Je dois maintenant répondre à quelques objections que l’on oppose à l’exercice du devoir sur lequel j’ai appelé votre attention.
1re Objection. Nous dispensons à nos paroissiens des enseignements publics ; sommes-nous, de plus, obligés de les instruire chacun en particulier ?
Réponse. Vous priez pour eux en public : ne devez-vous pas aussi prier pour eux en particulier ? Paul instruisait et exhortait tout homme ; et cela, non pas seulement en public, mais de maison en maison, nuit et jour, et avec larmes. Et d’ailleurs, l’expérience n’est-elle pas là pour nous faire sentir l’indispensable nécessité de ces instructions particulières ? quelques-uns de ceux que vous prétendez instruire par la prédication ne sont-ils pas encore dans une ignorance déplorable sur la divinité des personnes de la Trinité, sur les deux natures de Jésus-Christ, sur son ministère comme Rédempteur et comme Sauveur, et sur une foule d’autres questions d’une égale importance ? Quelques heures d’un entretien familier leur donneront sur ces questions des notions plus justes que celles qu’ils pourraient retirer de nombreuses prédications.
2e Objection. Ces instructions nous occuperont tellement qu’il ne nous restera plus de temps pour étudier. Nous sommes, pour la plupart, jeunes et peu expérimentés, et nous avons besoin de cultiver notre intelligence, et d’étendre nos connaissances.
Réponse. 1° Je suppose que ceux à qui je m’adresse connaissent les doctrines fondamentales du christianisme, et sont en état de les enseigner. Et cet enseignement est certainement plus important que l’acquisition de quelques connaissances accessoires. J’estime hautement la science, et je n’engagerai personne à la dédaigner ; mais j’estime à plus haut prix le salut des âmes. C’est là notre grande tâche, celle qui doit passer avant tout. Sans doute, il est avantageux pour un médecin d’avoir fait une étude approfondie de son art, de pouvoir le pratiquer avec intelligence, et d’en connaître les difficultés et les secrets ; mais s’il était placé à la tête d’un hospice, où s’il résidait dans une ville ravagée par la peste, et si, au lieu de visiter ses malades et de leur donner des soins, il employait son temps à acquérir de nouvelles connaissances ; s’il renvoyait ses malades en leur disant qu’il n’a pas le temps de leur donner des consultations, parce qu’il est occupé à étudier, — je ne serais pas éloigné de le regarder comme un meurtrier. Il en est de même du pasteur : pour lui, l’exercice de son ministère est plus important que le soin de ses études. Efforcez-vous d’aller au ciel et d’y conduire vos fidèles ; et là, vous apprendrez en un moment des milliers de choses que toutes vos études n’auraient jamais pu vous faire connaître.
2° En exerçant ainsi votre ministère, votre science gagnera en intensité ce qu’elle perdra en étendue. Vous saurez moins de choses, mais vous saurez mieux celles qui sont vraiment importantes. Ces communications sérieuses avec les pécheurs vous feront, mieux que toute autre voie, connaître les doctrines sanctifiantes de la religion : et cette science est préférable à toute autre. Oh ! quand je tourne mes regards vers le ciel, quand je m’efforce de contempler cette lumière inaccessible, quand je soupire après la connaissance de Dieu, et que je trouve mon âme si dépourvue de lumière et si éloignée de lui, je suis prêt à me dire : « Non, je ne connais pas Dieu, il est trop au-dessus de moi. » Alors j’échangerais volontiers toutes les connaissances que je possède pour une seule lueur de la connaissance de Dieu et de la vie à venir. Je renoncerais avec joie à tout ce que j’ai acquis de science humaine pour un rayon lumineux qui me fît entrevoir les choses que je dois bientôt contempler. J’ai la conviction qu’en parlant sérieusement des choses éternelles, en insistant fortement sur les vérités fondamentales, vous croîtrez plus en véritable science qu’en employant votre temps à des études curieuses et intéressantes sans doute, mais beaucoup moins nécessaires. Vous vous apercevrez même que l’exercice de ce devoir vous sera plus utile, dans votre carrière pastorale, que vos études de cabinet. Pour un médecin, pour un jurisconsulte, pour un théologien, la pratique est un auxiliaire indispensable de la spéculation. C’est se condamner à l’inutilité dans le service de Dieu, que de passer toute sa vie à s’y préparer. Les âmes périssent, tandis que vous étudiez les moyens de les sauver.
