Catéchèse

TREIZIÈME CATÉCHÈSE, SUR CES MOTS : Il a été crucifié et enseveli.

SOMMAIRE.

Ce discours traite d’abord de la Passion, ensuite de la sépulture. Il en déroule toutes les circonstances, il en démontre la vérité, il en découvre tous les avantages, en rapprochant du Nouveau Testament les livres de l’ancienne loi.

I. C’est dans la croix du Sauveur que l’Eglise met sa gloire. – II. Ce n’est pas seulement comme homme, mais comme Fils unique de Dieu, que Jésus-Christ est mort pour nous. – III. Loin de rougir de la croix, le chrétien doit s’en glorifier. Jésus-Christ est mort, non pour ses péchés, mais pour les nôtres. Les témoins de son innocence ne sont pas suspects. – IV. La mort et la passion du Christ ont été réelles, et non pas imaginaires ; c’est de la résurrection que la croix tire son mérite. – V. Innocence de Jésus-Christ prouvée par sa doctrine. Il a été victime volontaire. – VI. Il a prédit sa passion. – Eloge de la croix. – VII. Objections des Juifs. · Comparaison entre l’ancienne Jérusalem et la moderne. – VIII. Toute la vie de Jésus-Christ se trouve écrite dans l’Ancien Testament. – IX. La trahison de Judas a été prédite. – X. Zacharie a parlé des trente deniers. – XI. Comparaison des Prophètes avec les Évangélistes. Contradiction dans les paroles que les Juifs adressent à Judas après sa trahison. – XII. Jésus est lié et jugé par les Juifs. – XIII. Il prouve sa doctrine par son exemple. – XIV. Il est amené devant Pilate. – XV. Ingratitude des Juifs. – XVI. Jésus garde le silence devant ses juges. – XVII. Il est un objet de dérision. Mystère profond. – XVIII. Dans les instruments de sa passion il anéantit toutes les anciennes malédictions. – XIX. Le bois répare le mal que le bois avait produit. Les Prophètes avaient prédit le supplice de la croix. Le pain dans la bouche des Prophètes est la figure du corps de Jésus-Christ. – XX. Diverses figures dans l’Ancien Testament, qui prédisent le mystère de la croix. – XXI. Mystères du sang et de l’eau sortis du Cœur de Jésus. – XXII. Le signe de la croix doit précéder toutes les disputes qu’on entreprend avec les infidèles. Son efficacité. – XXIII. En temps de paix comme en temps de persécution, la croix doit être le signe du chrétien. Explication du mot Golgotha. – XXIV. Les ténèbres à la mort du Sauveur. – XXV. Jésus a été crucifié dans le temps des Azymes. – XXVI. Ses vêtements sont partagés. – XXVII. Sa robe est couleur de pourpre. – XXVIII. Golgotha est le milieu de la terre. Pourquoi Jésus-Christ eut-il les bras étendus sur la croix. – XXIX. Que signifie cette soif du Sauveur que les Juifs s’empressent d’éteindre. Les Prophètes ont passé de la Synagogue à l’Eglise. – XXX. Prophéties concernant les deux larrons. – XXXI. La grâce prévient l’un d’eux, et laisse l’autre dans son endurcissement. C’est le bon larron qui le premier entre dans le ciel. – XXXII. Prophéties sur le lieu où le crucifiement devait s’effectuer. Voile du temple déchiré. – XXXIII, XXXIV. C’est par la croix que l’homme est réconcilié avec le ciel. – La justice d’un Dieu mourant surpasse toutes les iniquités des hommes. – XXXV. Prophéties concernant le lieu et les circonstances de sa sépulture. – XXXVI. Toutes nos actions doivent être marquées du signe de la croix. – XXXVII. Il faut combattre les Juifs par leurs prophéties, et les Païens par leurs fables. – XXXVIII. Récapitulation des témoignages en faveur de la croix. – XXXIX. Les pas de Jésus marqués sur le Golgotha. Suite des témoignages. – XL. Vertu secrète de la croix pour attirer les fidèles à la parole de Dieu. – XLI. Triomphe de la croix sur les barbares et les Gentils. Péroraison.

Domine, quis credidit auditui nostro : et brachium Domini cui revelatum est ?… Sicut ovis ad occisionem ductus est, etc. (Esaïe 53.1, 7.)

« Seigneur, qui est-ce qui a cru à ce qu’il nous a entendu prêcher, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ?… Il a été mené à la mort comme une brebis. »

I.

Sans doute tous les actes qui constituent la vie de Jésus-Christ, sont autant de titres de gloire qui appartiennent exclusivement à l’Eglise catholique. Mais la gloire des gloires est incontestablement pour elle la croix de son divin Maître. Ce qui faisait dire à l’Apôtre des nations : A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Galates 6.44.)

Rendre la vue à l’aveugle-né à Siloé (Jean 9.7) était un étonnant prodige. Mais qu’était-il cet aveugle auprès de tous ceux qui couvraient la terre, et dont il fallait déciller les yeux ?

Rendre Lazare à la vie (Jean 11.30-44) après quatre jours de sépulture, est une œuvre qui surpasse, sans doute, toutes les forces de la nature ; mais ce bienfait se bornait à la seule personne du ressuscité. Qu’est-ce que Lazare comparé à cette masse prodigieuse d’hommes morts et plongés dans l’infection du péché ? (Ephésiens 2.1.)

Nourrir, rassasier cinq mille hommes avec cinq pains Matth. XIV 21) est incontestablement une œuvre merveilleuse. Mais qu’est-ce que cinq mille hommes, à côté de tant de millions d’individus qui languissaient sur la terre, affamés de la parole de Dieu ? (Amos VIII, 11.) Briser les chaînes de cette infortunée qui, depuis 18 ans, gémissait sous la tyrannie de Satan, était un acte admirable de sa toute-puissante charité. Mais que sera-t-il, si nous le comparons à celui qui rompit les liens du péché dans lesquels nous étions tous engagés ? (Proverbes 5.22.)

Car c’est la croix qui a ouvert les yeux à tous ceux que l’ignorance avait aveuglés ; c’est la croix qui a brisé les fers dont le péché nous avait chargés, et qui a racheté l’univers.

II.

Ne vous étonnez pas, au reste, de la rédemption de l’univers. Ce n’est pas un simple mortel qui en fut le prix, votre étonnement serait légitime ; mais c’est un Homme Fils unique de Dieu, qui est mort et qui a donné sa vie pour le rachat du genre humain.

