« Maintenant, Seigneur, tu laisses aller ton serviteur en paix, selon ta parole ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé pour être, à la face de tous les peuples, la lumière qui doit éclairer les nations, et la gloire de ton peuple d’Israël. »
Pour beaucoup de gens, Noël est surtout la fête des enfants. Comme c’est un enfant qui en est le héros, on a l’air de penser que c’est surtout les enfants qu’elle intéresse. On allume pour eux des arbres de Noël ; on leur fait des cadeaux ; on leur montre dans les clartés de cette fête une image de la lumière du ciel, dans les joies de famille un avant-goût de la joie du salut. Tout cela est excellent, et conforme à la pensée de Jésus, l’ami des enfants. Soyons fidèles à ces pieuses et aimables traditions, et faisons en sorte que cette année, nos tristesses et nos anxiétés ne privent pas tout à fait nos enfants de la joie de Noël. Toutefois, si Jésus est l’ami des enfants, il est surtout le Sauveur des hommes qui, étant plus coupables, ont encore plus besoin de sa grâce que les enfants. Tout l’Evangile l’atteste. Dans les récits mêmes qui se rapportent à l’enfance de Jésus, les enfants ne jouent qu’un rôle secondaire. Je pense à ces involontaires, mais touchants petits martyrs du Christ que le cruel Hérode fit égorger à Bethléem. Les bergers à qui l’ange annonça la naissance du Sauveur étaient vraisemblablement de jeunes hommes ; les mages, ces savants et ces astronomes venus de l’Orient, étaient à coup sûr des hommes faits. Mais il y a place aussi pour les vieillards dans cette histoire. Elle contient un épisode qui est comme le triomphe des vieillards, je veux parler de la présentation de Jésus au temple de Jérusalem. Là, un vieil homme et une vieille femme, Siméon et Anne, discernent et reconnaissent, par la direction du Saint-Esprit, dans l’enfant que porte entre ses bras la Vierge Marie, le Christ promis par les prophètes. Leur foi est expansive, leur témoignage précis, leur joie débordante ; c’est comme un printemps spirituel qui éclôt et fleurit chez eux parmi les glaces de l’âge. Permettez à un vieillard, mes frères, de s’adresser à ses pareils et de les encourager par ces exemples, par celui de Siméon en particulier. Cherchons s’il n’y a pas une expérience religieuse décisive qui nous manque, comme elle manquait à ce pieux vieillard, et que Dieu nous appelle à faire aujourd’hui. Aujourd’hui, ai-je dit, car, pour nous plus que tout autre, c’est aujourd’hui ou jamais. Comme, au jour de sa présentation, Jésus était dans le temple de Jérusalem, il est dans ce temple ; il vient et il s’offre à nous aujourd’hui ; ne laissons pas échapper le bienfait de cette bienheureuse et providentielle rencontre qui, comme à Siméon, nous apporte le salut.
Ce fut un événement décisif, singulièrement bienfaisant et salutaire, de la vie morale et religieuse de Siméon, que celui qui s’accomplit dans le temple de Jérusalem, au moment où nous transporte notre récit ; jugez-en par son action de grâces si pleine d’élévation et d’émotion : « Seigneur, tu laisses aller ton serviteur en paix, car mes yeux ont vu ton salut. » En quoi consiste cet événement ? Je l’ai déjà dit : ce fut une rencontre personnelle avec le Christ. Jusque-là, le saint vieillard croyait en celui qui devait venir, et l’attendait de toute son âme ; maintenant il croit au Christ déjà venu, déjà donné ; il sait qui est le Christ. Pourtant, il n’a pas entendu ses paroles de vie éternelle ; il n’a pas été témoin de ses œuvres, comme le seront plus tard ses disciples. A quel signe l’a-t-il reconnu ? Bien sûr, son front n’était pas ceint d’une auréole qui l’eût désigné au premier venu, comme le représentent la plupart des peintres. Y avait-il sur ses traits d’enfant comme un sceau de pureté et de majesté, dans son regard je ne sais quelle profondeur divine ? Quoi qu’il en soit, l’Esprit qui avait conduit Siméon au temple lui dit, dès qu’il eut aperçu le petit enfant : c’est lui ! L’homme de Dieu discerna le Christ dans l’enfant Jésus comme on voit un fleuve dans sa source, un arbre dans son germe. Pour lui, ce petit enfant est celui