7 Mais à chacun de nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don de Christ. 8 C’est pourquoi il est dit : « Etant monté en haut, il a emmené captive une multitude de captifs, et il a donné des dons aux hommes. » 9 Or, qu’il soit monté, qu’est-ce, si ce n’est qu’il était aussi descendu dans les parties les plus basses de la terre ? 10 Celui qui est descendu est lui-même aussi celui qui est monté par-dessus tous les cieux, afin qu’il remplît toutes choses.
11 Et lui-même a donné les uns comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres comme pasteurs et docteurs, 12 en vue de la préparation des saints à l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps de Christ ; 13 jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de l’âge de la plénitude de Christ ; 14 afin que nous ne soyons plus de petits enfants, ballottés et emportés par tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, par leur adresse dans les artifices de l’égarement, 15 mais qu’étant vrais, dans l’amour nous croissions à tous égards en celui qui est la tête, Christ, 16 duquel tout le corps lié et uni ensemble par toutes les jointures de communication, selon la force qui est dans la mesure de chaque partie, opère l’accroissement du corps, pour sa propre édification dans l’amour.
Mais à chacun de nous, etc. L’unité de l’Esprit n’exclut pas la diversité des dons. L’unité dans la diversité, et la diversité dans l’unité, c’est la loi de Dieu lui-même, qui est un dans son essence, mais divers dans ses perfections, et même dans sa personnalité, d’après la doctrine chrétienne de la Trinité ; et Dieu s’étant peint dans tous ses ouvrages, cette loi a passé dans les œuvres de la grâce, comme dans celles de la nature. L’Église y obéit comme tout le reste. L’Esprit y est un, mais les dons y sont divers, le Seigneur les distribuant à chacun dans la mesure qui lui plaît. Il était dès lors nécessaire de prémunir les chrétiens contre les tentations de jalousie ou de gloire propre que cette différence pouvait faire naître, par un abus naturel au pauvre cœur humain, et dont l’Église primitive n’a pas été exempte. De là les exhortations de notre Apôtre dans notre texte, et encore Romains 12.5 ; 1 Corinthiens 12.4-30 ; ainsi que des autres apôtres, Jacques 3.1 ; 1 Pierre 4.10. Cette diversité, bien entendue, relève l’unité d’esprit loin de la troubler ; et cela principalement par ces deux raisons, que tous les dons spirituels proviennent d’une source commune, Jésus-Christ, et que tous se rapportent à une fin commune, l’édification de son corps, c’est-à-dire de l’Église. La première fait le sujet des trois premiers versets du développement de l’Apôtre (8-10) ; la seconde, des versets qui suivent (11-16). Avant d’appeler notre attention sur la distribution des grâces, il la fixe d’abord un moment sur le distributeur. Ce distributeur, « c’est ici Jésus-Christ, parce qu’il s’agit des fonctions ou des ministères (1 Corinthiens 12.5), tandis que dans 1 Corinthiens 12.11, où il est question des dons, c’est le Saint-Esprit » (Gerlach)1.
1 – Olshausen explique autrement que nous le rapport de 8-10 avec l’ensemble du développement. Au lieu d’appuyer, comme nous le faisons, sur les mots selon la mesure du don de Christ dans le verset 7, et sur les mots il a donné des dons dans le verset 8, il appuie sur ceux-ci à chacun de nous, dans le verset 7, et aux hommes, dans le verset 8 ; et, selon lui, l’objet essentiel des versets 7-10, et la citation qui y est faite de l’Ancien Testament, est de prouver que les dons de Jésus-Christ sont pour tous les membres de l’Église, pour les païens aussi bien que pour les Juifs. C’est en se plaçant au même point de vue que le même commentateur entend « l’unité de l’esprit » recommandée dans le verset 3 de l’unité qui doit régner entre les chrétiens sortis du judaïsme et ceux qui l’étaient du paganisme. Ce point de vue nous semble erroné ou tout au moins trop restreint. Quand notre Apôtre a voulu montrer aux Éphésiens la miséricorde que Dieu a fait paraître dans leur vocation, on comprend qu’il ait distingué leur condition d’avec celle des Juifs, pour faire sentir aux premiers que Dieu les a appelés de plus loin encore que les seconds. Mais pourquoi cette distinction serait-elle suivie lorsqu’il s’agit des relations mutuelles des membres de l’Église d’Éphèse, qui renfermait d’anciens Juifs sans doute (Actes 19.8-17), mais qui se composait pourtant essentiellement d’anciens païens, comme notre épître nous l’a si clairement donné à connaître. Ajoutons, en ce qui concerne les versets que nous avons sous les yeux (4.7-10), que le rapport que nous avons indiqué (Christ, le distributeur suprême des dons) s’offre plus naturellement à l’esprit que celui qui est indiqué par Olshausen (les dons distribués à tous, même païens) ; et surtout, que la première interprétation explique sans peine la réflexion dont l’Apôtre fait suivre la citation qu’il fait de l’Ancien Testament (versets 9-10), tandis qu’on ne sait comment en rendre compte avec la seconde. Olshausen a bien senti cette difficulté, et ne nous paraît pas l’avoir résolue.
C’est pourquoi il est dit.. Littéralement : il dit, en sous-entendant Dieu ou le Saint-Esprit ; ou elle dit, en sous-entendant Écriture, ce qui est plus vraisemblable, d’après Romains 4.3 ; 9.17 ; 1Timothée 5.18, et cet endroit remarquable, Galates 3.8, où l’Écriture est personnifiée, et comme confondue avec l’Esprit qui l’inspire. L’expression dont saint Paul s’est servi dans notre texte, en sous-entendant le sujet, se retrouve Romains 14.10 ; Galates 3.16, et 1 Corinthiens 6.16 ; elle correspond à celle-ci : « Il est écrit. » Mais venons au fond de la citation. Les citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau sont au rang des problèmes les plus compliqués de l’exégèse ; et parmi ces citations, celle-ci est une des plus difficiles. Deux choses demandent à être expliquées : comment l’Apôtre a-t-il pu appliquer à Jésus-Christ l’endroit qu’il cite, et qui est tiré du Psaume 68 (verset 18) ? et comment a-t-il pu, en le citant, s’écarter, ainsi qu’il le fait, tant du texte hébreu que de la version des Septante ? Quelques commentateurs ont été si embarrassés de la première question qu’ils ont imaginé que l’Apôtre a emprunté sa citation, non au Psaume 68, mais à un vieux cantique chrétien ; et d’autres l’ont été si fort de la seconde, qu’ils ont proposé de retoucher, d’après notre texte, et le texte hébreu du Psaume 68 et celui de la version de ce Psaume dans les Septante. Évidemment, ce sont là des suppositions forcées, et qui n’ont dû le jour qu’à l’embarras des interprètes. Mais il n’est pas nécessaire de recourir à des partis si désespérés ; et les deux questions que nous venons d’indiquer nous paraissent trouver leur solution dans une étude plus approfondie des rapports de l’Ancien Testament avec le Nouveau, côté important de l’exégèse, sur lequel notre texte jette, par ses difficultés mêmes, une précieuse lumière.
Commençons par nous rendre compte de l’objet du Psaume 68 en général, et en particulier du sens du verset cité par notre Apôtre.
Le Psaume 68, l’un des plus beaux comme des plus difficiles de tout le recueil, peut être considéré comme un développement des paroles qui en composent le premier verset, et qui sont empruntées au livre des Nombres. C’est la prière que Moïse avait coutume de prononcer, dans le désert, chaque fois que l’arche était transportée d’un lieu dans un autre : « Or, il arrivait qu’au départ de l’arche, Moïse disait : Lève-toi, ô Éternel ! et tes ennemis seront dispersés, et ceux qui te haïssent s’enfuiront de devant toi. Et quand on la posait, il disait : Retourne, ô Éternel ! aux dix mille milliers d’Israël » (Nombres 10.35-36).
