1 ; » plus qu’eux, par des motifs de crainte ; car « sachant ce que c’est que la crainte du Seigneur 2 Corinthiens 5.11, » vous devez être portés à la foi ; plus qu’eux, par des motifs d’émulation ; car non seulement vous avez « cette nuée de témoins, » mais vous avez le grand exemple, le modèle de perfection, qui vous a laissé de si beaux exemples « afin que vous suiviez ses traces 1 Pierre 2.21 » ; qui vous dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur Matthieu 11.29 ; regardant Jésus le chef et le consommateur de votre foi, vous devez être portés à ne « point vous relâcher en perdant courage Hébreux 12.2-3, » selon l’exhortation de saint Paul : plus qu’eux, par des motifs pris de la grandeur de votre origine ; car « vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu l’esprit d’adoption, par lequel vous criez abba, » c’est-à-dire « père ».
A quoi conduit cette réflexion ? Si vous avez plus de motifs, vous êtes plus coupables : la miséricorde qu’ils ont obtenue ne conclut rien en votre faveur, et l’objection que vous tirez de leur exemple est entièrement sophistique. D’ailleurs cette supériorité de motifs rend votre conversion plus difficile, et détruit par cela même l’espérance que vous appuyez sur leur exemple. Car, quoique le Saint-Esprit ait un pouvoir suprême sur nos cœurs, il est pourtant très constant que quand il opère notre conversion, il agit avec nous comme avec des personnes raisonnables, et d’une manière conforme à notre nature en nous proposant des motifs, et se servant de leur force pour nous porter à notre devoir. Or quand notre cœur a résisté pendant longtemps aux grands motifs de conversion, il y devient insensible.
Comment se sont faites ces conversions miraculeuses que vous nous opposez ? C’a été par une voie qui ne saurait avoir de succès par rapport à vous. Zachée voit pour la première fois Jésus-Christ, qui lui annonce le salut ; Zachée sentant, par l’opération de la grâce, la force d’un motif qui ne lui avait jamais été proposé, se rend incontinent sans hésiter. Les prosélytes des apôtres sont encore en suspens sur l’idée qu’on doit se former de Jésus-Christ ; « ils l’avaient crucifié par ignorance Actes 3.17, » et Jérusalem demeure indéterminée sur ce qu’on doit penser de lui après sa mort. Les apôtres prêchent : ils prouvent par leurs miracles la vérité de sa résurrection. Alors ces hommes, frappés de ces motifs qui ne leur avaient jamais été proposés, se rendent incontinent. Ainsi le Saint-Esprit agissait dans ces cœurs, mais d’une manière conforme à leur nature, en leur proposant des motifs, et en employant la force de ces motifs pour les entraîner.
Mais cette conduite du Saint-Esprit a perdu de son efficace par rapport à vous. Quel motif désormais pourrait vous être proposé, qui ne l’ait été mille fois, et qui n’ait perdu de sa force par cela même ? Sera-ce la miséricorde de Dieu ? Mais vous l’avez « changée en dissolution Jude 1.4 ; » sera-ce l’idée d’un Jésus-Christ crucifié ? Mais vous le crucifiez tous les jours sans remords et sans repentir ; sera-ce l’espérance du paradis ? Mais vous ne regardez « qu’aux choses visibles 2 Corinthiens 4.18 ; » sera-ce la crainte de l’enfer ? Mais on l’a tracé mille et mille fois à vos yeux, et vous savez l’art malheureux d’en braver les peines et les horreurs. Quand donc Dieu emploierait en votre faveur ce même degré de puissance qui opéra ces conversions subites, il ne serait pas suffisant : quand il ferait le même miracle pour vous, ce miracle serait trop faible. Il faut une plus abondante portion de grâce pour vous convertir qu’il n’en fallut pour les autres, et par conséquent ce miracle moins grand qui leur a été accordé, ne conclut point pour celui qui est l’objet de votre espérance, et le frivole fondement de votre sécurité.
Une troisième différence est prise de la durée du péché ; car de tous ces pécheurs que nous avons marqués, si vous en exceptez le brigand converti, il n’y en a aucun qui ait persisté dans le vice jusques à la fin de sa vie. Saint Pierre, saint Paul, David, n’y ont été que quelques moments, que quelques jours, tout au plus que quelques années. La plus belle partie de leur vie a été consacrée au service de Dieu. Ils ont commis quelques actes d’infidélité, mais ils n’ont jamais cessé d’être fidèles. Leur chute a ébranlé leur foi, mais elle ne l’a point étouffée : elle l’a obscurcie, mais elle ne l’a point éteinte.
J’avoue que le bon brigand semble avoir avec les pécheurs que nous combattons cette triste conformité, d’avoir persisté dans le crime jusqu’aux extrémités de sa vie. Mais son histoire est si concise dans l’Évangile et si peu circonstanciée ; les conjectures que l’on peut faire sur son sujet sont si douteuses et si incertaines, qu’il n’est pas possible qu’un homme raisonnable y trouve de règle certaine pour sa conduite. Quel homme était ce brigand ? Quel fut son crime ? Quel motif put l’y animer ? Quel fut le premier moment de sa dépravation ? Quel fut celui de sa pénitence ? Quel moyen la grâce mit-elle en avant pour le convertir ? Autant de questions, autant de doutes, autant de raisons suffisantes pour ne rien conclure de sa conversion. Peut être n’avait-il fait ce funeste métier que depuis un petit espace de temps. Peut-être qu’entraîné par une malheureuse facilité, il fut moins coupable de larcin que de mollesse et de complaisance. Peut-être que complice de la sédition de Barrabas, il avait moins en vue de troubler la société que de donner des bornes à la puissance tyrannique et exorbitante des Romains. Peut-être que, surpris par faiblesse, ou tenté par nécessité, il trouva sa condamnation dans le premier acte de son crime. Peut-être qu’ayant croupi plusieurs années dans la prison, il avait fait plusieurs actes de pénitence. Nous n’affirmons pas ces choses, ce ne sont là que des conjectures, mais tout ce que vous pouvez y opposer ne seront que des conjectures pareilles qu’on peut réfuter avec la même facilité. Et quand même on réfuterait également toutes ces probabilités, combien de circonstances ne se rencontre-t-il pas dans votre vie, qui ne furent point la sienne et qui vous rendent plus coupables ? Nous l’avons dit, il n’avait point reçu l’éducation que vous avez eue, il ne fut point participant d’un torrent de grâces spirituelles qui vous inondent, il ignorait mille motifs qui vous pressent : dès qu’il connut Jésus-Christ, il l’aima et il crut en lui. Et comment encore ? Quelle foi ? Dans quel temps ? De la manière du monde la plus héroïque ; une foi telle qu’il ne s’en trouva jamais de pareille en Israël ; dans le temps que Jésus-Christ est attaché à la croix, lorsqu’il est percé de clous, lorsqu’il est livré à une populace effrénée, lorsqu’on crache sur son visage, lorsque le Grec s’en rit, lorsque le Juif s’en scandalise, lorsque Judas le trahit, lorsque saint Pierre le renie, lorsque les disciples prennent la fuite, lorsque Jésus, « anéanti souverainement, n’a plus de forme que celle de serviteur Philippiens 2.7 ; » le brigand semble avoir pris à lui toute la foi, et composer lui seul toute l’Église. Après tout, c’est ici un exemple unique ; si le brigand qui se convertit vous rassure dans vos crimes, tremblez, tremblez, pécheurs, en jetant les yeux sur celui qui s’endurcit à son côté, et que la rareté de cette conversion tardive vous fasse craindre de n’avoir pas été choisi de Dieu précisément pour fournir un second exemple à l’univers du succès d’une conversion différée jusqu’à la mort.