qui apporte le salut ; il est donc le Sauveur. Il est Celui dont Dieu a préparé la venue pendant des siècles ; il est donc l’instrument des desseins de miséricorde de Dieu envers les hommes. Il sera la gloire d’Israël et la lumière des nations ; c’est donc le genre humain qu’il est venu sauver. Par quel moyen, à quel prix ? ici surtout la sûreté et la hauteur des vues de Siméon nous étonne ; il a comme une vision de la croix. Puisqu’il annonce que le Christ sera contredit et qu’une épée transpercera le cœur de sa mère, il pressent que c’est par ses souffrances et par sa mort que le Christ accomplira son œuvre. J’ajoute que Siméon s’approprie déjà par la foi le fruit de cette œuvre. Non seulement il contemple en Jésus le Sauveur du monde, mais il sait qu’il possède en lui son Sauveur. Il le reçoit dans son cœur, en même temps qu’il le reçoit dans ses bras. Les parents de l’enfant vont l’emmener loin du temple et probablement Siméon ne le reverra plus ici-bas, mais il pourrait déjà s’écrier comme saint Paul : « Rien ne me séparera de l’amour du Christ. »f
f – Romains 8.35.
On pourrait dire que pour chaque disciple de Jésus, il y a eu ou il y aura une rencontre personnelle et décisive avec lui et qu’on y retrouve, plus ou moins développés, les trois traits que nous venons de constater : foi en Jésus comme au Sauveur du monde ; vision de sa croix ; appropriation personnelle de son salut. Je fais appel aux souvenirs et aux expériences des chrétiens qui m’entendent. Vous aviez entendu parler de Jésus, mon frère ou ma sœur ; vous aviez depuis votre enfance l’exacte connaissance de son Evangile ; vous en admettiez la vérité ; mais vous n’en aviez pas encore éprouvé la vertu. Un certain jour (jour béni et providentiel !) une parole de Dieu, ou prononcée dans la chaire chrétienne, ou s’offrant à vous dans la lecture de nos saints livres, a trouvé le chemin de votre cœur et de votre conscience. Ce jour-là, comme Siméon dans le temple de Jérusalem, vous êtes entré en relation personnelle avec Jésus ; après avoir longtemps prié avec angoisse et prié en vain, vous semblait-il, un apaisement s’est fait, une lumière divine a commencé de pénétrer dans votre âme. Comme à Siméon aussi, Jésus vous est apparu dans sa gloire divine, comme celui qui apporte le salut aux individus et aux nations. Tel Siméon encore, vous avez eu comme une vision de la croix et vous en avez senti l’attrait ; la rédemption par le sang versé du Sauveur, qui peut-être avait été pour vous jusque-là un objet de doute et de scandale, vous est devenue inexprimablement chère et précieuse, tout en conservant ses obscurités. Comme pour Siméon enfin, Jésus est devenu pour vous, non plus seulement le Sauveur du monde, mais votre Sauveur ; non sans tremblement peut-être, mais déjà avec reconnaissance et avec un commencement de foi, vous vous appropriez ces belles paroles : « Tu laisses maintenant aller ton serviteur en paix, car mes yeux ont vu ton salut. »
Quant à vous, qui n’avez rien éprouvé de semblable, et pour qui les expériences religieuses d’autrui sont plutôt un sujet d’inquiétude et d’envie ; vous en particulier, à qui je m’adressais en commençant, chers vieillards qui, après des années de profession, de pratique, ou en tout cas de bonne réputation religieuse, n’osez pas tout à fait vous croire et vous déclarer chrétiens, vous avez du moins ce sentiment douloureux que quelque chose vous manque, et que ce quelque chose est l’essentiel. Ce n’est rien moins qu’une rencontre personnelle avec Jésus-Christ, comme celle qui fut accordée à Siméon dans le temple. Dieu, qui a préparé et donné Jésus-Christ exprès pour qu’il devînt le Sauveur de tous et par conséquent le vôtre, est tout prêt à vous accorder cette grâce ; et jamais occasion plus propice ne vous fut offerte que ce jour de Noël, rendu plus solennel et plus émouvant que jamais par notre affliction, qui est celle du monde entier. Pour achever de former ou d’accroître en vous et le désir du salut, et la capacité de le recevoir, considérons de plus près quelles furent pour Siméon les conséquences bénies de sa rencontre avec Jésus.
