Dès qu’il est reconnu que les écrits dont le Nouveau Testament se compose, ou tout au moins les homologoumènes, sont des hommes auxquels l’Eglise les rapporte, et qu’ils nous sont parvenus sans altération essentielle, il suit qu’ils sont dignes de foi ; leur vérité historique est assurée. Les auteurs avaient une connaissance certaine de ce qu’ils racontent, car ils y avaient été acteurs et témoins. Leurs écrits, quoique indépendants et divers, sont au fond harmoniques. La nature des faits prouve qu’ils n’ont pas pu se tromper dans l’exposition générale qu’ils en donnent ; et leur caractère moral, qu’ils n’ont pas voulu tromper. Avec un tel témoignage, ni l’hypothèse d’une invention fabuleuse et mensongère, qui fut l’arme du dix-huitième siècle, ni celle d’une formation légendaire et inconsciente, vers laquelle on incline aujourd’hui, ne sont tenables raisonnablement.
Dans la direction actuelle des idées et des choses, la question de crédibilité, en rapport avec celle d’authenticité d’une part, et de l’autre avec celle de divinité, prend une importance qu’elle n’avait jamais eue ; la notion du Christianisme ou de ce qu’on nomme le fait chrétien, étant toujours subordonnée à l’opinion qu’on se forme de ses documents primitifs. On a beau dire, par une des mille singularités de notre temps, qu’on va à la Bible par Christ, on ne cesse pas d’aller à Christ par la Bible, seule source réelle de la connaissance et de la certitude, révélation de la Révélation. C’est une nécessité à laquelle on se flatte vainement d’échapper. Toujours le principe théologique du protestantisme, et par suite son résultat dogmatique, seront déterminés par son idée de la norme scripturaire, par le degré ou le genre d’autorité qu’on lui reconnaîtra. Si l’élément théopneustique du Nouveau Testament et son caractère historique lui-même demeurent incertains, ou ne sont admis que sous bénéfice d’inventaire, tout doit nécessairement s’en ressentir. Les expériences de nos jours en mettent sous nos yeux la large et triste démonstration. Mais le fait d’authenticité, une fois constaté avec ce qu’il emporte, c’est-à-dire avec tout ce qu’il est, coupe court à tout cela. L’origine apostolique des livres assure, redisons-le, leur vérité historique, où la foi retrouve son fondement, et la science son facteur. Toutes les conditions d’où dépend l’autorité du témoignage, connaissance positive des faits, intégrité parfaite des écrivains, s’unissent là au plus haut point. Dès que ce sont Matthieu, Marc, Luc et Jean qui nous rapportent la vie de Jésus-Christ ; dès que c’est Luc qui raconte l’établissement de l’Eglise, cette histoire est une des mieux documentées, par conséquent des plus certaines ; quelque part qu’on fasse à la possibilité d’erreur inhérente à l’esprit ou au cœur humain, elle n’atteint pas le fond générai des choses, c’est-à-dire ce qui importe essentiellement ici.
Il est si manifeste que l’authenticité du Nouveau Testament entraîne sa crédibilité, que les systèmes qui en contestent la vérité historique ont été forcés de nier qu’il soit l’ouvrage des hommes dont il porte les noms. Il a fallu mettre en question l’origine des écrits pour arriver à mettre en question leur contenu. Après avoir tenté tout le reste, la critique philosophique et rationaliste a fini par concentrer ses efforts sur ce point-là, convaincue qu’elle ne pouvait passer qu’en l’enlevanta.
a – Voyez pour réfutation des explications naturelle, mythique, etc. 5.2.2.II : Miracles (3e chef d’objections).
