La sainteté de Jésus-Christ. — Son plan. — Son royaume n’est pas de ce monde, tout en étant un véritable royaume. — Il met une sainte prudence à voiler et à manifester son œuvre et sa personne. — Il s’appelle le Fils de l’homme. — Il fonde le royaume par sa mort. — C’est le royaume promis à Israël, mais embrassant le monde entier.
Cette grande victoire, que la sainte fermeté du Seigneur Jésus remporta sur le tentateur, fut l’épreuve de sa liberté à l’égard du péché. Sa marche était une croissance de lumière en lumière, sans être jamais un retour des ténèbres à la lumière ; sa croissance, c’était la sainteté arrivant à sa parfaite maturité, et nullement une sanctification conquise sur le péché. Nous, qui sommes souillés, comment pourrions-nous en parler dignement ? Comment reconnaîtrions-nous par nous-mêmes la possibilité de la sainteté sans tache ? Certes, celui qui n’admettrait d’autre norme que celle empruntée à notre corruption, devrait nier la possibilité d’une complète liberté à l’égard du péché.
Cela est vrai par rapport à nous, enfants d’Adam, et il importe que cette triste vérité nous humilie profondément. Mais nous aurions tort d’affirmer cela de l’homme tel qu’il sortit de la main de Dieu, et ce serait chose encore bien plus grave que de contester la sainteté à Jésus, le Fils de Dieu fait chair. Qui donc oserait prétendre qu’à l’origine l’homme n’avait pas le pouvoir de tomber ou de vaincre, et que le péché était inévitable ? Que celui-là voie s’il ne parle pas légèrement du péché (comme si ce n’était pas une chose abominable), et s’il ne blasphème pas contre le Créateur, en lui imputant la chute de sa créature. Si nous sommes obligés de considérer le premier homme comme exempt de la nécessité de pécher, bien qu’il pût être tenté, pour l’épreuve de sa liberté, l’Evangile déclare touchant Jésus, le Fils de l’homme, né de la femme sans être engendré par l’humanité, que, lui aussi, fut tenté comme nous en toutes choses, mais sans péché !
Il pouvait être tenté : c’est là ce que montre avec évidence le grand exemple que nous avons considéré précédemment. Notre souverain sacrificateur est à même de sentir, par une sympathie compatissante, comment le péché s’attaque au cœur de l’homme en cherchant à lui faire tourner en piège sa faiblesse et sa force. Mais, chez Jésus, la propre volonté n’inclinait en aucune manière du côté de la tentation, alors même que sa sainte nature était saisie de tristesse et d’angoisse au contact de la mort, il n’y avait pas en lui l’ombre d’une résistance à la volonté du Père : c’est là ce que l’Apôtre nous affirme par cette parole : Le Seigneur n’a point connu le péché (2 Corinthiens 5.21).
Mais, par quel moyen les témoins de sa vie pouvaient-ils arriver à cette certitude ? Sans doute sa conduite tout entière faisait l’impression d’une pureté immaculée ; ses ennemis même n’osaient l’attaquer ; ils ne parvenaient qu’à lui opposer des calomnies évidentes, jusqu’à pousser l’audace au point de faire consister son crime dans la sainte confession qu’il était le Fils de Dieu. Le gouverneur romain affirmait son innocence ; la femme de Pilate eut beaucoup à souffrir en songe au sujet de cet homme de bien, et le centurion confessa la profonde impression qu’avait produite sur lui ce saint supplicié. Mais que prouve tout cela ? On peut dire d’un homme de bien, condamné injustement, qu’il est mort innocent, sans lui reconnaître pour cela une sainteté immaculée. Comment des témoins comme ceux que nous venons de nommer, pouvaient-ils parler des profondeurs du cœur de Jésus ? Lorsque Jean-Baptiste exaltait cet Agneau de Dieu qui porte le péché du monde et qu’il refusait de baptiser le Saint, lorsque les disciples de Jésus lui rendaient le témoignage qu’il n’avait point commis de péché, et qu’aucune fraude ne s’était trouvée dans sa bouche, ils n’appuyaient pas tous ces témoignages sur ce que leurs yeux voyaient, comme il en serait du récit d’événements extérieurs. Loin de pouvoir observer la sainteté parfaite du Seigneur comme une de ses actions, ce n’est que par la foi qu’ils étaient à même de la comprendre. Car, qui est-ce qui connaît ce qui est en l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? Combien moins pouvaient-ils lire dans les profondeurs de l’âme de Jésus, si lui-même ne les leur découvrait !
Sa manière d’être leur faisait une impression profonde et continue ; toutefois, la suprême garantie qui leur confirmait la réalité de ce qu’ils contemplaient, ne pouvait leur être donnée que par le témoignage que Jésus se rendait à lui-même. C’est ainsi qu’il dit aux Juifs hostiles : Qui de vous me convaincra de péché ? et si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? (Jean 8.46) C’est du péché qu’il parle, et non d’une simple erreur, comme quelques-uns ont voulu comprendre cette parole. Parce qu’il est saint, ils doivent croire qu’il dit la vérité ; parce qu’il n’a pas commis de péché, ils ne doivent point non plus chercher de fraude dans sa bouche. Ou bien, me connaîtriez-vous un péché ? Il y a dans cette question, adressée à de haineux adversaires, une humilité faite pour fondre les cœurs.
Mais, après tout, de quel témoignage de tels hommes sont-ils capables ? Quand même leur hostilité les pousse à observer Jésus sans cesse, quand même leur malice leur donne à certains égards une vue pénétrante, que prouvera en une chose si sainte la réponse, ou même le silence de tels hommes ? Ils ne peuvent l’accuser d’un péché ; mais savent-ils tout ? Ont-ils été sans cesse auprès de lui ? Pouvaient-ils lire dans son cœur ? Aussi bien n’est-ce pas dans la réponse de ses adversaires, ou dans leur silence ; mais c’est dans la question du Seigneur que gît le témoignage. Il ne pouvait la poser qu’à la condition d’y faire lui-même, dans le fond de sa conscience, la même réponse que celle qu’impliquait le silence involontaire de ses adversaires. Comment le meilleur des fils d’Adam pourrait-il adresser une telle question aux pécheurs les plus grossiers ? Jean, le disciple que Jésus aimait, écrit ces paroles : Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous, et même nous faisons le Dieu de sainteté menteur (1 Jean 1.8.10). La question de Jésus serait donc un blasphème, s’il avait eu dans le secret du cœur la conscience d’un péché ; et ce blasphème serait en même temps une folie téméraire, car quelle est la chose secrète qui n’est pas découverte ? Quelle est la racine qui pourrait se cacher, sans que tout à coup un germe se fît jour ?