La bienheureuse rencontre de Siméon avec Jésus dans le temple de Jérusalem fut pour lui le couronnement et l’aboutissement du passé, d’abord de tout le passé d’Israël, puis de son propre passé, de sa vie personnelle, qui tendait tout entière, pour ainsi dire, vers ce moment et vers cette grâce. Avec quelle émotion ne dut-il pas se dire, tandis qu’il tenait le petit enfant et qu’il l’élevait dans ses bras : voici Celui que Dieu avait promis et que l’humanité attendait ! Voici la postérité de la femme qui écrasera la tête du serpent ! Voici la semence bénie d’Abraham, qui sera en bénédiction à toutes les familles de la terre ! Voici le roi, fils de David et fils de Dieu, dont la domination n’aura point de limites, ni quant à l’étendue, ni quant à la durée, ni quant à la perfection ! Voici celui qu’Esaïe appelait « Emmanuel, Dieu avec nous », et Jérémie : « l’Eternel, notre justice. »g Et voici ce Serviteur de l’Eternel dont la meurtrissure sera notre guérison et qui portera nos iniquités pour les effacer et les expier. Sur la tête de ce petit enfant reposent toutes les espérances du genre humain ; aussi vrai que Dieu est vivant, il n’est pas possible que ces espérances soient anéanties ; celui que Dieu vient de donner au monde réalisera sa sublime vocation et accomplira son œuvre tout entière.
g – Ésaïe 7.14 ; Jérémie 23.6.
De ces aspirations du genre humain, dont je viens de parler, et en particulier de celles du peuple d’Israël, Siméon est comme l’incarnation vivante. Nul Israélite n’est plus fidèle que lui, nul ne craint Dieu et n’observe ses commandements avec plus de sincérité ; mais en même temps, il sent que quelque chose lui manque. Il est sous l’ancienne Alliance, et il soupire après la nouvelle. Il est sous la loi, et la loi ne lui a pas procuré la justice. Nourri des prophéties, il est prophète lui-même. Certes, c’est un grand privilège d’attendre le salut ; mais il en est un plus grand, c’est de le voir et de le toucher. Voilà où tendent tous les vœux du saint vieillard. Et cela lui est promis ; Dieu lui a donné l’assurance qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le Christ. Dans la prière et dans la foi, Siméon n’a pas cessé d’attendre ce moment. Le voici venu enfin ! La fidélité de Dieu est justifiée ; le but de la vie de Siméon est atteint ; maintenant il peut mourir. Plusieurs d’entre vous, mes frères, – cette fois encore je m’adresse spécialement aux plus âgés – ne trouvent-ils pas dans leur expérience plus d’une analogie avec celle du pieux vieillard ? Comme lui, ils craignent Dieu. Ils l’ont connu en quelque mesure dès leur jeunesse ; ils ont reçu de lui de nombreux bienfaits ; ils ont tâché d’observer ses commandements. Mais à eux aussi, il manque quelque chose. Ils sont encore sous l’ancienne Alliance plutôt que sous la nouvelle, sous la loi plutôt que sous la grâce. Leur vie chrétienne a été jusqu’à ce jour plutôt un désir qu’une possession, plutôt une espérance qu’un accomplissement ; allons jusqu’au bout : plutôt une souffrance qu’une joie. Mais quelque chose leur dit qu’ils ne mourront point avant d’avoir reçu la grâce qui leur manque, avant d’avoir, eux aussi, vu et trouvé le Christ-Sauveur. Alors enfin la plus profonde aspiration de leur âme sera satisfaite ; alors le lent travail de préparation que l’Esprit de Dieu est en train d’accomplir en eux arrivera à son but et à son terme ; alors ils pourront mourir en paix. Mais il n’y a pas de bonne raison pour qu’ils attendent, comme Siméon, cette révélation de Dieu de jour en jour et d’année en année. Encore une fois, Jésus-Christ est déjà venu ; il est près de nous, riche et miséricordieux envers tous ceux qui l’invoquent. Si nous ne le voyons pas, c’est qu’un nuage d’incrédulité nous le cache. Oh ! que Dieu daigne le dissiper aujourd’hui !