Il est d’autres suppositions mal définies, flottantes entre la légende et l’histoire, comme les tendances théologiques qu’elles dominent le sont entre le rationalisme et le supranaturalisme, auxquelles nous devons une attention particulière, parce qu’elles nous touchent de plus près. Je veux parler de ces opinions si indéterminées et si répandues, qui, sans nier absolument, l’authenticité, et ce qu’elles appellent l’historicité des Livres-saints, leur donnent pour base une tradition dont elles se dispensent la plupart du temps de préciser la nature et le caractère, mais où elles trouvent la liberté d’interprétation qui va à leurs fins et qu’elles cherchent à s’assurer. Ce terme élastique de tradition, ainsi jeté dans la question où il se justifie à certains égards, permet d’élaguer dans les enseignements et dans les faits, tout ce qui répugne au système, tout ce qui résiste à l’élaboration exégétique ou dogmatique. Il autorise ces libres explications qui sont la plupart du temps des négations déguisées. S’il s’est mêlé au fond historique et réel un fond artificiel et chimérique, il faut séparer ces deux éléments pour arriver au vrai ; et dans cette opération, chacun prenant naturellement pour pierre de louche ses notions, ses impressions, ses sentiments propres, la raison ou la conscience individuelle, c’est-à-dire une métaphysique ou une mystique spéciale, se fait le critère et l’arbitre des Ecritures, où elle ne laisse subsister, en fin de compte, d’autre contenu que le sien. Ce qui lui va est relevé, pressé, grossi, tenu pour certain avec le sens qu’elle y attache ; ce qui lui est antipathique doit s’effacer ou se transformer : elle accorde tout, en se réservant de revenir sur tout, si elle le trouve bon ; et elle échappe ainsi toutes les fois qu’on croit la saisir. Ce triage, qu’on opère au nom de ses sentiments ou de ses principes personnels dans les données dogmatiques ou historiques des Livres sacrés, sans mettre en question les livres eux-mêmes, est tout aussi illicite et beaucoup moins logique que le rejet formel des livres au nom de leur contenu général. C’est toujours le jugement des faits soumis à un a priori.
Caractérisons par quelques exemples le procédé que nous avons en vue.
L’eschatologie attribuée à Jésus-Christ heurte, dit-on, les révélations les plus profondes de la conscience chrétienne, comme les conceptions les mieux légitimées de la science religieuse ; elle est partout imprégnée des idées et des formules de la synagogue ; les images matérielles abondent (seconde venue de Jésus-Christ, résurrection générale, jugement dernier, ciel et enfer, etc.) ; on y cherche vainement la haute spiritualité des autres enseignements du Sauveur ; ou, pour mieux dire, sa vraie pensée s’y cache et s’y révèle tout ensemble dans des traits jetés sur le second plan par ses biographes, qui n’en avaient compris ni la signification ni la portée. Il y a donc à distinguer en cet endroit entre la doctrine du Maître et les idées étrangères que la prévention des disciples y introduisit ; il y a à retrouver le fond réel sous la forme et la surcharge traditionnelle. Or, s’il en est ainsi sur un article si capital, qui revient partout parce qu’il porte tout, il doit en être de même sur bien d’autres, et la dogmatique a priori, l’exégèse constructives ont dès lors les coudées franches.
Les miracles appellent pour la même raison la même œuvre d’épuration que les enseignements. Egalement livrés à la tradition orale, bien des éléments légendaires ont dû s’y mêler à l’élément historique. Cela arrive toujours, surtout dans le domaine du merveilleux. C’est à la science et à la conscience, qui constatent l’amalgame, à discerner ce qui vient de Tune ou de l’autre de ces sources et à en opérer le départ. Dans un grand nombre de cas, les empreintes de la légende sont visibles, assure-t-on, pour l’œil tant soit peu exercé. De là la nécessité et la possibilité d’un travail qui sépare les faits réels des produits d’une pieuse imagination, et dans les faits réels eux-mêmes les données positives des circonstances surajoutées. Inutile de faire observer combien cette interprétation touche de près à la négation, et avec quelle facilité elle va s’y fondre dès qu’elle le trouve à propos.