Comme la porte de la mort n’avait été ouverte que par la prévarication d’un seul homme qui fut Adam (Genèse 3.22-23) il fallait aussi qu’un autre homme, mais un Homme-Dieu, vînt la fermer. Si la transgression d’un seul homme a établi sur la terre l’empire de la mort, (Romains 5.17) pourquoi la justice d’un seul ne rendrait-elle pas à la vie son empire ? Et si le fruit d’un seul arbre a été pour nos pères la cause de leur expulsion du paradis terrestre, pourquoi l’arbre de Jésus crucifié ne nous réintégrerait-il pas dans nos droits ? Si le Protoplaste ou le premier homme pétri de limon a introduit la mort et son deuil sur la terre, est-ce que celui qui est la vie même, (Jean 14.6) qui a broyé l’homme dans ses mains, ne pourra pas reconquérir sur la mort l’empire de la vie ?

Si Phinées dans son zèle apaisa la colère de Dieu en faisant, l’épée à la main, disparaître du milieu du peuple l’auteur du scandale (Nombres 25.8, 11) Jésus, sans donner la mort à personne, se livrant lui-même, comme victime expiatoire, ne pourra-t-il pas réconcilier le ciel avec la terre, la divinité avec l’humanité ? (1 Timoth. II, 5,6.)

III.

Loin de rougir de la croix du Sauveur, faisons-en notre trophée. La croix est un objet de scandale pour les Juifs, elle est une folie pour les Gentils ; elle est notre asyle, notre salut : elle est une folie pour ceux qui se perdent ; elle est la force de Dieu, c’est l’instrument de sa puissance pour ceux que Dieu sauve, c’est-à-dire pour nous. (1 Corinthiens 1.18, 23, 24.)

Comme nous l’avons dit, ce n’est pas un simple mortel qui est mort pour nous ; c’est le Fils de Dieu lui-même fait homme, revêtu de la nature humaine. Si le sang de l’agneau immolé en vertu de la loi de Moïse écartait loin du peuple l’Ange exterminateur (Exodes 12.23) de quelle autre efficacité ne sera pas le sang de l’Agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde ? (Jean 1.29.) Le sang d’un agneau privé de raison a été d’une efficacité salutaire ; comment celui du Fils unique de Dieu pourrait-il être stérile ?

Si quelqu’un révoquait en doute la puissance de l’Homme-Dieu crucifié, qu’il interroge les démons ; s’il ne nous croit pas sur paroles, qu’il croie du moins à des faits qui sont réels et patents. Le monde entier a vu périr sur la croix des multitudes innombrables de malheureux ; mais le nom d’aucun d’eux n’a encore épouvanté les démons ; tandis que l’image seule de Jésus crucifié pour nous, les fait trembler : c’est que ceux-là sont morts en expiation de leurs propres crimes, tandis que le Fils de l’homme est mort pour nos iniquités auxquelles il était étranger. Il a souffert pour nous, lui qui n’a point commis de péchés, de la bouche duquel il n’est jamais sorti de paroles trompeuses. (1 Pierre 2.22 ; Esaïe 53.9.) Ce n’est pas Pierre qui parle ainsi ; il eût craint d’être accusé de flatterie pour son divin Maître ; c’est d’Isaïe qu’il emprunte ces paroles, c’est du Prophète qui corporellement n’a rien vu de la vie et de la mort du Sauveur, mais qui en esprit a assisté plusieurs siècles d’avance à son avènement.

Ne vous donnerai-je pour témoin de son innocence que ce seul Prophète ? Non, vous entendrez encore déposer en sa faveur celui-là même qui le condamna, je veux dire, Pilate. Vous lui entendrez dire : Je ne trouve dans cet homme rien de criminel. (Luc 23.14.) Et après avoir prononcé son arrêt de mort et l’avoir livré à ses ennemis, vous lui entendrez dire encore en se lavant les mains : Je suis innocent du sang du juste. (Matthieu 27.24.) Mais il en est encore un autre irrécusable ; c’est un des deux voleurs qui furent crucifiés aux côtés de Jésus. L’entendez-vous reprocher à son compagnon d’infortune son arrogance, et lui dire : Nous portons la juste peine de nos crimes ; mais celui que tu outrages est innocent, car, l’un et l’autre, nous assistions à son jugement. (Luc 23.41.)

IV.

Jésus-Christ est donc réellement mort pour tous les hommes ; sa croix ne fut donc pas un vain simulacre ; autrement notre rédemption n’eût été que simulée. Sa mort n’est donc pas imaginaire et fantastique, autrement notre salut ne serait qu’une fiction. Si sa mort n’eût été qu’apparente et n’eût eu rien de réel, ils auraient dit vrai, ceux qui disaient : Nous nous rappelons que ce séducteur disait de son vivant : Dans trois jours je ressusciterai. (Matthieu 27.63.)

Oui, la passion du Sauveur a été réelle ; il a été véritablement crucifié. Loin d’en rougir, loin de le nier, nous faisons de sa croix notre trophée, notre plus beau titre de gloire. Et si j’étais assez impudent pour le nier, ce Golgotha qui est là en face de nous tous, ne me confondrait-il pas ? Le bois de la croix répandu d’ici par parcelles sur la surface de la terre, ne déposerait-il pas contre moi ? Oui, je confesse, je proclame la croix du Sauveur, puisque je prêche sa résurrection. Si Jésus crucifié fût resté attaché à sa croix, peut-être n’oserais-je pas confesser son crucifiement ; peut-être le cacherais-je avec mon Maître. Mais comme sa résurrection a été la conséquence de sa Passion, loin de rougir du bois de son supplice, je me fais gloire d’en parler en face de l’univers.

V.

Jésus a donc été crucifié, revêtu d’une chair de même nature que la nôtre, mais non pas couverte de ses propres péchés, comme la nôtre.

Ce n’est pas l’avarice qui l’a conduit à la mort ; car il faisait profession de ne rien posséder. Ce n’est pas son incontinence qui l’a fait condamner ; car il enseignait publiquement que quiconque jetait sur une femme des yeux de concupiscence, était par le fait un fornicateur. (Matthieu 5.28.) Ce n’est pas son arrogance, son esprit querelleur ; car frappé sur une joue, il présenta l’autre. (Ibid. V, 39 ; XXVI, 67.) Ce n’est pas son mépris pour la loi, puisqu’il était venu pour l’accomplir. (Ibid. V, 17.) Ce n’est pas pour avoir outragé la mémoire du Prophète Moïse, puisqu’il était lui-même l’objet de toutes les prophéties. Ce n’est pas pour avoir fraudé dans le commerce de sa vie, puisqu’il guérissait gratuitement les malades. Jamais il n’avait péché soit en pensée, soit en paroles, soit en actions ; lui qui n’a point commis de péché, de la bouche duquel il n’est jamais sorti un mensonge ; lui qui accablé d’injures n’a répondu par aucune injure, qui maltraité n’a fait entendre aucune menace, mais qui a remis sa cause entre les mains de celui qui juge justement ([1]) (1 Pierre 2.22-23) ; lui qui est venu à sa Passion sans contrainte, qui de son plein gré s’est livré entre les mains de ses bourreaux ; lui qui a répondu Retire-toi, Satan, à celui qui le suppliait d’avoir pitié de lui-même : Propitius esto tibi : (Matthieu 16.22, texte grec.)

