Tes yeux contempleront le Roi en sa beauté.
Donne tes ordres à ta maison, car tu vas mourir et tu ne vivras plus.
De quelle manière Arnold Bovet envisageait-il la mort ? Son attitude différait suivant qu’il la regardait avec ses yeux d’homme, de chrétien ou d’apôtre.
Comme homme, il la haïssait. Il voyait en elle une chose affreuse, humiliante, anormale. Tout son être frémissait de douleur et d’indignation à la vue de cette puissance mauvaise, cruelle, aveugle, injuste, qui s’acharne sur le petit enfant, sur la jeune mère, sur l’homme utile et indispensable, et qui multiplie les cris et les larmes.
Comme chrétien, il voyait dans la mort le dernier ennemi à vaincre, et un soupir s’échappait de son âme toutes les fois qu’il relisait la grande promesse de l’Apocalypse : « La mort ne sera plus. » Mais, comme chrétien aussi, il avait appris à ne plus la craindre pour lui-même, et tout en redoutant encore la souffrance physique qui l’accompagne, il s’était à ce point familiarisé avec elle, qu’il parlait de son propre départ avec une facilité affligeante pour ses proches. Mourir, c’était, pour lui, arriver au repos après une longue journée de travail, c’était être déchargé de toutes les responsabilités qui l’accablaient, c’était changer la foi en vue, c’était « être avec Jésus ».
Comme apôtre, il utilisait la pensée de la mort ; il en faisait un aiguillon pour se tenir en éveil et s’exciter au travail. Il semble que, pour électriser encore plus son activité, Dieu lui ait dit plus clairement qu’à d’autres : « Donne tes ordres à ta maison, car tu vas mourir et tu ne vivras plus. » Depuis longtemps il s’attendait à partir jeune. Il pensait être enlevé subitement comme l’avait été son père. Affligé d’une maladie de cœur qui, du reste, ne le faisait pas souffrir, il avait des raisons pour ne pas compter sur une longue vie. Quand il eut dépassé cinquante-trois ans, l’âge atteint par son père, il fut tout étonné de voir sa vie se prolonger encore. Néanmoins, il ne laissa pas de penser au départ et d’en parler souvent. Nombreux sont ceux à qui il confia ses prévisions. Le jour où, en 1899, il nous fit visiter le Vereinshaus de Berne, il nous dit tranquillement : « Je sais que je ne dépasserai pas soixante ans. » Plus tard, étant en visite à Sonvillier, et remontant avec peine le chemin qui mène à la gare, il dit à la personne qui l’accompagnait, témoin navré de ses efforts pour respirer : « Je m’en vais. » Dieu savait ce qu’il faisait en multipliant les avertissements. Il voulait que ce pasteur déjà si actif devînt de plus en plus apôtre, c’est-à-dire l’homme qui peut dire : « Ma vie ne m’est point précieuse » et qui la dépense sans économie et sans peur, « ayant en vue des choses meilleures ». Celui qui n’a plus rien ni à craindre ni à espérer de la terre, peut tout oser. C’est là certainement un des secrets de l’activité prodigieuse déployée par Arnold Bovet, et qui alla croissant jusqu’au bout.
« Donne tes ordres à ta maison !… » Ce n’est pas assez de penser au départ, il faut le préparer. Pour assurer l’avenir de sa chère communauté de Berne, Arnold Bovet s’adjoignit comme collaborateur et successeur éventuel un homme qui, depuis longtemps, avait gagné sa confiance et son affection, le pasteur Alexandre Morel, alors à Moûtier (Jura bernois).
Le soir du 20 février 1902, il le présenta à l’assemblée d’Église et prit comme texte de son allocution : Actes 11.25-26 : « Barnabas s’en alla à Tarse pour chercher Saul et l’ayant trouvé il l’amena à Antioche ». Rayonnant de joie, il déclara qu’en face de l’agrandissement constant de sa tâche, il avait, comme Barnabas, senti la nécessité de se chercher un aide, et combien il était heureux et reconnaissant de ce que Dieu le lui eût fait trouver. Puis, comme se parlant à lui-même, il dit : « J’aimerais tant être, comme Barnabas, un fils de consolation ! »
Appeler M. Morel, ce n’était pas seulement assurer l’avenir, mais encore enrichir le présent et peut-être un peu s’amoindrir soi-même. Plus orateur que le pasteur Bovet, son nouveau collègue attirait davantage. Loin d’en souffrir, « Barnabas » se réjouissait des succès de « Saul » et répétait souvent : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. »
Il eût aimé aussi trouver l’homme capable de le remplacer, le cas échéant, à la direction de la Croix-Bleue en pays de langue allemande ; mais, comme on pouvait le craindre, cette satisfaction ne lui fut pas accordée.