Une quatrième différence roule sur les vertus de ces pécheurs dont on nous allègue l’exemple ; car quoi qu’une habitude criminelle suffise pour entraîner dans l’abîme celui qui s’y abandonne, quelque vertu qu’il ait d’ailleurs, s’il manque de faire pénitence, il est certain qu’il y a une distance infinie entre l’état de deux hommes, dont l’un est tombé véritablement dans le crime, mais qui d’ailleurs a les vertus d’un grand saint, et celui d’un autre qui, manquant des vertus d’un grand saint, est tombé dans le même crime. Vous supportez un défaut dans un domestique, lorsqu’il a les talents essentiels pour votre service ; ce défaut vous serait insupportable dans la personne d’un autre homme privé des mêmes talents.
Appliquez cette réflexion au sujet que nous traitons. Il s’agit de savoir si Dieu vous fera miséricorde après de grands crimes. Vous nous alléguez pour vous rassurer l’exemple de ces pécheurs qui l’ont obtenue après avoir porté le crime, du moins selon votre prétention aussi loin que vous. Prenez deux balances ; pesez d’une main vos crimes avec leurs crimes, et de l’autre vos vertus avec leurs vertus. Si le poids est égal, votre raisonnement conclut ; la grâce qu’ils ont obtenue est un garant infaillible que vous n’en serez point exclus ; mais s’il se trouvait de la différence dans cet examen ; s’il se trouvait au lit de votre mort que vous leur eussiez ressemblé dans ce qu’ils eurent d’odieux, et non dans ce qu’ils eurent de recommandable, ne concevez-vous pas, mes frères, l’injustice de votre prétention, et la grossièreté de vos sophismes ?
Or qui est-ce, qui est celui d’entre les chrétiens, qui, s’abandonnant au crime, osera se comparer à ces grands saints par rapport à leurs vertus, comme nous reconnaissons sans peine qu’ils leur sont conformes par rapport à tous leurs excès ? Vous « suivez aujourd’hui la multitude pour faire le mal Exode 23.2, » comme autrefois Zachée et les apôtres avant leur conversion : jusque-là le parallèle est juste ; mais pourrez-vous vous rendre témoignage comme eux d’avoir suivi Jésus-Christ à sa première sommation ; de n’avoir été rebuté ni par la sévérité de ses lois, ni par les sanglantes horreurs de sa croix et de son martyre ? Vous immolez comme David à une impudique Bath-Scebah les droits du Seigneur, qui vous imposent la tempérance et la chasteté : jusque-là le parallèle est juste ; mais aurez-vous comme lui « porté la loi de Dieu au dedans de vos entrailles Psaumes 40.9 ? » Vous serez-vous comme lui « levés à minuit pour chanter ses louanges immortelles Psaumes 119.62 ? » Aurez-vous fait comme lui, de la charité votre gloire, et de la piété vos délices ? Vous persécutez l’Église comme saint Paul, et par vos objections malignes, par vos railleries profanes, vous lui enlevez des disciples, comme autrefois ce zélateur, par les persécutions et par les supplices : jusque-là le parallèle est juste, mais aurez-vous dit à Jésus-Christ, comme lui : « Seigneur, que veux-tu que je fasse Actes 9.6, » dès qu’il vous sera apparu sur le chemin de Damas ? N’aurez-vous consulté comme lui « ni la chair ni le sang Galates 1.16, » lorsqu’il aura été question d’aller à Jérusalem et d’abjurer les préjugés de vos pères ? Aurez-vous porté le zèle comme lui jusqu’à sentir votre « cœur s’aigrir Actes 17.16 » à l’aspect d’un autel superstitieux, et la charité jusqu’à consentir « d’être fait anathème par vos frères Romains 9.3 ? »
Vous avez renié Jésus-Christ comme saint Pierre, et cette molle lâcheté, qui vous a fait plier dans telle et telle société lorsqu’on attaquait la vertu, vous a rendus semblables à cet apôtre qui le renia dans la cour de Caïphe : jusque-là le parallèle est juste ; mais aurez-vous été comme lui tout brûlant pour les intérêts de sa gloire ? Aurez-vous dit avec une ardeur pareille à la : « Seigneur, tu sais que je t’aime Jean 21.17 ? » Vous aura-t-on vus comme lui prodigue de votre sang pour sceller les vérités de l’Évangile, et après avoir été « en spectacle » à tout l’univers, aurez-vous servi comme lui « d’aspersion sur le sacrifice Philippiens 2.17 ? » Vous êtes comme le brigand ; ce faux poids et cette fausse mesure dont vous usez dans le secret de vos comptoirs et de vos magasins ; ou cette autorité dont vous abusez à la face de l’univers sur vos tribunaux, vous rend tels que ce malheureux qui peut-être surprenait les passants avec finesse, ou qui les attaquait à force ouverte : jusque-là le parallèle est juste ; mais aurez-vous eu comme lui des yeux qui aient percé tous ces nuages dont la croix de Christ était entourée ? Aurez-vous reconnu comme lui le Dieu du ciel et de la terre dans la personne d’un crucifié ? Aurez-vous réparé comme lui par la sincérité d’un dernier soupir les crimes de toute une vie ? Si le parallèle est juste, votre raisonnement est concluant, et votre recours à la grâce aura un pareil succès ; mais si le parallèle est imparfait, et s’il se trouve au lit de votre mort que vous n’avez suivi ces personnages que dans ce qu’ils eurent d’odieux, votre preuve est sophistique, et vous devez renoncer du moins aux espérances que vous aviez appuyées sur leurs exemples.