3° J’ajouterai que vous avez assez de temps pour tout. N’en perdez point à des occupations inutiles ou à des divertissements frivoles. Que chaque minute vous soit précieuse. Mettez toute votre énergie à tout ce que vous faites, et vous verrez que vous avez assez de temps pour vos études particulières et pour l’instruction de votre troupeau.
4° Considérez l’ensemble de vos devoirs ; préférez les plus importants ; ne négligez aucun de ceux que vous pouvez remplir ; faites en sorte qu’ils ne se nuisent point l’un à l’autre, mais que chacun ait sa place déterminée. Si la nécessité exige que l’un soit sacrifié à l’autre, j’avoue pour ma part que je n’hésiterais pas à laisser de côté toutes les bibliothèques du monde, plutôt que de me rendre coupable de la perte d’une seule âme. Du moins, je reconnais que tel serait mon devoir.
3e Objection. Ces travaux continuels ruineront notre santé et épuiseront nos forces ; il ne nous restera pas un moment de loisir ; il faudra nous priver du commerce de nos amis, nous condamner à ne jamais sortir de chez nous, à ne jamais goûter la plus innocente récréation. Nous paraîtrons sauvages et moroses, et notre esprit continuellement tendu finira par perdre tout son ressort et toute son énergie.
Réponse. 1° C’est là un prétexte de la chair et du sang. Le fainéant dit : « Il y a un lion dans mon chemin : il ne veut pas mettre la main à la charrue à cause du froid. » Si vous écoutez la chair et le sang, il n’y a pas un de vos devoirs contre lequel ils ne puissent alléguer d’aussi bonnes raisons. Si de tels raisonnements avaient quelque valeur, il n’y aurait pas eu un seul martyr, pas même un seul chrétien.
2° L’exercice de ce devoir ne s’oppose pas à ce que nous goûtions une innocente récréation. Je le sais par une longue expérience. Quoique j’aie langui pendant bien des années dans une extrême faiblesse corporelle, quoique, pour ma santé, j’aie été obligé de prendre beaucoup d’exercice, et que par conséquent j’aie des raisons pour reconnaître combien l’exercice est utile ; — cependant je me suis aperçu qu’en usant de cette précaution hygiénique dans de justes limites, on peut encore trouver assez de temps pour remplir des devoirs indispensables.
Quant à ceux qui ne veulent point contenir dans de justes bornes ce désir de récréation et de délassement, qui s’y abandonnent pour complaire à leur chair, au lieu d’en user seulement comme d’un moyen de se rendre plus propres à l’accomplissement de leur tâche, je leur conseille d’étudier un peu mieux la nature du christianisme, le danger de la sensualité, la nécessité de la mortification et du renoncement, avant de songer à exhorter les autres. Si vos plaisirs vous sont à ce point nécessaires, vous n’auriez pas dû embrasser une vocation qui exige que le service de Dieu soit tout votre plaisir, et qui vous recommande le renoncement à toutes les satisfactions sensuelles. La guerre du chrétien consiste dans le combat entre, la chair et l’esprit.