En même temps que l’admirable révélation accordée à Siméon dans le temple fut pour lui l’aboutissement et le couronnement du passé, elle fut aussi la garantie d’un bienheureux et éternel avenir. Avant d’avoir vu Jésus, Siméon aurait craint de mourir, parce que la promesse que Dieu lui avait faite n’était pas encore accomplie. Maintenant, il peut s’en aller en paix. Je n’oublie pas qu’il appartient à l’ancienne Alliance, c’est-à-dire à une époque où la vie et l’immortalité n’étaient pas encore, ou n’étaient que très imparfaitement manifestées. Mais, s’il appartient encore à l’ancienne Alliance, il touche à la nouvelle. Il est pareil à un sommet couvert de neige que font resplendir les rayons du soleil levant. Chacun des mots qu’il prononce dans le temple est un témoignage de son espérance. « Tu laisses aller ton serviteur », dit-il ; s’il est le serviteur de Dieu, comment pourrait-il périr ? – « Tu laisses aller ton serviteur » …, où ? Non pas dans le néant, sans doute, mais dans le repos que Dieu a préparé à ses serviteurs. C’est pourquoi le pieux vieillard ajoute : « Tu laisses aller ton serviteur en paix. » Grâce au Sauveur qui lui est donné, qu’il tient dans ses bras, Siméon est maintenant en paix avec Dieu ; comment pourrait-il être séparé de son amour ? — « Car mes yeux ont vu ton salut. » Ce salut serait-il seulement pour la vie présente ? S’achèverait-il à la mort ? N’est-il pas plutôt la victoire sur la mort, le don et le commencement d’une bienheureuse éternité ? C’est jusque-là que va l’espérance de Siméon.
La vôtre, mes frères, doit ou devrait dépasser de beaucoup la sienne. Car nous avons les paroles de vie éternelle que Jésus-Christ a prononcées ; nous avons sa glorieuse résurrection, qui est la démonstration de la vie future et céleste et son triomphe complet sur la mort ; nous avons les sublimes déclarations des apôtres touchant la participation de tous les croyants à la vie, à la sainteté, à la gloire, à la royauté du Christ ; nous avons la révélation du ciel dans l’Apocalypse… Sommes-nous donc prêts, comme Siméon et plus que Siméon, à nous en aller en paix ? Est-ce qu’en ce jour de Noël notre joyeuse action de grâces fait écho à la sienne ? S’il n’en est pas ainsi, ou si du moins quelque chose manque à notre espérance et à notre assurance, ce n’est pas que la révélation de Dieu manque de clarté ; elle nous a été donnée bien plus complètement qu’au vieil Israélite : il n’avait devant lui que l’enfant de Bethléem, nous avons le Christ ressuscité et vivant au siècle des siècles. Si donc il ne nous suffit pas, comme il suffisait à Siméon, c’est que nous ne l’avons pas reçu comme lui de tout notre cœur ; c’est que cette rencontre personnelle et décisive avec le Sauveur – qui est le principal sujet de notre méditation de ce jour – n’a pas encore eu lieu pour nous. Il faut que nos yeux, comme ceux de Siméon, s’ouvrent pour le voir et pour voir en lui le don de Dieu ; que nos bras s’ouvrent pour le recevoir ; que nos cœurs s’ouvrent pour l’aimer ; que nos bouches s’ouvrent pour le bénir et en même temps pour prendre et pour manger ce Pain de vie qui est Jésus-Christ lui-même, et qui nous est offert aujourd’hui dans la Sainte-Cène. A ce prix seulement, nous pourrons nous en aller en paix quand Dieu nous appellera ; et quelques-uns d’entre nous ne peuvent se dissimuler qu’en ce qui les concerne, cet appel ne peut être que tout proche.