Enfin nous trouvons cette dernière différence entre les chrétiens qui diffèrent leur conversion, et ces pécheurs dont on nous oppose l’exemple ; c’est qu’il est certain que ceux-ci se sont convertis et qu’ils ont obtenu miséricorde, au lieu qu’il est très douteux encore si les autres y auront part et s’ils se convertiront jamais. Dans votre raisonnement, ce qui fait la force de votre objection fait la solidité de notre réponse. Un pécheur, tandis qu’il s’abandonne au crime, est dans une situation flottante, placé entre la vie et la mort, également incertain s’il aura part au salut, ou s’il sera la victime de l’enfer. Voilà ce que font les pécheurs qui diffèrent leur conversion : voilà ce que nous combattons. Vous nous alléguez l’exemple de gens qui ont par-dessus vous la détermination de leur état, et de qui la pénitence a été vérifiée par l’expérience. Tous ces pécheurs, lorsqu’ils s’abandonnaient au crime comme vous, étaient comme vous aujourd’hui incertains s’ils auraient part à la grâce, ou si l’accès leur en serait fermé. L’accès leur en a été ouvert, la grâce leur a été donnée : voilà la question décidée ; voilà le doute terminé par rapport à eux.
Mais vous êtes dans des circonstances tout opposées. Vous avez ce qu’il y eut de flottant dans l’état des autres et non ce qu’il y eut de déterminé, et qui le fit pencher du côté favorable. Dans cette cruelle incertitude, qui est fondé en raison ? Ou nous qui sommes épouvantés du danger réel que vous courez, ou vous qui vous appuyez sur l’espérance incertaine de vous en affranchir ? Qui est fondé en raison, ou ce directeur commode, qui dans vos plus grands excès étale à vos yeux ces mêmes miséricordes divines, qui vous servent de prétexte pour vous affermir dans le crime, ou nous qui faisons brillera vos yeux le glaive redoutable de sa vengeance, pour troubler cette indolence et pour vous réveiller de cette molle sécurité ?
Rassemblez maintenant, mes frères, toutes ces différentes réflexions, et s’il vous reste quelque ombre d’équité, renoncez aux avantages que vous prétendiez tirer de ces exemples. Considérez non seulement que plusieurs de ces conversions sont hors des voies ordinaires de la religion, mais qu’elles n’ont pu être opérées que par des miracles. Considérez que de tous ces pécheurs il n’y en a pas un seul qui soit dans le cas d’un chrétien qui diffère sa conversion jusques aux extrémités de sa vie. Considérez que vous êtes éclairés d’une vive lumière qu’ils avaient à peine entrevue. Considérez que vous êtes pressés de mille motifs qui leur étaient inconnus. Considérez qu’ils n’ont passé pour la plupart qu’un petit espace de temps dans le crime, et que vous y consumez toute votre vie. Considérez qu’ils ont eu de grandes vertus qui les rendirent agréables aux yeux de Dieu, et que vous ne pourrez lui offrir que vos égarements ou votre indolence. Considérez qu’ils se sont relevés par la pénitence et qu’ils ont donné des preuves constantes de leur sincérité, au lieu que vous êtes encore dans l’incertitude de vous convertir jamais, et que vous allez même vous réduire dans l’impossibilité de le faire. Et voyez si vos raisonnements étaient justes et vos prétentions bien appuyées.
Ces exemples sont consolants, nous le reconnaissons, mes frères, pour les pécheurs qui travaillent sans relâche à se relever. J’aime à les proposer à ces cœurs contrits et navrés, à ces consciences « froissées, brisées et tremblantes à la parole Ésaïe 66.5 » de Dieu. Nous ne venons pas rétrécir le chemin du ciel : nous ne venons pas prêcher une morale farouche, et vous annoncer une divinité cruelle et barbare. Plût à Dieu que chacun des pécheurs qui nous écoutent voulût revenir à lui-même, et grossir la liste de ces exemples en qui la grâce a triomphé ! Mais les âmes endurcies n’y sauraient rien apercevoir qui ne doive les effrayer.
Jusques ici nous avons examiné l’exemple de ces pécheurs qui semblaient combattre nos principes. Voyons en peu de mots ceux qui les établissent, prouvons ainsi par l’expérience, que la patience de Dieu a ses bornes, et que pour le trouver favorable, il faut « le chercher pendant qu’il se trouve, et l’invoquer tandis qu’il est proche. » C’est notre seconde partie.
Trois fameux exemples, mes frères, trois funestes monuments établissent ces grandes vérités. Indiquons-les : 1. Les catastrophes publiques. 2. Les pécheurs endurcis. 3. Les mourants. Heureux ceux que les malheurs d’autrui rendront avisés !
1. Premièrement les catastrophes publiques. Il y a sur chaque église un temps marqué par la Providence : il y a un temps où « le Seigneur se trouve, » et un temps « où il ne se trouvera point. » Un temps où il se trouve ; alors le commerce fleurit, les familles prospèrent, les armées sont victorieuses, les politiques gouvernent avec succès, les sanctuaires sont ouverts, les fêtes solennelles sont publiées, et les fidèles se disent les uns aux autres : « Venez, et montons la montagne de l’Éternel Michée 4.2 ; » voilà le temps où « le Seigneur se trouve ; » temps heureux qui n’aurait d’autres bornes que celles de la durée du monde, si l’ingratitude des hommes n’y faisait succéder cet autre temps où « le Seigneur ne se trouve point. » Alors le commerce est interrompu, les familles tombent en décadence, les armées sont mises en déroute, les politiques sont confondus, les sanctuaires sont renversés, les fêtes solennelles cessent, « et la terre vomit ses habitants Lévitique 18.28, » selon l’expression de Moïse.