Cette question du Seigneur est elle-même la réponse la plus puissante, si nous la rattachons à cette impression d’une sainteté parfaite que produisent sur nous la parole et la vie de Jésus. Toute sa manière d’être prouve qu’il cherchait uniquement la volonté du Père (Jean 5.30) ; qu’il trouvait la nourriture de son âme en faisant la volonté de Celui qui l’avait envoyé, et en achevant son œuvre (Jean 4.34) ; qu’il pouvait en toute vérité résumer l’œuvre de sa vie par ces paroles : Père, je t’ai glorifié sur la terre, et j’ai achevé l’œuvre que tu m’avais donnée à faire (Jean 17.4). Tandis qu’il dit aux hommes : Vous qui êtes mauvais (Matthieu 7.11), il se pose vis-à-vis d’eux comme celui qui n’est pas mauvais, mais qui est au contraire venu pour accomplir la loi et les prophètes (Matthieu 5.17 et suiv.). Il enseigne à ses disciples à prier chaque jour : Pardonne-nous nos péchés ; mais, lui-même, il ne prie pas ainsi. Pas une seule de ses prières n’exprime l’humiliation du pécheur et la recherche du pardon, tandis que les plus purs de ceux qui ont été purifiés de leurs péchés, ont la connaissance la plus approfondie de ce monde d’iniquité qui remplit le cœur naturel de l’homme. Quant à lui, il prie comme le Saint de Dieu, qui sait que son père l’exauce toujours.
Les paroles adressées au jeune homme riche rendraient-elles témoignage contre sa liberté à l’égard de tout péché ? Ce jeune homme lui avait dit : Bon maître, que dois-je faire de bon, pour avoir la vie éternelle ? A cette question, le Seigneur répond par cette autre question : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul. » Par conséquent, il ne devrait pas être dit de lui-même qu’il est bon, mais seulement de Dieu ? En effet, cela ne doit pas être dit de lui, à la manière dont le disait le jeune homme ; il ne doit pas l’appeler bon en vertu de cette opinion d’après laquelle il lui avait attribué cette perfection. Certes, le Seigneur ne niera pas ce qu’il ne soit bon ; mais ce qu’il a hâte de repousser, c’est cet éloge décerné par un homme tellement aveuglé sur son propre compte, qu’il va jusqu’à s’imaginer avoir gardé les dix commandements dès sa jeunesse. Celui qui loue Jésus à la manière du monde, comme étant un très excellent homme, et qui se figure n’avoir besoin que de quelques directions pour faire le bien par sa propre force, et pour devenir semblable au bon maître, un tel homme a besoin d’être réveillé de son illusion par une parole imprévue : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Comment peux-tu parler de la bonté avec si peu d’expérience ? Dieu seul est bon ! Veut-il dire : Moi, je ne ne le suis pas ? Si Dieu seul est bon, cela ne s’étend-il pas à Jésus, et serait-il au contraire exclu ? Il est vrai que le jeune homme ne comprend pas ; c’est l’humilité du Seigneur qui, en cette circonstance, lui fait voiler à la fois sa parfaite sainteté et sa divinité.
Mais quiconque persévère mieux que ne le fit le jeune homme, celui-là reconnaîtra que Jésus est bon, non de cette bonté que les hommes s’attribuent réciproquement par leurs paroles vaines et élogieuses, mais d’une bonté parfaite, qui lui appartient, parce qu’il est issu du Père. En effet, il n’en est pas du Fils unique du Père, qui est toujours en Dieu et qui a Dieu en lui, comme de l’homme éloigné de la communion de Dieu. Car voici ce que Jésus dit ensuite à ses disciples, qui s’effrayèrent en l’entendant dire que les riches entreront difficilement dans le royaume de Dieu : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » Dieu est puissant pour faire entrer les hommes dans son royaume. Mais pour ce qui est du Seigneur Jésus, il n’est pas de ceux qui doivent d’abord entrer dans le royaume des cieux, car ce royaume est en lui, il s’approche par le fait de la venue de Jésus, et c’est lui qui promet le repos de l’âme à ceux qui sont travaillés et chargés. Donner ce repos, c’est l’œuvre divine de celui qui seul est bon, parce qu’il est un avec le Père.
De même que les disciples croyaient au témoignage que Jésus se rendait à soi-même, nous aussi nous l’acceptons avec confiance, aussitôt que nous arrivons à reconnaître que nous n’avons que le choix entre la sainte vérité et un odieux blasphème. Mais cette connaissance ne s’empare puissamment de l’homme intérieur qu’après l’expérience personnelle que nous avons absolument besoin d’un Sauveur. Or, celui qui aurait lui-même besoin d’être sauvé ne saurait être un sauveur.
Nous avons un Rédempteur d’une bonté et d’une sainteté parfaites. Après l’avoir vu surmonter la tentation dans la solitude du désert, considérons maintenant quel profit dans la connaissance et quelle maturité dans la résolution furent le butin de ce combat décisif. Car chaque acte décisif porte en lui un fruit de l’expérience, soit dans le domaine du bien, soit dans celui du mal, et il nous vaut, ou bien une plus grande force de volonté, ou bien un interdit, dont cette volonté ne peut s’affranchir. Adam est arrivé à connaître le bien et le mal par le fait d’une triste expérience personnelle. En se croyant libre, il est devenu esclave. Jésus, au contraire, persévéra dans la vraie liberté, et, par sa victoire sur le tentateur, il arriva à la parfaite connaissance non seulement de ce que serait un Messie faux et charnel, mais encore de la vraie voie messianique qui lui était tracée par la volonté du Père, et qu’il était résolu de suivre : son plan était devant lui ; de même qu’un artiste élabore un plan et le contemple en esprit avant de l’exécuter, et que, par la discipline de l’esprit, il règle la flamme de l’inspiration, ainsi le Seigneur avait embrassé d’un regard clair l’œuvre de son ministère, et il se disposait à l’accomplir de degré en degré, avec une sainte sagesse.
Quel était ce plan ? C’était de faire la volonté de Celui qui l’avait envoyé et d’accomplir son œuvre. Cette bonne et parfaite volonté de Dieu, Ezéchiel l’avait proclamée en ces termes : « Je suis vivant, dit l’Eternel, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais à ce que le méchant se convertisse et qu’il vive. » Or, c’est cette volonté rédemptrice de Dieu que Jésus veut accomplir, ainsi qu’il le dit lui-même : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui est perdu. » (Luc 19.10) Il veut chercher tout ce qui est perdu, et chaque âme en particulier, ainsi qu’un berger cherche une seule brebis. Mais après l’avoir trouvée, il veut la rapporter dans son bercail. Les rachetés ne doivent pas rester dans l’isolement, car l’institution qu’il a fondée n’est pas seulement une école dans laquelle on enseigne la vérité à chacun, afin que les hommes apprennent à connaître la voie de la piété. C’est une institution dans laquelle les rachetés sont réunis sous un seul chef, une communauté dont chaque membre accepte une position conforme à ses dons et à ses capacités, tandis qu’une volonté royale unique pénètre et anime l’ensemble. Son plan est celui d’un royaume.
Jean-Baptiste avait prêché : « Amendez-vous, car le royaume des cieux est proche. » Après lui le Seigneur, se faisant en quelque sorte son propre précurseur, prononça les mêmes paroles pour préparer l’exécution de son œuvre (Matthieu 4.17). Il résume son ministère dans cette parole : « Je suis venu annoncer l’Evangile du royaume de Dieu » (Luc 4.43). Aux apôtres aussi il commande de prêcher en tous lieux : « Le royaume des cieux s’est approché » (Matthieu 10.7). Le Fils de David fait proclamer partout qu’il veut rétablir le royaume de son père, dans lequel règne la justice de Dieu.
