Puisque les enfants d’Israël prétendent que nous sommes dans l’erreur, quand nous reconnaissons un Christ déjà descendu parmi nous, empruntons aux Ecritures elles-mêmes une prescription qui leur prouve que le Christ qui était annoncé est déjà venu. Toutefois, nous leur avons déjà prouvé, par le témoignage des temps et les calculs de Daniel, que le Christ est venu comme il avait été prédit. Il fallait d’abord qu’il naquît dans Bethléem, ville de Juda. Car il est écrit dans le prophète : « Et toi, Bethléem, tu n’es pas la plus petite des villes de Juda ; c’est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d’Israël. » Si le chef qui, selon toutes les prophéties, devait sortir de la tribu de Juda et naître à Jérusalem, n’est pas encore né, il faut qu’il sorte un jour de la tribu de Juda et qu’il naisse à Bethléem. Mais nous remarquons que dans cette ville de Bethléem, il ne reste plus aujourd’hui un seul membre de la race d’Israël. Il y a plus. Depuis que la défense en a été portée, aucun Juif ne peut même demeurer dans le voisinage de cette contrée, si bien que la menace du prophète s’est accomplie à la lettre : « Votre terre est déserte ; vos villes sont la proie des flammes, » c’est-à-dire (hélas ! vous l’avez vu à l’époque de votre guerre), « des étrangers, sous vos yeux, ont dévoré votre patrie ; elle est désertée comme le champ que l’ennemi a dévasté. » Ailleurs le prophète parle ainsi : « Vous verrez votre roi dans toute sa splendeur. » Qu’est-ce à dire ? Vous verrez Jésus-Christ opérant des merveilles en l’honneur de Dieu son Père ; vous porterez au loin vos « regards sur la terre de Juda. » Repoussés de votre terre natale par une rigueur que vous n’avez que trop méritée, il ne vous est permis que de la contempler de loin. « Votre âme sera dans la frayeur, » poursuit le prophète. Oui, sans doute, au moment de votre désastre. Je le demande, comment « un chef naîtra-t-il de la Judée ? » Comment « sortira-t-il de Bethléem, » ainsi que l’annoncent les divins oracles des prophètes, puisqu’aujourd’hui il ne reste plus dans la Judée un seul homme d’Israël de la race de qui puisse naître le Christ ? S’il n’est pas encore venu, ainsi que l’affirment les Juifs, de qui donc recevra-t-il l’onction, lorsqu’il sera venu ? En effet, la loi dit : « Il n’est pas permis de conférer dans la captivité l’onction qui consacre les rois. » Or, si l’onction n’est plus avec eux, ainsi que t’a prophétisé Daniel en ces mots : « L’onction sera détruite, » il n’y a donc plus d’onction chez eux, puisqu’ils n’ont plus ni le temple ni l’autel où réside l’onction qui faisait les rois. Si donc l’onction n’existe plus, qui donnera l’onction au chef qui naîtra dans Bethléem ? ou bien, comment sortira-t-il de Bethléem, puisqu’il n’y a plus dans Bethléem aucun homme du sang d’Israël ?
Enfin montrons de nouveau, d’après les prophètes, que le Christ a déjà souffert, qu’il est déjà remonté aux cieux, et qu’il en descendra un jour, comme le prophète l’annonce.
Nous lisons dans Daniel que la ville devait être ruinée de fond en comble après son premier avènement. L’événement s’est accompli sous nos yeux. En effet, « la ville et le sanctuaire, dit l’Ecriture, seront dissipés avec le chef, » avec le chef, incontestablement, qui devait sortir de Bethléem et de la tribu de Juda. Il est manifeste par-là que la ville devait être ruinée, après que son chef y aurait subi sa passion ; ainsi le déclarent les témoignages des prophètes : « J’ai tendu les bras pendant tout le jour à un peuple incrédule, révolté contre moi, et qui marche dans une voie mauvaise à la suite de ses pensées. » Même langage dans les Psaumes : « Ils ont percé mes pieds et mes mains ; ils ont compté tous mes os. Ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement. – Ils m’ont présenté du vinaigre pour apaiser ma soif. » Ce n’est pas David qui a souffert toutes ces cruautés, pour avoir le droit de se les appliquer à lui-même, mais le Christ qui a été crucifié. On ne perce d’ailleurs les pieds et les mains qu’à celui qui est suspendu au bois. De là vient que David prédisait que le Seigneur régnerait du haut du bois. Car le même prophète annonçait ailleurs les fruits merveilleux de ce bois, lorsqu’il disait : « La terre a enfanté son fruit. » Oui, cette terre vierge que n’avaient pas encore arrosée les pluies, que les ondées n’avaient pas encore fécondée, cette terre de laquelle l’homme fut formé autrefois, de laquelle Jésus-Christ est né aujourd’hui d’une Vierge, selon la chair.