Isaïe nous fournit une preuve de cette terrible vérité dans la personne des Juifs de son temps. Il leur parlait alors, il priait, il exhortait, il menaçait, il tonnait. Combien de fois l’entendit-on dans les rues de Jérusalem, tantôt voulant attirer cette malheureuse nation par des cordages d’humanité, tantôt voulant « l’arracher comme du feu, et la sauver par la frayeur Jude 1.23 ! » Combien de fois fit-il résonner ces menaçantes paroles : « Voici, le Seigneur s’en va ôter de Jérusalem tout le soutien du pain et tout le soutien de l’eau, l’homme fort et l’homme de guerre, le juge et le prophète, le prévoyant et l’ancien, l’homme d’autorité et le conseiller, l’artisan et l’homme éloquent Ésaïe 3.1-3 ! » Combien de fois leur dit-il de la part de Dieu : « Écoutez ce que je vais faire à ma vigne. J’ôterai sa haie, et elle sera broutée ; je romprai sa cloison, elle sera foulée ; je la réduirai en désert, les ronces et les épines y croîtront ; je défendrai à la pluie des cieux de tomber sur elle Ésaïe 5.5 ! » Combien de fois leur représenta-t-il, dans un malheureux avenir, les Chaldéens s’approchant, Jérusalem assiégée, la sainte Cité jonchée de corps morts, le temple de l’Éternel réduit en monceaux de pierres, le mont sacré ruisselant de sang, la Judée ensevelie dans ses cendres ou noyée dans le sang de ses habitants ! Combien de fois avec une voix plus tendre cria-t-il : « O si tu eusses obéi à mes commandements Ésaïe 48.18 ! Pourquoi seriez-vous encore battus ? Pourquoi ajoutez-vous révolte sur révolte ? Depuis la plante du pied jusqu’au sommet de la tête, il n’y a rien d’entier en lui Ésaïe 1.5 ; toi, porte, hurle ; toi, ville, crie ; toi, tout le pays des Philistins, sois saisi d’épouvante Ésaïe 14.31. Entre dans la roche, cache-toi dans la poudre, à cause de la frayeur de l’Éternel Ésaïe 2.10. Il était temps alors de prévenir tous ces malheurs, et c’était le but du prophète et le dessein de notre texte ; mais les Juifs s’endurcirent à cette voix. Dieu prononça sa sentence ; il exécuta l’arrêt de sa colère ; il fit approcher le Chaldéen des murs de Jérusalem, et alors (dit l’historien sacré) « il n’y eut plus de remède 2 Chroniques 36.16. » Le peuple juif fit bien ses efforts pour fléchir le courroux du ciel ; les vieillards élevèrent bien des voix plaintives et tremblantes ; les enfants jetèrent bien des cris lugubres et perçants ; les filles de Jérusalem firent bien retentir leurs sons lamentables ; « les sacrificateurs pleurèrent bien entre les portiques et l’autel Joël 2.17 ; » ils dirent bien mille et mille fois avec des sanglots redoublés : « Éternel, pardonne à ton peuple, n’expose point ton héritage à l’opprobre. C’en était fait alors, le temps était expiré ; le Seigneur ne se trouvait plus, et tout cet appareil de pénitence, dont la plus petite partie eût suffi peut-être pour désarmer le courroux du ciel dans une autre occasion, fut entièrement inutile. C’est ce qui est exprimé d’une manière si noble et si énergique dans ces belles paroles que nous voudrions imprimer à jamais dans votre mémoire : « Le Seigneur, le Dieu de leurs pères, leur envoyait des messagers en toute diligence, parce qu’il était touché de compassion envers son peuple ; mais ils se moquaient de ces messagers, ils méprisaient leur parole ; jusqu’à ce qu’enfin la colère de l’Éternel s’enflamma contre son peuple tellement qu’il n’y eut plus de remède. C’est pourquoi il fit monter contre eux le roi des Chaldéens, qui tua les jeunes gens avec l’épée ; il ne fut touché de pitié ni envers les jeunes gens, ni envers les vieillards et les gens décrépits. On brûla aussi la maison de Dieu, on démolit ses palais 2 Chroniques 36.15.
Ce qui arriva à la Jérusalem ancienne se vit aussi dans la Jérusalem moderne. J’appelle la Jérusalem moderne celle qui subsistait du temps de Jésus-Christ. Mille oracles lui prédirent la venue du Messie ; les prophètes dirent qu’il allait venir ; saint Jean-Baptiste leur annonça qu’il était à la porte ; Jésus-Christ vint enfin, dit: Me voici. Il se promena dans les rues de Jérusalem, il les instruisit par sa doctrine, il les étonna par ses miracles, il les pressa par son exemple, cria dans leurs assemblées : « Marchez tandis que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent Jean 12.35. Jérusalem, Jérusalem qui tues les prophètes, combien de fois n’ai-je pas voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez point voulu Matthieu 23.37. » Il était temps alors ; mais ils le laissèrent écouler ce temps précieux. Et que dit Jésus-Christ ? « O si tu avais reconnu, au moins en ce jour qui t’est donné, les choses qui regardent ta paix ! Mais maintenant elles sont cachées à tes yeux Luc 19.42. » Sentez-vous toute la force de ces dernières paroles : « Maintenant elles sont cachées à tes yeux ? » Jérusalem n’était pourtant pas détruite encore, le temple subsistait encore, les Romains leur offraient la paix, le siège n’était pas formé ; plus de quarante ans s’écoulèrent entre la menace et l’événement. Cependant dès lors, ces choses « étaient cachées à leurs yeux ; » dès lors leur perte était résolue ; dès lors les jours de leur visitation étaient expirés ; dès lors le jour de leur ruine était assigné. Tant il est vrai que le temps de la patience a ses bornes, et que la miséricorde ne vient pas toujours à point nommé, et dans le moment précis qu’il nous plaît de lui assigner.
Mais, mes frères, à qui prêché-je ? A qui prouvé-je aujourd’hui cette triste vérité ? Qui compose cet auditoire ? Qui sont ces « tisons retirés du feu, » et ces réchappés « de la grande tribulation Joël 3.2 ? » Par quel coup de la Providence paraît ici à mes yeux cet amas de tant de provinces ? D’où êtes-vous ? Quelle terre vous vit naître ? Ah ! mes frères, que vous êtes savants sur la vérité que je prêche ! Le temps de la patience a ses bornes, disions-nous : hélas ! pouvez-vous l’ignorer ? N’en êtes-vous pas des témoins d’expérience ? Nos preuves ne sont-elles pas sensibles ? Demandez-vous des arguments plus concluants ? Venez, voyez ; allons sur les masures de nos templesa, allons voir la poudre de nos sanctuaires ; allons voir nos forçats dans les fers et nos confesseurs dans les chaînesb
a – On avait détruit, sous des prétextes divers, un grand nombre de temples dans les années qui précédèrent la révocation de l’édit de Nantes. Ceux qui restaient debout en 1685 furent renversés en vertu d’une disposition spéciale de l’édit révocatoire. (Weiss)
b – Les bagnes de Marseille et de Toulon étaient remplis de protestants condamnés aux galères. (Weiss)
, allons voir la « terre qui nous vomit Apocalypse 7.14 ; Lévitique 18.28 » sur la face de l’univers, et le nom réfugié vénéré, dirai-je, ou en horreur par toute la terre ? Et pour vous présenter des objets plus touchants encore, allons voir nos frères au pied d’un autel qu’ils croient idolâtre, les mères soutenant la fortune de leur maison aux dépens de l’âme de leurs enfants qu’elles vouent à l’idolâtrie, et par un funeste retourc conservant cette même fortune à leurs enfants aux dépens de leur âme propre. Cédez, cédez à nos misères, catastrophes des siècles passés, mères dont la tragique mémoire étonne la postérité, parce que vous fûtes forcées par les horreurs de la famine à manger la chair de vos fils, et à conserver votre vie en l’arrachant à ceux qui l’avaient reçue de vous ! Quelque sanglant que fût votre état, vous ne leur ôtiez qu’une vie passagère, et vous dérobiez par un même coup eux et vous aux rigueurs de la famine. Ici tout se suit dans le même abîme, et, par un prodige inouï, la mère se nourrit, s’il faut ainsi dire, de la substance de l’âme de son fils, et le fils à son tour dévore la substance de l’âme de sa mère.
c – Il y a une déclaration du roi de France qui porte que l’on confisquera le bien de ceux qui ne feront pas les actes de bons catholiques romains, au lit de la mort. (Note de Saurin)
Ah ! mes frères, voilà nos preuves, voilà nos arguments, voilà les solutions que nous opposons à vos objections ; voilà véritablement le temps où le « Seigneur ne se trouve plus. » Car depuis vos misères, quels efforts n’avez-vous pas faits pour les terminer et pour fléchir la vengeance qui vous poursuit ; combien d’humiliations, combien de jeûnes, combien de soupirs, combien de larmes, combien de protestations, combien de mères éplorées, satisfaites de la ruine de leur maison, ont demandé pour tout butin l’âme de leurs enfants ? Combien « de Jobs, » combien « de Samuels se sont tenus devant Dieu Jérémie 15.1, » et ont imploré la délivrance de l’Église ? Tout cela est inutile. Le temps est écoulé, le Seigneur ne se trouve plus, et peut-être, peut-être ne se trouvera-t-il jamais.