Avec quelle force ce cri ne devait-il pas pénétrer et émouvoir le peuple : Le Messie va paraître, et il va établir son royaume ! Ne semble-t-il pas que la grande masse du peuple allait être excitée par des espérances toutes matérielles ? Rien n’expliquait ce message : le peuple n’allait-il pas l’interpréter dans le sens de son attente d’un vainqueur puissant, qui, après avoir délivré de toute servitude le peuple opprimé, le placerait à la tête des nations ? Si les apôtres même se disputaient les plus hautes places à côté du trône du Seigneur ; si, au moment de l’ascension, nous les entendons lui adresser cette question : « Rétabliras-tu en ce temps le royaume d’Israël ? » que pouvait-il attendre de tels messagers, alors que Jésus les envoyait deux à deux annoncer le royaume des cieux ? Que pouvaient-ils faire, sinon répandre l’espérance d’un empire terrestre, ainsi qu’en parlent les disciples cheminant vers Emmaüs : « Nous espérions qu’il délivrerait Israël ! » quand lui-même va jusqu’à confirmer cette attente de ses disciples, en leur disant qu’ils seraient assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël (Matthieu 19.28) ; quand, entouré des multitudes en fête, il entre à Jérusalem, assis sur la monture désignée par le prophète, et qu’il purifie le temple, en même temps qu’il reprend les principaux de son peuple par des paroles sévères ; tout cela ne semble-t-il pas donner raison aux adversaires qui soutiennent que Jésus lui-même avait voulu établir un royaume terrestre, et que ce ne fut que la destruction de ce plan qui força les disciples à donner une autre direction à leurs espérances déçues ? Cela peut avoir cette apparence pour tous ceux qui restent à la surface des Ecritures, mais non pas pour celui qui se laisse conduire sans résistance dans toute la vérité.
Il est vrai que le peuple était plein d’espérances terrestres. Mais quand on veut saisir Jésus pour le faire roi, il s’échappe dans la solitude et il prie (Jean 6.15) ; et, quand les pharisiens le questionnent touchant la venue de son règne, il nie que ce règne vienne maintenant, avec éclat, et il leur parle d’un royaume qui est au milieu d’eux, et qui même a déjà pris naissance dans les cœurs (Luc 17.20-21). Il est vrai que les disciples eux-mêmes sont pleins d’espérances grandioses ; mais comment répond-il à ceux qui lui demandent les places à côté de son trône ? Vous ne savez pas ce que vous demandez ; pouvez-vous boire la coupe que je boirai, et être baptisés du baptême dont je serai baptisé ? Comme s’il voulait dire : Savez-vous bien que vous venez de demander une croix à ma droite et une croix à ma gauche ? Vous savez que les princes des nations les maîtrisent ; et que les grands usent d’autorité sur elles. Mais il n’en sera pas ainsi entre vous ; au contraire, quiconque voudra être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur ; et quiconque voudra être le premier entre vous, qu’il soit votre serviteur. Que votre puissance ne réside que dans l’exercice de la charité qui se dévoue, de même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour plusieurs (Matthieu 20.22-28). Bien qu’il leur promette d’être assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël, il n’entend point leur conférer une domination terrestre, s’appuyant sur un pouvoir charnel ; car c’est à ceux-là seulement qui l’auront suivi à travers l’opprobre de la croix, qu’il promet cette récompense dans le renouvellement du monde, alors que le Fils de l’homme sera assis sur le trône de sa gloire, et qu’eux-mêmes seront devenus semblables aux anges.
Lorsque, au jour que le Père lui avait fixé, le cœur du peuple se tourna vers lui, sans aucune sollicitation humaine, et que faisant son entrée dans sa ville royale comme fils de David, il accepta l’hosanna de la foule, il avait une humble monture au lieu d’un fier coursier. Ce n’étaient pas des rêves de victoire qui remplissaient son cœur, mais des pensées de miséricorde ; il pleurait sur cette ville qui allait rejeter son roi ; sans recourir à la force des armes il purifia le temple par la sainte puissance de son autorité, et s’il reprocha aux principaux leurs péchés, ce fut sans prononcer une seule parole de rébellion. Mais lorsque les disciples lui demandèrent après sa résurrection dans quel temps il rétablirait le royaume d’Israël, il leur donna en effet une réponse qui ne repoussait pas complètement leurs espérances : « Ce n’est point à vous de connaître les temps et les moments qui ne dépendent que de mon Père, » Or, celui qui se borne à ne pas vouloir préciser les temps et les moments, celui-là confirme la chose elle-même comme devant s’accomplir dans un avenir indéterminé. Mais c’est Christ ressuscité qui annonce ce royaume, c’est par les puissances de la résurrection qu’il doit s’établir : c’est le Saint-Esprit qui en pose le fondement, en régénérant les cœurs, et ce n’est que le renouvellement du monde qui en consommera la réalisation. Ce n’est pas. un royaume de ce monde qu’il promet d’établir. Dès les premiers commencements de son ministère, ce n’est point là son intention, et si l’apparence d’un règne terrestre subsiste dans son œuvre jusqu’à la fin de sa carrière, le contraire de ce royaume terrestre se montre dès le début de sa carrière publique. Dès la première fête de Pâques, dans laquelle il se présente publiquement à Jérusalem, il a les yeux fixés sur sa mort. (Jean 2.19 ; 3.14)
Mais bien que son règne ne soit pas de ce monde, c’est un royaume qu’il établit, et non pas seulement une école pour l’enseignement des vérités purement spirituelles. Si les vérités imaginées par les hommes peuvent se contenter du monde invisible des idées, la vérité du Dieu créateur ne saurait se payer de si peu : la grâce et la vérité, la sainteté et la justice de Dieu ne sauraient renoncer à la possession du monde visible. Ceux qui se confient en l’Eternel hériteront la terre ; encore un peu de temps, et le méchant ne sera plus, car les méchants seront retranchés ; mais les débonnaires hériteront la terre, et jouiront à leur aise d’une grande prospérité. C’est ainsi que déjà la parole du Psalmiste (Psaumes 37.9-11) console les justes opprimés, et le Seigneur déclare bienheureux les débonnaires ; c’est à ces hommes si souvent frustrés dans cette vie qu’il promet la possession de la terre. Le royaume leur est promis d’après le bon plaisir du Père ; le Roi l’établira, il amènera à perfection le royaume de David son père. Car ce royaume de David aussi, bien que conquis par l’épée et souvent défendu par les armes, n’était pas comme les empires de ce monde. C’était le royaume d’un roi élu et protégé par Dieu, qui devait gouverner de manière à faire régner la justice de Dieu ; c’est parce qu’il ne devait point s’appuyer sur la puissance charnelle que David fut si sévèrement puni pour avoir entrepris un dénombrement avec la pensée de faire de la chair son bras. Quant au royaume du fils de David, il devait encore bien plus complètement éviter tout recours aux armes terrestres. Ce devait être le magnifique épanouissement du royaume établi selon l’ordre de l’ancienne alliance. C’était le règne de David amené à la perfection par l’Esprit-Saint ; un royaume de la puissance divine qui, en régénérant avant tout les cœurs, prépare le renouvellement du monde ; un royaume, non pas de ce monde, mais malgré cela destiné à ne pas rester caché en Dieu, mais à conquérir un jour le monde : c’est là le royaume que Jésus voulait fonder et que ses hérauts publiaient parmi tout le peuple. Ce peuple pouvait-il comprendre cette parole ? les messagers eux-mêmes étaient-ils en état de saisir le sens de leur message et de s’en acquitter dans l’esprit qui l’avait dicté ?
