La valise introuvable

REPAS D’ADIEU

Pour une fois, la salle à manger de tante Emma est trop petite. Autour de la table dressée, se pressent Maryse, Pierrot et sa maman, le sergent Berthon et un monsieur à l’air passablement gêné : C’est le papa de Pierrot. Il s’est finalement décidé, sur les instances de sa femme et de son petit garçon, à se joindre à cette charmante société sur laquelle plane un peu de tristesse.

Il y a des fleurs sur la table et, sur la nappe blanche, devant chaque invité, deux assiettes à bords dorés. Pourquoi donc cette fête ? C’est que Maryse part dans quelques heures pour l’Alsace. La grève ayant cessé dans tout le pays, les trains ont repris leurs longues randonnées à travers plaines et vallons. Aussi, comme à l’ordinaire, le Vintimille-Strasbourg quittera-t-il Valence vers dix heures ce soir.

Tante Emma qui ne perd jamais la tête, a pensé à tout. D’abord elle a téléphoné à Marseille, aux parents de Maryse pour les rassurer et savoir ce qu’il convenait de faire. Puis, elle a lancé un télégramme à la grand’ maman de Soultz pour lui annoncer l’arrivée de Maryse demain matin, en gare de Mulhouse. Bref, tout est en règle. La voyageuse a son billet, et sa valise, enfin retrouvée, est prête. S’il y manque le Nouveau Testament qu’elle a donné à la maman de Pierrot, en retour, elle emporte une superbe Bible de format réduit au papier extra-fin et à tranches dorées. C’est un cadeau dont le donateur désire garder l’anonymat. Sur la page de garde est inscrit ce simple mot : PERSÉVÈRE. C’est bien ce qu’il faut à notre Maryse. Elle a confié sa vie au Sauveur et maintenant, par Sa force toute-puissante, elle « tiendra ». Tante Emma, bien sûr, priera fidèlement pour sa petite protégée afin qu’elle ne lâche pas la main du Bon Berger.

A l’autre bout de la table, la maman de Pierrot est rayonnante. Elle qui se sentait si seule il y a quelques jours, a trouvé une vraie amie en la personne de Tante Emma. Et puis, il y a le fameux locataire, le brave sergent Berthon. Il n’habite pas loin et pourra souvent « pousser » une visite à ses nouveaux amis. Il converse avec son voisin, le papa de Pierrot qu’il cherche à mettre à l’aise. C’est un petit bonhomme voûté, intimidé par tant de gens qu’il ne connaît pas.

— Il a l’air bien brave lorsqu’il n’a pas bu, remarque Maryse qui l’observe depuis un moment.

— On priera pour lui, a-t-elle dit à Tante, peu avant l’arrivée des convives. Déjà, bien des prières sont montées vers Dieu en sa faveur. Il faut qu’il connaisse, lui aussi, la paix de Dieu.

Et Pierrot ? Maryse a promis de l’inviter un jour, chez elle…

— On visitera Marseille que je connais bien, lui a-t-elle soufflé à l’oreille. On se promènera sur le vieux port, le long des quais, sur la Canebière…

Ces propositions ont évidemment trouvé un grand écho dans le cœur du petit garçon qui, déjà, se voit déambulant en compagnie de Maryse dans les rues animées de la grande ville. Pour l’instant, chacun est d’accord qu’il se rendra tous les jeudis à la Jeune Armée. Tante Emma s’occupera de lui comme une seconde maman.

Et en cette belle journée d’août qui s’achève, Maryse, avec des yeux rougis, se penche vers Tante Emma pour lui dire tout bas :

— Tu sais, Tante, je n’oublierai jamais mon séjour à Valence. Au fond, je crois bien que c’est Dieu qui l’a permise, cette grève.

— Je le crois aussi, répond-elle avec son beau sourire.

FIN

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