Enfin la révélation que Siméon reçut dans le temple fut pour lui le point de départ d’une immense et magnifique espérance, non plus seulement pour lui-même, mais pour son peuple et pour le genre humain. Son exemple nous montre à la fois combien la préoccupation du salut personnel est légitime, et combien il est impossible que l’enfant de Dieu s’en contente et s’y absorbe tout entier. S’il est sauvé, il ne peut faire autrement que d’avoir faim et soif du salut des autres ; s’il connaît le Christ, son plus grand désir sera de le voir devenir roi des âmes et de l’univers. Telle est bien, non seulement l’ambition de Siméon, mais aussi sa ferme espérance et sa certitude prophétique. Après avoir dit : « Mes yeux ont vu ton salut », il ajoute : « Que tu as préparé pour être représenté à tous les peuples, lumière qui doit éclairer les nations, et gloire de ton peuple d’Israël. » Ce qui prouve l’élévation et la largeur des vues messianiques de Siméon, c’est que dans ses paroles, le salut des nations est mentionné en première ligne. Le genre humain est le but, Israël est le moyen ; or le but est plus que le moyen. Jésus-Christ est donc avant tout, pour le saint vieillard, la lumière qui doit éclairer les nations. La comparaison de son avènement avec le lever du soleil s’impose en quelque sorte ; Zacharie, le père de Jean-Baptiste, l’emprunte au prophète Esaïe. Siméon la reproduit sous une forme brève, et Jésus lui-même dira à son tour : « Je suis la lumière du monde. »h Comme celle du soleil, cette lumière ira grandissant jusqu’à son midi, c’est-à-dire « jusqu’à ce que la terre soit couverte de la connaissance de l’Eternel, comme le fond de la mer de ses eaux, »i comme s’exprime le prophète Esaïe ; ou « jusqu’à ce que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père, »j pour parler avec saint Paul. Quel amour et quelle reconnaissance ne devons-nous pas aux Missions qui sont en train de réaliser cette prophétie ! Siméon n’en est pas moins un bon patriote et un fervent Israélite. Il n’oublie pas que Celui qui est la lumière des nations est aussi la gloire d’Israël. Il est la gloire du peuple élu, parce qu’il lui appartient, parce que le salut vient des Juifs, et parce que Jésus reproduit et réunit en sa personne, en le portant à la perfection, tout ce qu’il y a eu de grand et de beau en Israël, depuis la foi d’Abraham jusqu’à l’héroïsme des prophètes. Oh ! quand ce noble et malheureux peuple ouvrira-t-il les yeux pour connaître enfin celui qu’il a rejeté et qu’il a percé, et qui est pourtant sa gloire !
h – Jean 8.12 ; 9.5.
i – Ésaïe 11.9.
j – Philippiens 2.11.
Et nous, mes frères, nous unissons-nous de cœur à ces belles paroles de Siméon ? Saluons-nous avec enthousiasme, en ce jour de Noël, l’avènement de Celui qui est la lumière des nations et la gloire d’Israël ? S’il y a chez nous de la froideur et de l’hésitation, ne serait-ce pas parce que nous n’avons pas fait l’expérience religieuse qui faisait déborder de joie le cœur du vieillard, le jour où il vit Jésus ? Mais je vous entends. Il n’est que trop vrai, dites-vous, que notre foi et notre piété personnelle ont de grandes lacunes ; mais il y a autre chose encore qui nous paralyse et qui arrête l’action de grâces sur nos lèvres. Comment nous livrer à la joie, comment proclamer sans arrière-pensée la grandeur et l’universalité du salut, alors que les événements semblent démentir la prophétie de Siméon ? alors que sur la terre, c’est la guerre qui règne et non pas la paix ? alors que l’harmonie de l’hymne angélique paraît étouffée par les cris de colère et de douleur qui retentissent d’un bout à l’autre du monde civilisé ? Hélas ! le fait n’est que trop réel, et il est affligeant au-delà de toute expression ; mais il n’est pas nouveau. Il revient à ceci : si la venue du Christ est une source inépuisable de reconnaissance et de joie, l’accueil que lui fait le monde est la plupart du temps un sujet