L’arche était le signe visible de la présence invisible de Dieu au milieu de son peuple. Elle garantissait à la fois la défaite de tous les ennemis de Dieu, et la délivrance de son peuple. C’est devant elle que s’arrêtent les eaux du Jourdain (Josué 3.11, 14-17), et que tombent les murs de Jérico (6.6-16). Avec elle, les Israélites se flattent d’être invincibles (1 Samuel 4.3-5) ; mais Dieu confond cette fois leur formalisme impie en les livrant, avec l’arche elle-même, entre les mains des Philistins, malgré la peur que ceux-ci avaient d’abord ressentie en entendant dire : « Dieu est venu au camp ! » (7). Sans elle, Héli tient la cause d’Israël perdue, et en apprenant qu’elle a été prise, il tombe de son siège et se tue ; sa belle-fille meurt aussitôt après en mettant au monde Icabod, par un enfantement prématuré, et en disant : « La gloire est transportée d’Israël, car l’arche de Dieu est prise » (15-fin). Voyez encore 1 Samuel 5.3 ; 14.18 ; 2 Samuel 11.11 ; 15.25 ; Jérémie 3.16, etc. Ceci explique l’arche portée devant les Israélites dans le désert (Nombres 10.33), et la double prière dont Moïse accompagnait le départ de l’arche et son repos ; c’était le gage visible de Dieu conduisant son peuple, et présidant tour à tour à sa marche et à ses stationnements dans le désert.
Plus tard, cette même arche fut transportée sur la colline de Sion, par les soins de David, après qu’il eut pris la cité bâtie sur cette colline et soumis tous ses ennemis, (2 Samuel 5.7-9 ; 6.10 ; 7.1). Cet événement tient une place très considérable dans l’histoire religieuse de l’Ancien Testament ; tout aussi considérable pour le moins, quoique moins éclatante, que la construction du premier temple par Salomon, qui ne fit qu’achever l’ouvrage commencé par son père en faisant porter l’arche de la colline de Sion à celle de Morija, et en lui donnant pour demeure, au lieu, d’un simple pavillon, un temple magnifique. L’arche montée au sommet de Sion, c’était le gage visible de Dieu prenant possession de cette montagne (Psaumes 9.12), y établissant son règne (Michée 4.7), y sacrant son Fils (Psaumes 2.7), et de cette hauteur (Psaumes 110.2), gouvernant son peuple élu (Ésaïe 52.7), en attendant qu’il soumît à son empire tous les royaumes du monde (Ésaïe 2.2-3, etc.). Sion, surmontée de l’arche, c’est le centre de toute la théocratie, de la prophétie messianique, de l’élection d’Israël et de la vocation des Gentils. Il ne faut, pour s’en convaincre, que remarquer les institutions par lesquelles David marque le transport de l’arche, et les cantiques par lesquels il en célèbre la mémoire (1 Chroniques 16 ; Psaumes 132) ; surtout le verset 8, qui est répété par Salomon dans la dédicace du temple (2 Chroniques 6.41) ; car l’arche est l’âme du temple. C’est aussi à ce grand événement que paraît se rapporter le Psaumes 68 ; et comme il y est question d’une procession solennelle (27), il est vraisemblable que David l’a composé à l’occasion de la translation de l’arche, et peut-être pour être chanté dans cette cérémonie même. Ewald, dans son Commentaire sur les Psaumes, adopte sur l’origine de ce psaume une opinion qui est d’accord, pour le fond, avec celle que nous venons d’exposer. Seulement, ce n’est pas la translation de l’arche ni même la dédicace du premier temple qui a fourni le sujet de notre psaume ; mais la dédicace du second temple (Esdras 6.15-16). Mais c’est s’écarter sans nécessité de la suscription du psaume, qui l’attribue à David, auquel appartient toute la collection des 72 premiers psaumes. De plus, l’allusion manifeste qui est faite dans le verset 1 de notre psaume à la prière de Moïse, s’explique moins bien pour la dédicace du second temple, où l’arche manquait, ayant disparu vraisemblablement dans le désastre de la prise de Jérusalem par Nébucadnetsar. Du moins, il n’en est plus parlé après (2 Chroniques 35.3, et Jérémie 3.16).
Voici l’ordre des pensées du psaume. Après avoir rappelé la prière de Moïse, et représenté la présence de Dieu au milieu d’Israël comme un sujet de terreur pour les ennemis de Dieu, et de consolation pour son peuple (2-4), le Psalmiste nous montre d’abord Dieu conduisant autrefois son peuple dans le désert, et le bénissant plus spécialement au pied du Sinaï (5-11) ; puis, le mettant en possession du pays de Canaan, par une éclatante victoire remportée sur ses rois (12-15) ; ensuite, faisant choix de la montagne de Sion pour y fixer à jamais sa demeure, après avoir subjugué tous ses ennemis (16-19) ; enfin, assurant les siens qu’il les délivrera toujours à l’avenir, et les ramènera des pays les plus éloignés (20-24) ; allusion prophétique à la fin de la captivité, comme dans 2 Chroniques 6.36-39. Suit une courte description de la solennité de la translation de l’arche (25-28) ; après quoi, le Psalmiste conclut en annonçant que Dieu, qui règne au plus haut des cieux aussi bien que sur la montagne de Sion, donnera la force à son peuple, et soumettra à sa domination toutes les nations de la terre (29-fin)2.
2 – Nous voudrions corriger ainsi qu’il suit la traduction de quelques endroits de ce psaume, fort obscure, sinon inintelligible, dans nos versions reçues.
• Verset 5 : « Psalmodiez son nom ; dressez le chemin à celui qui marche dans les déserts » (voyez Ésaïe 40.3).
• verset 7 : « Dieu conduit dans la maison ceux qui étaient délaissés (Psaumes 107), il met en prospérité ceux qui étaient dans les fers ; même les rebelles qui habitaient une terre aride. »
• versets 14-15 : « Quand vous reposerez tranquillement dans les parcs (comme des brebis bien gardées), vous brillerez comme les ailes argentées de la colombe, et comme son plumage d’un vert doré. Quand le Tout-Puissant dispersera les rois du pays, une lumière éclatante (littéralement, l’éclat de la neige) succédera aux ténèbres. »
• verset 16 : « La montagne de Basan est une montagne de Dieu ; la montagne de Basan est une montagne élevée. »
• verset 17 : « Pourquoi êtes-vous jalouses, montagnes élevées, de cette montagne que Dieu a choisie pour y demeurer ? Oui, l’Éternel y habitera à perpétuité ! »
• verset 18 : « Le Seigneur est au milieu d’eux ; Sinaï est dans le sanctuaire. » (Sion maintenant la gloire de la loi dans celle de la grâce, comme l’arche garde les tables sous le propitiatoire.)
• verset 19 :« Tu as pris des dons, pour les hommes, même pour les rebelles, afin d’habiter en Jéhovah, en Dieu. »
• verset 25 : « Ils ont vu ta marche, ô Dieu ! la marche de mon Dieu, de mon Roi dans le sanctuaire ! »
• verset 28 : « Là marchait à leur tête Benjamin le petit ; les princes de Juda, avec leur cortège ; les princes de Zabulon et les princes de Nephtali. »
• verset 31 : « Les veaux des peuples (les puissants), qui s’humilient avec des morceaux d’argent (des présents). »
Telles étant les pensées du Psaume 68, expliquons, par une paraphrase, les versets 16-19, qui en forment comme le point central et culminant, et surtout le verset cité par l’Apôtre. « D’autres montagnes, celles de Basan, par exemple, sont bénies de Dieu, sont fertiles et élevées ; mais aucune n’égale celle de Sion, que Dieu a choisie pour y habiter. Le Seigneur monte sur cette montagne, au milieu de son innombrable armée, c’est-à-dire du peuple d’Israël. La gloire de Sinaï est transportée en Sion. Le Seigneur est monté sur le sommet de Sion en emmenant captifs ses ennemis ; et, comme un vainqueur qui reçoit des présents des vaincus, il a pris des dons, fruit de sa victoire, pour les hommes, et même pour ceux qui avaient été d’abord rebelles, afin d’habiter sur Sion et au milieu de son peuple en Roi suprême, en Dieu plein de gloire. » Nous voyons dans le verset 18, non l’armée des anges, mais l’armée d’Israël, désignée par des termes semblables dans la seconde prière de Moïse (Nombres 10.36). La hauteur sur laquelle le Seigneur monte nous paraît être celle de Sion, ou, si l’on veut, sur le premier plan, celle de Sion ; et sur le second plan seulement, celle des cieux (verset 34), le règne de Dieu en Sion figurant son empire suprême et éternel.