« Le bois, est-il dit encore, a porté son fruit. » Non pas ce bois qui, dans le Paradis, donna la mort à nos premiers parents, mais le bois de la passion de Jésus-Christ, « où a été suspendue la vie à laquelle vous n’avez pas cru. » Bois mystérieux ! C’est par sa vertu que Moïse corrigeait autrefois l’amertume des eaux de Mara, lorsque, dans le désert, elles rendirent la vie au peuple qui allait mourir de soif, de même que nous autres, infidèles, arrachés à la nuit du siècle dans laquelle nous étions ensevelis et travaillés par une soif mortelle, c’est-à-dire privés des salutaires breuvages de la parole divine, nous avons bu l’eau du baptême, adoucie par le bois sacré de la passion, et avons recouvré la vie par cette même foi qu’Israël a répudiée, suivant cette parole de Jérémie : « Envoyez au loin, et interrogez avec soin : y eut-il jamais rien de semblable ? Les nations ont-elles changé leurs dieux, ces dieux, vains simulacres ? Et mon peuple a changé sa gloire pour une idole ! Le ciel en a frémi d’épouvante. » Quand et comment le ciel a-t-il pu frémir d’épouvanté ? Incontestablement lorsque Jésus-Christ a souffert. « Et il a tressailli d’horreur, dit Amos, et le soleil s’est obscurci au milieu du jour. »
Quand donc a-t-il tressailli d’horreur, sinon dans la passion de Jésus-Christ, au moment « où la terre trembla, où le voile du temple se déchira, et où les tombeaux s’ouvrirent ? » Pourquoi cela ? « Parce que mon peuple a fait deux maux ; il m’a abandonné, moi la source d’eau vive, pour se creuser des citernes, fosses entr’ouvertes qui ne peuvent retenir l’eau ; » sans aucun doute lorsqu’ils ont refusé de recevoir Jésus-Christ, « qui est la source d’eau vive. » Ils ont commencé à se creuser des citernes sans fond, c’est-à-dire, ils ont formé parmi les nations où ils sont dispersés, des synagogues dans lesquelles ne réside plus l’Esprit saint comme il résidait autrefois dans le temple, avant l’avènement de Jésus-Christ, qui est le temple véritable de Dieu.
C’est à cette soif de l’Esprit divin que le prophète Isaïe faisait allusion dans ces mots : « Mes serviteurs seront dans l’abondance, et vous, vous aurez faim ; mes serviteurs seront désaltérés, et vous, vous aurez soif ; vous pousserez des hurlements dans l’amertume de votre cœur. Votre nom sera pour mes élus un nom d’imprécation ; le Seigneur vous perdra, et donnera à ses serviteurs un autre nom qui sera béni sur toute la terre. »
Nous rencontrons encore au livre des Rois le mystère de ce bois symbolique. Lorsque les enfants des prophètes coupaient du bois sur les bords du Jourdain, le fer de leurs haches se détacha et roula dans le fleuve. Le prophète Elisée survient. Ils lui demandent de retirer du fleuve le fer qui y était tombé. L’homme de Dieu, ayant pris un morceau de bois, le plongea aussitôt à l’endroit où avait disparu le fer. Celui-ci nagea sur l’eau ; les enfants des prophètes le reprirent, tandis que le bois resta plongé sous les eaux. Ils comprirent par-là que l’Esprit d’Elie revivait en lui. Quoi de plus manifeste que le sacrement de ce bois ? Il signifie que ce siècle, enseveli dans le gouffre de l’erreur, est délivré de son endurcissement au baptême par le bois de la passion de Jésus-Christ, afin que ce qui avait péri autrefois en Adam par le bois, soit réparé par le bois de Jésus-Christ, pendant que nous autres, qui avons succédé aux prophètes, nous endurons aujourd’hui les mêmes tribulations qu’éprouvèrent toujours les prophètes pour leur divine religion. Les Juifs, en effet, ont lapidé les uns, ils ont banni les autres, ils en ont immolé plusieurs ; ils ne sauraient le nier.
Voilà encore le bois qu’Isaac, fils d’Abraham, portait sur ses épaules pour son sacrifice, lorsque Dieu avait demandé qu’il lui fût offert comme une victime. Mais comme c’étaient là des symboles dont le Christ se réservait la consommation, Isaac fut épargné avec son bois, et remplacé sur l’autel par un bélier dont les cornes s’étaient embarrassées dans le buisson. Le Christ, lui, porta sur ses épaules le bois du sacrifice, et appliqua son corps sur les cornes ou extrémités de la croix, la tête couronnée d’un diadème d’épines. Il fallait qu’il fût sacrifié pour toutes les nations, « celui qui fut conduit à la mort comme une brebis, et qui n’ouvrit pas plus la bouche que l’agneau, muet sous la main qui le tond. » Pilate a beau l’interroger, il n’en reçoit point de réponse. « Il est mort au milieu des abaissements, après une condamnation. Mais qui racontera sa génération ? » Parce qu’en effet nul homme ne sut le secret de la conception et de la naissance de Jésus-Christ, lorsque la Vierge Marie fut trouvée enceinte du Verbe de Dieu, « Il a été enlevé à la terre des vivants. » Oui, sans doute, lorsqu’après sa résurrection d’entre les morts, qui eut lieu le même jour, il rentra triomphalement dans les cieux, selon la promesse prophétique d’Osée : « Ils se lèveront avant le jour pour venir vers moi, en disant : Allons, retournons vers le Seigneur, parce que c’est lui qui nous délivrera et nous sauvera. Après deux jours, le troisième jour, » qui est celui de sa résurrection glorieuse, le même Esprit dont les Juifs ne voulurent connaître ni la naissance, ni la passion, le reçut de la terre dans les cieux, d’où il était descendu auparavant dans le sein d’une Vierge.