Au mois de décembre 1902, mourut subitement, à l’âge de deux ans, son petit-fils Willy Gruner. Cet enfant avait gagné d’une façon particulière l’affection de tous et surtout celle de ses grands-parents. Il paraît qu’il avait un charme inexprimable quand il chantait certains cantiques ou qu’il répétait : Mein Jesus liebt mich ganz gewiss, Das ist mein Paradies. Encore que cet enfant ne fût pas prodigue de démonstrations de tendresse pour son grand-père qui lui faisait un peu peur, sa mort fut pour Arnold Bovet une blessure dont celui-ci ne se remit pas. « Je le suivrai bientôt, disait-il, comment voulez-vous que l’on puisse continuer à vivre ? »
Dans le courant du même hiver mourut M. Blösch. Cet homme de Dieu était, depuis de longues années, une des colonnes de l’Église libre de Berne. Il avait subi l’heureuse influence du réveil de 1875 et avait contribué à faire venir à Berne le pasteur de Sonvillier. Par la profondeur de sa piété, par la solidité de son jugement et par les richesses de son expérience, il avait exercé une grande action sur l’âme de son pasteur, et cette influence continua même après la séparation de la fraction allemande à laquelle il se rattachait. Aux funérailles de son ami, Arnold eut comme une vision de son propre départ et il dit à sa femme cette parole : « Bientôt ce sera ton tour d’être dans le deuil. »
Des amis, M. et Mme Borel-Girard, qui passèrent quelques jours à Berne pour voir les Bovet, remarquèrent chez Arnold une sorte de détente significative. Comme d’autres, ils avaient pu se plaindre de la peine qu’on éprouvait parfois à causer avec lui un peu à fond, et de la rapidité avec laquelle sa pensée, tiraillée par tant de responsabilités, paraissait voltiger d’un sujet à l’autre quand on aurait voulu la retenir. Cette fois, il en fut autrement. Plus qu’auparavant, leur ami prit le temps de se donner à eux complètement, et si profonde fut l’impression produite que, de retour à la maison, Mme Borel Girard dit aux siens : « Nous venons de voir un ami de votre père qui prépare ses adieux. »
Au mois d’avril 1903, Arnold Bovet se rendit à Brême pour représenter la Croix-Bleue au Congrès antialcoolique international. Il y contracta le refroidissement dont il ne devait pas se guérir. Bien que toussant beaucoup, l’apôtre infatigable voulut faire servir ce voyage, comme les autres, au bien des sections allemandes si chères à son cœur ; et de Brème on le vit se rendre encore à Hambourg, à Essen et dans plusieurs autres villes.
Il revint malade à Berne le jeudi 30 avril, à neuf heures du soir. Au lieu d’aller directement chez lui pour se soigner, il se rendit à sa chapelle où il dit quelques paroles à ses paroissiens réunis en assemblée d’Église. Ceci n’est pas pour nous étonner, et la première partie de cette période douloureuse nous présente ce spectacle : l’ouvrier malade qui veut aller quand même à son travail.
Mme Bovet devait partir pour Treffen (Carinthie) où elle voulait installer le ménage de son fils Félix, fiancé depuis peu à Mlle Ruth Matthey, de Berne, et dont le mariage devait avoir lieu incessamment. Elle renonça heureusement à ce lointain voyage. Le vendredi et le samedi furent consacrés aux examens d’admission à l’École des filles dont Arnold Bovet avait accepté un an auparavant de présider le Comité. Il avait posé alors comme condition, qu’on ne lui imposerait pas par là de besogne supplémentaire, et, comme presque toujours en pareil cas, cette charge de plus lui avait amené une succession de tâches délicates et ardues, telles que : personnel à changer, leçons à donner, nouveau directeur à installer. On sait ce que sont presque toujours ces « sinécures » que l’on impose aux hommes déjà surchargés.
Le samedi soir il se sentit fiévreux et, le lendemain, il s’abstint de tenir l’École du Dimanche, mais il eut la force de faire sa prédication sur 2 Corinthiens 7.8-11. « Le sujet, dit-il, est si riche que nous le traiterons en deux fois. Aujourd’hui nous parlerons de la joie, dimanche prochain de la tristesse. » Il y eut, paraît-il, dans sa méditation, une solennité et une onction particulières. Il laissa M. Morel distribuer la Cène.