Heureux dans l’excès de nos misères si nous pouvions espérer qu’elles seront salutaires à ceux qui nous ont recueillis sur leurs bords dans notre naufrage ! Car, mes frères, nous consentons que vous détourniez les yeux de ce que notre exil a de glorieux, et que vous ne l’envisagiez que par ce qu’il a de déplorable. Que vous disent ces troupes fugitives et ces familles démembrées ? Nous sommes envoyés de la part du Dieu des vengeances. En nous arrachant à notre patrie, il nous a dit : Allez, allez peuple malheureux, allez apprendre à l’univers ce que c’est que de tomber entre les mains d’un Dieu irrité. Portez au monde chrétien vos sanglantes mais salutaires leçons, et dites à tous mes enfants, en quelques lieux du monde qu’ils puissent être : « Si vous ne vous amendez, vous périrez, vous périrez semblablement Luc 13.3. » Mais vous subsistez, murs de ce temple, vous florissez, provinces bienheureuses, et la patience de Dieu a ses bornes ! Je m’arrête sur les bords d’un sinistre augure.
2. Je ne fais plus qu’indiquer les matières. L’expérience nous fournit un second exemple ; c’est l’endurcissement des pécheurs. C’est une opinion assez ordinaire, et qui n’est pas sans fondement, que le temps de la pénitence embrasse toute la vie, et que tandis que Dieu nous laisse encore au monde, il a pour but de nous convertir. C’a été la pensée du paraphraste chaldaïque, qui explique ainsi les paroles de mon texte : « Cherchez l’Éternel tandis que vous êtes en vie ; invoquez-le tandis qu’il vous laisse au monde. » Nous ne combattons pas cette pensée. Cependant nous osons soutenir qu’on voit tous les jours dans l’Église des pécheurs que la grâce semble avoir abandonnés, et qui paraissent être perdus sans ressource.
Combien ne voyons-nous pas de gens parmi nous qui, pour s’être accoutumés à pécher contre les mouvements de leur conscience, pèchent enfin sans remords et sans repentir ? Si les choses que nous leur prêchons étaient des choses problématiques, si elles étaient telles qu’elles laissassent quelque lieu au doute et à l’incertitude, en sorte qu’on ne pût s’assurer si elles sont permises ou défendues, nous ne serions pas surpris de cette insensibilité. Mais ne voyons-nous pas des chrétiens commettant de sang-froid les crimes les plus énormes, entretenant des commerces infâmes, nourrissant des animosités invétérées qu’ils communiquent de père en fils, et qu’ils font passer en héritage dans les familles ? Ne voyons-nous pas des personnes qui commettent ces choses de sang-froid, sans remords, sans repentir, qui sont moins émues aujourd’hui de l’excès du crime qu’ils ne l’étaient autrefois de la seule pensée du crime, et qui sont aussi insensibles à tout ce que nous pouvons dire pour les émouvoir, que si nous racontions des fables et si nous débitions des contes frivoles ? D’où vient cela, mes frères ? De cela même que nous avons tâché de vous prouver par nos discours précédents ; c’est que les habitudes se fortifient lorsqu’on néglige de les corriger ; c’est que le Saint-Esprit se retire, c’est qu’il cesse de frapper à la porte de nos cœurs, c’est qu’il nous abandonne à nous-mêmes quand nous persistons à lui résister. Ce sont là « Ces consciences cautérisées 1 Timothée 4.2; » ce sont ces esprits fascinés ; ce sont « ces hommes livrés à un esprit dépourvu de sens Romains 1.21, 24 ; » ce sont « ces cœurs engraissés ; » ce sont « ces yeux qui voient et qui n’aperçoivent point, ces intelligences qui entendent et qui ne comprennent point Ésaïe 6.10, » selon le style de l’Écriture. Et si les raisonnements que nous avons pressés dans nos discours précédents ont été incapables de vous convaincre, ne nous contestez pas du moins ce que vous voyez tous les jours, et qui se passe sous vos yeux. Après cela, prédicateurs, étonnez-vous si vos raisonnements, si vos preuves, si vos démonstrations, si vos instances les plus pathétiques et les plus tendres ont souvent si peu de succès. Dieu combat lui-même contre vous. Vous démontrez, et Dieu « bouche les yeux ; » vous exhortez, et Dieu « endurcit » le cœur, et cet esprit, cet esprit qui par sa puissance victorieuse travaille avec nous pour illuminer les simples et pour faire entendre « son secret à ceux qui le craignent Psaumes 25.14 ; » cet esprit, par une puissance vengeresse, affermit les autres dans leur insensibilité volontaire.
Ce période funeste vient souvent avec plus de rapidité que l’on ne pense. Quand nous parlons de ces pécheurs qui sont devenus comme incorrigibles, nous n’entendons pas seulement ces vieillards qui ont roulé des cinquante, des soixante années dans le crime, et en qui le péché est devenu comme naturel. Nous parlons même de ceux qui, dans un âge moins avancé, pour avoir refusé de consacrer à Dieu les premières années de leur jeunesse, et pris à titre de bel esprit l’incrédulité et l’athéisme, sont devenus des athées en effet, en sorte que rien n’est capable de les émouvoir. D’abord c’était un simple défaut de zèle, de là est venu le relâchement ; après a suivi la froideur ; depuis l’indolence ; ensuite le mépris pour la religion ; enfin la profanation la plus outrée et la plus opiniâtre. Je vous propose ces exemples à vous qui êtes susceptibles encore des impressions de la grâce. Ils sont placés sous vos yeux par la Providence pour vous inspirer un tremblement salutaire ; et Dieu les expose dans l’Église comme ces mâts fracassés que l’on laisse sur les bancs de l’Océan pour avertir les nautoniers, et pour leur dire : Éloignez-vous d’ici, passants ; fuyez cet endroit funeste, et que les débris de notre naufrage vous fassent chercher une mer plus sûre et une route moins périlleuse.