Il s’en fallait de beaucoup ! Certes, c’est à tort qu’on reproche aux prophètes d’avoir induit Israël à espérer un royaume fondé sur des victoires humaines. Alors même que les prophètes promettent la victoire et la destruction des ennemis, ils ne favorisent pas l’esprit charnel des Juifs, car ils promettaient le royaume, non pas au peuple tel qu’il était, mais à son résidu repentant, converti et purifié au creuset de l’épreuve. Mais qui prenait ces choses à cœur ? C’est cela principalement qui rendait si lourd le fardeau que portait le Seigneur.
Nous avons vu de quelle manière le Seigneur a, dès le commencement, repoussé la tentation qui lui offrait le royaume moyennant l’assistance du prince de ce monde. Mais si cet ennemi était vaincu, ses serviteurs subsistaient encore, et c’est précisément au milieu d’eux que le Seigneur devait accomplir son œuvre ; c’est parmi eux qu’il gagnait des disciples qui, tout en se tournant vers la lumière, conservaient encore dans leurs cœurs mainte ombre de leurs anciennes ténèbres. Accomplir cette grande œuvre au milieu d’un peuple qui voulait arriver à la gloire sans passer par la repentance, agir par le moyen de ses disciples longtemps encore si faibles et si peu éclairés, c’était là une tentation renouvelée chaque jour et non moins difficile à vaincre que la première. Le côté à la fois le plus subtil et le plus pénible de cette tentation, c’était de sentir comment les disciples menaçaient d’altérer son œuvre de rédemption par leur perversité, comment leur sens charnel méconnaissait son assistance en même temps qu’ils s’efforçaient de le faire dévier de son chemin. O race incrédule et perverse ! jusques à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ? Vous aussi, n’avez-vous point encore d’intelligence ? Il y a si longtemps que je suis avec vous et vous ne me connaissez pas ? C’était là la plainte douloureuse de sa vie, la tentation de chaque jour, le fardeau des pécheurs, qu’il dut porter pendant toute sa carrière. Sans doute, tout cela ne pouvait pas le décider à taire le message du royaume des cieux, mais cela faisait de l’exécution de son plan, si divinement simple en lui-même, un pénible travail de son âme.
Rien n’était plus simple que de fonder ce royaume en faisant connaître au peuple, jour par jour, par ses paroles et par ses œuvres, par une sainte vie et des guérisons admirables, quel en était le roi et quels devaient en être les sujets.
Mais quand le sens charnel, cherchant à être affranchi, non pas du péché mais seulement de la punition, menaçait de s’approprier indûment la gloire du royaume, une sainte prudence devenait nécessaire. Il lui fallait à la fois manifester et cacher son œuvre et sa personne, et contenir la flamme de l’enthousiasme tout en l’excitant. Et c’est de cette double tâche que nous voyons le Seigneur constamment occupé. Ce n’est pas qu’il y ait eu en lui de l’incertitude, mais il agit par l’impulsion d’une sagesse réservée et d’une sainte réflexion. C’est qu’il lui importe tout à la fois de manifester le Christ de Dieu et d’empêcher que son œuvre ne soit confondue avec l’ordre de l’Ancien Testament et surtout avec l’attente charnelle des Juifs.
Il cache son œuvre tout en la manifestant. Ce n’est pas qu’en paroles ou en action il fasse quoi que ce soit en secret. Il peut, au contraire dire au souverain sacrificateur : « J’ai ouvertement parlé au monde ; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, et je n’ai rien dit en secret. Interroge ceux qui ont ouï ce que je leur ai dit » (Jean 18.20-21). Si ailleurs il parle des mystères du royaume des cieux, il rappelle à ses disciples qu’il n’y a rien de caché qui ne doive être manifesté, ni rien de secret qui ne doive être connu. « C’est pourquoi, dit-il, ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière, et ce que je vous dis à l’oreille prêchez-le sur les maisons » (Matthieu 10.26). Comme le grain de semence germe avant de paraître à la lumière, ainsi le Seigneur dut poser les fondements de son royaume dans le cercle intime de ses disciples ; et parce que les choses de Dieu, tout en subsistant au milieu des hommes, ne sont révélées qu’aux cœurs repentants, le royaume est semblable à un trésor caché dans un champ, sur lequel les hommes marchent sans le savoir. C’est ainsi que l’œuvre du Seigneur est à la fois manifeste et secrète, et c’est d’après ce principe qu’il règle sa manière d’agir.
Il chasse les démons des possédés lorsque ces malins esprits s’écrient : « Nous savons que tu es le saint de Dieu. » Il les reprend pour les faire taire, c’est qu’il ne veut pas plus de ce témoignage qu’il ne voulut de la coopération de leur prince pour conquérir ce royaume. Quant aux hommes guéris, il leur enjoint autant que possible, quoiqu’ordinairement sans succès, de ne parler à personne de leur guérison. Il est, ainsi qu’Esaïe le vit en esprit, le serviteur humble choisi par Dieu, le bien-aimé en qui Dieu a mis son affection, qui ne conteste et ne crie point, et dont la voix n’est pas entendue dans les rues. Il est celui qui ne brise point le roseau froissé, et qui n’éteint pas le lumignon qui fume encore jusqu’à ce qu’il ait rendu la justice victorieuse. Il ne veut en aucune manière exciter en sa faveur les espérances charnelles des fanatiques politiques, ni faire éclater prématurément l’inimitié des fanatiques cléricaux.
La recommandation de garder le silence profite aussi à ceux qu’il a guéris et qu’il invite à devenir membres du royaume. Ils doivent reconnaître dans le silence le bienfait de Dieu et le conserver dans un cœur reconnaissant. A quoi leur sert-il de s’exposer à la tentation du dehors et au danger de l’orgueil par une joie indiscrète et une vanterie présomptueuse ? Certainement, plus d’un de ceux qui, contrairement aux avertissements du Seigneur, firent de leurs expériences un sujet de jactance, n’arriva pas à une foi éprouvée, et se priva ainsi de la bénédiction durable d’une guérison qui n’était pas seulement corporelle.