[1] Dans la Vulgate on lit Tradebat autem judicanti se INJUSTE.

VI.

Vous faut-il encore des preuves plus fortes que la Passion du Sauveur a été de sa part un acte purement spontané ?[2] C’est toujours malgré eux et dans l’ignorance où ils ont toujours été du sort qui leur est réservé, que les hommes meurent ; mais Jésus-Christ prédit lui-même l’heure, les circonstances et le genre de mort qui lui est destiné. Voilà que le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié. (Matthieu 26.2.) Pourquoi dans son amour pour les hommes ne se soustraira-t-il pas à la mort ? C’est pour soustraire l’univers entier à l’abîme du péché. Voilà, dit-il, que nous montons à Jérusalem, où le Fils de l’homme sera livré et crucifié. (Matthieu 20.18.) Puis il prit un visage assuré pour aller à Jérusalem. (Luc 9.51.)

[2] Que la passion du Sauveur a été un acte purement spontané de sa volonté.
Voici une vérité sur laquelle insiste fortement S. Cyrille, et sur laquelle il reviendra plus tard. (n. 13, et Catéch. XIV, 8.) Nous ne la considérerons pas ici sous le point de vue théologique, en ce qui concerne la double volonté du Christ, et comme homme, et comme Dieu. Mais qu’on nous permette de jeter les yeux sur ce sacrifice volontaire qui devait sauver le genre humain, que la tradition a constamment prédit et consacré d’avance chez toutes les nations. Car nous demanderons à tout homme qui réfléchit un peu, quel était cet instinct qui avait dit à tous les peuples de la terre, qu’il fallait que les victimes propitiatoires ou expiatoires vinssent sans contrainte se présenter aux autels Ducebantur, et non trahebantur victima, dit Cicéron. (Lib. de Divinat.) Les victimes étaient conduites et non traînées à l’autel.
DUCUNTUR NIVEÆ, populo plaudente, juvencæ. (Virg.)
On mène, au grand applaudissement du peuple, des génisses blanches comme neige.
Casurum tibi rusticas ad aras Ducam cornibus aureis juvencum. (Mart.)
Je conduirai à tes autels rustiques un jeune taureau aux cornes dorées, pour être sacrifié.
Le mot victime vient, dit Pompeius Festus, du mot vinctus, lié, parce qu’on les amenait à l’autel liées. C’est ainsi que Jésus-Christ fut lié au Gethsémani et conduit chez Caïphe le grand sacrificateur.
Pourquoi l’antiquité païenne prend-elle pour victime une génisse, un jeune taureau ; pourquoi sera-t-elle blanche comme neige ? Pourquoi sera-t-elle liée ? N’est-ce pas le type prophétique de la victime pure et sans tache qui devait réconcilier le genre humain avec le ciel ?
La victime doit être conduite et non traînée, quoique liée, devant les prêtres. Qui ne reconnaîtra pas ici la figure typique de la véritable Victime propitiatoire qui, du jardin des Olives, ira, non traînée, quoique liée, mais conduite, plaudente populo, aux acclamations d’un peuple frénétique, devant le Grand-Prêtre, donner sa vie pour le salut des hommes sur le Calvaire ? « Car, dit Macrobe, on a observé que les sacrificateurs renvoyaient l’hostie, lorsqu’elle avait fait une forte résistance en venant à l’autel, parce qu’ils ne la croyaient pas agréable au Dieu ; si, au contraire, elle se présentait sans contrainte, ils la jugeaient alors agréable à la divinité. » (Saturnales, lib. III, cap. 5.)
« Il a été encore remarqué, dit Pline, que les veaux apportés au temple, sur l’épaule, étaient presque toujours de sinistre augure, dans les sacrifices, ainsi que les boiteux, et que les Dieux rejetaient l’hostie qui répugnait au sacrifice. » (Lib. VII, cap. 45.)
Laissant de plus nombreux témoignages que nous pourrions ici entasser, nous nous contenterons de faire remarquer le langage de tous les auteurs de l’antiquité lorsqu’ils parlent d’un sacrifice d’heureux augure. Ovide dit que les bœufs ont présenté leur col au couteau. Colla ferienda boves præbuisse. Velléius Paterculus (lib. 16) Valérius Maxim. (lib. 1, cap. 13) Pétronius (Arbit.) Sénèque l’ancien, Juvénal, se servent tous de ces mots : Cervicem feriendam dare, afferre, porrigere, nec gladio, nec securi subtrahere.
Qui ne reconnaîtra pas dans cette antique tradition du paganisme la figure prophétique de l’Agneau sans tache dont parle Isaïe : Quasi agnus coram tondente se, comme un agneau sous la main du tondeur ?
Disons un mot du choix des victimes, ou de ce que les prêtres appelaient probation. La génisse et le jeune taureau, la brebis, l’agneau, s’ils étaient blancs et sans tache, étaient dites optatæ, de choix. Il fallait au moins que la victime fût sans défaut corporel. « Les sacrificateurs, dit Lucien, couronnent l’animal, après l’avoir longtemps examiné et reconnu comme parfait, ne voulant rien immoler qui ne fût digne des Dieux, et conduisent ensuite la victime à l’autel. »
Je m’étonne, disait Tertullien, du soin que vos prêtres, les plus vicieux des hommes, apportent dans l’examen et le choix des victimes ; pourquoi on examine plutôt le cœur des hosties que celui des sacrificateurs. »
Qui ne reconnaîtra pas dans cette hostie parfaite, dans cette probata hostia que recherche le Paganisme sur les indices de la tradition, et, disons-le, d’une révélation primitive, cet agneau sans tache qui doit effacer les péchés des hommes, cette victime que le Roi-Prophète avait montrée aux générations à venir, dans le plus beau des enfants des hommes ? Speciosus formá præ filiis hominum.
Il est encore une autre circonstance de la Passion du Sauveur dont je ne me rappelle pas avoir trouvé dans les Livres saints la figure typique. Je veux parler du couronnement des victimes.
Nunc ad altaria debent Plena coronato stare boves capite. (Tib.)
Velatum vittisque juvencum. (Virgile.)
On les ornait de festons, on dorait les cornes des génisses et des taureaux.
Rapprochez cette cérémonie du paganisme, du couronnement de la Passion, de ce manteau de pourpre, de ce roseau en forme de sceptre. Et vous verrez que ces cornes dorées, ces festons, ces bandelettes, ces couronnes sont sur la tête de la victime, aussi dérisoires que dans la scène du crucifiement, et que dans l’un et l’autre sacrifice la victime était le jouet d’un peuple stupide, plaudente populo.
C’est à une révélation primitive, c’est à la tradition des premiers âges, conservée sous un amas de monstrueuses et ridicules erreurs, que nous devons ce type archi-prophétique du sacrifice du Calvaire. C’est un amas de folies et d’erreurs, dira-t-on ; sans doute, mais toute erreur présuppose la vérité, verum falso prius. C’est dans l’erreur d’un siècle qu’il faut chercher son prototype, c’est-à-dire, la vérité qui lui a donné naissance. C’est des fouilles du paganisme que j’aime extraire les preuves d’une révélation primitive, et par conséquent les preuves fondamentales du Christianisme.
Quelle différence les Gentils faisaient-ils entre victime et hostie, victima et hostia ? Victima, dit Festus, vient du mot vincire, lier ; Hostia vient d’hostis, étranger. Hostibus à domitis hostia nomen habet. (Ovid.)
Jésus-Christ dans sa Passion a réalisé l’étymologie prophétique de ces deux mots. Nous avons déjà vu comme il a réalisé celle de victime. Nous allons le considérer maintenant comme hostie, puisque l’Eglise a consacré ce mot dans sa lithurgie, non sans quelques motifs.
Hostia, a dit Ovide, vient d’hostis. Mais que signifie ce mot ? Terentius Varro, dans une lettre à Cicéron, va nous l’apprendre Multa verba aliud nunc ostendunt, aliud antè significabant, ut hostis. Nam tùm eo verbo dicebant peregrinum qui suis legibus uteretur ; nunc dicunt eum quem tùm dicebant perduellem. (Terent. Varro. Epist. ad Cicer. lib. IV.)
« Beaucoup de mots présentent aujourd’hui un sens autre que celui qu’ils avaient jadis, tel que celui d’hostis : il signifiait autrefois un étranger qui vivait selon ses lois natales ; aujourd’hui c’est un ennemi. »
En langue tudesque le mot ost signifie étranger. Ce mot hostis avait passé les Alpes de très-bonne heure avec beaucoup d’autres mots, et signifiait donc étranger. De là les mots latins : Hospes (hostispes) un hôte, le pied de l’étranger ; hospitium, hospice, hostage, hôtel. (Voy. Ducange, v°Hostagium.)
Poursuivons Le Créateur avait si profondément gravé dans le cœur de l’homme l’idée que le péché ne pouvait être effacé sur la terre, que le ciel ne pouvait être apaisé que par le sang d’une victime pure, sans tache, étrangère au péché, qu’on retrouve cette même idée toute entière sous les plus monstrueuses erreurs du Paganisme. La peste ravage-t-elle un pays ? Un fléau désole-t-il une contrée ? C’est le ciel qui est irrité contre ce pays, contre cette ville criminelle. Jusque-là point d’erreur. Il faut apaiser le courroux céleste par le sang d’une victime. C’est ainsi que la tradition l’a voulu. Cette victime doit être innocente, c’est-à-dire, étrangère aux crimes de la nation. Voilà ce que la tradition prophétique a voulu marquer, en appelant aux autels les animaux les plus pacifiques et les plus utiles à l’homme, tels que la brebis, le veau, la génisse, le bœuf, le bouc, et parmi les volatiles, la colombe, la tourterelle.
Mais, voici l’erreur où le prince des ténèbres entraîna le genre humain par ses oracles et ses devins. C’est que la Divinité ne se contentait pas du sang des animaux ; mais c’est qu’elle avait soif du sang de l’homme. Alors chaque peuple, chaque ville, croyant ou feignant de croire que toute la nation était coupable, lorsqu’un crime avait été commis dans son sein, pour ne pas sacrifier un parent, un ami, un homme puissant, un fils, un frère, s’emparait du premier étranger qu’elle rencontrait, et l’immolait à ses Dieux. De là le mot de supplice, de supplier la Divinité avec le sang innocent.
La peste ravage l’armée des Grecs devant Troye : c’est qu’Apollon est irrité, parce que sa prêtresse a été enlevée ; il faut l’apaiser. Calchas son devin annonce que la peste ne cessera que quand on lui aura sacrifié une vierge, et une vierge du sang royal, Iphigénie, innocente, étrangère à l’enlèvement de Chryséide. Voilà l’hostie. De là, les sacrifices de Pylade sur les terres de Thoas, ceux des trente jeunes Athéniens voués annuellement au Minotaure de Crète, celui des filles de Leo. (Voy. Théodoret. Demonstrat. lib. in, cap. 15.) De là ces sacrifices humains, surtout ceux des enfants dans l’âge d’innocence en vogue chez les Chananéens, les Phéniciens, les Tyriens, les Carthaginois ; en vogue chez les Romains qui, pour se garantir de l’invasion des Gaulois, d’après le conseil des Aruspices, enterrent vifs deux Grecs et deux Gaulois ; en vogue chez nos aïeux, dans les Gaules jusqu’à l’établissement du Christianisme (vid. de Bello gallico”, VI16) ; en vogue encore aujourd’hui chez les Païens des Indes et du Japon.
De là ces dévouements suicides qui ne peuvent avoir pour base qu’une antique vérité profondément et universellement gravée dans le cœur de l’homme Il faut qu’un meure pour tous. Oportet unum mori pro omnibus. Dernier oracle de la Synagogue. (Voy. ce que nous dirons de Jonas, Catéch. XIV, 17.) (Note du Traducteur.)