Au surplus, le mot hébreu rendu ici par hauteur, s’emploie ailleurs, tantôt du ciel, séjour de Dieu (Psaumes 7.7-8, etc.), tantôt de la montagne du Sanctuaire (Ézéchiel 17.23 ; 20.40 ; 23.14). Enfin, nous traduisons « tu as pris des dons pour les hommes, » ainsi que l’ont fait nos versions, et non, comme le font Olshausen et Harless : « Tu as pris des dons consistant en hommes ; tu as reçu en offrande des hommes. » Cette traduction nous paraît peu naturelle. La nôtre suppose une ellipse assez forte, nous l’avouons, puisque « tu as pris des dons entre les hommes » (traduction littérale de l’hébreu), signifie, selon nous, « tu as pris des dons pour les distribuer entre les hommes. » Mais cette ellipse est-elle plus forte que celle de 1 Chroniques 29.14 : « Toutes ces choses viennent de toi, et c’est de ta main que nous te les présentons ? » Évidemment, il faut sous-entendre les ayant reçues. Dans l’un et l’autre passage, il s’agit de recevoir pour donner ensuite ; l’idée de recevoir étant omise dans l’un, pourquoi l’idée de donner ne le serait-elle pas dans l’autre ? Que si cette ellipse paraissait inadmissible, nous traduirions alors, non comme l’ont fait Olshausen et Harless, mais comme Ewald : « entre les hommes, » ou « au milieu des hommes ; » ce qui est le sens naturel de la préposition hébraïque, et le même qu’elle a, au verset précédent, dans les mots : « Au milieu d’eux. »
Il faudrait entendre alors par les hommes tous ceux qui sont représentés comme entourant ici le Seigneur, c’est-à-dire tout à la fois ses ennemis vaincus desquels il prend ces présents et son peuple auquel il les distribue, comme un prince victorieux qui reçoit les hommages de l’armée tributaire en présence et pour l’avantage de ses propres soldats. Ainsi Dieu répartit entre les Israélites les terres qu’il a conquises sur les Cananéens.
Les rebelles seraient alors les ennemis vaincus, qui sont contraints de rendre hommage, le voulant ou non, à leur nouveau maître. – Dans l’une et dans l’autre interprétation, la pensée d’une répartition des dons reçus des vaincus entre les enfants d’Israël est renfermée, explicitement selon l’une, implicitement selon l’autre, dans notre verset ; si Dieu prend des présents, ce n’est pas pour lui-même.
Venons maintenant à la première des deux questions que nous nous sommes posées. Comment l’Apôtre a-t-il pu appliquer le Psaume 28.19 à Jésus-Christ ?
Nous ne répondrons pas que le Psaume 68 renferme une prophétie messianique. Nous ne le pensons pas ; il y a bien de la différence entre la manière dont Jésus-Christ est ici et celle dont il est dans le Psaume 16 ou dans le chapitre 53 d’Ésaïe. Nous ne dirons pas même qu’il y ait ici une parole à double sens et qui, tout en se rapportant aux événements contemporains dans son application prochaine, se rapporte aussi à Jésus-Christ dans une application plus lointaine, mais pourtant directe et intentionnelle, comme Ésaïe 7.14, ou Ésaïe 35.5-6. Nous ne voyons ici de prophétie proprement dite d’aucun genre. Et pourtant nous sommes persuadé que le rapprochement fait par l’Apôtre entre son sujet et le Psaume 68 n’est pas une simple accommodation, mais un rapprochement réel qui entre dans la pensée du Saint-Esprit et qui fournit une argumentation très solide. C’est qu’indépendamment de la prophétie proprement dite, par laquelle l’Ancien Testament fait de temps en temps invasion expressément et explicitement dans les choses du Nouveau Testament, il y a entre les deux Testaments un rapport plus caché, plus profond et plus permanent, qui fait de l’Ancien Testament tout entier une économie préparatoire et typique. Nous en avons déjà parlé en expliquant Éphésiens 1.22, où le Psaume 8 est cité, à peu près comme le Psaume 68 l’est ici. Jésus-Christ et son règne c’est le dernier terme vers lequel tendent, de près ou de loin, et auquel vont converger et viennent à la fois aboutir toutes les révélations de l’un et de l’autre Testament. Le Dieu qui s’est manifesté dans l’Ancien Testament, en se mettant en rapport avec les patriarches, Moïse et les prophètes, est le même Dieu qui, dans le Nouveau Testament, s’est manifesté en chair et mis en rapport avec nous dans la personne de Jésus-Christ. Un plan commun, un but identique, un même esprit et une même doctrine unit les deux Testaments ; les développements seuls diffèrent, parce qu’ils se proportionnent aux temps et aux besoins. Les prédictions proprement dites sont ce qu’on pourrait appeler les points saillants de ce rapport, seuls capables de fixer l’attention du lecteur superficiel. Mais, une fois averti par elles, l’esprit qui pénètre plus avant découvre dans les prescriptions légales, dans l’histoire, partout, des ressemblances à la fois plus profondes et plus étendues, qui ne font que croître en proportion de l’attention avec laquelle on les contemple. Au reste, entre ces deux choses, la prophétie et le type il y a cette différence que la première, qui s’annonce clairement pour ce qu’elle est, s’adresse aux contemporains, dont elle porte les regards en avant sur l’avenir ; tandis que la seconde, qui a besoin d’être découverte, est destinée à la postérité, dont elle ramène les regards en arrière sur le passé. — « Ainsi, dit Harless en expliquant la doctrine du type, le plan de notre propre vie ne se révèle réellement à nous que lorsque, instruits à l’école de la vérité du but et de la signification de la vie humaine, nous jetons les yeux en arrière sur la direction qu’a reçue notre jeunesse. Le désordre apparent fait place à un ensemble régulier, et là où l’œil affligé n’avait aperçu longtemps que contradiction et déchirement, il découvre la main paternelle de ce Dieu qui conduisit ses enfants du désert au repos de la terre promise. La lumière de l’âge mûr qui médite sur les années de la jeunesse, c’est la lumière de l’Évangile ; la direction de la jeunesse, c’est l’histoire de la théocratie de l’Ancien Testament ; le voile qui a longtemps recouvert le passé tombe de dessus les yeux quand on atteint à l’état d’homme fait en Christ. »
C’est un rapport de ce genre que l’Apôtre fait remarquer entre son sujet et le Psaume 68. On voit dans ce Psaume le Dieu de l’Ancien Testament, montant dans le sanctuaire de Sion, tous ses ennemis vaincus, et recevant pour fruit de sa victoire des présents qu’il distribue à son peuple. On voit également dans le Nouveau Testament Jésus-Christ qui, ayant « vaincu par la mort celui qui a l’empire de la mort, » monte au ciel, qui est le vrai sanctuaire (Hébreux 9.24), et là reçoit, pour prix de son œuvre accomplie (Actes 2.24), le Saint-Esprit, dont il répartit les grâces à son gré entre les membres de l’Église qu’il s’est acquise. Ce n’est pas l’identité du fait mentionné dans le Psaume 68 et du fait mentionné dans notre épître que l’Apôtre entend affirmer ; mais bien l’identité du Dieu de l’Ancien Testament avec le Dieu du Nouveau Testament. Cette identité est telle pour lui qu’il donne ailleurs le nom de Christ au Dieu qui a conduit les Israélites dans le désert (1 Corinthiens 10.9. Voyez aussi le verset 4).
Reste la seconde question : Comment saint Paul a-t-il pu s’écarter à la fois, dans sa citation, et du texte hébreu et de la version des Septante ? Il est incontestable qu’il s’en est écarté pour les mots ; et à la première vue on trouve même une sorte d’opposition entre ce qu’ils disent et ce qu’il leur fait dire. L’hébreu, que les Septante suivent exactement, dit, en effet, ainsi que nous l’avons vu : « Tu as pris des dons entre les hommes, » ou pour les hommes ; et saint Paul : « Tu as donné des dons aux hommes. » Mais pour qui se rappelle avec quelle liberté les Apôtres, à l’exemple de leur Maître, citent l’Ancien Testament, il suffit, pour justifier la citation de notre Apôtre, de remarquer que, tout en changeant les mots de l’original, qui n’allaient pas au but spécial qu’il se proposait ici ou qui n’auraient pas été compris, il reproduit exactement le fond de la pensée. Il ne touche au texte que pour l’éclaircir, car si le Seigneur reçoit des dons, ce n’est pas pour lui-même, c’est pour les communiquer aux hommes ; et sa conquête est une conquête de charité. Cette remarque subsisterait encore alors même que l’on verrait dans ces hommes au milieu desquels le Seigneur reçoit des présents, dans Psaumes 68.19, ses vaincus et ses prisonniers. Seulement, dans l’anti-type, les vaincus et prisonniers de Jésus-Christ, ce seraient, non ses ennemis, mais ses disciples (Ésaïe 53.12 ; Psaumes 2.8, etc.) ; et les dons qu’il reçoit d’eux dans le psaume seraient appelés dans l’épître des dons qu’il leur donne, parce que nous ne pouvons offrir au Seigneur que ce qu’il nous dispose lui-même à lui présenter, en sorte que nous ne lui donnons que ce que nous recevons de lui, et que lui ne reçoit de nous que ce qu’il nous donne3.