Il en est des prophéties comme des miracles. Tout en reconnaissant qu’elles peuvent avoir et qu’elles ont généralement un fond vrai, on affirme que la tradition les a travaillées en les calquant sur l’événement, et qu’elle a souvent transformé de simples pressentiments intuitifs ou inductifs en prévisions surnaturelles.
Voilà un spécimen du procédé critico-théologique que nous avons à apprécier, procédé fort commun par le temps qui court, et dont on rencontre des applications en bien des lieux où elles étonnent à bon droit. En mille cas, après avoir paru se placer avec vous sur le ferme terrain des Ecritures, on laisse percer des restrictions, des distinctions, des suppositions qui le font chanceler sous vos pieds. Cette liberté d’interprétation est une des dispositions que respire et qu’inspire l’esprit du temps, et auxquelles on s’abandonne sans se demander d’où elles viennent ni où elles vont. Qu’elle soit patronnée par de grands noms, peu importe : il s’agit de savoir si elle est légitime vis-à-vis d’écrits, tels que ceux du Nouveau Testament, reconnus authentiques et intègres.
Entendons-nous d’abord sur le terme de tradition. Il est parfaitement licite en soi, nous l’avons déjà dit. Employé dès les premiers temps par les Pères, par les apôtres eux-mêmes comme désignation de l’enseignement sacré (2 Thessaloniciens 2.13). il est resté dans la langue ecclésiastique. Seulement, il importe d’expliquer en quel, sens on le prend, puisqu’il se prête à des acceptions fort différentes. Que l’Evangile ait été d’abord tradition et tradition orale, c’est incontestable et incontesté ; il fut prédication avant d’être Ecriture. Mais dans le langage usuel le mot tradition désigne communément une doctrine ou une histoire passée de bouche en bouche, reçue de seconde ou de centième main, surchargée par conséquent des commentaires qui, d’après une expérience constante, s’attache à ce genre de transmission ; à tel point que le traditionnel est devenu l’antithèse de l’historique. Or, avec l’authenticité du Nouveau Testament, la tradition évangélique ou apostolique, si l’on veut retenir cette vieille expression, est d’un tout autre caractère. On ne peut la juger et l’interpréter par un principe qui n’est pas le sien, par une loi dont elle ne ressort point. La rejeter, sur de vagues analogies, au rang des traditions dans lesquelles la légende a plus ou moins recouvert l’histoire, pour y prendre et y laisser selon qu’on le trouve bon, c’est oublier sa source et sa base, c’est récuser implicitement le témoignage qui la porte et qui est tenu pour constaté. Elle n’est pas la tradition dans le sens vulgaire, où l’on passe et repasse à l’ombre d’une équivoque. Elle nous vient des témoins immédiats ; elle ne diffère en rien de l’histoire ; elle est l’histoire elle-même, l’histoire directe et contemporaine avec tous ses titres de crédibilité. Libre de lui donner le nom qu’on voudra ; mais il faut la laisser ce qu’elle est, sous quelque dénomination qu’on la désigne ; il faut lui laisser sa nature, sa certitude, sa valeur réelles. Matthieu et Jean ont raconté de vive voix leur Evangile avant de l’écrire ; tout le monde en est d’accord. Il n’en pouvait être autrement, puisque la connaissance de Jésus-Christ était le fond substantiel de l’enseignement apostolique et le grand objet de lu foi (1 Corinthiens 2.2) ; puisque la parole et la vie de Jésus-Christ étaient tout ensemble le moyen de conversion et le moyen d’édification auquel recouraient sans cesse ses témoins, soit vis-à-vis du monde, soit vis-à-vis de l’Eglise. Mais leur Evangile écrit n’est-il pas le même que leur Evangile parlé ? N’y a-t-il pas identité entre l’un et l’autre, et conséquemment entre les deux termes qu’on oppose ? Ecriture et tradition, ici c’est tout un, et tout est de l’histoire. Ce que rapporte le livre, c’est ce que la parole avait proclamé ; ce que dit l’écrivain, c’est ce qu’annonçait le prédicateur. Cela est plus évident encore pour les Épîtres, qui ne font que reproduire la prédication, qui ne sont que la prédication écrite.