Pour comprendre combien la croix est glorieuse à Jésus-Christ, ne m’écoutez pas ; mais écoutez Jésus-Christ lui-même. L’ingrat Judas ourdissait déjà le complot qui devait livrer le Père de famille à ses ennemis ; il avait assisté au banquet sacré ([3]) ; il avait participé à la coupe de bénédiction. Pour prix de la coupe du salut, il convoita le sang du juste. (Jean 13.30.) Celui qui mangeait à sa table s’éleva avec insolence contre lui pour le supplanter. (Psaumes 40.10.) De la même main dont il venait de recevoir les eulogies, (le pain de bénédiction) il courut recevoir le prix de la mort de son bienfaiteur, de son Père. Quoiqu’il n’ignorât pas que son criminel projet était connu de son Maître, quoiqu’il eût entendu ce mot terrible : Tu l’as dit (Matthieu 26.25) il ne se déconcerta pas, et n’alla pas moins consommer son crime. C’est alors que Jésus dit : L’heure est venue où le Fils doit être glorifié. (Jean 12.23.) Il savait donc bien que c’était sur la croix qu’il allait triompher des puissances infernales, et qu’elle serait un trophée de sa victoire.

[3] Le lecteur observera la discrétion du Catéchiste en présence des non-baptisés, sur le mystère de la sainte Eucharistie et le voile dont il enveloppe ses paroles.