Sans doute il y a des exceptions, où le Seigneur ne peut pas cacher son œuvre, et où il renoncerait à sa mission s’il se laissait empêcher par des témoins hostiles d’opérer une guérison. Par un motif analogue, il n’accorde pas la permission de rester auprès de lui à ce Gadarénien qu’il avait délivré d’une légion d’esprits immondes : Tu ne dois pas penser à ton propre bien-être, ni t’effrayer des dispositions hostiles de tes concitoyens. Parmi eux qui me prient de m’éloigner, les fausses espérances du royaume ne sont pas à craindre ; ils ont au contraire besoin de ce message qu’ils repoussent. Si tu veux me servir, charge-toi, comme Cusaï, l’ami de David, de la tâche la plus difficile ; va chez les tiens et annonce-leur le grand bienfait que le Seigneur t’a accordé, afin que cela leur serve de témoignage. Sois mon serviteur au milieu de tes compatriotes, afin qu’après avoir été parmi eux un objet d’épouvante, tu leur deviennes une bénédiction.
Il veut donc, mais avec une sainte prudence, que le royaume soit partout annoncé. Et de même qu’il cache son œuvre tout en l’accomplissant, ainsi aussi il voile la gloire de sa personne, tout en la manifestant à ceux qui ont des yeux pour voir. Ces deux choses n’en font qu’une, car le royaume et la personne du Roi sont inséparables. De même que le royaume commence intérieurement sans apparence extérieure, ainsi le Roi ne fait pas publier devant lui qui il est, ni quelle gloire lui appartient.
Sans doute ses œuvres doivent porter les hommes à demander : Celui-ci n’est-il pas le fils de David ? (Matthieu 12.23) Si un autre Christ venait, pourrait-il faire plus de miracles que n’en fait celui-ci ? (Jean 7.31) Mais dès qu’ils veulent faire roi l’homme des miracles, qui les a rassasiés de pain, il s’échappe de leurs mains, et la première fois qu’il se retrouve avec ses disciples charnels, il leur parle de la nécessité de manger sa chair et de boire son sang, et les repousse en quelque sorte par cette dure parole. C’est qu’ils ne doivent pas chercher en lui un roi tel que leurs cœurs vains le désirent ; par ce motif il s’abstient de toute immixtion dans les choses de ce monde, qui pourrait donner lieu à une attente illusoire. Il refuse d’être l’arbitre entre des frères qui partagent un héritage, et se borne à les prémunir contre l’avarice, par l’exemple de cet homme, qui avait amassé des trésors, mais qui n’était pas riche en Dieu. Il se garde de décider si c’est à bon droit ou à tort que Pilate mêla le sang des Galiléens rebelles à celui de leur sacrifice ; il se garde d’attaquer le jugement prononcé contre la femme adultère ; il ne se laisse pas entraîner à prononcer une seule parole d’opposition charnelle contre l’empereur. Si dans les querelles humaines, il ne se prononce ni pour un parti ni pour l’autre, c’est que partout et toujours il plaide la cause du Dieu Saint vis-à-vis de chaque homme, et la cause de la conscience contre le péché : Si vous ne vous convertissez, vous périrez tous aussi bien qu’eux ; que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ; si vous aviez constamment donné à Dieu ce qui lui appartient, tout irait au mieux. C’est ainsi qu’il est inattaquable même pour les dénonciateurs les plus haineux.
Il peut dire à Pilate : Mon règne n’est pas de ce monde, sans que pour cela ses calomniateurs puissent l’accuser d’une manière qui paraisse fondée à ce politique Romain. Celui-ci dit au Seigneur : Tu parles d’un royaume, tu es donc roi ? Et Jésus répond : Tu l’as dit. Certes il devait rayonner d’un éclat admirable, pour que cet homme d’Etat, qui ne comprenait le pouvoir royal qu’appuyé sur les armes, conçût tant d’estime pour ce roi étrange, lié et désarmé, et pour que cet homme du monde, tout en disant dédaigneusement : Qu’est-ce que la vérité ? ne pût se défendre de l’impression que cet accusé ne ressemblait pas aux autres hommes, et qu’il y avait ici une puissance à laquelle il ne comprenait rien. Car qui peut connaître le secret du royaume de Dieu, si ce n’est celui à qui cela est donné ! Et à qui cela est-il donné, sinon au pécheur qui s’humilie devant son Dieu-Sauveur ?
Par ses œuvres il éveille l’attention ; il fait annoncer son royaume ; mais en même temps il enlève tout point d’appui au sens charnel. Il accomplit sans se relâcher la tâche de sa vie, tout en s’efforçant constamment d’éloigner tout alliage étranger. On pourrait s’apercevoir de sa dignité plus que royale par toutes ses actions et par toutes ses paroles, mais il évite soigneusement de dire, d’une manière non voilée, qui il est. Sans doute il se réjouit quand le peuple le salue comme fils de David ; mais combien le témoignage qu’il rend à lui-même n’est-il pas mesuré ! A cette pécheresse de Samarie, où nul abus politique de sa parole n’est à craindre, il annonce ce qu’il ne pouvait confier à personne à Jérusalem (Jean 2.24). Ce n’est que bien plus tard qu’il demande à ses apôtres ce que les gens disent lui. Il se réjouit d’un sainte joie en voyant qu’ils ne se laissent pas induire en erreur par les conjectures irréfléchies de ceux qui voyaient en lui Jean, ou Elie, Jérémie ou quelque autre prophète précurseur du Messie, mais qu’au contraire, éclairés par la révélation du Père, ils étaient fermement appuyés sur cette confession : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Il se réjouit de l’indépendance de leur foi ; mais en même il leur recommande le silence, parce que ce qui importe maintenant avant tout, c’est qu’ils se familiarisent avec la perspective de ses souffrances et de sa mort. Quant au peuple inconstant, il pouvait être ballotté çà et là, s’ouvrir à des suggestions hostiles et douter de nouveau que Jésus fût le fils de David, parce que lui-même usait d’une si grande réserve.
Mais il agit de la sorte, parce qu’il ne veut pas imposer la foi. Il sait que cette foi, qui n’est qu’une opinion adoptée à l’exemple d’autrui, n’est d’aucune valeur. C’est en considérant ses œuvres et en écoutant sa parole que des cœurs repentants et altérés de salut devaient arriver à la foi véritable. Si ce n’est pas de cette manière que vous voulez croire que je suis l’envoyé de Dieu, vous mourrez dans vos péchés (Jean 8.24). Les Juifs lui disent : Qui es-tu ? Ils auraient voulu entendre une parole saisissable, et ils ne l’obtinrent pas, parce qu’ils ne voulaient pas croire en lui, mais au contraire l’accuser. Jusqu’à quand tiendras-tu nos esprits en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le-nous franchement (Jean 10.24). Mais il ne les satisfait pas, car ils ne sont pas du nombre des brebis, qui écoutent sa voix. C’est pourquoi il n’affirme sa gloire divine que devant le juge, qui vient de l’adjurer, car alors il n’a plus à redouter une adhésion charnelle, attendu que le fanatisme lui est devenu complètement hostile. Jusqu’à cette heure solennelle, les Juifs ne l’avaient jamais entendu dire ouvertement qu’il était le Christ.