d’humiliation et de tristesse. Cela, Siméon l’a déjà compris. Il annonce positivement que Celui qui apporte et personnifie le salut sera en butte à la contradiction et que, s’il est une occasion de relèvement pour les uns, il sera une occasion de chute pour les autres, afin que les pensées du cœur de chacun soient découvertes. Mais cette mélancolique perspective n’empêche pas le vieux prophète de se réjouir, de bénir Dieu, de croire de tout son cœur en Jésus, comme étant la lumière des nations et la gloire d’Israël. Bien plus : il entrevoit, comme nous l’avons déjà expliqué, que la contradiction même dont Jésus sera l’objet servira les desseins de Dieu et provoquera de la part du Messie le sacrifice qui sauvera le monde. Entrons dans ces pensées, mes frères, et suivons jusqu’au bout l’exemple de Siméon. Comme lui, tandis que nous célébrons en ce jour de Noël la naissance de Jésus-Christ, nous souffrons de l’opposition violente, non plus future, mais présente, soulevée contre lui, et l’on pourrait dire qu’une épée nous transperce l’âme. Nous voyons en effet notre Sauveur compromis, déshonoré, crucifié à nouveau par des chrétiens de profession, comme il n’a pu l’être ni par les païens, ni par les Juifs. Ni Pierre, qui l’a renié, ni Judas, qui l’a trahi, ni Caïphe, qui l’a condamné, ni le misérable valet qui l’a souffleté, n’ont outragé le Seigneur Jésus plus gravement que les auteurs responsables de la guerre, je veux dire l’empereur d’Allemagne et ses conseillers, qui s’efforcent de le rendre complice de leurs crimes et qui couvrent de son nom et du nom de son Père l’attentat inouï qu’ils ont commis contre l’humanité. Qui parle de la faillite du christianisme ? Ce qui fait notre malheur et celui du genre humain, ce qui nous tue, ce n’est pas le christianisme, c’est l’anti-christianisme, d’autant plus odieux qu’il prend des dehors religieux et qu’il usurpe un langage chrétien. Car c’est l’orgueil et l’esprit de domination qui ont préparé et voulu la guerre actuelle, et Jésus, c’est l’humilité même ; c’est le nationalisme aveugle qui exalte un seul peuple au mépris et au détriment de tous les autres, et Jésus est, à titre égal, le frère de tous les hommes et le Sauveur de toutes les nations ; c’est l’inhumanité et la haine, et Jésus n’a jamais commandé et pratiqué que l’amour ; c’est la concurrence brutale et meurtrière entre les Etats, et la société que Jésus est venu constituer est celle où chacun se fait par amour, le serviteur de ses frères. Loin donc que la guerre actuelle doive nous faire douter de l’Evangile, elle doit nous ramener d’un christianisme officiel et mensonger au christianisme primitif et authentique ; elle doit nous jeter, au nom de toute la grandeur de nos souffrances et de toute la véhémence de nos indignations, dans les bras de Celui qui seul peut nous délivrer de la haine et nous garantir contre la tyrannie païenne de la force matérielle et de la culture sans entrailles, en nous apprenant à nouveau le secret et en nous communiquant la puissance de l’amour. Comme Dieu a fondé son royaume par la croix du Christ, il peut, par les désastres de la guerre actuelle, amener un magnifique développement de ce royaume et un renouveau inattendu de la foi. Si nous ne pouvons pas, par nous-mêmes et tout de suite, produire ces beaux résultats de la crise actuelle, nous pouvons les solliciter et les hâter par une prière croyante et persévérante. Et nous pouvons dès aujourd’hui pour notre propre compte, comme Siméon, recevoir le Sauveur et le salut, ou pour la première fois, ou pour la centième, mais cette fois d’une façon complète et définitive ; prendre Jésus-Christ dans nos mains, en quelque sorte, avec le pain et le vin de la Sainte-Cène ; surtout lui ouvrir nos cœurs, pour qu’il les éclaire de sa lumière, qu’il les purifie par sa grâce, qu’il y règne à jamais et qu’il fasse de nous les collaborateurs de son règne.
Amen.
Petit-Temple, Noël 1915.