Il y a cette différence entre le vrai chrétien et l’homme inconverti, que l’un vit selon la chair, tandis que l’autre vit selon l’esprit et mortifie les désirs charnels. Vous, qui proclamez ces vérités, devez-vous être si fortement attachés à vos plaisirs ? S’il en est ainsi, abandonnez la prédication de l’Évangile et la profession du christianisme, et montrez-vous tels que vous êtes ; et comme « vous semez pour la chair, vous moissonnerez de la chair, la corruption. » « Je cours, dit saint Paul, mais non pas à l’aventure ; je frappe, mais non pas en l’air ; mais je traite durement mon corps et je le tiens assujetti, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même rejeté (1 Corinthiens 9.26-27). » N’est-ce pas pour nous, encore plus que pour saint Paul, une nécessité d’agir ainsi ? Lorsqu’il cherche à assujettir son corps, oserons-nous complaire au nôtre et satisfaire ses désirs ? Si saint Paul, après avoir prêché aux autres, craint encore d’être rejeté, n’avons-nous pas plus que lui de bonnes raisons pour craindre ? — Je sais que le plaisir est légitime dans une certaine limite : c’est lorsqu’il n’est qu’une préparation au travail ; mais sacrifier au plaisir notre temps, notre devoir, le soin que nous devons aux âmes, c’est une lâcheté incompatible avec la fidélité d’un chrétien, et surtout avec la fidélité d’un ministre de Christ : c’est être « amateurs des voluptés plutôt que de Dieu. (2 Timothée 3.4) » C’est mériter d’être rejetés de la communion chrétienne ; car il nous est commandé de « nous éloigner de pareilles gens. » Un homme d’étude a tant de délassements intellectuels, que sa récréation doit avoir pour but la santé de son corps ; elle ne doit pas, toutefois, lui dérober un temps précieux.
3° Il est peu probable que ce travail soit préjudiciable à notre santé. Tout sérieux qu’il doit être, il exercera modérément nos forces et ne les épuisera point. On peut parler toute la journée sur d’autres sujets sans altérer sa santé ; pourquoi des entretiens sur le salut auraient-ils un effet plus funeste ?
4° A quoi doivent être employés notre temps et nos forces, si ce n’est au service de Dieu ? Un flambeau est-il fait pour autre chose que pour se consumer ? Puisqu’il faut que nous brûlions et que nous nous consumions, ne vaut-il pas mieux que ce soit en éclairant aux hommes le chemin du ciel, en travaillant à l’œuvre de notre maître, qu’en vivant selon la chair ? Qu’une vie ait été longue ou courte, la différence est bien peu de chose, quand on arrive à la fin. A l’heure de votre mort, sera-ce pour vous une consolation d’avoir prolongé votre vie aux dépens de votre œuvre ? Celui qui travaille beaucoup, vit beaucoup. Notre vie doit être appréciée par son utilité et son emploi, et non par sa durée. « Le paresseux, dit Sénèque, a longtemps existé ; mais il n’a pas longtemps vécu. » Ne serons-nous pas plus heureux à l’heure de notre mort, en passant en revue une vie courte, mais bien employée, qu’une vie longue, mais misérablement perdue ?
5° Quant aux visites et aux relations sociales, si vous les jugez plus importantes que vos fonctions pastorales, vous n’avez pas moins de raisons pour leur sacrifier la prédication et la célébration du jour du Seigneur, que pour leur sacrifier le devoir que nous vous recommandons. S’il en est autrement, si les soins de votre ministère doivent passer avant tout, comment osez-vous alléguer la nécessité de cultiver vos relations sociales pour vous dispenser d’une de vos fonctions les plus importantes ? Vos amis doivent-ils être préférés à Dieu ? Quel que soit leur rang, doivent-ils être servis et honorés avant lui ? Leur mécontentement est-il pour vous plus à craindre que le sien ? « Si vous cherchez à plaire aux hommes, vous n’êtes plus les serviteurs de Christ. » Vous connaissez bien peu le prix du temps, si vous osez le perdre à de vaines civilités ? C’est pour moi un sujet d’étonnement, de voir des pasteurs trouver du temps pour chasser, pour jouer, pour converser pendant des heures entières sur des sujets frivoles, pour faire des visites de pure civilité. Quelle étrange inconséquence, lorsque tant de milliers d’âmes sollicitent leur secours, lorsque la mort peut d’un moment à l’autre les enlever à leur troupeau, quand la plus petite paroisse suffit pour occuper nuit et jour toute leur activité !