L’après-midi, réunion de Missions au Chalet. Malgré sa toux et son état fiévreux, il lut beaucoup et se plut à raconter longuement son voyage en Allemagne. Parlant de Hambourg où il avait pénétré dans les « Verbrecher Keller », pour y inviter à sa réunion des hommes et des femmes ivres, il s’interrompit tout à coup pour dire à sa femme : « Pourquoi ne pas faire la même chose ici ? »
Désireux de serrer la main à chacun, à la sortie, comme d’habitude, il s’exposa au froid et son état empira. Néanmoins il alla le lundi matin à l’École des filles pour y installer le nouveau directeur ; l’après-midi il présida une séance du Comité des « Vereinslieder », laquelle dura jusque vers sept heures. Enfin, de huit heures à dix heures, il eut sa réunion ordinaire de Messieurs. En sortant, comme sa toux augmentait, il dit : « Cela se gâte. »
Le lendemain mardi, il dut se rendre à l’évidence et se mit au lit ; le mercredi, on dut l’empêcher de se rendre à la réunion hebdomadaire de la section de Berne. Le docteur consulté constata une pneumonie à laquelle l’état de faiblesse du cœur donnait un caractère grave. Arnold, très agité, disait : « Je fais semblant d’être malade ! » et voulait à toute force dicter des lettres. A partir de ce moment, nous assistons à une lutte pénible. En ce malade il y a deux hommes : le chrétien et le travailleur. Le chrétien est détaché depuis longtemps et prêt à partir ; l’ouvrier ne l’est pas ; il est lié à son travail par mille nœuds qui doivent encore être défaits ou tranchés. Malgré sa faiblesse et l’oppression, le malade veut parler, écrire, agir. Par moments, dans un demi-délire, il se tourmente au sujet d’un Café de tempérance, puis il s’écrie : — « Je ne veux plus m’en occuper, mon service est fait ! »
Peu à peu, sous la main du Maître, l’ouvrier dépose ses outils et se laisse soigner. Son infirmier, un jeune chrétien nommé Zaugg, lui dit avec un grand calme et presque avec autorité : « Quand tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais, mais quand tu seras devenu vieux, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas ». De bons soins, l’imposition des mains de Mme Bovet et la prière firent aussi leur effet bienfaisant ; enfin l’agitation fébrile du malade est doucement atténuée grâce aux cantiques joués de temps en temps sur l’harmonium et, le samedi soir, sur sa demande expresse, par la fanfare réunie à ce moment pour sa répétition ordinaire. Les hymnes sont des amis que l’on appelle dans la détresse. Quels furent ceux qu’il réclama ? « Wenn ich ein Mal soll scheiden, so scheide nicht von mir, et surtout le préféré : Ach mein Herr Jesu, wenn ich dick nicht hätte ! »
Bien que se sentant très mal et toujours plus faible, Arnold Bovet s’oubliait lui-même ; il ne s’inquiétait que de la fièvre de son fils Samuel et des longues souffrances de son beau-frère Félix, tout devait marcher dans la maison comme à l’ordinaire, tout, même la réunion de tempérance du dimanche après-midi (Bezirksversammlung). De son lit, le malade y prit part, s’informant de la bonne marche des choses, faisant souhaiter à tous de bonnes fêtes de Pentecôte, appelant auprès de lui ses plus fidèles collaborateurs et autorisant un quatuor de chanteurs à venir lui faire entendre un cantique.
Sur le conseil du docteur les enfants avaient été prévenus ; un seul, Paul, put arriver assez vite de Francfort pour voir son père encore vivant. Celui-ci, toujours oublieux de soi-même, s’entretint avec lui un moment, le lundi matin à quatre heures, mais uniquement pour s’informer des choses de Francfort. Pareillement, quand son gendre Paul Gruner était venu auprès de lui, ses paroles n’avaient pas eu le caractère de recommandations suprêmes qu’on aurait attendu. Au fond, il ne paraissait pas se douter que l’heure était venue. Il fallut que sa femme le lui dit elle-même. Il objecta faiblement : « Mais je n’ai pas achevé de donner mes ordres à ma maison… » Elle eut la force de lui dire que ce n’était plus le moment de regarder en arrière, mais en avant. À six heures, elle fit le culte et lut le texte morave du jour et le commencement de l’épître aux Éphésiens. Un peu après, le garde, discernant que la fin approchait, en prévint le mourant qui reçut cet avertissement avec calme et reconnaissance. Mme Bovet revint aussitôt et soutint dans ses bras son mari qui rendait le dernier soupir. C’était le 11 mai, à sept heures du matin.
Au même moment, à Grandchamp, la sœur d’Arnold, Clara, anxieuse de recevoir des nouvelles, envoyait son neveu Jean au téléphone. Pendant qu’il y allait, elle tira un verset suivant l’usage de Männedorf. Son regard rencontra ces mots : « Il a été retranché de la terre des vivants » (Ésaïe 53.8). Un instant après, le message de Berne confirmait celui d’En-Haut.
♦ ♦ ♦
La nouvelle de la mort d’Arnold Bovet se répandit rapidement dans la ville de Berne. Nul ne s’attendait à un départ si prompt. La population n’avait été informée que depuis un ou deux jours de la gravité de la maladie ; mais, dès ce moment, l’Agence de la Croix-Bleue se vit assaillie d’une foule anxieuse qui, d’heure en heure, voulait savoir l’état de l’homme universellement aimé. La première impression fut de stupeur, comme en présence d’un effondrement, d’une calamité publique. Bientôt affluèrent les témoignages de la plus ardente sympathie. Amis et parents s’empressaient autour de la dépouille mortelle d’Arnold auquel ses collaborateurs MM. Stahel et Schelling aidés du fidèle garde-malade Zaugg, avaient rendu les derniers devoirs. Sur son pâle visage, la mort n’avait mis que l’expression solennelle d’une paix infinie et d’un suprême repos. Au-dessus de sa tête on avait placé la figure du Christ qui ornait habituellement sa chambre de travail. Le Seigneur semblait regarder avec tendresse son enfant mort à son service.