3 – Voir la note de Gerlach sur Éphésiens 4.8. – A tout prendre, c’est l’explication que je préférerais. Ewald aussi traduit « entre les hommes, » et ce qui suit « et même entre les rebelles » s’explique de la sorte plus facilement que dans aucune autre interprétation.
Mais cette liberté même avec laquelle Jésus-Christ et les apôtres citent l’Ancien Testament demeure un problème difficile, peut-être insoluble pour nous, surtout à ce point de vue de l’inspiration qui insiste avec tant de force et, si je l’ose dire, avec une sorte d’inquiétude, sur la divinité de chaque mot du texte sacré. Il nous semble que les auteurs du Nouveau Testament n’auraient jamais cité les Écritures de l’Ancien comme ils l’ont fait, s’ils n’avaient pas envisagé l’inspiration d’un point de vue plus large et plus élevé. Mais ce n’est pas le lieu d’entrer plus avant dans cette doctrine. Ajoutons toutefois que cette liberté de citation ne saurait justifier chez nous une liberté semblable, car ici ceux qui citent sont inspirés aussi bien que ceux qui sont cités. Le Saint-Esprit citant le Saint-Esprit, certain de ne pas se méprendre sur ses propres pensées, peut se permettre des modifications et des éclaircissements qui nous seraient défendus, à peu près comme nous pourrions user, en citant nos propres écrits, d’une latitude que nous nous interdirions en rapportant les témoignages d’autrui.
Or, qu’il soit monté, qu’est-ce si ce n’est qu’il était aussi descendu dans les parties les plus basses de la terre ? Ce raisonnement est fondé tout entier sur ce mot : il est monté (ou, si l’on complète la pensée de l’Apôtre, sur ces trois mots : il est monté en haut). N’est-il pas bien digne de remarque que, dans le même endroit où l’Apôtre traite la parole inspirée avec tant de liberté, qu’il ne craint pas de changer les mots pour ne s’attacher qu’à la pensée, il la traite aussi avec tant de respect qu’il n’hésite pas à presser un mot et à bâtir sur ce mot toute une doctrine ? Il est clair qu’il appuierait également, au besoin, sur ce mot même de recevoir, qu’il a cru pouvoir remplacer dans sa citation par celui de donner. Cette remarque trouve aussi place ailleurs dans les citations que les apôtres et Jésus-Christ lui-même font de l’Ancien Testament : tantôt ils négligent les mots (Matthieu 4.10, etc.), tantôt ils y insistent beaucoup (Jean 10.34, etc.). Ces deux faits (car ce sont des faits incontestables) sont difficiles, impossibles peut-être à concilier par une théorie exacte de l’inspiration ; mais ils nous instruisent sur l’usage que nous devons faire des Écritures. Il y a telle jalousie des mots et des moindres détails, qui n’est pas dans l’esprit de Jésus-Christ et des apôtres, et avec laquelle on n’aura jamais l’esprit bien en repos, parce qu’une variante, une version, une différence légère suffira pour troubler une foi si inquiète et si minutieuse. Il y a aussi telle négligence des mots et des détails qui n’est pas mieux dans l’esprit de Jésus-Christ et des apôtres, et avec laquelle on s’appuiera faiblement sur ce qui est écrit, sous prétexte de courir après un ensemble qui n’est écrit nulle part et que l’esprit de l’homme est réduit à construire, au risque d’y mettre beaucoup du sien. Liberté, mais respect ; respect, mais liberté. Le secret du chrétien, ici comme partout, est dans la parfaite confiance du cœur, et c’est là aussi ce qui importe le plus dans la pratique. Mais alors, dira-t-on peut-être, il demeurera quelque chose d’indéterminé et de personnel dans l’application de la doctrine de l’inspiration ; et la question sera en partie une question de bonne foi et de piété ? Oui ; et nous sommes persuadé qu’il faut qu’il en soit ainsi. On ne se tirera jamais des difficultés de cette doctrine par des formules dogmatiques, et l’enseignement intérieur du Saint-Esprit, si nécessaire pour tout le reste, l’est aussi pour l’étude même de la parole du Saint-Esprit.
Au reste, l’usage que fait l’Apôtre du mot il est monté montre assez que le rapprochement qu’il vient d’établir entre le sujet qu’il traite et le Psaume 68 est plus pour lui qu’un simple rapprochement ou que ce qu’on appelle une simple accommodation. Ce rapport qu’il découvre entre le Dieu de l’Ancien Testament montant sur la montagne de Sion et le Dieu du Nouveau Testament montant au ciel, est un rapport si réel qu’il ne craint pas de presser les mots employés en parlant du premier pour l’application qu’il en veut faire au second. Pour être plus profond et, si l’on peut ainsi parler, plus souterrain que le rapport prophétique, le rapport typique n’en est pas moins exact ni les arguments qu’il fournit moins solides. Seulement, il est plus facile de s’y tromper ; et dans cette étude si mystérieuse, il faut bien s’assurer qu’on prend pour guide, non l’imagination, mais le Saint-Esprit. Le meilleur moyen d’y parvenir est de marcher humblement dans le chemin tracé par les auteurs sacrés ; plutôt être timide que téméraire.
Ainsi donc, quand il est dit du Seigneur, qui habite dans le ciel, qu’il est monté, cela suppose qu’il est d’abord descendu. Reste à savoir où il est descendu ? Dans les parties les plus basses, ou dans les parties plus basses de la terre. On peut traduire des deux manières ; et à cette différence en correspond une dans la pensée. En effet, ceci peut être entendu de deux manières, suivant que la comparaison indiquée est faite entre une partie de la terre et une autre partie de la terre, ou qu’elle est faite entre la terre et le ciel (les parties plus basses de la terre signifiant alors les lieux plus bas, c’est-à-dire la terre). Selon cette dernière interprétation, qui est suivie par Harless, l’Apôtre ne rappellerait ici que la descente du Fils de Dieu sur la terre, en d’autres termes son incarnation. Selon la première, qui est adoptée par Olshausen, il rappellerait en même temps sa descente dans les lieux souterrains, c’est-à-dire sa mort. Seulement, il faudrait remarquer alors qu’il y a une ellipse dans le langage de l’Apôtre. C’est comme s’il eût dit : « Qu’il soit monté, qu’est-ce si ce n’est qu’il est descendu ? Il est descendu, et même jusqu’aux parties les plus basses de la terre ; » car le seul fait qu’il est monté prouve bien qu’il est descendu sur la terre ; mais il ne prouve pas qu’il soit descendu au-dessous de la terre.
Les principales raisons qu’on allègue pour ne voir ici que la descente du Fils sur la terre, c’est d’abord que ce premier degré d’abaissement est seul rigoureusement prouvé par le raisonnement de l’Apôtre, ainsi que nous venons de le dire ; ensuite, que le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas représenté dans le Psaumes 68 comme descendant plus bas que la terre ; enfin des passages parallèles tels que ceux-ci : Jean 3.13 ; 6.33, 38, 41, 42, etc., où Jésus-Christ n’est dit être descendu qu’en tant qu’il s’est incarné.