Mes frères, souffrez que je vous parle avec une entière franchise. Si vous n’avez pas le sentiment de la valeur des âmes, du prix infini du sang versé pour leur rédemption, de la gloire à laquelle elles sont appelées et de la misère éternelle à laquelle elles sont exposées, vous n’êtes pas chrétiens, et par conséquent, vous n’êtes pas propres au saint ministère. Si au contraire vous êtes pénétrés de l’importance de ces grands objets, comment pouvez-vous trouver du temps pour des visites, des récréations, des conversations inutiles ? — O temps précieux ! avec quelle rapidité il s’écoule ! Qu’est-ce que la plus longue vie, quand elle touche à sa fin ? Quand chaque jour durerait autant qu’un mois, il serait encore trop court pour l’œuvre d’un jour. N’avons-nous pas déjà perdu assez de temps dans les jours de notre vanité ? — Je n’ai jamais vu un homme, fût-ce le plus stupide, qui, à l’heure de la mort, ne reconnût le prix du temps, et qui ne fût disposé aux plus grands sacrifices pour le racheter, si cela était possible ; et cependant, nous ne nous faisons point scrupule de le perdre. Oh ! dans quel aveuglement le péché ne jette-t-il pas les hommes ! Comment se peut-il qu’un homme, doué de quelque raison et de quelque honnêteté, connaissant l’importance de son ministère et le compte rigoureux qu’il devra en rendre, ait du temps à perdre dans la vanité et l’oisiveté ?
Je dois ajouter, mes frères, que si d’autres peuvent se permettre quelques récréations inutiles, vous ne le pouvez point. Dans une ville ravagée par la peste, un médecin peut-il s’accorder plus de repos que le soin de sa propre conservation n’en exige, lorsque ses concitoyens en danger de périr réclament son assistance ? — Dans une ville assiégée, exposée aux attaques et aux surprises de l’ennemi, lorsque, parmi les citoyens, les uns veillent aux portes, les autres se tiennent prêts à écarter l’incendie qui menace leurs demeures, peuvent-ils quitter leur poste pour prendre du relâchement ou du repos ? Leur accordera-t-on pour cela plus de temps qu’il ne leur en faudra rigoureusement ?
4e Objection. On ne peut pas exiger des pasteurs qu’ils se rendent esclaves. S’ils s’acquittent avec soin de la prédication et de la visite des malades, s’ils remplissent exactement leurs autres fonctions, et si, lorsque l’occasion se présente, ils peuvent par leurs entretiens faire du bien à quelques personnes, Dieu ne demande pas qu’ils s’attachent à instruire chacun individuellement, et qu’ils se condamnent ainsi au plus rude esclavage.
Réponse. Je vous ai montré l’importance et la nécessité de ce devoir. — Pensez-vous que Dieu n’exige pas que vous fassiez tout le bien que vous pouvez faire ? A la vue d’un pécheur luttant contre la mort et près de tomber entre les mains de son juge, pouvez-vous vous dire : « Dieu n’exige pas que je me rende esclave pour le sauver. » Est-ce là la voix de la miséricorde chrétienne, ou celle d’une lâcheté et d’une cruauté infernale ? Est-ce la voix de l’obéissance ou celle de la rébellion ? N’êtes-vous pas également criminel, soit que vous ne vouliez obéir qu’autant qu’il vous plaira, soit que vous vous persuadiez qu’un devoir qui vous est désagréable n’est pas un devoir ?