Bientôt s’entassèrent les couronnes et les palmes ; et puis, après la famille selon la chair, on vit arriver l’autre, celle d’adoption, frappée elle aussi en plein cœur et inconsolable. Un abstinent était tellement désespéré qu’il se roulait par terre devant la porte et refusait d’entrer. Un peu après, vint le vénéré pasteur Bernard, de l’Église française nationale ; il déposa un baiser sur le front glacé du collègue qu’il avait aimé à la fois comme un fils et comme un frère et qu’il devait suivre de près. Félix, le fils cadet, arriva de Carinthie dans la nuit qui suivit la mort.
Le mercredi matin, le corps fut déposé dans un cercueil en chêne clair et placé dans la grande salle du chalet, au milieu d’une vraie forêt de plantes vertes et d’une profusion toujours croissante de couronnes. Les abstinents purent entourer une dernière fois leur chef dans ce lieu où il leur avait fait tant de bien. Ce fut un interminable défilé de désolés et d’orphelins ; hommes, femmes et enfants arrivaient en pleurs dans le sanctuaire ; des malades s’y trainèrent. Il y eut devant ce cercueil des scènes déchirantes. On vit une petite fille, indifférente à la beauté des plantes et des couronnes, river sur le visage du mort un regard désespéré qu’elle ne pouvait plus en détacher. Son attitude a inspiré à une amie de la famille les strophes suivantes :
L’ENFANT DU BUVEUR.
Elle était là, près du cercueil,
Debout, par la douleur muette
Le contemplant le coeur en deuil,
Elle murmurait, la fillette :
C’est lui, l’ami du Presbytère,
Qui fit un jour « signer » mon père !
Est-il vrai que nous n’entendrons
Plus jamais sa voix bienveillante ?
Que dans ses yeux nous ne lirons
Plus jamais sa bonté touchante ?
C’est lui, l’ami du Presbytère,
Qui gagna le coeur de mon père!
Que de fois chez nous il monta,
S’assit et, dans sa foi sereine,
Au malheureux buveur parla
D’une délivrance certaine !
C’est lui, l’ami du Presbytère,
Qui rendit à l’enfant son père !
Laissez-moi pleurer aujourd’hui,
Car ma douleur est si profonde !
Il fut pour nous un tel appui,
L’ami des petits de ce monde !
C’est lui, l’ami du Presbytère,
Qui vint au secours de mon père !
Mais puisqu’il aimait à chanter,
Nous chanterons. Au ciel il chante.
Jésus, nous voulons t’exalter :
Ta grâce immense est suffisante…
C’est lui, l’ami du Presbytère,
Qui conduisit mon père au Père !
Non seulement de fidèles abstinents désiraient saluer leur Président, mais on vit apparaître là des retombés, des épaves, ceux dont il ne voulait jamais désespérer. Un buveur s’approcha du cercueil et dit à celui qui, hélas ! ne pouvait plus l’exhorter : « Écoute ! sache bien que ce que tu as semé en moi n’est pas perdu ! Cela sortira un jour, oui, cela sortira, sois en sûr ! » Puis, déposant lui aussi un baiser sur le front de son ami, il s’en alla en sanglotant.
Au milieu de cette désolation universelle, quelqu’un se tenait calme, paisible, consolant les autres… c’était la veuve. Ce qui lui donnait cette force presque surnaturelle, à elle, la plus frappée, c’est que le départ de son mari lui avait moins laissé l’impression affreuse d’une mort que celle d’un enlèvement. Elle dut télégraphier la terrible nouvelle à des amis d’Afrique pour qu’ils l’annonçassent doucement au fils aîné à peine guéri de la fièvre. Dieu a permis qu’il supportât ce coup.
♦ ♦ ♦
Parmi les innombrables articles de journaux qui annoncèrent la mort d’Arnold Bovet, un seul sera reproduit ici, parce qu’il émane d’une plume non-protestante, celle de M. l’abbé Michaud, catholique chrétien de Berne, et alors même que certaines expressions y contrastent avec l’humilité de celui qu’il pleure :
« Heureux qui a rencontré quelques saints dans sa vie ! Plus heureux encore celui qui a pu les entendre, les entretenir et jouir de leurs pensées intimes ! Les saints, ils sont rares, du moins dans la mesure de perfection que j’attache à ce mot. Le pasteur Bovet en était un et je remercie Dieu de m’avoir fait la grâce de le connaître et de l’aimer. D’autres étaient plus étonnants et plus austères, nul n’était plus bienveillant, plus souriant, plus tolérant, plus rempli de cette charité qui attire et qui captive. Lorsqu’on l’approchait, et dès qu’il avait prononcé son premier mot, on sentait qu’il avait réalisé dans sa personne tout entière cette parole de Paul : …
« Si un homme a dû connaître la joie de faire le bien et de ramener les pécheurs dans les voies de la tempérance et de la religion, c’est bien lui ; car nul ne fut plus apôtre, plus assoiffé du salut de ses frères égarés. Et quelle félicité intérieure était la sienne lorsqu’il retrouvait une brebis perdue ! Néanmoins, malgré la béatitude spirituelle et religieuse dont sa vie fut remplie et qui devait la lui rendre chère, je suis sûr qu’il a pu dire en se voyant mourir : Mori lucrum. Oui, la mort m’est un gain ! Voir ce Sauveur, ce Christ dont son cœur était rempli, cette seule pensée a dû le plonger dans le ravissement et l’extase.