Ainsi, puisque les Juifs prétendent que leur Christ, dont nous avons prouvé l’avènement par tant de témoignages, n’est pas encore venu, qu’ils reconnaissent au moins la réalité du désastre que la prophétie leur annonçait, après son avènement, comme la récompense de leurs mépris, de leur cruauté et de leur déicide. D’abord, depuis que, suivant cette parole d’Isaïe, « l’homme répudia les abominations d’or et d’argent qu’il avait taillées pour recevoir de vaines et stériles adorations, » c’est-à-dire depuis que les nations, qui ne sont autre chose que nous-mêmes, instruites de la vérité par la lumière du Christ, ont brisé leurs idoles, les Juifs peuvent le voir de leurs propres yeux, les paroles qui suivent ont eu leur accomplissement : « Le Seigneur des armées enlèvera aux Juifs et à Jérusalem, entre autres choses, l’habile architecte, » qui bâtit l’église, temple de Dieu, et la cité sainte, et la maison du Seigneur. Dès ce moment, en effet, la grâce de Dieu cessa de couler chez eux. « Il a été ordonné aux nuées de ne plus répandre leur rosée sur la vigne de Sorech, » c’est-à-dire aux bienfaits célestes de ne plus enrichir la maison d’Israël. Pourquoi cela ? « Parce qu’elle avait produit des épines » pour en couronner le Seigneur, et qu’au lieu de la justice, elle avait poussé les cris « de malédiction avec lesquels elle l’attacha à la croix. » Toutes les rosées des grâces précédentes ayant été ainsi retirées aux Juifs, « la loi et les prophètes ne subsistèrent que jusqu’à Jean. » La piscine de Bethsaïde, qui guérissait les infirmités d’Israël, jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ, perdit sa vertu dès ce moment, parce que l’aveugle obstination de ce peuple est cause que le nom de Dieu est blasphémé par les Gentils, ainsi qu’il est écrit : « C’est à cause de vous que les nations blasphèment le nom de Dieu. » C’est à eux en effet que commence cette infamie, et le temps intermédiaire qui s’écoula de Tibère à Vespasien. Ainsi, en punition de ces crimes, « et pour n’avoir pas voulu reconnaître le Christ au temps où il les visita, leur terre est devenue déserte, leurs villes ont été la proie des flammes, les étrangers dévorent leur patrie jusque sous leurs veux. La fille de Sion a été abandonnée comme la hutte après la saison des vendanges, comme une cabane dans un champ de concombres. Depuis quand ! Depuis qu’Israël n’a point connu le Seigneur ; depuis qu’il a été sans intelligence, qu’il a répudié son maître, et irrité la colère du Dieu, fort. »
De même, que prouve encore cette menace conditionnelle, « Si, indociles et rebelles, vous refusez de m’écouler, le glaive vous dévorera, » sinon que le Christ est venu » et qu’ils ont péri pour n’avoir pas écouté le Christ ? N’est-ce pas lui qui, dans le psaume, demande à son Père la dispersion de ce peuple ? « Détruisez-les, détruisez-les dans votre puissance ! » N’est-ce pas lui encore qui appelle la ruine sur leurs têtes par la bouche d’Isaïe ? « Vous avez souffert ces maux pour moi : vous dormirez dans l’angoisse. »
Puisqu’il était prédit, d’une part, que les Juifs seraient dispersés et détruits, à cause de Jésus-Christ ; et que, de l’autre, nous voyons leur ruine et leur dispersion consommées sous nos yeux, il est manifeste que les Juifs ont subi ces désastres à cause de Jésus-Christ. Ici tout est d’accord ; le sens des Ecritures, les faits et l’ordre des temps, Ou bien, s’il est vrai que Jésus-Christ, à cause duquel la prophétie leur annonçait ces calamités, n’est pas encore venu, ils les subiront donc à son avènement ? Mais où prendre cette fille de Sion, qui doit être abandonnée, puisque la fille de Sion n’existe plus aujourd’hui ? Où sont ces villes qui doivent être livrées aux flammes, puisqu’elles sont déjà descendues dans le tombeau ? Où est cette nation à disperser, puisqu’elle est déjà errante sur toute la terre ? Rendez donc à là Judée un empire que puisse trouver Jésus-Christ, avant d’affirmer qu’il viendra un autre Jésus-Christ.