Ils peuvent l’apprendre par ses œuvres et le découvrir dans ses paroles, qui indiquent par des images faciles à comprendre, sa nature humaine et sa majesté surhumaine. Le médecin des âmes dit :« Ce ne sont pas ceux qui sont en santé qui ont besoin du médecin ; mais ce sont les malades ; » or qui est le vrai Sauveur, sinon celui qui a dit autrefois à Israël : « Je suis l’Eternel, qui te guéris ? » (Exode 15.26) Si ailleurs il se compare à un époux, qui viendra à minuit pour chercher son épouse, et auquel son père prépare un festin de noces royal, quel Israélite sincère pouvait méconnaître qu’il se donnait comme le Seigneur qui voulait épouser son peuple en justice, en jugement, en gratuité et en compassions ? (Osée 2.19) Quand il parle de son Elie, qui l’a précédé ; quand il promet que là où deux ou trois seraient assemblés en son nom, il se trouverait au milieu d’eux ; quand ailleurs il se distingue non seulement des méchants vignerons, mais aussi des serviteurs qui réclament le fruit de la vigne, c’est-à-dire des prophètes de Dieu, vis-à-vis desquels se pose comme le fils unique et bien-aimé du propriétaire, ne fait-il pas connaître sa majesté divine par toutes ces images ? A quelle hauteur ne la place-t-il point, au-dessus de toute créature, tout en la subordonnant au Père, aussi longtemps que le Fils est sur cette terre, quand il dit du jour et de l’heure du jugement : Personne ne les connaît, pas même les anges dans le ciel et pas même le Fils, mais seulement le Père ! Sa majesté est plus grande que la gloire des anges ; ils sont ses anges, qu’il enverra pour exécuter son jugement ; ils composent son royaume céleste, avant que les hommes n’y aient été ramenés ; par eux la volonté de Dieu se fait dans les cieux, comme elle ne s’exécute pas encore sur la terre. C’est pourquoi son royaume est le royaume des cieux, qui tout en étant établi sur la terre, est destiné à s’étendre partout. Il faut qu’il se développe comme le grain de moutarde, qu’il pénètre l’humanité à la manière du levain, et que, semblable à une moisson, il arrive à manifester finalement et à expulser tout ce qui est mauvais. Avant cette manifestation complète, ce royaume existe, mais sans avoir d’apparence. Il est actuel et aussi à venir, découvert tout en étant caché, en un mot semblable à son roi, le Fils de l’homme.
Nous savons que c’est par ce nom que le Seigneur s’est le plus souvent désigné. Mieux que tout autre il dénote sa tendance à employer la même parole pour faire connaître sa personne aux cœurs biens disposés et pour la voiler aux autres. Ce nom est à la fois l’expression de cette humilité, par laquelle Jésus cache sa gloire, et une affirmation de cette gloire, qui subsiste aussi dans l’abaissement. Que veut dire ce titre : le Fils de l’homme ? Un homme peut-il s’en donner un plus simple ? Mais précisément parce que ce titre semble revenir de droit à chaque homme, et que malgré cela Jésus s’en sert pour se distinguer des autres hommes, il doit y mettre quelque chose de particulier. C’est un homme bien pauvre, que ce Fils de l’homme, qui n’a pas un lieu où reposer sa tête ; ce Fils de l’homme est rejeté et mis à mort par les anciens et les principaux sacrificateurs ; il se peut que, tant qu’il est abaissé, il soit en butte à la contradiction de ceux qui ne blasphèment pas l’Esprit-Saint, car s’ils méconnaissent encore la gloire du Fils de l’homme, c’est qu’il s’est fait le serviteur des hommes, jusqu’à donner sa vie pour eux ; ce Fils de l’homme est venu, non pas pour perdre les âmes, mais pour chercher et sauver ce qui était perdu ; car il est pitoyable et miséricordieux, ce Fils de l’homme, qui est dans le ciel (Jean 3.13). Ce Fils de l’homme pauvre et abaissé est aussi revêtu de gloire ; il est le maître même du Sabbat ; il est ce roi qui viendra dans sa gloire pour juger le monde (Matthieu 25.31), parce qu’il est le Fils de l’homme (Jean 5.27). Comment s’accordent cet abaissement et cette grandeur, cette faiblesse et cette puissance du Juge suprême ?
Tout cela devient clair, lorsque nous remontons à la source où le Seigneur a puisé cette désignation. Daniel raconte, dans son deuxième chapitre, ce songe, dans lequel Nébucadnetsar vit la succession des empires sous la forme d’une statue magnifique, dont les matériaux décroissaient de valeur en ce que l’or, l’argent, l’airain, le fer et l’argile s’y succédaient. C’est sous cette forme que ce roi contempla la puissance et le pouvoir de l’humanité. Mais tout en reproduisant la forme humaine, cette statue n’avait ni âme ni vie, et soumise à une détérioration progressive, elle fut finalement renversée et broyée par une pierre détachée sans mains. Mais Daniel lui-même, dans son septième chapitre nous montre ce qu’est intérieurement l’homme naturel, et quel est l’esprit de ces empires ; quatre bêtes, dont chacune combat la précédente, font voir que dans la puissance de ce monde la bête est déchaînée. Terrible, superbe, cruelle et finalement vouée à la mort : voilà quelle est la nature et la puissance de l’humanité naturelle. Mais après ces bêtes quelqu’un de semblable au Fils de l’homme vint sur les nuées du ciel, et il se tint devant l’Ancien des jours, dont il reçut un royaume éternel sans fin ni limites. En ne considérant que ce que les yeux voient, il semble que le Fils de l’homme soit faible et désarmé vis-à-vis de ces bêtes formidables. Mais par cette puissance et cette gloire qui sont en lui, il fonde lui seul un royaume éternel et vraiment humain. En domptant et en tuant la bête dans l’homme, il rend à celui-ci sa véritable dignité et sa gloire impérissable.
Sans ce Fils de l’homme, que servirait-il à l’homme d’avoir été fait le roi de la création ? Il est vrai que le Psalmiste loue l’Eternel de ce qu’il se soit souvenu de l’homme, et de ce qu’il ait mis toutes choses sous les pieds du Fils de l’homme (Psaumes 8). Mais depuis que le péché a fait une brèche terrible à cette gloire, et que toute l’humanité est assujettie au salaire du péché, qui est la mort, à quoi servent ces éclatantes victoires que notre siècle s’enorgueillit d’avoir remportées sur la terre et ses forces ? Que gagnent les géants de nos jours à cette puissance de leur esprit, par laquelle ils se vantent de transformer la force qui nous effraye par le tonnerre, en un docile animal domestique, sous la forme d’une machine à vapeur, et à faire de l’éclair le porteur de leurs messages ? A quoi bon toute cette gloire si ces géants, qui entreprennent d’escalader le ciel, sont impuissants à dompter leurs langues, leurs cœurs, leurs convoitises, sources empoisonnées de toutes leurs misères, et à vaincre la mort avec ses terreurs ? Homme, il te faut mourir ! Que devient alors ta gloire ? Il te faut mourir dans ton péché ! Où est ton refuge ? C’est pourquoi cette parole : Dieu a mis toutes choses sous ses pieds, n’est pleinement accomplie qu’en Jésus-Christ, cette seconde souche de l’humanité, née de la première humanité comme son fils, mais non pas engendré par elle. Il est à la fois le Fils de l’homme et plus qu’un homme, n’étant pas un pécheur comme nous, qui sommes voués à la mort par nos propres péchés. S’il a souffert la mort c’est pour la détruire et pour devenir les prémices de ceux qui dorment. Aussi le Père lui a-t-il dit : « Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis sous tes pieds. » Quand il aura détruit le dernier ennemi, qui est la mort, alors seulement toutes choses seront assujetties à Christ et à l’humanité rachetée. Le nom de Fils de l’homme est à la fois humble et sans éclat, et cependant infiniment glorieux pour des oreilles qui entendent. Il désigne la pauvreté et l’abaissement de Jésus-Christ ; mais ce Fils de l’homme abaissé viendra dans la gloire de son Père. Dieu est son père dans le sens exclusif de ce mot : le Fils de l’homme est aussi le Fils de Dieu, non seulement à la manière du peuple d’Israël et de ses princes, et non seulement en sa qualité d’homme reçu en grâce et oint de l’Esprit de sainteté ; mais comme cet être unique, qui est issu du Père, et se trouve en communion avec lui d’une manière incomparable.