Ne jouons pas sur des mots à faces multiples. Appelez tradition, avec les anciens, les enseignements et les écrits sacrés ; vous en avez le droit ; mais laissez à cette tradition ses caractères propres, ses éléments constitutifs ; laissez-là ce qu’elle est en réalité. Ne la confondez pas, au gré de votre argumentation, avec une autre d’un genre tout différent où elle cesse d’être elle-même. Le nom importe peu ; c’est la chose qui est tout et qu’il ne faut pas faire disparaître sous le couvert d’une expression à double entente. Que tout ce que constate et garantit le fait d’authenticité reste pleinement. En accordant ce fait, n’allez pas agir ensuite comme s’il n’était pas ou qu’il n’emportât et n’assurât ri en. Une fois mis hors de question, if suit que deux des évangélistes sont des témoins qui rapportent ce qu’ils ont vu et entendu, et les deux autres des compagnons des témoins qui ont eu à leur disposition les moyens d’information les plus nombreux et les plus sûrs, et qui en ont fait un emploi consciencieux (voyez le prologue de saint Luc). Dites, si cela vous convient, que c’est la tradition écrite, mais ajoutez qu’elle est historique au sens le plus rigoureux du mot. Dès lors ce n’est plus la tradition telle que l’entend le langage commun et que la suppose le principe que nous discutons ; c’est l’histoire, répétons-le, et l’histoire la plus immédiate et la plus certaine ; car, quel témoignage plus digne de créance que ces Mémoires des hommes apostoliques ? Que saint Matthieu ait écrit dix, quinze, vingt ans après l’ascension ; que saint Jean ait écrit plus tard encore ; ce qu’ils ont écrit à la fin, c’est ce qu’ils prêchaient au commencement, c’est ce qu’ils avaient ouï, contemplé et touché (1 Jean 1.1) ; c’est toujours le même témoignage. Est-il possible que cet objet suprême de leur foi comme de leur prédication se soit dénaturé dans leur esprit jusqu’à se changer en fable ? Sur quel motif l’imaginer ? de quel droit, à quel titre le supposer ? Se seraient-ils créé eux-mêmes ces croyances devenues la vie de leur âme et l’âme de leur vie ? Je comprends le doute au sujet des faits quand il existe au sujet des livres. Si l’origine des livres est incertaine, l’autorité des récits en est infirmée : mais si les uns sont authentiques, les autres le sont également. La descendance des écrits admise, on n’a plus le droit d’opérer sur leur contenu avec ces libres allures qu’on couvre du terme ambigu de tradition. Les traiter ainsi, c’est oublier la nature de la déposition qu’on a devant soi ; c’est contester en fait le témoignage qu’on ne conteste pas en principe ; c’est substituer une herméneutique arbitraire à l’herméneutique véritable, dont on renverse les bases et les règles ; c’est entrer dans une voie où rien ne tiendrait. Vous vous attaquez à ceci au nom de votre sentiment ; un autre s’attaquera à cela au nom du sien. Tout est livré aux fantaisies de l’opinion ; le terrain historique et exégétique se change en un sable mouvant.