C’est une odieuse hypocrisie de ne vouloir accepter, dans le service de Dieu, que la part qui est compatible avec votre félicité charnelle et de rejeter tout le reste. Et à cette hypocrisie, l’objection que nous combattons ajoute la plus détestable impiété. N’est-ce pas calomnier le Très-Haut que d’appeler son service un fardeau et un esclavage ? — Quelles pensées ont-ils donc de leur maître, de leur œuvre, de leur salaire ? — les pensées d’un croyant ou celles d’un incrédule ? Avec de telles pensées, quel honneur peuvent-ils rendre à Dieu, et comment peuvent-ils le servir ? quel plaisir peuvent-ils trouver dans la sainteté, s’ils la regardent comme un esclavage ? « Celui-là, dit Jésus-Christ, qui ne renonce pas à lui-même, qui n’abandonne pas tout, qui ne prend pas sa croix pour me suivre, ne peut être appelé mon disciple. » Et sont-ils prêts à tout abandonner, ceux qui considèrent comme un esclavage de travailler à la vigne du Seigneur ? Peuvent-ils être de dignes ministres, ceux qui sont à ce point ennemis du renoncement, et par conséquent du vrai christianisme ?
Je le dis avec douleur, les maux de l’Église viennent de ce que tant de jeunes gens se font ministres avant d’être chrétiens. — Si de tels hommes avaient vu l’activité de Jésus-Christ à faire le bien, s’ils l’avaient vu quitter son repas pour s’entretenir avec une femme, n’auraient-ils pas pensé, avec ses amis charnels, qu’il était « hors de son sens. » Ne lui auraient-ils pas dit qu’il se rendait esclave, et que Dieu n’exigeait pas tant de sacrifices ? S’ils l’avaient vu passer le jour en prédications et la nuit en prières, ne lui auraient-ils pas reproché son excès de zèle ? A ceux qui ont de tels sentiments, j’adresserai cette question : « Croyez-vous sincèrement à la parole que vous prêchez ? croyez-vous qu’une telle gloire soit réservée à ceux qui meurent au Seigneur, et une telle misère à ceux qui meurent sans conversion ? Si vous le croyez réellement, pensez-vous que l’on puisse jamais trop travailler en vue de si immenses résultats ? Si, au contraire, vous n’en êtes pas convaincus, dites-le franchement : retirez-vous de la vigne du Seigneur. Allez avec l’enfant prodigue garder les pourceaux, et ne vous chargez pas de conduire le troupeau de Jésus-Christ. »
Savez-vous, mes chers frères, qu’avec de semblables dispositions, vous combattez contre vos propres intérêts ? Plus vous travaillerez, plus vous recevrez. Notre vie et notre paix spirituelles croissent en proportion de ce que nous faisons pour le service de Dieu ; il nous accorde plus à mesure que nous travaillons plus pour lui. L’exercice de la grâce augmente la grâce. Est-ce donc un esclavage, de vivre plus avec Dieu et de recevoir de lui plus que les autres hommes ? C’est la plus grande consolation d’une âme convertie, que de faire du bien, que d’être toujours occupée de choses spirituelles. Par l’activité de nos travaux, nous nous préparons à recevoir de plus abondantes bénédictions ; nous plaçons à un haut intérêt les talents que nous avons reçus, « en sorte que cinq en produiront dix, et que nous serons établis gouverneurs de dix villes. » — Considérer cette pieuse activité comme un esclavage, c’est justifier les impies qui prétendent qu’il n’est pas nécessaire de prendre tant de peine pour être sauvé. La négligence d’un devoir si important est déjà un péché odieux ; mais prétendre justifier cette négligence en niant le devoir lui-même, c’est aggraver notre faute à un tel point, que nous ne sommes plus que « du sel qui a perdu sa saveur ; il n’est propre ni pour la terre, ni pour le fumier ; mais on le jette dehors. » Si, en agissant ainsi, nous perdons toute considération, ne nous en prenons qu’à nous. En avilissant le service de Jésus-Christ, nous nous avilissons nous-mêmes, et nous nous préparons une éternelle confusion.