« Cet homme extraordinaire n’est pas de ceux dont on puisse exprimer le désir qu’ils reposent en paix, tant on est certain déjà que cette paix du Seigneur leur est assurée. Je dirai plutôt ;: Que dans le séjour bienheureux où il est récompensé de ses vertus et de son éminente sainteté, il daigne se souvenir de ceux qui l’ont admiré et aimé sur la terre, et qu’il leur obtienne de Dieu les grâces dont ils ont besoin pour marcher sur ses traces ».
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Les funérailles eurent lieu le jeudi 14 mai, à deux heures de l’après-midi, dans la Cathédrale. On avait pensé tout d’abord les faire dans la Chapelle de la Société évangélique, mais à cause de l’énorme affluence qui s’annonçait, la famille dut accepter l’offre des autorités de la ville qui demandaient que le pasteur Bovet reçût les honneurs funèbres dans la vieille église.
Le cercueil y fut transporté avant la cérémonie. Au moment où il traversa le pont qui, au-dessous du Presbytère, franchit la voie ferrée, les manœuvres des trains furent arrêtées.
Avant deux heures, toutes les cloches de la cathédrale sonnaient, et bientôt l’immense édifice était rempli d’une multitude recueillie. Le cercueil, porté par huit abstinents, avait été déposé en avant du chœur, sous la croisée, derrière les bancs réservés à la famille. Il était couvert de couronnes et environné de plantes vertes. Treize bannières, dont onze de la Croix-Bleue, voilées de crêpe, formaient tout autour une garde d’honneur.
Un prélude de l’orgue sut mêler aux accents de la douleur ceux de la foi et de la victoire (Ein leste Burg ist unser Gott) ; puis, alternant avec d’admirables cantiques, sept allocutions furent prononcées du haut de la chaire.
Les allocutions ! La plume peut s’efforcer d’en donner la substance, elle est impuissante à rendre l’intense émotion avec laquelle elles furent prononcées et écoutées. La douleur et la joie ne se racontent pas. Difficile était la tâche des orateurs. Il s’agissait pour eux de maîtriser assez leur émotion pour parler à un auditoire et devant un spectacle qui devaient la raviver encore ; il fallait ouvrir son cœur pour exprimer les sentiments qui remplissaient tous les cœurs, et en même temps le comprimer pour ne pas offenser par trop d’éloges la mémoire de l’homme si humble couché dans ce cercueil ; il fallait condenser en quelques mots et en quelques minutes des flots pressés de souvenirs chéris, de regrets amers, d’espérances radieuses, et faire sortir, si possible, d’une si grande douleur une bénédiction digne d’elle.
M. le pasteur Alexandre Morel parla le premier, au nom de l’Église libre de Berne. Dans son langage viril et fortement imagé, il présenta l’armée de Dieu atterrée parce qu’elle vient de voir tomber en pleine mêlée un chef d’élite, dont le coursier erre affolé, les rênes flottantes… Puis il ajouta : « Un héros est mort, mais le vrai héros, le Sauveur, est toujours vivant. C’est pourquoi, s’il est permis de pleurer, il ne l’est pas de perdre courage. La meilleure manière d’honorer le chef tombé, est de ramasser le drapeau qu’il tenait si bien et de le porter comme lui. »
M. le professeur Charles Porret, de Lausanne, comme représentant des Églises libres du canton de Vaud et surtout au nom des plus anciens amis du défunt, rappela avec une reconnaissance émue tout le bien que l’étudiant Bovet avait fait à ses camarades dans sa chambre de la rue des Épancheurs, à Neuchâtel, et comment ce cabinet de travail était devenu un sanctuaire, un lieu de prière, un foyer de vie où plusieurs jeunes gens avaient trouvé leur Sauveur.
L’immense assemblée chanta alors le cantique Ach mein Herr Jesu, wenn ick dich nicht hätte ! À Paris, on s’en souvient, au milieu de toutes les voix discordantes de la tentation, du plaisir, des luttes sociales ou religieuses, ce chant si pur et si intime avait, comme un message au ciel, remonté le courage et rafraîchi le cœur d’Arnold Bovet ; comme un compagnon fidèle, le cantique préféré avait suivi le pasteur dans ses rudes travaux, il avait retenti doucement aux oreilles du malade haletant sur son lit, et maintenant, chanté par des milliers de voix aimantes et croyantes, il consolait les cœurs brisés de la veuve et des orphelins, devant le cercueil de celui qui n’avait plus besoin d’être consolé.