Quand un témoin tel que saint Jean ou un contemporain tel que saint Luc affirme avec une entière assurance un enseignement ou un fait, vous ne pouvez vous armer contre lui du terme équivoque de tradition, et en vertu de cela vous inscrire en faux contre ses attestations en raison de quelques traits que vous jugez peu concordants entre eux ou avec votre notion des choses. Et quand tous les témoignages s’unissent sur un point donné, quand il est manifestement impossible qu’il y ait eu erreur ou illusion, comme c’est le cas pour le fond général de l’histoire évangélique et apostolique, ces vagues suppositions d’excroissance traditionnelle, de formation légendaire, ne sont plus de mise. Il ne reste, si l’on ne veut pas se rendre, qu’à se prendre aux livres pour pouvoir se prendre aux récits. Mais, qu’on en convienne ou non, on glisse alors dans cette critique qui, ne trouvant de moyen effectif d’échapper au surnaturel dont elle veut se débarrasser à tout prix, qu’en répandant le doute sur le Nouveau Testament, s’est arrêtée à ce parti, après avoir tenté en vain tous les autres. Pour agir comme elle sur le contenu des écrits, il faut s’attaquer comme elle à leur origine, ou se jeter dans un arbitraire qui n’a pas de nom. Encore une fois, de l’authenticité, la crédibilité ou la vérité historique. On ne peut infirmer l’une qu’en infirmant l’autre ; et nous ne discutons en ce moment qu’avec ceux qui font profession d’admettre la première…
Si l’on est décidé à n’admettre de la doctrine et de l’histoire évangélique que ce qu’on trouve bon, ne vaudrait-il pas mieux le dire nettement une fois pour toutes, ne fût-ce que pour couper court à des discussions qui ne mènent à rien, puisqu’on saute par-dessus lorsqu’elles tournent autrement qu’on ne veut ? En vérité, ces respects apparents ressemblent fréquemment à des subterfuges. On raisonne comme si tout dépendait de l’attestation scripturaire ; on triomphe quand on l’a pour soi ; on la tient alors pour vraie, pour décisive jusque dans ses moindres détails. Et si on l’a contre soi et que tous les artifices d’interprétation échouent, on passe, par la porte de derrière, de l’argumentation exégétique à l’argumentation critique ; on traite le livre dont on avait reconnu l’authenticité et l’autorité, comme s’il donnait pour de l’histoire une tradition déjà fortement mélangée, et par conséquent comme s’il était d’une origine douteuse.
Que les positions se dessinent. Traitons les faits comme des faits dans la question chrétienne de même que partout ailleurs, et laissons à ceux qui sont une fois établis leur valeur intrinsèque, leur portée véritable., c’est-à-dire leur réalité. Il est manifeste que l’authenticité des livres en garantit le contenu historique ; l’erreur n’y est pas plus admissible que la fraude sur ce qui en constitue le fond général. Dès lors, les expliquer au gré de ses préventions par la légende, la tradition ou d’autres moyens analogues, c’est oublier ce qu’ils sont, c’est, retirer d’une main ce que l’on concède de l’autre, c’est revenir sur les fondements de la discussion et la ramener à des degrés qu’on croyait franchis.
Or, voilà ce qui a lieu aujourd’hui de mille côtés et en mille sens. Citez le quatrième Evangile, après qu’on vous a accordé qu’il est bien de saint Jean ; empruntez-lui quelque attestation qui ruine le système qu’on vous expose ; on vous répond que la mystique profonde de l’évangéliste a teint de ses couleurs propres les enseignements du Seigneur, qu’il y a là deux éléments qu’il faut distinguer ; et tout est dit, le texte, quelque formel qu’il soit, se trouve comme non avenu. Sans discuter l’assertion si grave et si gratuite de l’infusion de la pensée de saint Jean dans celle de Jésus-Christ, qu’elle aurait transformée, observons qu’il s’agit pour le moment, non du fond dogmatique de l’écrit, mais de son fond historique, où l’échappatoire n’a plus même de prétexte, à moins qu’on ne porte le doute sur ce qu’il ne peut atteindre, savoir, la véracité de l’écrivain et sa connaissance des faits.