5e Objection. Si vous imposez aux ministres de si rigoureuses obligations, l’Église se verra dépourvue de pasteurs ; car, quel homme voudra s’engager dans une carrière si laborieuse ? Quels parents voudront imposer à leurs enfants un si pesant fardeau ? On évitera des fonctions pénibles pour le corps et dangereuses pour la conscience.
Réponse. 1° Ce n’est pas nous, c’est Jésus-Christ lui-même, qui impose ces obligations que vous appelez rigoureuses. Il sait pourquoi il les a imposées, et il exige qu’on y obéisse. Peut-on accuser la bonté infinie d’avoir établi des lois trop sévères ? Faut-il que Dieu laisse périr les âmes, pour vous épargner un peu de travail et un peu de peine ? Oh ! combien ce monde serait misérable, si le soin de le gouverner était laissé à notre aveuglement et à notre faiblesse !
2° Quant à pourvoir l’Église de pasteurs, Jésus-Christ en prendra le soin. Celui qui impose le devoir a la plénitude de l’Esprit et peut nous donner des cœurs disposés à lui obéir. Pensez-vous qu’il permettra que tous les hommes aient des cœurs aussi cruels, aussi charnels, aussi égoïstes que vous ? Celui qui a entrepris l’œuvre de notre rédemption, qui a porté toutes nos transgressions, qui a conduit fidèlement son Église comme un berger conduit son troupeau, ne perdra pas, faute d’instruments, le fruit de son travail et de ses souffrances, et ne sera pas réduit à recommencer lui-même son œuvre. Il trouvera des serviteurs disposés à se charger du travail, qui se réjouiront d’être ainsi employés et qui regarderont comme une bénédiction ce ministère qui vous paraît un lourd fardeau ; — qui, pour sauver les âmes et propager l’Évangile de Christ, seront satisfaits « de porter le poids de la chaleur du jour, d’accomplir dans leur corps la mesure des souffrances de Jésus-Christ, — de travailler pendant qu’il est jour, — d’être les serviteurs de tous, de ne pas se plaire à eux-mêmes, mais aux autres pour leur édification, — de se faire tout à tous, afin d’en sauver quelques-uns, -d’endurer toutes choses pour les élus, — de se dépenser pour leurs frères, quand même ils devraient être moins aimés à mesure qu’ils aimeraient plus, et qu’ils devraient être traités en ennemis pour dire la vérité. » — Jésus-Christ appellera « des pasteurs selon son cœur, qui paîtront son peuple avec science et avec intelligence. » Il trouvera des serviteurs fidèles, quand même, comme Démas, « vous préféreriez le présent siècle » et que vous renonceriez à son service.
Ces lois, que vous appelez sévères, il ne les a pas faites seulement pour les ministres, mais pour tous ceux qui veulent être sauvés ; car, tous ceux qui veulent être ses disciples doivent « renoncer à eux-mêmes, mortifier leur chair, être crucifiés au monde, prendre leur croix et suivre Jésus. » Christ, néanmoins, ne sera pas privé de disciples, et, pour les attirer à son service, il ne déguisera pas les conditions auxquelles il les engage, mais il les leur découvrira dans toute leur rigueur, et les laissera libres de venir ou non à lui. Il leur exposera les sacrifices auxquels ils sont appelés, et leur dira que « les renards ont des tanières et que les oiseaux du ciel ont des nids ; mais que le fils de l’homme n’a pas un lieu où reposer sa tête ; » qu’il ne leur apporte pas la paix et la prospérité mondaines ; mais qu’il les invite à « souffrir avec lui, afin qu’ils puissent régner avec lui, et à posséder leurs âmes par la patience. » Et ceux qu’il aura choisis, il leur donnera la force de faire tout. ce qu’il leur demandera.