Ce fut ensuite le tour de M. le pasteur Furer. Sa voix, affaiblie par l’âge et étranglée par la douleur, n’arrivait qu’avec peine aux extrémités de l’immense nef. Mais ceux mêmes qui ne percevaient pas tous les mots étaient saisis par l’émotion profonde et l’affection cordiale qui les dictaient. Nul mieux que M. Furer n’a pénétré jusqu’au fond du cœur d’Arnold Bovet ; pendant des années de fidèle collaboration, le jeune pasteur ardent et entreprenant n’avait jamais manqué de soumettre ses idées, ses plans et ses difficultés à l’expérience et à la sagesse du vieux serviteur de Dieu, et, par la description même que celui-ci faisait du cœur du défunt, l’assemblée mesurait la grande place qu’il y avait gagnée.
Après lui se leva le fondateur et Président central de la Croix-Bleue, M. L.-L. Rochat. Dans sa douleur, il ressemblait à un officier blessé qui s’efforce d’oublier ses propres plaies pour pleurer la mort et honorer la dépouille de son camarade tué près de lui. Il faut savoir ce qu’est le poids d’une œuvre comme la Croix-Bleue et ce qu’en portait Arnold Bovet pour comprendre à quel point L.-L. Rochat devait se sentir écrasé par la perte de son plus précieux collaborateur.
Comment résumer, sans trop l’affaiblir, ce discours débordant de reconnaissance émue, de douleur poignante et de foi indomptable ? M. Rochat commença par raconter, en lisant des extraits de lettres, comment il avait, non sans quelque peine, réussi à gagner à la Croix-Bleue le pasteur de Berne. Il rappela les hésitations et les résistances premières de l’homme de Dieu qui voulait être sûr de l’approbation de son Maître. Puis il lut la lettre écrite par Arnold Bovet dans l’album offert par les pasteurs au Président central, à l’occasion du jubilé de l’œuvre, lettre débordante de reconnaissance, d’humilité et d’amour. L’humilité et l’amour unis à la foi, n’était-ce pas là justement le secret de la force déployée par cet ouvrier d’élite et des succès inattendus qu’il obtint ?
« Quand nous commençâmes, ajouta L.-L. Rochat, tout était contre nous, les savants et la multitude. Pendant les dix ou douze premières années, les croyants seuls se tenaient sur la brèche, comptant, pour vaincre les résistances, sur la vérité de leurs principes et sur la puissance de Dieu. Plus était forte l’opposition du monde, plus nous nous appuyions sur le secours d’en haut.
« Depuis, les savants ont ouvert les yeux, compris la nécessité de l’abstinence et fondé des sociétés sur ce principe, mais, n’appréciant que la science, seule lumière du présent et de l’avenir, et méprisant la foi, puissance à jamais détrônée, ils repoussent toute action religieuse. Ce que l’humanité demande à l’heure actuelle, affirment-ils, ce sont des faits et rien que des faits ; si la Croix-Bleue veut réussir à gagner les masses et surtout les hommes du peuple, il faut qu’elle se fasse scientifique et sociale et cesse d’être chrétienne.
« Mais que voyons-nous aujourd’hui ? Tout un peuple en deuil remplissant une cathédrale où se mêlent et s’unissent dans une commune douleur des représentants de toutes les classes, depuis les familles de la vieille aristocratie bernoise, jusqu’à celles des travailleurs les plus pauvres. Quelle puissance a remué et gagné cette multitude, et pour qui sont tous ces hommages ? La puissance est celle de la croix de Jésus-Christ, le Sauveur, et les hommages sont pour un homme sans titre officiel ni fonctions publiques, pour le pasteur d’une petite Église libre.
« De ce spectacle unique, qui est aussi un fait, nous concluons que notre devoir dans l’avenir est de garder la foi et de répondre à toutes les attaques comme à toutes les invitations de l’irréligion : « Je n’ai point honte de l’Évangile de Christ, car il est la puissance de Dieu pour sauver tous ceux qui croient. »
Après M. Rochat, parla M. le pasteur Fischer, d’Essen, membre et représentant du Comité national allemand. Ce qu’il apportait de son pays et déposait sur le cercueil d’Arnold Bovet, ce qui faisait jaillir de son cœur brisé des mots enflammés, c’était la reconnaissance des quinze mille abstinents d’Allemagne, tout un peuple en larmes. Avec quelle tendresse fraternelle M. Fischer appela celui qui ne pouvait plus l’entendre, avec quels accents de tristesse inconsolable il lui dit : « Je suis dans la douleur à cause de toi, mon frère ! Tu es venu nous apporter la petite plante et tu l’as cultivée jusqu’à ce qu’elle portât des fruits ; jamais tu ne t’es permis de sentir la fatigue ; tu n’avais pas le temps d’y songer ; c’est pour nous, Allemands, que tu as dépensé tes dernières forces ! Pourquoi Dieu te prend-il à notre amour ? Peut-être t’étions-nous trop attachés ? À l’avenir il faudra dire de nous : « Ils ne virent plus que Jésus seul ! »
On entendit ensuite les allocutions de M. le pasteur Gerber-Vischer représentant la Société et l’Alliance évangéliques et de M. le pasteur Baumgartner pour la nouvelle École de filles, la cadette des œuvres confiées au défunt.