3. Nous produisons un troisième exemple, et plût à Dieu que nous eussions moins de droit de le produire, et que nous fussions moins savants sur cette matière ! Ce sont vos mourants ; exemple que vous vous proposez vous-mêmes pour vous endurcir dans le vice, mais qui serait plus propre à vous effrayer si vous saviez le comprendre. On voit pour l’ordinaire qu’il n’y a point de mourant, pour méchant qu’il ait été pendant sa vie, qui ne paraisse converti au lit de la mort ; l’on se persuade facilement qu’il n’y en a point aussi qui ne le soit en effet, et qu’il n’y a rien de si facile que de se convertir dans ces derniers moments. Mais deux choses m’ont toujours prévenu contre ces repentances tardives : les caractères mêmes de ces repentances, et surtout leurs suites.
Premièrement, les caractères de ces repentances. Quand on connaît un peu le cœur humain, on voit bien qu’il n’y a rien que de forcé, pour l’ordinaire, dans ces sortes de conversions ; que c’est la crainte du péril, et non des sentiments de piété et de justice ; que c’est l’approche de la mort, et non la haine du péché ; que ce sont les horreurs de l’enfer, et non les transports d’un véritable zèle qui animent ces pénitents. Le matelot, pendant qu’il jouit d’un vent favorable, brave la Divinité, vomit des blasphèmes contre le ciel, et semble ne reconnaître d’autre Providence que son art et son industrie. L’air s’épaissit, les bondes des cieux viennent à s’ouvrir, le tonnerre se fait entendre, l’éclair brille dans les airs, les vents mugissent, l’écume blanchit, l’abîme de l’Océan semble monter dans les cieux, et les cieux semblent à leur tour être précipités dans l’abîme ; la conscience, réveillée par ces affreux objets, plus bouleversée encore par l’image de l’enfer, et par la pensée d’une mort prochaine et inévitable, cherche à se dérober à la fureur du Dieu qui la poursuit. Le blasphème se change en bénédictions, la présomption en prières, la sécurité en terreur. Le scélérat tout à coup devient un saint du premier ordre ; et, comme pour tromper la Divinité, après s’être trompé lui-même, il veut, à la faveur de cette fausse régénération, s’ouvrir les portes des cieux, et s’attirer tous les droits de la vraie pénitence. Que de conversions de ce genre vous éblouissent, chrétiens ! Que de nautoniers parmi vous dont les larmes et les soupirs ne doivent leur naissance qu’aux horreurs d’un péril présent auquel on veut se soustraire ! Mais ce n’est point dans l’agitation produite par le danger que l’on peut connaître si l’on a un recours sincère à la grâce ; c’est dans la tranquillité, et lorsque l’âme concentrée dans elle-même peut s’examiner de sang froid, et se voir dans son état naturel. Ce n’est pas lorsque le monde nous quitte que nous pouvons commencer à quitter le monde en vrais chrétiens ; c’est lorsque le monde est à notre porte, et qu’il dépend de nous d’en goûter les charmes.
Mais ce qui décide sur ces résolutions précipitées, ce sont leurs suites. De tous ces saints faits à la hâte, vous n’en trouverez presque aucun qui, affranchi du péril, remplisse les projets qu’il avait formés. Il n’y en a presque aucun qui ne se plonge dans le crime avec la même rapidité qu’il avait fait paraître pour s’en retirer ; argument plus que démonstratif que ces conversions n’étaient pas sincères ; car si cela avait été un zèle véritable et un principe d’amour pour Dieu qui vous eût dicté tous ces discours, et qui eût allumé ce feu dont vous paraissez embrasés, vous vous fussiez sans doute soutenus dans la suite ; et comme l’on ne voit aucun fruit de ces ferventes résolutions, on doit être convaincu qu’elles étaient extorquées ; car votre cœur passerait-il ainsi en un moment dans les deux extrémités ? passerait-il dans un moment de la pénitence à l’endurcissement, et de l’endurcissement à la pénitence ? corrigerait-il dans un moment l’habitude du vice pour revêtir l’habitude de la piété, et renoncerait-il avec une égale facilité à l’habitude de la piété pour reprendre l’habitude du vice ? L’exemple de ceux que Dieu rappelle à la vie doit régler votre jugement sur ceux qui en sont enlevés.
A toutes ces preuves, mes frères, qu’il ne m’est plus permis de mettre dans tout leur jour, je crains qu’on n’en puisse bientôt ajouter une autre ; je crains qu’un quatrième exemple ne fasse bientôt voir à l’univers combien il est dangereux de différer sa conversion. Cette preuve, cet exemple, c’est vous-mêmes pour la plupart. A voir le genre de vie que suit le plus grand nombre de vous, l’on ne trouve que trop de lieu à cette funeste conjecture. Mais vous verrions-nous sans frémir courir à bride abattue dans un abîme, dont des regrets sans fin et des larmes éternelles seront incapables de vous retirer ? Non, mes frères, nous redoublons nos instances, nous faisons de nouveaux efforts pour inculquer dans vos esprits ces vérités importantes.
La première chose que nous exigeons de vous, c’est que vous entriez dans votre cœur, et que vous vous rendiez justice à vous-mêmes ; c’est que vous reconnaissiez que vous êtes, pour la plupart, dans la funeste situation que nous avons attaquée ; que vous êtes presque tous dans le cas du renvoi de la conversion. Je sais que le cœur humain a ses illusions et la conscience ses profondeurs. Mais après tout vous n’êtes pas aveugles à ce point, entraînés les uns par l’avarice, les autres par l’ambition ; les uns par la volupté, les autres par la médisance ; les uns par une fierté que rien ne peut faire plier : vivant comme vous faites la plupart, placés dans une ville où l’on trouve toutes les occasions du crime qui se rencontrent dans les grands lieux, et toute la facilité qui se voit dans les petits, vous n’êtes pas assez aveugles pour croire être en état de grâce, tandis que vous persisterez dans cet état. Et comme je suppose d’ailleurs que personne de vous n’a porté la fureur jusqu’à se dire à soi-même : J’ai pris mon parti, je me jette tête baissée dans les abîmes des enfers, je consens d’en être la proie éternelle ; comme personne de vous ne porte la fureur jusqu’à ce point, je suis en droit d’en conclure que vous vous fondez presque tous sur une conversion éloignée. Commencez par là ; commencez par vous rendre justice sur ce point ; c’est la première chose que nous exigeons.