Citez-vous saint Luc, on se rabat sur ce qu’il n’avait pas été témoin des événements qu’il raconte. Mais ne vivait-il pas au milieu des témoins ? Ne possédait-il pas les moyens de constatation les plus sûrs et les plus nombreux, et n’en a-t-il pas fait un religieux usage ? Qu’on lise simplement son prologue. Il veut montrer la certitude des choses que Jésus a faites et enseignées ; il déclare s’en être exactement informé dès leur origine et les avoir apprises de ceux qui les avaient vues eux-mêmes et qui ont été les ministres de la parole ; déclaration.également applicable au livre des Actes qui n’est que la suite de l’Evangile et où l’auteur était encore plus près des faits. Quelle est l’histoire écrite dans de telles conditions et avec de telles garanties de vérité, soit par la position, soit par le caractère des narrateurs, qui n’obtînt une entière créance ? Quelque difficile ou déliant qu’on soit, le contenu général des écrits est mis au-dessus du doute par le nom des écrivains, et doit en bonne règle y rester. Elaguer ou quintessencier tantôt ceci, tantôt cela, et infirmer tout successivement, sous un prétexte ou sous un autre, c’est enlever aux livres ou aux auteurs le caractère qu’on fait profession de leur reconnaître, c’est brouiller le débat et l’éterniser.
Parmi les mille positions prises vis-à-vis du Recueil sacré, je n’en connais pas de plus impossible que celle où se réfugient des opinions, d’ailleurs respectueuses et graves, qui, sans contester l’authenticité du livre, y mêlent, dans des proportions indéfinies, le légendaire à l’historique, pour en faire évaporer à ce titre ce qui leur répugne. Non, non ; dès que les écrivains sont des témoins ou des compagnons des témoins, dès qu’ils sont les hommes que nomme la tradition ecclésiastique, on ne peut les interpréter ainsi qu’en les accusant de mensonge : accusation devant laquelle l’incrédulité elle-même a reculé, et dont les opinions que nous avons en vue se défendraient comme d’un blasphème.
Il faut le redire, si les écrits du Nouveau Testament appartiennent aux noms qu’ils portent, tout y est assuré, enseignements et faits, dans cette généralité que garantit le témoignage humain ; car c’est uniquement comme témoignage humain, réunissant toutes les conditions de crédibilité, que nous l’envisageons ici. Les grandes données des Evangiles relativement à Jésus-Christ, celles des Actes et des Epîtres relativement aux continuateurs de son œuvre, doivent être mises et tenues hors de contestation. Le miraculeux en particulier, qui est l’objet capital des récits, ne peut être livré à ces interprétations qui le volatilisent par des moyens et en des sens divers. L’authenticité admise, toutes les explications naturelles échouent. Celle de la fraude est tombée si bien et si bas, que personne ne la relève aujourd’hui ; celle d’une illusion enthousiaste est intenable d’après la nature des faits ; celle d’une excroissance légendaire, d’une formation mythique, est écartée par l’origine et la date des écrits. La direction aux mille nuances qui couvre son négativisme partiel du terme indéterminé de tradition, roule dans un cercle, touchant à tout sans vouloir prendre la responsabilité de rien, plus près qu’elle ne croit des procédés de l’ancien rationalisme, percés à jour par l’ironie du rationalisme actuel, autant que par les démonstrations de la science.
Tel est le résultat qui s’impose : ou admettre avec l’authenticité des livres la vérité générale de leur contenu, ou invalider la première pour être libre vis-à-vis de la seconde.
L’échelle de la croyance et de la science se monte par degrés, quelle que soit la marche qu’on suit. Dans la méthode spéculative, on va de principe en principe, de déduction en déduction ; dans la méthode positive, on va de faits en faits et d’inductions en inductions. Mais il faut, dans les deux, que les principes ou les faits admis le soient, sans plus ni moins, avec ce qu’ils contiennent et emportent.
Nous avons voulu montrer que l’authenticité de nos Livres saints fonde leur autorité historique, — sorte de truisme dont le trouble de nos jours a seul pu faire une question sérieuse. — Nous constaterons, je l’espère, dans les chapitres suivants, que leur autorité historique fonde à son tour leur autorité théopneustique ou leur divinité.