Pour nous, nous nous décidons pour l’autre interprétation, par les raisons suivantes : Premièrement, elle nous semble indiquée plus naturellement par l’expression de l’Apôtre : « les parties les plus basses (ou, si l’on veut, les parties plus basses) de la terre, » surtout quand on la rapproche de certaines expressions correspondantes de l’Ancien Testament que saint Paul a vraisemblablement eues devant les yeux, et qui signifient le plus souvent (je ne dis pas toujours, voyez Psaumes 139.15) les lieux les plus bas de la terre (Ésaïe 44.23), et surtout le séjour des morts (Psaumes 53.10 ; Ézéchiel 26.10 ; 31.16 ; 32.18-24 ; rapprochez Psaumes 68.7 ; Lamentations 3.55). Secondement, cette interprétation rend mieux compte du contraste indiqué dans le verset 10 entre la descente de Jésus-Christ et son ascension au-dessus de tous les cieux ; à la terre, on oppose le ciel ; mais on oppose le plus haut des cieux au plus bas de la terre. Troisièmement enfin, et surtout, cette interprétation justifie mieux, disons plus, justifie seule la conclusion de l’Apôtre : Afin qu’il remplît toutes choses. Dans le langage de l’Écriture, le ciel et la terre ne sont que deux des degrés de la création ; et il en manque un troisième pour épuiser l’échelle des êtres. Ce troisième degré est désigné par le mot abîme dans Romains 10.6-7, où nous ne trouvons que les deux degrés extrêmes : « Ne dis point en ton cœur : Qui montera au ciel ? Cela est ramener Christ d’en haut ; ou : Qui descendra dans l’abîme ? Cela est ramener Christ des morts. » Il l’est par les mots d’entre les morts dans Éphésiens 1.20, où nous trouvons les trois degrés : le premier, dans la mort de Jésus-Christ ; le second, dans sa résurrection ; le troisième, dans son ascension, ainsi que nous l’avons fait remarquer dans notre, commentaire. Mais le passage le plus remarquable sur cette matière, et qui nous paraît d’autant plus décisif en faveur de l’interprétation que nous avons adoptée que ce passage a d’ailleurs plus d’une analogie avec le nôtre, c’est Philippiens 2.5-11, et surtout le verset 10, où les trois degrés de l’échelle des êtres sont expressément indiqués.
Au reste, bien que nous voyions dans les expressions du verset 9 une allusion à l’abaissement de Jésus-Christ jusqu’au séjour des morts, nous ne partageons pas, non plus qu’Olshausen, le sentiment de quelques théologiens, qui ont rapproché ce verset de 1 Pierre 3.19, et qui y ont vu la doctrine connue sous le nom de la descente de Jésus-Christ dans les enfers. Nous n’avons pas à nous expliquer ici sur ce passage de saint Pierre, sur lequel nous ne faisons pas difficulté d’avouer que nous n’avons pas une opinion arrêtée. Mais nous sommes bien persuadé que, dans le verset que nous expliquons, il n’est question que de l’abaissement de Jésus-Christ jusqu’à la mort, et non d’une œuvre accomplie par lui dans les enfers.
Par-dessus tous les cieux. C’est, ce que David appelle « les cieux des cieux » (Psaumes 68.34), ainsi que Salomon (1 Rois 8.27), et notre Apôtre « le troisième ciel » (2 Corinthiens 12.2).
Qu’il remplît toutes choses. Jésus-Christ, remplissant de sa présence et de sa puissance toutes les parties de l’univers, depuis le degré le plus bas jusqu’au plus élevé, y dispose à son gré de toutes choses. C’est donc à lui aussi qu’il appartient de distribuer à son gré des dons aux siens pour rendre chacun d’eux propre à la part de travail qu’il lui assigne dans l’œuvre générale de l’édification de l’Église. C’est ainsi que la considération présentée dans le verset 10 se lie avec le verset 11, et qu’après avoir rappelé et prouvé, par le Psaume 68, la puissance souveraine de Jésus-Christ, le distributeur de tous les dons, l’Apôtre nous fait remarquer, dans les versets 11 et suivants, la nature diverse des dons qu’il répartit entre les membres de son Église.
Et lui-même a donné. Ce verset se lie étroitement avec le précédent par la répétition du mot lui-même. Ce même Seigneur qui est monté au plus haut des cieux, après être descendu dans les parties les plus basses de la terre, est aussi celui qui a distribué des dons à son Église et qui y a institué divers ministères. Il suit de là, d’abord qu’il est maître souverain dans la répartition de ses grâces, lui qui remplit toutes choses ; ensuite, qu’elles tendent toutes à une fin commune, comme elles procèdent toutes de la même main. Expliquer cette fin commune, c’est l’objet principal des versets 11-16. Dans le verset 11, l’Apôtre énumère les dons les plus importants du Seigneur à l’Église ; dans le verset 12, il en indique sommairement le but général (l’édification du corps de Christ) ; puis, subdivisant ce but en deux parties, précédées, l’une de la conjonction jusqu’à ce que, l’autre de la conjonction afin que, il nous y fait discerner, au verset 13, un but final vers lequel on doit tendre (la pleine maturité du corps de Christ), et dans les versets 14, 15, 16, un but prochain qu’il faut réaliser dès à présent (le constant accroissement du corps de Christ). Le Seigneur a institué les ministères (verset 11) pour travailler à l’édification du corps de Christ (verset 12) par l’accroissement de ce corps (versets 14-16), en attendant sa pleine maturité (verset 13).
A donné. On peut traduire également a établi, et c’est l’expression dont notre Apôtre fait usage dans 1 Corinthiens 12.28. Mais nous maintenons la traduction, plus littérale, il a donné, parce qu’elle nous paraît destinée à présenter les grâces accordées à l’Église comme des dons de Jésus-Christ (Voyez le verset 7, et surtout le verset 8). Au reste, au lieu d’énumérer, comme on devait s’y attendre d’après ce dernier verset, les dons du Seigneur, l’Apôtre énumère les ministères ou charges qu’il a instituées dans son Église. C’est que les dons de Jésus-Christ sont tous des dons utiles, qui ont pour objet, non l’avantage personnel de ceux qui en sont honorés, mais le bien commun de l’Église (1 Pierre 4.10), et qui trouvent leur application dans les divers ministères de la parole. Ailleurs (1 Corinthiens 12.28), l’Apôtre fait l’inverse : il commence par l’énumération des ministères (apôtres, prophètes, etc.), et il passe sans transition à celle des dons (miracles, guérisons, etc.), d’autant plus qu’il ne paraît pas qu’il y eût toujours des désignations spéciales pour ceux qui les possédaient (Voyez 1 Corinthiens 12.30). Ce tour donné au développement de l’Apôtre explique encore comment il n’a pas fait ici une énumération plus complète des dons de Jésus-Christ, telle qu’il l’a faite, par exemple, dans l’endroit que nous venons de rappeler, et telle qu’on devait l’attendre d’après les versets 7 et 8 de notre chapitre. Une fois engagé dans la contemplation des ministères, l’Apôtre s’arrête à ce sujet essentiel, et ne s’occupe plus de ces dons que le Seigneur distribuait en outre aux fidèles en général, surtout dans les premiers temps de l’Église. Il le pouvait d’autant mieux que mentionner les ministères, c’était mentionner implicitement les dons les plus éclatants et les plus utiles du Seigneur, qu’il choisit entre tous les autres, soit à cause de leur importance même, soit à cause des instructions qu’il avait à cœur de rattacher à cette doctrine. Il faut rapprocher de notre texte, Romains 12.6 et suivants ; et 1 Corinthiens 12, surtout le verset 28, les uns comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres comme pasteurs et docteurs. Les Apôtres étaient des hommes qui avaient été établis par le Seigneur lui-même, directement et sans intermédiaire humain (sans en excepter saint Paul, Galates 1.1), et revêtus des grâces les plus rares du Saint-Esprit, pour fonder l’Église sur la terre. L’office des prophètes est expliqué dans 1 Corinthiens 14 ; il avait beaucoup d’analogie avec celui des prophètes de l’Ancien Testament. La prédiction de l’avenir (Actes 11.27 ; 21.10, etc.), que l’on considère quelquefois comme faisant à elle seule tout le ministère des prophètes, parce qu’elle lui a donné son nom, n’en était pourtant pas l’objet exclusif, ni même l’objet essentiel. Les prophètes, tant de l’Ancien Testament que du Nouveau, étaient avant tout appelés à prêcher la Parole de Dieu (1 Corinthiens 14.3) ; mais ils la prêchaient avec des dons surnaturels, et en obéissant à une impulsion particulière du Saint-Esprit. Les Apôtres eux-mêmes étaient prophètes (Éphésiens 2.20 ; 3.5) ainsi qu’évangélistes, bien que les prophètes et les évangélistes ne fussent pas apôtres. Les évangélistes, dont l’office est moins nettement déterminé dans le Nouveau Testament, paraissent avoir été des prédicateurs de l’Évangile, qui pouvaient à la vérité être attachés à un poste fixe, comme paraît l’avoir été Timothée (2 Timothée 4.5), mais qui, le plus souvent, allaient de lieu en lieu annoncer le salut à ceux qui ne le connaissaient pas encore (Actes 21.8, rapproché de Actes 8.4, 5, 26 et suivants ; 14.7, etc.). Théodoret les définit en ces termes : « Ils allaient prêchant de lieu en lieu. » Enfin les mots pasteurs et docteurs sont vraisemblablement, d’après le tour de la phrase tant dans l’original que dans la traduction, deux noms différents d’une même charge, qui correspondrait assez exactement à notre charge de pasteurs. En tant qu’appelés à gouverner l’Église, ils sont bergers (c’est la traduction littérale du mot que nous rendons par pasteurs), ou conducteurs du troupeau (Hébreux 13.17 ; 1 Pierre 5.2, etc.) ; en tant qu’appelés à prêcher la Parole, ils sont docteurs. Cette distinction répond probablement à celle qui est faite dans 1 Corinthiens 12.28-29, entre les docteurs et les gouvernements.