Le royaume fondé par ce roi céleste n’est point de ce monde tout en ayant pour objet de le conquérir, parce que dès le commencement il a été établi non par des armes charnelles, mais par des moyens complètement différents. Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée. Il a tenu ce langage guerrier, mais en Gethsémané, Pierre a dû apprendre que le Seigneur ne veut pas voir sa cause défendue par l’épée. En effet, les disciples, loin de recourir à une épée d’acier, doivent être prêts à souffrir que cette épée les frappe ; car le monde les haïra et les persécutera. Ce que les pères firent aux anciens prophètes, les fils, remplissant la mesure de leurs pères, le feront à Jésus et à ses disciples. A partir de son baptême, où il se consacra pour accomplir tout ce qui est juste, et de sa victoire sur le tentateur, dont il repoussa le concours, il connut clairement qu’il ne pourrait accomplir son œuvre qu’en se donnant en sacrifice. Il annonça positivement que l’ancienne inimitié du monde contre Dieu et contre son oint atteindrait à son égard son point culminant, et que lui, l’Agneau de Dieu, lui, l’humble serviteur de son Père, aurait à donner sa vie en rançon pour les pécheurs. Il annonce à Jérusalem que le temple de son corps sera détruit, et que le Fils de l’homme sera élevé comme Moïse éleva le serpent au désert ; il annonce à Capernaüm qu’il donnera sa chair pour la vie du monde. Il promet au peuple pour tout signe celui du prophète Jonas, qui, de l’abîme de la mort, remonta à la vie. Il montre que la principale œuvre du bon Berger consiste à laisser sa vie pour ses brebis et à la reprendre ; il annonce clairement aux disciples, encore si peu capables de comprendre cette parole, que le Fils de l’homme sera livré entre les mains des hommes, qu’il sera insulté, battu de verges, crucifié ; mais qu’il ressuscitera des morts le troisième jour. Il sait que le grain de semence ne peut porter de fruit qu’à la condition de tomber en terre et d’y mourir, et il promet aussi qu’après avoir été élevé de la terre, il attirera tous les hommes à lui.
Un royaume fondé par la mort de son roi n’est pas un royaume de ce monde. Or ce sont ces pensées de mort qui le remplissent aux jours de sa dernière entrée royale. Dans le parfum répandu sur lui, il voit un embaumement anticipé, et au moment où le peuple et les disciples crient : Hosanna ! il pleure sur Jérusalem. « Jérusalem ! Jérusalem ! combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes, et tu ne l’as point voulu ! » Aussi, si à ce moment, il s’offre au peuple comme roi, c’est uniquement à titre de témoignage, et pour enfoncer un aiguillon capable de produire plus tard un effet salutaire sur plusieurs d’entre eux. Mais il sait qu’on ne fera pas de lui un roi terrestre ; aussi ne met-il à profit l’excitation du peuple que pour purifier le temple. S’il avait recherché le pouvoir, son inaction aurait été une faute inconcevable ; elle est au contraire la garantie de ses pensées divines, parce qu’il ne cherche pas de royauté mondaine.
Il fait son entrée comme roi, mais la croix de Golgotha est le chemin qui mène à son trône. Comme David avait combattu seul contre Goliath, ainsi celui qui est à la fois le fils et le seigneur de David se dispose à combattre seul un géant bien autrement terrible que Goliath. Le sang répandu dans ce combat, c’est son propre et précieux sang ; pour que l’empire puisse être posé sur son épaule, il faut que cette épaule porte d’abord la croix. C’est à travers l’opprobre et les tourments qu’il marche à la victoire. C’est ainsi qu’il fonde le royaume de Dieu, qui commence par la délivrance du péché et qui est consommé par le renouvellement du monde. Il sait qu’il transforme l’histoire de l’humanité, entreprise qui d’abord semble être une folie ; mais l’événement prouve que cette folie est la puissance et la sagesse de Dieu.
Mais pour qui est ce royaume ? C’est celui-là même qui avait été promis à Israël, et dont les apôtres s’enquièrent au moment de l’ascension du Seigneur. Serait-ce un royaume limité à un certain nombre d’élus privilégiés ? Cela pourrait sembler ainsi si nous regardions superficiellement les instructions données par le Seigneur à ses apôtres, lorsqu’il les envoya pour la première fois et qu’il leur dit : « N’allez point vers les gentils, et n’entrez dans aucune ville des Samaritains ; mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d’Israël » (Matthieu 10.5-6). Cette apparence s’accroît, quand nous nous rappelons de quelle manière le Seigneur traita la femme cananéenne : il la laisse crier sans l’écouter, et à la requête des disciples, importunés par ces cris, il la rejette par cette parole : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » En même temps, il soumet à une rude épreuve cette pauvre mère en lui disant : « Il n’est pas juste d’ôter le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » Eh quoi ! ce Seigneur miséricordieux, qui avait déclaré n’avoir pas trouvé en Israël une foi semblable à celle du centenier de Capernaüm, peut-il désigner ici les païens comme étant des chiens ? Il est vrai que dans le texte original, cette expression se trouve mitigée ; il parle non pas de chiens qui sont dehors, mais de petits chiens auxquels il est permis d’être avec les enfants. Mais c’est surtout la suite du récit qui éclaircit ce problème. En effet, la femme, au lieu de contredire, donne raison au Seigneur. Loin de s’offenser de cette désignation, c’est par son moyen qu’elle saisit Jésus. Avec une humble insistance et une admirable présence d’esprit, elle dit : « Oui, Seigneur ! mais cependant les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Il n’est donc pas nécessaire de prendre le pain aux enfants ! Tu as raison. Donne-moi du superflu, ainsi qu’on le fait pour les petits chiens ; je ne demande pas autre chose. » Il y a un éclair de l’Esprit-Saint dans cette réponse. « O femme ! ta foi est grande ! » lui dit le Seigneur, et il lui fait selon sa grande foi.