La seconde, c’est que vous rappeliez dans votre mémoire les raisons que nous vous avons rapportées dans nos discours précédents contre le renvoi de la conversion, et que vous en reconnaissiez la force. D’abord nous vous avons parlé simplement comme à des hommes qui ont un bon sens et une raison naturelle ; nous avons prouvé par votre propre constitution que la conversion devient difficile ou impraticable à mesure qu’on la diffère. Nous vous avons traités ensuite comme chrétiens, comme reconnaissant une révélation émanée du ciel, et nous avons tâché de vous prouver ces vérités par cette révélation, par le génie de l’économie du Saint-Esprit, par la nature des conditions de l’alliance de grâce, points capitaux de votre foi, articles fondamentaux de votre religion, et dont vous ne sauriez vous éloigner si vous avez quelque ombre de christianisme. Aujourd’hui nous venons d’apporter tous nos soins à vous faire sentir les mêmes choses par des expériences claires, certaines et incontestables. Mettant donc à part ce qui nous concerne en particulier, et notre propre faiblesse que nous reconnaissons et que nous sentons, rendez justice à nos preuves, reconnaissez-en la force, et voyez si vous avez encore quelques difficultés à y opposer. Cherchez, examinez, approfondissez. N’est-il pas vrai que les mauvaises habitudes s’enracinent avec les années, qu’elles s’emparent de nos cœurs, qu’elles prennent possession de toutes les puissances de nos âmes, qu’elles se transforment, pour ainsi dire, en notre nature ? N’est-il pas vrai que les habitudes de la piété ne s’acquièrent pas tout à coup, dans un instant, par une résolution subite, par un simple mouvement de l’âme ? N’est-il pas vrai que ce détachement des sens, que cet abandon du monde et de ses faux biens, que ce renoncement à soi-même, que ce zèle, que cette ferveur, devoirs indispensables du christianisme, caractères essentiels du vrai chrétien, n’est-il pas vrai que ce n’est pas là l’ouvrage d’un moment, d’une heure, d’un jour ? N’est-il pas vrai que pour parvenir à cet heureux état, il faut du temps, du travail, des actes réitérés, et par conséquent qu’une réflexion légère au lit de la mort et dans les dernières années de la vie ne saurait suffire à ce grand ouvrage ? N’est-il pas vrai que le Saint-Esprit, en nous assistant, veut que nous implorions son secours, que nous cédions à ses instances, que nous déférions au ministère évangélique ? N’est-il pas vrai qu’il abandonne à eux-mêmes ceux qui résistent à ses opérations, et qu’il conclut dans nos Écritures, de cela même que nous avons besoin de sa grâce pour notre sanctification, que nous devons travailler à notre salut avec d’autant plus d’effort ? N’est-il pas vrai que la miséricorde de Dieu a ses bornes et ses restrictions, qu’elle n’est promise qu’à ceux qui rempliront les conditions de l’alliance de grâce ; que ces conditions ne sont pas un simple repentir, un léger recours à la grâce, un désir superficiel d’avoir part aux fruits de la mort de Christ ; mais qu’elles emportent avec elles un changement total, un renouvellement de cœur, une transformation de l’âme ; en sorte que quand on s’est mis hors d’état de remplir ces conditions, on sort par cela même de la sphère des promesses évangéliques ? N’est-il pas vrai, enfin, que ces vérités sont fondées non seulement sur des raisonnements, sur une enchaînure de conséquences et de principes éloignés, mais qu’elles sont sensibles encore par une expérience soutenue et incontestable ? Nous vous demandons encore une fois que vous sentiez la force de ces raisonnements, que vous rendiez justice à l’évidence de nos preuves.
Une troisième chose que nous exigeons encore, c’est que vous reconnaissiez ce que sont les sermons par rapport à vous, le peu de succès qu’ils ont pour l’ordinaire, et par conséquent le peu d’influence que les nôtres, et nommément ceux que nous vous avons adressés en dernier lieu, auront sur votre conduite. Il n’y a point de semaine qu’on n’attaque quelque vice ; il n’y a point de semaine qu’on n’en dût corriger quelqu’un ; il n’y a point de semaine qui ne dût produire quelque changement sensible dans la société et dans l’Église. Le voit-on ? J’en atteste vos consciences. Vous nous regardez comme des déclamateurs appelés à vous entretenir pendant une heure pour divertir vos plaisirs, ou pour vous délasser, le premier jour de la semaine, des affaires qui vous occupaient les autres jours. Il semble que nous montions dans ces chaires pour vous servir d’amusement, pour vous donner des spectacles ; tout au plus pour soumettre à votre jugement des pièces académiques, et pour vous dire : Venez, venez voir si nous avons l’imagination fertile, « la voix belle Ezé.33.32, » le geste régulier, l’action selon votre goût. Dans cette détestable supposition, vous érigez la plupart un tribunal où vous jugez en dernier ressort de nos sermons, et vous nous trouvez tantôt trop longs, tantôt trop courts, tantôt trop faibles, tantôt trop froids, tantôt trop pathétiques. Presque personne ne rapporte ces exercices à leur véritable usage, à la satisfaction du cœur, à l’amendement de la vie. Voilà le succès des sermons que l’on vous adresse. Les nôtres seraient-ils plus heureux ? Nous serions trop crédules de nous le promettre. Reconnaissez-le, mes frères, tout ce que nous avons dit contre le renvoi de la conversion est à peu près inutile, par rapport au plus grand nombre. Philosophie, religion, expérience, tout cela vous laissera chacun à peu près tels que vous étiez auparavant. C’est la troisième chose que vous devez reconnaître.
Quand vous aurez fait ces réflexions, nous vous demanderons quelles sont vos vues ? Quel parti voulez-vous prendre ? Que voulez-vous devenir ? Quelle sera la destinée de toutes ces personnes qui composent votre assemblée ? Vous reconnaissez, d’un côté, que vous êtes dans le cas du renvoi de la conversion. Vous voyez de l’autre, par des preuves tirées de la raison, de l’Écriture, de l’expérience, que ceux qui la diffèrent ainsi s’exposent au danger éminent de ne se convertir jamais. Vous êtes contraints d’avouer que les exhortations les plus pathétiques sont pour l’ordinaire sans effet, et que cependant le temps presse, que votre vie s’envole, et que le moment où vous devez servir vous-mêmes de preuve à ces tristes vérités est prêt à venir. Toutes ces choses ne feront-elles aucune impression sur vos esprits ? ne porteront-elles aucune atteinte à cette malheureuse sécurité où vous vivez ? ne troubleront-elles point cette fausse paix que vous goûtez ? n’auront-elles aucune influence sur votre vie ?
Je sais le parti que vous allez prendre ; c’est que, n’y pouvant penser sans effroi, vous allez les bannir de votre esprit, et les effacer de votre mémoire. Vous allez, en sortant de ce lieu, vous munir contre ce tremblement salutaire qu’on vous y avait peut-être inspiré ; vous allez vous entretenir de tout autre sujet que de ces grandes vérités qui vous y ont été prêchées, et trouvant ainsi votre sûreté dans votre indolence, vous cesserez de craindre et de pâlir, parce que vous éloignerez tous les sujets que vous aviez de le faire ; semblables à un homme qui dormirait tranquillement dans une maison embrasée ; on le presse, on lui crie : Sortez de votre assoupissement, votre maison est en feu ; il se réveille, il ouvre les yeux, il est frappé de ces horreurs, il veut pourvoir à sa sûreté, et incontinent, il retombe dans son premier sommeil, et sert de pâture aux flammes.