Parmi les quatre ministères que nous venons de nommer, il y a une différence essentielle à faire : les uns ont un caractère extraordinaire et transitoire, les autres un caractère ordinaire et permanent. Il faut ranger dans la première classe les apôtres et les prophètes. Quant aux premiers, en particulier, cela est évident par la nature même de leurs fonctions et de leur institution. Leur ministère a cessé ; mais leur œuvre se continue dans l’Église et dans le monde par leurs écrits, où le témoignage de leur apostolat a été déposé pour tous les siècles. Cela est si vrai, qu’un apôtre prononce anathème contre quiconque annoncerait un autre évangile, contraire à ce premier témoignage, fût-ce lui-même, ou un ange du ciel (Galates 1.8). Cette marque suffit pour répondre à ceux qui se sont appuyés sur notre verset pour soutenir la perpétuité des autres ministères dans l’Église. Remarquons encore que les deux offices extraordinaires correspondent aux deux offices ordinaires. Dans tous les temps, le ministère évangélique renferme deux charges principales : celle du missionnaire, et celle du prédicateur à poste fixe. Or, les apôtres étaient des missionnaires extraordinaires, et les prophètes des prédicateurs extraordinaires. Avec les premiers temps, les offices extraordinaires ont passé ; et le fond régulier, ordinaire, sans inspiration, mais non sans le Saint-Esprit, demeure dans les deux offices qui nous restent : le fond l’apostolat dans les missions, et le fond de la prophétie dans la prédication4.
4 – Les évangélistes et les pasteurs ou docteurs parlent sur les révélations de Dieu ; mais les apôtres et les prophètes prononcent ces révélations elles-mêmes (Gerlach).
Les Pères de l’Église font observer que l’institution du ministère de la Parole, qui est attribuée ici à Christ, et, ailleurs au Saint-Esprit (1 Corinthiens 12 ; Actes 20.28), l’est également au Père (1 Corinthiens 12.28 ; 2 Corinthiens 3.6).
En vue de la préparation des saints à l’œuvre du ministère. L’Apôtre nous fait comprendre ici qu’en appelant notre attention sur les charges de l’Église, il n’a pas entendu exclure l’emploi des simples fidèles. Chacun a son don, et sa part qui y correspond dans l’œuvre commune, qui est l’édification du corps de Christ. Le ministère des serviteurs de l’Église, tant des serviteurs extraordinaires (les apôtres et les prophètes), que des serviteurs ordinaires (les évangélistes et les pasteurs et docteurs), n’a pour objet que de préparer les fidèles pour ce ministère général où chacun d’eux doit mettre la main, tout en respectant l’ordre établi dans l’Église (Hébreux 13.17) et qui vient de Dieu (Actes 20.28 ; 1 Corinthiens 12.28, et le verset que nous venons d’expliquer). Au fond, toutes les grâces du ministère évangélique, la prédication de la Parole, la célébration des sacrements, l’administration même et le pouvoir des clefs, appartiennent à proprement parler à l’Église, comme Église ; et si quelques-uns les dispensent, c’est par une mesure d’ordre, non par un droit exceptionnel ; c’est au nom de tous et comme représentants du peuple chrétien. Le gouvernement de l’Église est, au fond, un gouvernement républicain ; les pasteurs sont les officiers de l’Église, mais ils n’en sont pas les chefs ; il y a un ministère évangélique, mais non un sacerdoce ou un clergé. Nul n’a mieux senti et développé cela que Luther (Sendschreiben, wie man Kirchendiener wæhlen, Walch). Il faut que le peuple respecte l’ordre ecclésiastique ; mais il faut aussi que les ministres de l’Église respectent les privilèges et la gloire du peuple de Dieu. – Méditez 1 Pierre 2.9 ; sur ce beau principe se fonde la recommandation du même Apôtre, 1 Pierre 4.10-11. (Voyez aussi 1 Corinthiens 12.7). Harless, Olshausen et Gerlach entendent ces paroles dans un sens différent. Ils mettent une virgule après le mot saints. Selon eux, l’Apôtre représente le ministère de la Parole comme ayant été établi, d’abord en vue de la préparation des saints (c’est-à-dire pour les rendre accomplis dans le service du Seigneur) (2 Corinthiens 13.11 ; 1 Pierre 5.10), ensuite pour l’œuvre du ministère, et enfin pour l’édification du corps de Christ ; et ces deux derniers objets du ministère ne sont que deux subdivisions de l’idée générale la préparation des saints, cette idée étant reprise et appliquée tour à tour aux ministres (œuvre du ministère), et à tout le troupeau (édification du corps de Christ). Le ministère est, d’après cette interprétation, la charge des officiers de l’Église, et non, comme nous l’expliquions il y à un moment, l’œuvre commune de tous les enfants de Dieu. Les commentateurs que nous citons pensent que le mot ministère n’est pas susceptible du sens général que nous lui donnons ; mais nous ne saurions voir, ni dans l’étymologie du mot grec, ni dans l’usage même qui en est fait dans le Nouveau Testament, la nécessité de le restreindre au seul office des conducteurs de l’Église (Voyez 1 Corinthiens 12.5 ; Romains 12.5 ; 1 Pierre 4.11, etc.). Cette objection une fois écartée, deux raisons nous font préférer l’interprétation que nous avons suivie, avec Rückert, etc. ; à celle de Harless, Olshausen et Gerlach. La première, c’est que toute l’Église figure alors, au moins sur le second plan, dans l’œuvre générale, et l’on devait, nous l’avons déjà fait observer, s’y attendre d’après les versets 7 et 8. La seconde, c’est que nous ne saurions concevoir que les apôtres aient été donnés – pour l’œuvre du ministère, c’est-à-dire pour leur propre œuvre ; cela n’est-il pas trop évident pour être exprimé ? et si l’Apôtre le voulait exprimer, ne l’aurait-il pas fait en premier lieu, et avant de parler de la préparation des saints ? Il nous le semble ; et nous pouvons ajouter que les derniers mots de notre verset : pour l’édification du corps de Christ, qui expriment l’objet final du ministère évangélique, et qui correspondent aux derniers mots du verset 13, et aux derniers du verset 16, tiennent, dans notre interprétation, une place mieux liée avec tout l’ensemble du développement de l’Apôtre que dans celle que nous combattons.
Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu.. Ce n’est pas le progrès spirituel de l’individu qui occupe en cet endroit l’Apôtre, c’est celui de l’Église. L’accroissement de chaque membre ne figure ici qu’en tant qu’il est un moyen, et le moyen principal de procurer l’accroissement du corps tout entier. Cette réflexion, qu’il importe de ne pas perdre de vue dans l’explication de tout ce paragraphe, nous donne seule la clef du notre verset. L’unité de la foi, et de la connaissance du Fils de Dieu, c’est la parfaite harmonie des divers membres de l’Église entre eux dans les objets de la foi en général, et plus spécialement dans l’objet capital de la foi chrétienne, la connaissance approfondie (telle est la portée de l’expression originale) du Fils de Dieu (1 Corinthiens 1.10). Il est vrai qu’il existe déjà entre les enfants de Dieu une certaine unité dans la foi et dans la connaissance de Jésus-Christ ; cette unité que l’Apôtre a reconnue dans les premiers versets de notre chapitre, et qu’il a exhorté les chrétiens d’Éphèse, non à faire naître, mais à « conserver par le lien de la paix. » Mais il faut rappeler ici une réflexion que nous avons déjà faite sur le chapitre 3, verset 17 : il en est de cette unité comme de toutes les grâces de Dieu, que nous recevons en germe dès le commencement de la vie spirituelle, mais qui demandent à être développées jusqu’à la fin. Le progrès, tant de l’Église que de l’individu, n’est que le développement des principes nouveaux qui ont été reçus dans la conversion. Nous croyons, et nous devons croître dans la foi ; nous aimons, et nous devons croître dans l’amour ; nous sommes un, et nous devons croître dans l’unité. L’expérience achève d’éclaircir ce mystère. Entre les enfants de Dieu qui vivent de nos jours, il y a assurément assez de liens communs et d’amour fraternel pour qu’on puisse reconnaître chez eux une certaine « unité d’esprit. » Et pourtant, qui ne sent qu’ils ne sont parvenus à cette entière « unité de foi et de connaissance du Fils de Dieu » que l’Apôtre leur souhaite dans notre verset ? Ce n’est même que par un effet de l’unité que nous possédons, que nous pouvons aspirer à l’unité qui nous manque. Nous sommes surpris que cette remarque ait échappé à Olshausen. Il ne saurait comprendre que l’Apôtre, qui a parlé au verset 3 de l’unité d’esprit comme d’une chose déjà obtenue, en parle au verset 13 comme d’une chose à obtenir ; ni surtout qu’il lui donne pour premier nom dans ce verset celui d’unité de foi, la foi étant la base et le commencement de toute vie spirituelle. Cette difficulté l’embarrasse à tel point qu’il a recours, pour y échapper, à une interprétation si étrange qu’elle nous paraît se réfuter d’elle-même. Pour lui, l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, c’est l’accord de la foi avec la connaissance, c’est-à-dire, comme il s’exprime lui-même, cet état d’âme où « la foi, par laquelle la vie chrétienne commence, ayant été élevée au rang de connaissance, la foi et la connaissance sont une. » C’est là éclaircir quelque chose de fort clair par quelque chose de fort obscur ; singulière faute, dont il semble qu’aucun commentateur ne puisse se préserver entièrement, et dans laquelle nous tombons probablement comme les autres, malgré notre sincère désir de nous tenir dans la simplicité. Dieu veuille nous y garder lui-même ! – Harless ne s’explique pas nettement sur ce qu’il entend par l’unité dans notre verset. Mais on dirait qu’il y voit le dernier terme du progrès individuel de chaque chrétien, et que ce mot est à peu près synonyme pour lui de perfection. Il est vrai que l’unité de tous dans la foi et la connaissance suppose chez chacun une foi et une connaissance parfaites5 ; mais l’unité n’est pourtant pas la perfection, outre que ce n’est pas, nous l’avons déjà remarqué, le progrès individuel, mais le progrès de l’Église qui fait le sujet de notre verset. Gerlach rend compte de la pensée de l’Apôtre en ces termes, qui nous satisfont complètement : « Tous les vrais chrétiens doivent devenir un dans la foi, et dans la connaissance, qui est le produit de la foi, en sorte que la communauté tout entière ressemble à un homme parfait, c’est-à-dire qui a atteint la pleine mesure de l’âge mûr. »
5 – Théodoret, expliquant 1 Corinthiens 1.10, s’exprime ainsi : « c’est-à-dire soyez parfaits, et pleinement d’accord sur tous les points. »
A l’état d’homme fait, à la mesure de l’âge de la plénitude de Christ. Littéralement, à l’homme parfait ; mais l’homme parfait, dans le langage original du Nouveau Testament, c’est l’homme arrivé à l’âge viril, par opposition à l’enfant (Hébreux 5.12 à 6.1 ; 1 Corinthiens 14.20, etc.). Ici encore, ce n’est pas l’individu, c’est l’Église qui est comparée à un homme parvenu à maturité, ou, comme s’explique notre Apôtre, à la mesure de l’âge de la plénitude de Christ. Le mot que nous rendons par âge peut se traduire aussi par stature ; mais nous préférons la première traduction, parce que c’est moins la taille que l’âge qui fait la maturité, et surtout une maturité spirituelle. Quant à ce que l’âge mûr du corps de l’Église est appelé l’âge de la plénitude de Christ, cela peut s’expliquer de deux manières : ou bien c’est l’âge complet, c’est-à-dire le plein développement spirituel, auquel Christ lui-même a atteint, et auquel nous, ses imitateurs, devons atteindre à notre tour ; ou bien c’est cet âge auquel il faut que nous atteignions (individu ou Église, ici c’est l’Église) pour avoir la plénitude de Christ habitant en nous. La première interprétation a été suivie par nos versions ; mais nous n’hésitons pas à nous prononcer pour la seconde, avec Harless, Olshausen, Gerlach6, etc.
6 – Si nous adoptions la première, nous entendrions aussi, par analogie, « la connaissance du Fils de Dieu, » de cette connaissance parfaite qui se trouve dans le Fils de Dieu (génitif du sujet, non de l’objet).
Ce qui nous y décide, ce sont les deux passages parallèles de notre épître 1.23, et 3.19, sur lesquels nous invitons le lecteur à relire nos notes, surtout sur 1.23. Là, comme ici, la plénitude de Christ est la réunion complète de toutes les perfections de Christ, telles qu’elles ont, été manifestées dans le corps entier de l’Église, tandis que dans 3.20, la plénitude de Dieu est la réunion complète des perfections divines, telles qu’elles se manifestent dans l’individu chrétien. La plénitude de Christ (ou de Dieu, ou de Dieu en Christ, car c’est la même chose au fond), la plénitude de Christ dans l’Église suppose et renferme la plénitude de Christ dans chacun des membres dont l’Église se compose, c’est la plénitude des plénitudes.
L’état décrit dans ce verset est celui de la perfection absolue de l’Église. Nous ne disons pas de sa perfection céleste, car l’Apôtre ne nous paraît pas sortir de la vie présente, comme le supposent quelques commentateurs. On aurait peine à expliquer le mot foi s’il parlait de l’économie future où la foi sera changée en vue. A cet égard, nous entrons tout à fait dans la pensée de Harless, qui s’exprime ainsi : « Les uns, Théodoret, Calvin, etc., entendent ceci d’un but à atteindre dans la vie future ; et les autres, saint Jérôme, Luther, etc., d’un but à atteindre dans la vie présente. Il me paraît également incontestable que les uns et les autres ont raison, et que ni les uns ni les autres n’ont raison d’une manière absolue. L’Apôtre propose ce but à la communauté chrétienne, comme un but à poursuivre ici-bas ; mais si ce but sera atteint ou non ici-bas, c’est ce dont il ne s’explique pas. » Ce passage n’est donc pas de ceux qui peuvent servir d’argument, dans un sens ou dans l’autre, dans la controverse du calvinisme avec le wesleyanisme sur la sanctification parfaite. Au reste, c’est en vue de cet état de perfection décrit dans notre verset qu’a été choisie la conjonction jusqu’à ce que, par laquelle il commence ; au lieu que le verset suivant commence par afin que. C’est que, dans les versets 14-16, l’Apôtre traitera du but actuel, et susceptible d’être immédiatement atteint, du ministère évangélique, l’accroissement collectif du corps de l’Église ; tandis qu’ici il a traité du but final et éloigné, la pleine maturité de son développement et la parfaite unité qui en sera le fruit. La conjonction jusqu’à ce que est ici d’autant mieux en sa place qu’en même temps qu’elle montre le but dans le lointain, elle fait pressentir aussi qu’une fois ce but atteint, le ministère de la parole aura fait toute son œuvre, et qu’il cessera (1 Corinthiens 13.8-12) pour faire place à l’enseignement de Dieu seul (Apocalypse 22.8).
Afin que nous ne soyons plus de petits enfants ballottés et emportés par tout vent de doctrine. On comprend, d’après ce que nous venons de dire, que la conjonction afin que se rattache, non à la pensée du verset 13, mais à celle des versets 11 et 12. Parvenir à la pleine maturité pour n’être plus enfant et pour croître, cela n’a pas de sens. On ne devient pas homme fait pour croître ; mais on croît pour devenir homme fait. Le développement mentionné dans les versets 14-16 précède, dans l’ordre du temps, la perfection mentionnée dans le verset 13. Dieu a institué le ministère de la parole (verset 11) pour l’édification du corps de Christ (verset 12), afin qu’en attendant qu’il ait atteint sa pleine maturité (verset 13) il croisse en Jésus-Christ (verset 14), duquel il tire sa vie (verset 15) : tel est l’ordre des pensées de l’Apôtre.