Le chœur mixte de la Croix-Bleue chanta le cantique tiré du recueil publié par Arnold Bovet, Schmerzbetroffen stehen wir et le chœur de la nouvelle École de filles un choral tiré de la « Passion selon saint Matthieu » de J.-S. Bach. Une prière du pasteur Hugendubel termina ce service funèbre qui avait duré deux heures.
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Aux accents de la Marche funèbre de Chopin, l’assemblée quitte la cathédrale et le cercueil est placé sur le corbillard dont les cordons sont tenus par quatre amis intimes du défunt, MM. Charles Porret, Borel-Girard, Georges Godet et Alexandre Morel.
Lentement, avec un ordre parfait, se forme alors un cortège qu’il faut avoir vu pour s’en faire une idée. Rien d’officiel ni de commandé, aucun déploiement de force publique, ni de pompes extérieures ; les musiques qui jouent alternativement des marches funèbres et des cantiques sont celles de nos sections, les bannières appartiennent presque toutes à la Croix-Bleue, les fleurs, les palmes, les couronnes portent des inscriptions qui montrent qu’elles ont été offertes encore plus par les pauvres que par les riches ; peu d’apparat, aucune vaine mise en scène, et pourtant ce cortège a quelque chose de royal. D’où vient que dans sa simplicité il est si grandiose ? Pour répondre, il faut savoir qui le compose et ce qu’il représente.
Derrière le char funèbre marchent les parents, puis les comités et les délégations des sociétés, œuvres et entreprises, dont le défunt était le fondateur, le président ou le soutien. Invraisemblable est le nombre des couronnes portant la mention : « À notre directeur et fondateur. » Étaient représentés entre beaucoup d’autres : Le Comité central de la Fédération de la Croix-Bleue, le Comité central de la Croix-Bleue suisse, le Comité central de la Croix-Bleue allemande, le Comité central de la Croix-Bleue française, l’Église libre de Berne, l’Union chrétienne, la Société évangélique, la Société du « Vereinshaus », la « Philadelphia », la Société de la Croix-Bleue de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne, la Croix-Bleue vaudoise, le Comité cantonal et les quatre-vingt-cinq sections de la Croix-Bleue bernoise, la section de la Ville, le Chœur mixte, le Chœur d’hommes l’« Espoir » et la Fanfare de Berne, la « Société pour cafés de tempérance et salles pour ouvriers », la Direction et le personnel enseignant du Gymnase libre et de la nouvelle École de filles, la Direction de l’Asile de buveurs de « Nüchtern », etc.
Puis, tout un peuple d’hommes parmi lesquels beaucoup savaient que celui qu’ils accompagnaient au champ du repos leur avait épargné la tombe de l’ivrogne.
Ces couronnes, ces drapeaux, ces musiques, cet immense concours de population, tout cela ne contrastait-il pas un peu et même beaucoup avec le caractère modeste du défunt, si fanatique de simplicité, si opposé à tout ce qui exalte l’homme aux dépens de Dieu ? Peut-être, mais l’impression était tout autre. Il semblait que Dieu lui-même fût là. Sa présence, plus encore que celle de tout ce peuple, donnait à cette manifestation son caractère si solennel. Devant la foule des délivrés qui accompagnaient leur chef, chacun devait se rappeler la parole si connue de l’Apocalypse : « Ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent. » En entendant ces sonneries de cloches, ces chants, en contemplant tous ces hommages d’une douleur publique rendus au plus humble d’entre nous, comment ne pas se souvenir de la Promesse du Maître : « Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera ! »
Plus peut-être que les accords de la musique et plus que la beauté et le parfum des fleurs, ce qui, dans le long trajet de la Cathédrale au cimetière, accentua l’impression de deuil national qui étreignait l’âme, ce fut la multitude massée sur le passage du cortège. Aux fenêtres de toutes les maisons, entre les piliers des arcades sur les marches des trottoirs, tout le peuple bernois était accouru pour saluer celui qu’il avait adopté comme un des siens. Tous ces visages de jeunes et de vieux expriment moins la curiosité que le respect et la douleur. Quand ces yeux regardent le cercueil ils se remplissent de larmes et bien des femmes éclatent en sanglots. Il semble que les cadavres des hommes de Dieu, comme les ossements d’Élisée, aient conservé quelque chose de la puissance du prophète vivant et poursuivent son œuvre : On raconte que, dans un café, au moment du passage du cortège, un consommateur dit au tenancier : « Non, ne me versez pas d’alcool, on enterre en ce moment M. Bovet ! »
Il est près de six heures quand on atteint le cimetière du Bremgarten. Le cercueil, porté de nouveau par huit abstinents, est descendu doucement dans la fosse entièrement revêtue de branches de sapin. Les enfants du défunt y jettent chacun une pelletée de terre et une couronne, puis les quinze bannières s’inclinent profondément l’une après l’autre, suprême hommage et dernier adieu donné au chef aimé. Pendant cet acte, les accords de la musique se font entendre et en décuplent l’émouvante solennité.