Si Isaïe qui eut le corps déchiré sous une scie (de bois) n’eut pas à rougir de son supplice, comment la croix du Sauveur mourant pour le salut des hommes serait-elle ignominieuse pour lui ? Oui, maintenant le Fils de l’homme est glorifié. (Jean 13.31.) Non pas que jusqu’alors il eût manqué de gloire ; car comme il le dit lui-même : Glorifiez-moi, mon Père, de cette gloire que j’ai eue en vous, avant que le monde fût. (Jean 17.5, 24.) Mais il n’en jouissait que comme Dieu, tandis qu’aujourd’hui il triomphe, le front orné de la couronne de la patience.

En quittant la vie, Jésus-Christ n’a point cédé à la violence, il n’a point succombé aux excès de la douleur ; mais il est mort parce qu’il l’a voulu, et quand il la voulu, parce qu’il a dit lui-même : J’ai le pouvoir de laisser la vie et celui de la reprendre. (Jean 10.18.) Si mes ennemis mettent la main sur moi, c’est que je le veux ; autrement leurs efforts seraient inutiles. Il est donc venu de plein gré sur le théâtre de sa Passion, portant avec joie sa couronne, sans redouter la croix, se réjouissant du salut qu’il allait introduire dans le monde. Ce n’était pas un simple mortel qui allait être aux prises avec les douleurs et la mort, mais c’était un Dieu-Homme qui allait combattre pour le prix de patience et d’obéissance.

VII.

Le Juif toujours fertile en objections, toujours récalcitrant contre la foi, persistera dans son opiniâtre rébellion. C’est du Juif que parlait le Prophète dont nous venons de faire lecture, lorsqu’il disait : Seigneur, qui est-ce qui a cru à nos paroles ? (Esaïe 53.1.) Les Perses y croient, et les enfants d’Israël y sont rebelles. Ceux-là à qui rien n’a été prédit, verront ; ceux-là qui n’ont rien entendu, comprendront ; et ceux-là qui méditent avec nous les mêmes livres, rejetteront ce qu’ils ont médité. Vous les entendrez vous demander et vous dire : Est-ce que Dieu peut souffrir ? Est-ce que la force humaine peut prévaloir sur la puissance divine ? Aveugles ! Lisez les Lamentations du Prophète. C’est la perspective de votre perte future qui lui arracha ces accents si plaintifs. C’est la ruine de votre Jérusalem[4] qui lui fit verser ces torrents de larmes. Car celle d’aujourd’hui n’est pas à déplorer ; la vôtre a crucifié le Christ son Dieu ; celle d’aujourd’hui adore le Christ son Seigneur et son Dieu. Entendez le Prophète qui vous dit : Le Christ, le Seigneur, l’Esprit et le souffle de notre bouche a été pris dans nos iniquités. (Lament. IV, 20. Sept.) Vous trompé-je ? Voilà le Prophète qui vous atteste que le Christ sera pris dans les filets des méchants. Continuez, Prophète, et dites-nous ce qui arrivera dans la suite Lui à l’ombre duquel, disions-nous, nous vivrons au milieu des nations. (Ibid.) Ce ne sera plus dans Israël, dans la terre de promesse, c’est au milieu des nations, dit le Prophète, que vous serez contraints de vivre à l’ombre, de vous réfugier sous la protection du Christ que vous avez crucifié.

[4] C’est la ruine de votre Jérusalem.
Jérusalem détruite par Tite et Vespasien et qu’Hadrien acheva de raser, fut tellement éclipsée par la ville dite Ælia que cet Empereur fit bâtir non loin de la première, que l’ancienne ville tomba totalement dans l’oubli parmi les Gentils, au point qu’on demanda un jour à Firmilianus préfet de la Palestine, au commencement du IVe siècle, où était située Jérusalem. Il répondit qu’il n’en avait jamais entendu parler. (Eusèbe, Hist. Eccles. lib. VI, 21.)
Jérusalem ne recouvra de la célébrité, et de la splendeur que par les pèlerinages et la restauration qu’en firent Constantin et l’Impératrice Hélène, après l’Invention de la Ste Croix. (Voy. Procat. n. 16.) C’est alors qu’elle reprit son ancien nom. (Voy. Eusèbe, lib. III, Vit. Constant. cap. 32. Socrat. lib. 1, cap. 17.)

VIII.

Mais comme leurs objections sont intarissables, nous espérons en dépit de la brièveté du temps qui nous est donné, avec le secours de l’Esprit -Saint, et celui de vos prières, vous mettre sous les yeux quelques preuves irrécusables de la Passion du Christ. Car tout ce qui concerne sa vie et ses actions, a été écrit longtemps d’avance. Tout est clair, rien n’est équivoque, tout est prouvé ; tout est inscrit sur les colonnes prophétiques, non pas sur des tables de pierre que le temps réduit en poudre ; mais tout est gravé du doigt de l’Esprit-Saint d’une manière indélébile.

Lorsque l’Evangile nous parle de Judas (Matthieu 27.3, 9) n’en attendez-vous pas la preuve ? Si nous vous disons que le Christ a eu le côté percé d’une lance (Jean 19.34, 37) ne devez-vous pas vérifier le fait et voir s’il a été prédit ? On vous a dit que le Christ a été crucifié dans un jardin, (Jean 19.41) sur le Golgotha ; ne devez-vous pas comparer nos assertions avec les prophéties ? Qu’on vous parle des trente deniers, (Matthieu 26.15) du vinaigre dont il fut abreuvé, (Jean 19.29-30) des voleurs au milieu desquels il consomma son sacrifice, du sépulcre taillé dans le roc où son corps fut déposé, (Matthieu 27.60) ne devez-vous pas recourir au témoignage même des Prophètes ? On vous parle de sa sépulture et de sa résurrection ; la prudence ne vous dit-elle pas de voir par vous-même s’il en est écrit quelque chose et quelque part, et si nos doctrines ont des bases solides et réelles ? Car dans nos discours et nos prédications nous n’employons pas les moyens persuasifs de la sagesse humaine. (1 Corinthiens 2.4.) Nous n’avons pas recours à ces formes oratoires, à ces moyens sophistiques. Ces raisonnements sortis des écoles ne sont ici d’aucune valeur, puisqu’ils sont sujets à contradiction et discussion. Ici, ce ne sont pas des mots auxquels on puisse opposer d’autres mots, de ces raisonnements captieux qu’un esprit subtil puisse affaiblir ou détruire.

Nous prêchons Jésus-Christ crucifié (1 Corinthiens 1.23) le même que les Prophètes ont prêché longtemps avant nous. Ainsi, au fur et à mesure que vous entendrez leurs dépositions, retenez -les bien dans votre cœur. Comme elles sont très-nombreuses, et que les bornes de ce discours sont très-étroites, nous n’en produirons qu’un petit nombre ; mais ce seront les plus importantes.

Prêtez-moi donc une sérieuse attention. Ce que je vous dirai ne manquera pas de piquer votre curiosité, et vous rechercherez studieusement les autres témoignages que je serai forcé de passer sous silence. Que votre main ne soit pas seulement ouverte pour recevoir, mais qu’elle soit également prompte pour l’action. (Siracide 4.36.) Et c’est ainsi que Jésus-Christ sera glorifié en science et en œuvres.