L’Apôtre parle à la première personne. Tout apôtre qu’il est, il n’a garde de se séparer de l’Église, surtout ici où il veut faire ressortir la vie commune de l’Église et l’unité que le Seigneur y maintient dans la diversité de ses dons, et par cette diversité même. Le nous, ainsi adopté par l’Apôtre, n’a rien qui étonne au verset 13, puisque l’unité de tous les enfants de Dieu dont il y est question ne dépend pas de la perfection personnelle de saint Paul ; ni même au verset 15, puisque saint Paul ne se flattait pas d’avoir atteint cette perfection personnelle ; mais on est surpris de lui entendre dire au verset 14 : « Afin que nous ne soyons plus des enfants. » Évidemment, on ne doit pas conclure de là que saint Paul reconnaisse n’être personnellement qu’un enfant (Philippiens 3.15). Pour lui, le but indiqué dans le verset 14 a déjà été atteint ; mais il ne l’a pas été pour tous ses frères. Et d’ailleurs, une fois la première personne adoptée, on conçoit qu’il continue de s’en servir jusqu’à la fin de son développement, sans qu’il faille en presser l’emploi dans les moindres détails.
L’état du petit enfant, image en d’autres endroits de la simplicité et de la docilité, l’est ici de la mobilité et de la faiblesse ; dans 1 Corinthiens 3.1, et 14.20, il est opposé à la maturité et à la fermeté de l’homme fait. Le petit enfant est ouvert à toutes les impressions, et semblable à un frêle esquif que les vagues et les vents ballottent çà et là ; ce qui est doublement périlleux dans un monde tel que celui où nous vivons et où nous sommes constamment exposés à la tromperie (littéralement la jonglerie ou la tricherie) d’hommes exercés dans l’art de séduire et d’égarer les âmes. (Rapprochez Hébreux 13.9 ; Jacques 1.6.) Nous traduisons le dernier mot du verset égarement plutôt qu’erreur, parce que le terme grec renferme l’idée, non pas d’une opinion fausse seulement, mais d’un égarement criminel et immoral loin de la vérité. Il est employé 1 Thessaloniciens 2.3 ; 2 Thessaloniciens 2.11 ; 1 Jean 4.6 ; Jacques 5.20, etc.). On pourrait traduire encore séduction, comme dans Matthieu 27.64.
Mais qu’étant vrais dans l’amour. Le verbe grec que nous traduisons étant vrais signifie proprement dire vrai. Nous pensons que saint Paul lui donne dans cet endroit un sens plus étendu, celui de demeurer fidèle à la vérité et de s’y tenir fermement attaché. C’est une liberté que les auteurs prennent quelquefois, lorsque la signification un peu nouvelle qu’ils prêtent à un mot est d’ailleurs conforme à l’étymologie7, et suffisamment éclaircie par le contexte, comme elle nous paraît l’être ici. Harless s’en tient à l’acception commune, dire vrai, être sincère, par opposition à la séduction de l’égarement dont il est parlé à la fin du verset précédent. Mais il me paraît n’avoir pas considéré que la disposition ici recommandée par l’Apôtre, est opposée, non à la conduite de ces séducteurs qui égarent les âmes en parlant contre la vérité, mais à celle des enfants qui se laissent gagner à la séduction, et qu’elle doit marquer, par conséquent, non la sincérité du discours, mais la fermeté dans la vérité. Olshausen a traduit : « être, ou marcher dans la vérité ; » et nous adopterions volontiers cette traduction. Les mots qui suivent, dans l’amour, c’est-à-dire dans cet amour qui unit les chrétiens entre eux, comme il les unit à Jésus-Christ, nous rappellent, ici comme dans la fin du verset suivant, que le corps de Christ ne peut prospérer et croître que dans l’unité et dans l’amour fraternel, pensée essentielle dans le développement de l’Apôtre et qu’il ne perd pas de vue un moment. Olshausen et Harless en jugent autrement ; et au lieu de rattacher, comme nous le faisons avec les versions reçues, le complément dans l’amour au verbe qui précède, ils le lient à celui qui suit ; Olshausen : « qu’étant dans la vérité, nous croissions à tous égards dans l’amour, en lui, etc. ; » Harless : « qu’étant sincères, nous croissions à tous égards dans l’amour pour lui, etc. » Nous pensons que cette dernière construction doit être décidément rejetée, soit à cause de sa difficulté grammaticale, soit parce que l’amour que nous devons à Jésus-Christ n’est pas le point capital du développement de l’Apôtre. La construction d’Olshausen, qui ne change rien au fond de la pensée, nous déplairait moins ; mais il nous semblerait également étrange que le verbe étant vrais fût seul et sans complément, et que le verbe croître en eût un si grand nombre.
7 – Les Septante se sont servis du même verbe en traduisant les derniers mots de Proverbes 31.3, qui signifient : « pratiquer la justice, » ou « faire ce qui est droit. »
Que nous croissions à tous égards en celui qui est la tête, Christ. Comme les mots dans l’amour marquent le rapport de notre accroissement avec nos frères, les mots en lui en marquent le rapport avec Jésus-Christ, double rapport des membres entre eux et des membres à la tête, qui fait le fondement de l’unité chrétienne. Littéralement, on devrait traduire, si on le pouvait, vers lui (anglais : into him) ; la préposition ici employée contrastant avec celle qui l’est au commencement du verset suivant, de lui (from him). L’une marque que c’est vers lui que tend notre accroissement, l’autre que c’est de lui qu’il procède ; comme on pourrait dire que le développement des membres du corps part de la tête et aboutit à la tête. Une troisième préposition, en lui (in him), employée ailleurs, marquerait que c’est en Christ que notre accroissement s’accomplit. « De lui, par lui et pour lui (littéralement, vers lui) sont toutes choses » (Romains 1.36). Au reste, le mot saillant du verset est celui-ci : que nous croissions, par opposition à des chrétiens qui demeureraient dans l’état d’enfance et de fluctuation.
Duquel tout le corps, etc. Rapprochez de ce verset 1 Corinthiens 12.14 et suivants, et surtout Colossiens 2.19, parallèle qui jette du jour sur notre verset (« un accroissement de Dieu, » c’est un accroissement qui a son principe en Dieu).
Lié et uni ensemble : image tirée de ces parties voisines du corps qui s’engagent les unes dans les autres, par où elles se tiennent et s’affermissent réciproquement. L’idée d’ordre paraît exprimée par le premier des verbes ici employés, et l’idée de force par le second. Toutefois cette distinction ne paraît pas à Harless suffisamment démontrée.
Par toutes les jointures de communication8 : sont-ce les jointures par lesquelles la tête communique aux membres les principes de la vie ? ou par lesquelles les membres se les communiquent les uns aux autres ? A choisir, nous nous déciderions, avec Harless, pour le premier sens ; mais nous les admettons l’un et l’autre à la fois, parce que cette double transmission a lieu, et dans le corps humain, et dans le corps, de Christ. Le mot que nous traduisons communication signifie une communication abondante (2 Pierre 1.5 avec 8) et s’emploie plus spécialement de la communication du Saint-Esprit (Galates 3.6 ; Philippiens 1.19 ; 1 Pierre 4.11 avec 2 Pierre 1.11).
8 – Ou d’entretien. Nous traduirions Colossiens 2.19 : « duquel tout le corps, par les jointures et les liaisons, étant entretenu (ou pourvu) et uni ensemble, s’accroît d’un accroissement de Dieu. »
Selon la force qui est dans la mesure de chaque partie. Tous les membres du corps ne reçoivent pas, dans ce commun développement, le même degré de force et de croissance ; chacun en reçoit ce qui lui est nécessaire, en proportion des fonctions qui lui sont échues. De même dans l’Église, chaque membre de Jésus-Christ est partagé, dans la distribution des grâces du Seigneur, selon la position qu’il occupe dans l’Église et l’œuvre qui lui est confiée.
Opère l’accroissement du corps.. Il eût suffi de dire son accroissement ; mais les mots du corps préviennent toute équivoque et rappellent que c’est de l’accroissement de tout le corps qu’il s’agit, non de celui de telle ou telle partie ; en même temps que les mots dans l’amour, qui terminent cette belle description, nous rappellent que cet accroissement général s’opère dans l’unité et dans l’amour fraternel. « Le but, dit Harless, est le progrès de l’ensemble, et ce but ne saurait être atteint par l’égoïsme ; il ne l’est que par l’amour, qui sent aussi bien le besoin général que son besoin personnel et qui, loin de faire servir à diviser les membres par la jalousie ce que Christ leur dispense pour les unir (1 Corinthiens 12.7), se montre également disposé à transmettre ce qu’il possède et à recueillir ce qui lui manque. »
Quelques autorités critiques considérables lisent chaque membre au lieu de chaque partie. Cette variante n’affecte en rien la pensée ; mais il vaut mieux, à tout prendre, garder la leçon reçue.