Quant aux scrupules de conscience et à la crainte de manquer à leurs devoirs, remarquons en premier lieu que ce ne sont point les manquements involontaires qui offensent Jésus-Christ, mais l’infidélité et la négligence volontaires. En second lieu, vous ne gagnerez rien à vous enfuir de la vigne du Seigneur, sous prétexte que vous ne pouvez y travailler comme vous le devriez. Jésus-Christ vous poursuivra et vous atteindra comme il atteignit Jonas, et suscitera contre vous une tempête qui vous plongera dans « le fond de l’abîme. » Rejeter un devoir parce que vous ne pouvez pas le remplir fidèlement, c’est là une bien misérable excuse. Si vous aviez d’abord bien considéré la différence entre les choses temporelles et les choses éternelles, si vous aviez possédé cette foi qui est la manifestation des choses invisibles, si vous aviez vécu par la foi et non par la vue, toutes ces objections ne seraient rien à vos yeux et vous paraîtraient des raisonnements d’enfants ou d’hommes dépourvus de sens.
6e Objection. Mais à quoi bon prendre tant de peine, quand la plupart de nos paroissiens ne veulent pas se soumettre. Ils ne veulent point venir à nous pour être instruits et catéchisés ; ils nous disent qu’ils sont trop vieux pour apprendre, il vaut donc mieux les laisser tranquilles que de leur imposer ainsi qu’à nous une peine inutile.
Réponse. 1° J’avoue qu’il y a un grand nombre d’hommes dont l’opiniâtreté est difficile à vaincre, je sais que les stupides aiment la sottise, que les moqueurs prennent plaisir à la moquerie, et que les fous ont en haine la science (Proverbes 1.22) » Mais plus ils sont endurcis, plus ils sont à plaindre, et plus nous devons faire d’efforts pour les ramener.
2° Si la plupart des membres de nos troupeaux sont ainsi obstinés et dédaigneux, n’est-ce point par la faute des ministres ; si nous faisions luire notre lumière devant eux, — si nos prédications et notre conduite étaient de nature à produire sur eux de fortes et salutaires impressions, — si nous faisions tout le bien que nous sommes capables de faire, — si nous avions plus de douceur, d’humilité, de charité, de zèle, — si nous prouvions aux hommes que leur salut est pour nous au-dessus de tous les intérêts mondains, notre ministère aurait plus d’efficacité et plus de puissance, nous fermerions la bouche aux opposants et nous les rendrions plus dociles et plus traitables.
3° L’opposition que nous rencontrons ne nous dispense pas de faire notre devoir. C’est à nous de proposer, à eux d’accepter. Si nous ne prenons pas l’initiative, nos paroissiens sont excusables, puisque nous ne les mettons pas en demeure d’accepter ou de refuser ; mais, pour nous, nous sommes sans excuse. Si le refus vient de leur part, notre devoir est fait, notre responsabilité est à couvert.
4° Si quelques-uns refusent notre ministère, il s’en trouvera qui l’accepteront, et le succès que nous obtiendrons auprès d’eux compensera abondamment notre travail. Nos prédications publiques ne convertissent pas tous nos auditeurs : devons-nous pour cela y renoncer, sous prétexte qu’elles sont inutiles ?
7e Objection. Si les hommes ne sont pas convertis par la prédication de la parole, qui est le principal moyen que Dieu a établi dans ce but, est-il probable qu’ils seront convertis par des instructions particulières ? « La foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la Parole de Dieu. »
Réponse. 1° Je vous ai déjà exposé les avantages de cette méthode. J’ajouterai qu’elle vous sera d’un secours utile pour la prédication ; car, comme la tâche d’un médecin est à moitié remplie quand il connaît bien la maladie qu’il a à traiter, de même la connaissance exacte de l’état spirituel des âmes vous fournira pour la prédication plus de matériaux utiles que vous n’en pourrez retirer de longues heures d’étude.