Si quelqu’un d’entre vous manque de cette intelligence nécessaire pour me suivre, qu’il la demande à Dieu auteur et source de toutes lumières (Jacques 1.5) et il la recevra. C’est à vos prières qu’il rendra nos paroles efficaces, et répandra parmi vous qui nous écoutez, le don de la foi.

IX.

Mettons-nous donc à la recherche des témoignages contenus dans les Livres saints sur la Passion du Sauveur. Car nous sommes ici réunis, non pas pour faire une lecture stérile et purement spéculative des Livres sacrés, mais pour nous mieux convaincre de ce que nous croyons déjà, pour nous fortifier dans la foi par des documents certains.

Déjà nous avons passé en revue les différentes preuves que nous offrent les Livres saints sur l’avènement de Jésus-Christ. Nous avons vu que toutes ses actions durant sa vie mortelle avaient été écrites d’avance. Il devait un jour marcher sur les eaux, et l’Ecriture vous l’a montré dans ces mots : Ta route est au sein des mers. (Ps. LXXVI, 20.) C’est toi qui marches sur les flots de la mer, comme sur le sol. (Job IX, 8.) Nous avons déjà vu toutes les guérisons qu’il devait opérer, annoncées et prédites dans ces mêmes livres. Il nous reste à examiner tout ce qu’ils renferment de relatif à la Passion du Sauveur.

Judas fut un traître ; ennemi de son Maître, il affectait des paroles de paix (Psaumes 34.20) tandis qu’il machinait contre lui. C’est de lui que le Psalmiste a dit : Mes amis et mes proches se sont placés en face de moi et se sont arrêtés (Psaumes 37.12) ; leurs paroles étaient plus insinuantes que l’huile ; elles perçaient comme des flèches. (Psaumes 54.22.) Reconnaissez-vous ici cette parole traîtresse, Salut, mon Maître. (Matthieu 26.49.) Reconnaissez-vous ici celui qui, à l’instant même où il prononçait ces paroles de paix, livrait son Maître à la mort, et qui fut froid et glacé à la voix de ce même Maître qui lui dit : Judas, c’est par un baiser que vous trahissez le Fils de l’homme ! (Luc 22.48.) En l’appelant par son nom (qui en langue chaldaïque signifie confession) il semblait lui dire : Souviens-toi de ton nom ; rends hommage à la vérité, avoue que tu as reçu de l’argent, hâte-toi d’en faire l’aveu. C’est à cette circonstance que faisait allusion le Roi-Prophète, lorsqu’il disait : O Dieu, ne gardez pas le silence sur ce qui concerne mon innocence ; car la bouche du pécheur et celle du fourbe se sont ouvertes contre moi ; ils ont déchaîné contre moi leur langue pleine de mensonges, ils m’ont investi de discours dictés par la haine, et m’ont attaqué sans aucun sujet. (Psaumes 108.1-2.)

Vous avez déjà remarqué dans nos précédentes instructions que plusieurs des principaux Prêtres avaient été présents à l’arrestation du Sauveur, et que c’est hors des portes de la ville qu’il fut lié et garrotté ; vous n’avez pas oublié ces paroles du Psalmiste, qui signalent l’heure et le lieu de la scène, qu’ils retourneront le soir, qu’ils seront affamés comme des chiens, et qu’ils entoureront la ville. (Psaumes 58.7 ou 45.)

X.

Voici maintenant un autre Prophète qui vous parlera des trente deniers d’argent. Si cela vous paraît juste, payez-moi ; sinon refusez : voilà ce que je leur dirai… Ils pesèrent alors trente pièces d’argent pour ma récompense. (Zacharie 11.12.) Est-ce là, peuple ingrat la récompense que vous me devez pour avoir rendu la vue à vos aveugles et redressé vos boiteux ? C’est avec des outrages que vous payez mes bienfaits ! c’est à trente deniers d’argent qu’ils ont évalué mes services. (Ibid.) Voyez jusqu’où le Prophète a porté la prévision et la précision. O suprême sagesse ! ô adorable infaillibilité de l’Esprit-Saint ! Car il ne parle ni de dix ni de vingt deniers, ni d’un nombre approximatif quelconque ; non, il précise exactement la quotité de la somme. Mais, dites-nous, Prophète : Qu’est devenu cet argent ? Celui qui les a reçus, les gardera-t-il, ou les rendra-t-il ?

Et s’il les a rendus, qu’est-il devenu ? C’est encore ce que le Prophète va nous apprendre : Je pris, vous dit-il, les trente deniers d’argent, et je les jetai dans le temple pour être épurés. (Ibid. 13.) Comparez le Prophète avec l’Evangéliste. Celui-ci vous dira que Judas, déchiré de remords, courut jeter l’argent dans le temple, et se retira. (Matthieu 27.3, 5.)

XI.

Mais, si on veut examiner de près et comparer le Prophète avec l’Evangéliste, on pourrait remarquer entr’eux quelque dissonance que ceux qui méprisent les Prophètes, ne manqueraient pas de relever. Le Prophète dit que l’argent fut jeté dans le temple pour être épuré, in conflatorium ; et l’Evangéliste dit au contraire : Ils le donnèrent pour en acheter le champ d’un potier. (Matthieu 27.10.) Quel rapport de vérité y a-t-il entr’eux ? Ecoutez-moi, et vous apprendrez comment tous deux ont dit vrai.

Les Juifs ne faisaient pas profession d’irréligion, surtout les Princes des Prêtres. A la vue du remords dont était déchiré l’infortuné Judas, lorsqu’ils l’entendirent s’accuser d’avoir péché, d’avoir vendu et livré le sang du Juste, ils lui répondirent : Que nous importe ! Cela vous regarde. (Matthieu 27.4.)

Que nous importe, dites-vous, malheureux ! Cela ne vous regarde pas, vous qui venez de crucifier le Juste ! cela regarde, dites-vous, celui qui a reçu le prix de son sang, et qui l’a livré. Et cette mort ne vous regardera pas, vous qui trempez vos mains dans son sang ?

Puis se regardant entr’eux, ils se disent : Il ne nous est pas permis de remettre cet argent dans le trésor ; c’est le prix du sang. (Matthieu 27.4, 5, 7.) C’est de votre bouche, juges iniques, que sort votre condamnation ; c’est vous-mêmes qui avez prononcé votre arrêt. Si le prix est infâme, l’achat est donc infâme. Si la peine de mort que vous venez de prononcer est un acte de justice, pourquoi redoutez-vous de rétablir cet argent dans le trésor du temple ?

Mais revenons à notre question, comment accorder l’Evangéliste qui parle du champ d’un potier, et le Prophète qui parle d’un épuratoire, conflatorium ?