Mais, mes frères, mes très chers frères, pensez, pensez que la situation de votre esprit ne porte aucune altération à la nature des choses. Vous pouvez bien oublier ces grandes vérités, mais vous ne sauriez les changer. Elles subsistent dans leur entier, soit que vous y pensiez, soit que vous n’y pensiez point. Vous pouvez bien fermer les yeux aux abîmes qui sont sous vos pas, mais vous ne sauriez les combler, mais vous ne sauriez les éviter, à moins que vous ne défériez à nos exhortations, et que vous ne cédiez à nos instances.
Si votre salut vous est cher, s’il vous reste encore quelque sensibilité et quelque étincelle d’amour pour Dieu, si vous n’avez pas résolu votre perte et juré votre ruine, rentrez dans vous-mêmes dès ce moment. Prenez, dès ce moment, de justes mesures, chacun pour triompher de la passion qui vous domine. Ne sortez point de ce temple sans être fermement résolus à changer de vie.
Pensez que vous n’avez pas été mis dans le monde pour vous agrandir, pour vous enrichir, pour y former mille attachements qui serrent les nœuds malheureux qui vous arrêtent sur la terre ; beaucoup moins pour y scandaliser l’Église, pour être fiers, superbes, orgueilleux, injustes, intempérants, avares ; mais Dieu vous y a placés comme dans un lieu d’épreuve, afin que vous vous prépariez à l’éternité. Pensez que si les distractions du monde appellent souvent un homme raisonnable à s’occuper du monde malgré lui, il n’y a rien de si indigne que d’être toujours dans la dissipation, toujours dans les plaisirs, comme vous êtes pour la plupart. Pensez que si l’on pardonne ces vides continuels à un jeune homme qui ne fait que de naître et qui n’a pas encore eu le temps de réfléchir, les jeux, les divertissements, les spectacles ne s’accordent guère avec les cheveux gris ; et que du moins, du moins ces restes de vie, il faudrait les consacrer au service de Dieu et à son propre salut.
Examinez-vous sur ces principes. Que chacun en fasse la pierre de touche de ses actions ; qu’il y trouve des motifs à se réformer ; « que le temps passé lui suffise 1 Pierre 4.3, » pour avoir satisfait à ses convoitises, et qu’il tremble en considérant les coups qu’il a portés à son âme, et les dangers qu’il a courus eu différant jusqu’à ce jour.
Il y a quarante, cinquante, soixante années que je suis au monde. A quoi les ai-je employées ? Quel compte puis-je rendre d’un temps si précieux ? Quelles vertus ai-je acquises ? Quel mauvais penchant ai-je corrigé ? Quel progrès ai-je fait dans la charité, dans l’humilité, dans toutes ces vertus pour lesquelles Dieu m’avait fait naître ? Mille passions différentes ne se sont-elles pas partagé l’empire de mon cœur ? Ne m’avilissent-elles pas en esclave ? Misérable ! peut-être ai-je épuisé le temps de la patience ; peut-être désormais je frapperai en vain à la porte de la grâce ; peut-être serai-je de ceux dont parlait Jésus-Christ, « qui voudront se sauver et qui ne le pourront Luc 13.24 ; peut-être que cette insensibilité que j’éprouve, et que ces résistances que mon malheureux cœur forme encore sont de ces effets de la vengeance du Seigneur ; peut-être que les jours de ma visitation sont expirés ; peut-être que Dieu ne me conserve la vie que pour faire de moi un exemple effrayant du malheur de ceux qui diffèrent de se convertir ; peut-être que c’est à moi que s’adresse cette voix : « Que celui qui est injuste soit injuste encore ; que celui qui est impur se rende impur encore Apocalypse 22.11. » Mais aussi peut-être ai-je du temps encore ; peut-être que Dieu ne me laisse au monde que pour me fournir des occasions de réparer mes fautes passées ; peut-être ne m’a-t-il fait venir aujourd’hui dans cette Église que pour me toucher, et pour m’arracher à mes misères ; peut-être que ces mouvements de mon âme et ces larmes qui coulent de mes yeux sont des productions de la grâce ; peut-être que ces attendrissements, que cette componction, que ces craintes sont des voix qui « me disent de la part de Dieu de chercher sa face Psaumes 27.8 ; » peut-être que c’est ici « l’année de la bienveillance, le temps agréable, le jour du salut Ésaïe 49.8 ; » peut-être que si je ne diffère plus et que si je travaille à mon salut sans délai, j’aurai encore du succès dans mes travaux, et je verrai mes peines couronnées.
Charité de mon Sauveur, entrailles miséricordieuses, abîmes des compassions divines, « longueur, largeur, hauteur, profondeur de l’amour de Dieu qui surpassez toute connaissance Éphésiens 3.18, » résolvez cette importante question, calmez l’agitation de mon esprit, rassurez mon âme flottante. Oui, mon Dieu, puisque tu me laisses la vie, je me flatte que c’est pour me sauver ; puisque tu me cherches encore, je me flatte que c’est pour me corriger. Ainsi je prends de nouveaux engagements, je ratifie de nouveau l’alliance que j’ai tant de fois violée, je te prête de nouveau ces serments que j’ai tant de fois rompus. Si vous agissez de cette manière, votre travail ne sera pas vain au Seigneur ; car qu’est-ce que Dieu demande de vous ? Pourquoi vous a-t-il tirés du néant ? pourquoi vous a-t-il donné son Fils ? pourquoi vous communique-t-il son esprit ? Est-ce pour vous perdre ? est-ce pour vous damner ? Connaîtriez-vous si peu le Père des compassions, le Dieu qui « est charité 1 Jean 4.8 ? Prendrait-il plaisir à la mort du pécheur, comme à ce qu’il se convertisse et qu’il vive Ézéchiel 33.11 ? »
Ce sont les assurances qui suivent les exhortations du prophète, et les paroles de mon texte ; car après avoir dit : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve, invoquez-le tandis qu’il est près, » il en tire cette conclusion à laquelle je voulais vous conduire, qui a été le but de ces trois discours, et par où je vais les finir. « Que le méchant délaisse sa voie, et l’homme inique ses pensées ; qu’il retourne à l’Éternel, et il aura pitié de lui ; et à notre Dieu, car il pardonne abondamment Ésaïe 55.7. » Et de peur que le pécheur pénitent, accablé sous le poids de ses crimes, mesurant à sa propre petitesse l’étendue des miséricordes divines, ne désespérât de son salut, il ajoute encore cette sentence de la part de Dieu, sentence qui exprime si bien la grandeur de ces compassions : « Mes pensées ne sont pas vos pensées ; mes voies ne sont pas vos voies ; car autant que les cieux sont élevés par-dessus la terre, autant mes pensées sont-elles par-dessus vos pensées Ésaïe 55.8. » A Dieu le Père, le Fils, et le Saint-Esprit soient honneur et gloire à jamais. Amen.