2° Il faudrait être complètement aveugle pour ne pas voir que ces instructions particulières sont une véritable prédication. Ce n’est pas le nombre des auditeurs qui constitue la prédication ; on peut prêcher devant une personne comme devant mille. Les prédications mentionnées dans le Nouveau Testament n’étaient souvent que des conférences ou des conversations familières avec un petit nombre de personnes : c’est de cette manière que Jésus-Christ prêchait fréquemment.
Ainsi, Dieu, l’Écriture-Sainte, la raison et la conscience, tout nous invite à l’accomplissement de ce devoir. A la vérité, le monde, la chair et le diable s’efforcent de nous en détourner ; mais si contre toutes les tentations nous avons recours à Dieu, si nous regardons à la grandeur de nos obligations et à celle de notre récompense, nous reconnaîtrons que nous n’avons point lieu d’être effrayés ou découragés.
Oh ! quelle leçon renferme notre texte ! Mais combien elle est peu comprise de ceux qui doutent, encore de l’étendue de leur devoir ! Ces paroles de saint Paul ont été si souvent présentes à mon esprit, et sont si fortement gravées dans ma conscience, que c’est par elles que j’ai été convaincu de mon devoir et de ma négligence. Elles méritent donc votre plus sérieuse méditation ; elles devraient être continuellement sous vos yeux, ainsi que les lignes suivantes qui contiennent le résumé de tous nos devoirs :
- notre vocation générale : « Servant le Seigneur en toute humilité d’esprit et avec beaucoup de larmes. »
- notre œuvre spéciale : « Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau. »
- notre doctrine : « La repentance envers Dieu et la foi en Jésus-Christ, notre Seigneur. »
- le mode de nos enseignements : « Je vous ai instruits publiquement, et de maison en maison. »
- l’activité, le zèle, l’affection que nous devons manifester : « Je n’ai point cessé d’avertir chaque homme, nuit et jour, avec larmes. »
- la fidélité à dieu et à l’Église : « Je ne vous ai rien caché des choses qui vous étaient utiles, et je n’ai pas évité de vous déclarer tout le dessein de Dieu. »
- le désintéressement et le renoncement à nous-mêmes : « Je n’ai désiré ni l’or, ni l’argent, ni les vêtements de personne ; mes mains ont fourni à tout ce qui m’était nécessaire et à ceux qui étaient avec moi, me souvenant de ce que le Seigneur Jésus a dit, qu’il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. »
- la patience et la persévérance : « Je ne me mets en peine de rien, et ma vie ne m’est point précieuse, pourvu que j’achève avec joie ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus. »
- l’esprit de prière : « Je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce, lequel peut vous édifier encore et vous donner l’héritage avec tous les saints. »
- la pureté de conscience : « Je proteste aujourd’hui devant vous que je suis net du sang de vous tous. »
Que ces préceptes soient gravés dans vos cœurs, et, vous et votre Église, vous en retirerez plus d’avantages que si vous passiez des années entières à acquérir une science qui pourra vous attirer les applaudissements du monde, mais avec laquelle vous ne serez jamais que comme « l’airain qui résonne ou la cymbale qui retentit. » Si les ministres sont sincères, la gloire de Dieu et le salut des âmes doivent être leur unique but ; ni le travail, ni la souffrance, ne pourront les en détourner. Quoi qu’ils oublient, ils n’oublieront pas ces mots : « Une seule chose est nécessaire : cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice. » — Ils se diront à chaque instant : « La nécessité m’en est imposée, et malheur à moi si je ne prêche pas l’Évangile ! » Telles sont les pensées qui rendront vos travaux faciles, vos fardeaux moins pesants, vos souffrances supportables. Celui qui a la conscience qu’il sert Dieu, n’a pas besoin de s’inquiéter des périls qu’il court dans cette cause ; celui qui connaît le prix infini de la récompense à laquelle il aspire, la préférera à tout et fera tout pour l’obtenir. — Je m’assure, mes frères, que vous êtes résolus à être diligents et fidèles ; je dois maintenant vous donner quelques directions sur la manière de vous montrer tels en toute circonstance.