Qui est-ce qui ignore que ce ne sont pas les orfèvres seuls qui épurent les matières qu’ils emploient dans la confection de leurs ouvrages ? Qui est-ce qui ne sait pas que les potiers ont aussi leurs épuratoires ; que c’est dans des fosses qu’ils épurent à force d’eau les terres qu’ils destinent à la poterie et les dégagent de toute espèce de scories ? Qu’y a-t-il donc d’étonnant ? L’Evangéliste ne parle ici que d’un épuratoire en général[5].

[5] Parle au contraire d’un épuratoire en général.
Sur cette difficulté nous ferons observer que le mot grec Choneutérion qu’on lit dans les Septante, se traduit par conflatorium, fourneau à fondre le métal. Mais Aquila dans sa version a traduit l’hébreu par ces mots pòs tùy пlácτqy, ad fictorem, au mouleur, et que nous pouvons rendre aussi par figulum, potier : les plâtriers, les potiers, les statuaires font des statues en plâtre, en argile, qui servent souvent de noyaux au fondeur en métal. La Vulgate a traduit par statuarium, statuaire. Ainsi la difficulté que se fait S. Cyrille me paraît avoir été résolue par Aquila qui ne s’en doutait pas, et par S, Jérôme d’une manière plus lumineuse. (Note du Trad.)

XII.

Ils lièrent Jésus et l’amenèrent dans la maison du Grand-Prêtre. (Luc 22.54.) Voilà ce que dit l’Evangéliste. Ecoutez le prophète Isaïe : Malheur à leur âme, parce qu’ils ont pris une délibération pernicieuse et se sont dit entr’eux : Lions, garrottons le Juste, parce qu’il nous incommode. (Esaïe 2.9-10. Sept.) Oui, en vérité, malheur à leur âme. De quel juste le Prophète entend-il parler ? Nous voyons qu’Isaïe est mort sous les dents d’une scie ; mais le peuple dans la suite rentra en grâces avec le Seigneur. Jérémie fut jeté dans un cloaque infect ; mais la plaie que ce crime avait faite à la nation, se cicatrisa dans la suite. Tout énorme qu’était ce crime, il était encore susceptible de pardon, puisqu’il n’avait eu qu’un homme pour objet. Mais aujourd’hui, malheur à leur âme, parce que ce n’est plus sur un homme, mais sur l’Homme-Dieu qu’ils ont exercé leur fureur. Ce ne fut plus un homicide, mais un déicide.

Lions le Juste. Eh quoi ! me dira-t-on, est-ce que celui qui, en faveur de Lazare, brisa les portes de la mort, fermées sur lui depuis quatre jours, qui rompit les chaînes dont Pierre était chargé, avait perdu sa puissance ? – Non, sans doute ; et des légions d’Anges, témoins de cet horrible forfait, se disaient entr’eux : Allons, brisons leurs liens. (Psaumes 2.3.) Mais leur zèle fut comprimé par la volonté du Seigneur résolu de souffrir et de mourir.

Il est ensuite traduit devant les Anciens du peuple. C’est ce que vous a dit le Prophète : Le Seigneur entrera en jugement avec les Anciens du peuple et ses Princes. (Esaïe 3.14.)

XIII.

Mais le Prince des Prêtres l’ayant interrogé, et ayant entendu la vérité, entra dans des accès de fureur. (Matthieu 26.63.) Un mauvais valet fut le ministre de la colère de son maître (Joh. XVIII, 22) et osa frapper la face auguste du Sauveur ; cette face qui aurait jadis éclipsé celle du soleil (Matthieu 27.2) fut souillée de la main d’un ignoble valet. A ce sanglant outrage d’autres succédèrent. La face de celui qui avec un peu de salive avait ouvert les yeux de l’aveugle-né (Jean 9.6) fut bientôt couverte de crachats. O peuple insensé ! ô stupide nation ! Est-ce ainsi que tu reconnais les bienfaits du Seigneur ? (Deutéronome 32.6.) Entends-tu le Prophète qui, stupéfait de ton aveuglement, s’écrie avec douleur : Qui est-ce qui a cru à nos paroles ? (Esaïe 53.1.) Est-il en effet croyable qu’un Dieu, le Fils de Dieu, le bras du Seigneur (Ibid.) soit ici le jouet de cette ignoble valetaille ? Mais ici l’Esprit-Saint vient au secours de la foi chancelante de ceux qui veulent être sauvés, et fait parler le Prophète au nom du Christ : J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient. (Esaïe 52.6.)

Car ici il réalise les paroles que le Prophète lui avait mises dans la bouche : Je n’ai point soustrait mes joues ni ma face à l’infamie des crachats. (Esaïe 50.6.)

C’est ainsi que le Prophète fait parler le Christ lui-même. C’est comme s’il se fût dit à lui-même : Comment pourrais-je fortifier mes disciples contre la terreur des supplices jusqu’à préférer la mort, plutôt que de trahir la vérité, si je ne leur en donne pas moi-même l’exemple ? N’est-ce pas moi qui ai dit : Celui qui aime son âme, la perdra ? (Jean 12.25.) Si je tiens à la vie, si je ne mets pas en pratique ce que j’ai enseigné, de quel profit seront pour les hommes les leçons que je suis venu leur donner ? Quoiqu’il fût Dieu, il laissa patiemment à la malice humaine épuiser sa rage sur son auguste personne, pour nous apprendre à tout souffrir de la part des hommes pour sa gloire, comme il avait tout souffert pour nous.

Remarquez que toutes ces circonstances ont été décrites par les Prophètes avec une très-grande précision. Leurs témoignages sont aussi nombreux que positifs. Mais le temps, comme je vous l’ai dit, ne me permet pas de les passer tous en revue. Celui qui voudrait en faire la recherche exacte, verrait qu’il n’est aucune action, aucune circonstance de la vie du Sauveur qui n’ait ses preuves dans les livres de l’Ancien Testament.

XIV.

Jésus-Christ fut conduit lié de Caïphe à Pilate. (Matthieu 27.2.) Le Prophète n’a-t-il pas dit ? Ils le lièrent, l’emmenèrent, et en firent un présent au roi de Jarim[6]. (Osée 10.6.) Mais, dira peut-être quelqu’un de ces esprits récalcitrants Pilate n’était pas roi. Sans nous occuper d’autres objections qu’on peut faire encore, nous lui dirons : Prenez et lisez l’Evangile : Pilate ayant appris que Jésus était de la Galilée, le renvoya à Hérode. (Luc 23.6-7.) Or, Hérode était roi et habitait Jérusalem. Remarquez l’exactitude du Prophète, lorsqu’il dit : En firent un présent. C’est en effet dès ce jour que Pilate et Hérode qui jusque-là s’étaient haïs cordialement, se réconcilièrent. (Ibid. 12.) Et Jésus devint le gage de leur réconciliation. Car il convenait que celui qui devait réconcilier le ciel avec la terre, (Colossiens 1.20) commençât par établir la paix entre ceux qui devaient le condamner, puisqu’il était le Seigneur qui change les cœurs des rois de la terre. (Job XII, 24. Sept.)