La cause principale de cette manière d’agir gît dans ce point : le Seigneur ne voulait pas scandaliser Israël avant le temps, ni manquer à sa mission, ce qui serait arrivé, si par la guérison de maladies corporelles, il eût attiré des troupes de païens, qui auraient exalté en lui le médecin du monde entier, sans avoir une idée de la véritable guérison du mal principal. Le Seigneur, au contraire, loin de vouloir attirer la foule par ses guérisons merveilleuses, aspirait uniquement, en sa qualité de Sauveur promis à Israël, à accomplir son œuvre. Or il fallait que cette œuvre fût d’abord limitée au peuple qui y avait été préparé par ses prophètes. Le centenier de Capernaüm reconnut en lui ce Sauveur d’Israël, alors qu’il se déclara indigne que Jésus entrât dans sa maison, et le Seigneur loua et couronna sa foi. Cette même foi, plus grande que la foi d’Israël, nous la trouvons chez cette mère affligée. Prête à se contenter des miettes de la grâce, elle confessait n’avoir aucun autre droit que son indignité qui en appelait à la miséricorde du Seigneur. Elle lutta comme Jacob et vainquit. Jésus reconnut que le Père lui accordait cette exception, et il fit selon la volonté de cette mère, en sa qualité de Sauveur d’Israël, dont le salut devait découler des Juifs sur toutes les nations.
En effet, le salut devait commencer par Israël, mais loin de se renfermer dans ce peuple, il devait s’étendre à toutes les nations. Si le Seigneur limita le champ de travail de ses apôtres, alors qu’il les envoya pour la première fois, c’est qu’ils devaient planter en un seul lieu cet arbre, destiné à couvrir le monde entier. Mais après sa résurrection, il les envoie par tout le monde, pour enseigner toutes les nations (Matthieu 28.19), et nous lisons dans ce même évangile (Matthieu 8.11-12) qu’antérieurement déjà il parla de ces multitudes qui viendraient d’Orient et d’Occident, et qui seraient assises dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les enfants du royaume seraient jetés dehors. Saint Matthieu nous a aussi conservé la similitude des méchants vignerons, image de ce peuple rebelle, auquel le royaume devait être ôté pour être donné à un autre peuple (Matthieu 21.43), et cette autre similitude des invités, qui dédaignent le festin des noces, et à la place desquels le roi appelle d’autres invités (Matthieu 22.1 et suiv.). Le champ du semeur, ce n’est pas Israël, mais ce champ, c’est le monde (Matthieu 12.38) ; Dieu a aimé le monde entier, jusqu’à lui donner son Fils unique ; c’est lui qui est la lumière du monde, et il veut que l’Evangile du royaume soit proclamé dans le monde entier (Matthieu 24.14) ; il est le bon Berger qui a encore d’autres brebis, qui ne sont pas de ce bercail ; il est le Sauveur, qui devait rassembler les enfants de Dieu dispersés dans le monde entier. Ce n’est que sur la question, si pour être incorporées dans le royaume les nations devaient se soumettre ou non à la loi de Moïse, que les disciples étaient dans l’incertitude et qu’ils avaient besoin de directions ultérieures. Nous y reviendrons, quand nous aurons à considérer la manière d’enseigner de Jésus-Christ.
Le royaume d’Israël est donc un royaume pour tous les peuples, et le salut d’Israël appartient au monde entier ; or, le salut d’Israël, c’est son Messie. Par conséquent, ceux d’entre les Juifs qui méprisaient les païens et prétendaient les asservir par des armes charnelles, n’étaient pas de véritables Israélites, mais, au contraire, ils se rendaient semblables aux païens. Les Grecs aussi savent mépriser les Barbares, et c’est l’affaire des Romains que d’imposer leur domination par la force des armes. Quant au véritable Israélite, il se souvient de la promesse faite aux nations lors de l’élection d’Abraham et de cette bénédiction d’Abraham dont elles devaient hériter ; il comprend que l’élection d’Abraham n’a d’autre but que de préparer cette bénédiction à tous les peuples ; c’est pourquoi il se réjouit de ce que tous les prophètes annoncent que le Messie serait la lumière des nations.
En effet, voici le témoignage unanime de la prophétie : La montagne de la maison de l’Eternel sera affermie au sommet des montagnes, et toutes les nations diront : Venez, montons à la maison du Dieu de Jacob, et il nous instruira dans ses voies (Ésaïe 2.3). Les nations marcheront à la lumière d’Israël, et les rois à la splendeur qui se lèvera sur lui (Ésaïe 60.3). L’Eternel dit par la bouche de Sophonie (Sophonie 3.9) : Après que le pays aura été dévoré par le feu de ma jalousie, alors je changerai les lèvres des peuples en des lèvres pures, afin qu’ils invoquent tous le nom de l’Eternel pour le servir d’un même esprit. Et Esaïe (Ésaïe 11.10) prophétise touchant la racine d’Isaï que les nations la rechercheront, et qu’elle sera dressée pour enseigne des peuples. Car les îles s’attendront à la loi du serviteur de l’Eternel (Ésaïe 42.4).
C’est donc par le Messie promis et venu en Israël que s’accomplit l’unification de l’humanité dans une même vie de l’esprit. Mais cette vie commence à se manifester d’une manière personnelle dans les lieux déterminés par une élection divine. La folie de Dieu, plus puissante et plus sage que les hommes, choisit des lieux peu apparents tels que Canaan, la Galilée, Nazareth ; elle choisit ce qui est faible et de peu d’apparence devant les hommes, en communiquant l’esprit à un fils cadet ou à quelque homme peu connu ; tels sont Jacob, Gédéon, le plus jeune des fils d’Isaï parmi les individus ; tel est Israël lui-même au milieu de peuples beaucoup plus puissants et plus brillamment doués. C’est ainsi que Dieu choisit les choses faibles de ce monde pour confondre les fortes, et c’est de ces points obscurs et méprisés qu’il fait rayonner des puissances de régénération et de vie. Cette loi fondamentale du royaume de Dieu est surtout accomplie en Jésus de Nazareth, dans la plénitude duquel non seulement Israël mais l’humanité entière puise grâce sur grâce. C’est donc à bon droit qu’au moment de l’ascension les apôtres s’enquièrent du royaume d’Israël. C’est toujours le royaume promis à Israël, et les dons et la vocation de Dieu sont irrévocables (Romains 11.29). Quand les temps des nations seront accomplis (Luc 21.24), alors viendra aussi pour les Israélites ce jour où ils diront : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (Matthieu 23.39) ; et cette génération qui ne passera point, ce figuier actuellement stérile se couvrira de nouveau de feuilles, annonçant que l’été approche (Matthieu 24.34,32). Or, la fin de la promesse, c’est un seul troupeau sous un seul Berger, et ce troupeau n’est pas seulement le troupeau terrestre, car le chef de l’Eglise est élevé au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute dignité, de toute domination, et toutes choses ont été mises sous ses pieds (Éphésiens 1.21-22). Au milieu de la discorde de notre temps et des divisions de ceux qui se réclament de son nom, qu’il lui plaise de remplir nos cœurs de l’ardent désir de voir ce seul troupeau sous ce seul Berger, et qu’il nous conduise dans le chemin de la paix, qui mène à ce but !