Une petite tribune avait été dressée, devant laquelle se masse une immense assemblée composée, presque exclusivement d’hommes.
Comment rendre l’impression produite par l’allocution de M. Ryser, l’agent cantonal bernois, tison arraché du feu, devenu le collaborateur, le bras droit, l’ami d’Arnold Bovet ? Dans la langue virile et nerveuse des Bernois, il redit à ses frères l’amour réparateur, compatissant, désintéressé de leur chef. Il leur rappela leur détresse, celle de leurs femmes, celle de leurs enfants et la tendresse paternelle de l’homme qui les en avait tirés ; il les exhorta à rester fidèles au souvenir de celui qui ne les avait jamais oubliés.
Il fallait voir sous ces paroles de flamme, ces visages virils se contracter et des larmes jaillir de tous ces yeux !
M. le pasteur Marthaler, au nom de la direction de l’Asile de Nüchtern et des pasteurs que séparaient d’Arnold Bovet leurs principes ecclésiastiques et dogmatiques, exprima avec éloquence des sentiments de respectueuse reconnaissance et de fraternelle affection. S’adressant aux abstinents, il leur dit : « Vous auriez voulu porter sur vos épaules, de la cathédrale jusqu’ici, le corps de votre Président. On ne vous l’a pas permis. Le poids de ce cercueil vous eût écrasés ! Mais il est un fardeau que nous devons prendre en ce moment, c’est l’exemple de ce grand cœur et de cette noble vie ! Ce fardeau-là ne nous écrasera pas, il nous aidera à nous relever ! »
M. Nabholz, de Bâle, au nom du Comité central suisse, exhorta le peuple abstinent à serrer les rangs pour ne pas laisser péricliter l’œuvre du défunt, et pour faire fructifier la semence répandue par lui.
Encore de beaux chants, puis M. le pasteur J. Gross, de Neuveville, concentre dans une prière ardente la gratitude, les regrets, l’amour, les espérances de tous et lentement l’immense assemblée quitte le champ du repos.
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Il nous en coûte de te laisser, ô notre frère ! et de reprendre sans toi notre chemin désolé. Que ta modestie pardonne à notre amour s’il a de la peine à se taire et s’il continue à rappeler ton nom ! L’expression de notre reconnaissante admiration ne peut plus te faire aucun mal, et à nous elle fait du bien.
Nous avons encore besoin de toi pour continuer à vivre et à travailler. Au milieu des tentations, des difficultés, des déceptions et des découragements, il nous faut encore ta haine du péché, ta foi indomptable, ton joyeux entrain, ton inépuisable amour, nous ne saurions oublier le pur éclat de tes yeux, l’extrême bonté de ton accueil, l’étreinte cordiale de ta main.
Non, ce n’est pas dans cette fosse que nos regrets vont te chercher ; notre foi te retrouve ailleurs. Tant de vie n’a pas pu être détruite par la mort ni engloutie par la terre. Celui qui t’avait rendu par Jésus-Christ « participant de sa nature divine » te rend maintenant, par Jésus-Christ, participant de sa gloire, et c’est dans son éternelle lumière que nous te contemplons.
Avant d’accepter le repos, travailleur fatigué, tu as pu dire ces mots : « Mon service est fait. » Oui, ton service est fait et ta journée a été remplie. Repose-toi. Peut-être un autre travail t’est-il réservé ? Il nous semble que, pour un ouvrier comme toi, la félicité ce doit être de travailler encore et que le Maître « t’établira sur beaucoup… » En attendant, « tes yeux contemplent le Roi dans sa beauté », car il est écrit : « Ses serviteurs le serviront et verront sa face. » (Apocalypse 22.3-4) C’est assez pour toi et pour nous.
Merci pour ton amour, merci pour ton exemple ! Ta vie et ta mort continueront à nous parler. Elles nous rediront que le Sauveur d’aujourd’hui est le même que le Sauveur d’autrefois et que les miracles sont encore possibles ; elles nous répéteront que l’Évangile est toujours « la puissance de Dieu pour sauver tous ceux qui croient », et que l’amour de Christ est assez haut pour attirer les plus nobles d’entre les hommes et assez profond pour atteindre les plus tombés ; elles nous rappelleront que, sur la terre, la seule gloire véritable consiste à travailler pour autrui, elles nous rendront la vie divine plus désirable, la vie présente plus belle, la vie éternelle plus certaine !