[6] En firent un présent au roi de Jarim.
Ce passage du Prophète Osée avait déjà été interprété par S. Justin (Dial. pag. 331) dans le même sens que S. Cyrille le fait ici. Ruffin a marché sur les pas de l’un et de l’autre. Tous les trois ont vu, dans les paroles du Prophète, l’envoi que les Juifs firent de Jésus à Pilate et à Hérode.
Symmaque dans sa traduction a rendu le mot de Jarim par præsul, préfet, ce qui équivaudrait au Roi-Préfet. Sans le vouloir, Symmaque est entré dans le sens de S. Cyrille. Car, qu’était Hérode ? Un roi placé par les Romains, ad nutum, un préfet décoré du titre de roi. Mais comme le mot hébreu Jarim ou Jarib signifie sylvester, sauvageon, voici sur ce texte le commentaire de Ruffin : Et bene addidit JARIM, quod est sylvester. Non enim erat Herodes de domo Israel nec de vinea illa Israelitica, sed erat sylvester, id est, ex sylva alienigena.

Le Prophète vous donne donc ici un témoignage certain et authentique.

XV.

Admirez maintenant les circonstances qui vont accompagner le jugement du Sauveur. Il se laisse conduire ou plutôt porter par des soldats. (Matthieu 27.11.) Pilate est assis sur son siège pour le juger, et celui qui est assis à la droite de Dieu (Psaumes 109.1) était debout en qualité de criminel. (Matthieu 27.11.) C’est ce même peuple qu’il a tiré de l’Egypte, qu’il a arraché à mille périls, qui pousse ces cris forcenés : Tolle, tolle, crucifige eum. (Jean 19.15.) Otez, ôtez-le, crucifiez-le. Dites-moi, Juifs, quel est le motif de votre rage ? Est-ce parce qu’il a rendu la vue à vos aveugles ? Est-ce parce qu’il a redressé vos boiteux ; parce que tous ses pas au milieu de vous ont été marqués par des bienfaits ? Je vous le demande avec le Prophète : Contre qui votre bouche s’est-elle ouverte, contre qui avez-vous proféré d’exécrables blasphèmes ? (Esaïe 57.4.) Ah ! laissons le Seigneur répondre par la bouche de ses Prophètes Mon héritage a été à mon égard comme un lion dans la forêt : il a jeté de grands cris contre moi. C’est pourquoi il est devenu l’objet de ma haine. (Jerem. XII, 8.) Ce n’est pas moi qui ai rejeté mon peuple, c’est lui qui m’a repoussé. C’est pourquoi je dis : J’ai abandonné ma maison. (Ibid. 7.)

XVI.

En présence de ses juges, Jésus se taisait, au point d’exciter la compassion de Pilate qui ne put se retenir, et lui dit : Vous n’entendez donc pas ce dont on vous accuse ? (Matthieu 27.13.) Ce n’est pas que Pilate prît un grand intérêt à l’accusé, car il ne le connaissait pas ; c’est qu’il était intimidé par un songe qui avait fatigué son épouse, et dont elle venait de lui donner avis. Mais Jésus continua de garder le silence, ainsi que le Psalmiste l’avait prédit : Je suis devenu comme un homme qui n’entend pas, et qui n’a point de langue pour répliquer. (Psaumes 37.15.) Je n’entendais pas plus qu’un sourd, et ne parlais pas plus qu’un muet. (Ibid. 14.). Je n’en dis pas davantage. Car vous n’avez pas oublié ce qui vous en a déjà été dit[7].

[7] Vous n’avez pas oublié ce qui vous en a déjà été dit.
C’est peut-être dans une homélie qui n’est pas venue jusqu’à nous, qu’il en a parlé.

XVII.

Abandonné dans le prétoire à la garde des soldats, le Maître devint le jouet des valets. Voilà Dieu lui-même qui est bafoué par une vile soldatesque ; voilà le maître du tonnerre qui est l’objet de ses dérisions. Triste circonstance dont le Prophète avait été témoin : Ils m’ont vu, et ils ont hoché la tête. (Ps. CVIII, 25.) Il est Roi, il est le Roi des rois ; et sa royauté sera le sujet de leurs railleries. Ils se jouent de lui, mais ils fléchissent le genou devant lui. (Matthieu 27.29.) Un vieux manteau de pourpre, un mauvais roseau une couronne d’épines, seront les ridicules insignes de sa royauté. Puis, après l’avoir travesti en monarque de théâtre, ils fléchiront les genoux devant lui, et le crucifieront ensuite. Sa couronne est d’épines !… Et qu’importe à la vérité ? C’est aux soldats à proclamer le roi ; il fallait donc que Jésus-Christ fût symboliquement couronné par la soldatesque. C’est ce que l’Esprit-Saint avait prévu au livre des Cantiques : Sortez, voyez, filles de Sion, le Roi Salomon, la tête ceinte du diadème dont sa mère l’a ornée le jour de ses noces. (Cantique 3.11.) La couronne était le signe typique ou mystérieux de la rédemption des pécheurs, de l’abrogation de l’arrêt de malédiction porté contre le genre humain.

XVIII.

C’est dans la personne d’Adam que sa postérité fut condamnée et maudite. La terre sera maudite dans les œuvres ; elle te produira des ronces et des épines. (Genèse 3.17-18.) C’est pour déchirer et anéantir ce funeste arrêt que le Sauveur accepta la couronne d’épines ; c’est pour rendre à la terre sa bénédiction primitive et l’affranchir des malédictions portées contre elle, qu’il prit sa sépulture au sein de la terre.

C’est au moment même que nos pères eurent péché, qu’ils dépouillèrent le figuier de ses feuilles, pour s’en couvrir et cacher leur nudité ; et c’est le figuier qui devint la clôture des miracles du Sauveur ; c’est sur le figuier, qu’il opéra sa dernière œuvre de toute-puissance. Car c’est en allant à Jérusalem, pour y consommer son sacrifice, qu’il maudit le figuier, non pas l’espèce en général, mais celui-là seul qu’il rencontra, en disant : Personne désormais ne mangera de ton fruit. (Marc 11.14.) C’est ainsi que fut levée la malédiction. Comme c’était au printemps que nos pères se couvrirent de feuilles de figuier, c’est aussi dans la même saison. où l’on ne trouve point de fruits sur cet arbre, que Jésus-Christ passa. Ignorait-il qu’en cette saison le figuier est stérile ? Non certes ; ce ne fut donc pas l’espoir de cueillir des figues, qui l’amena vers cet arbre.

Il cherchait ce qu’il savait ne pas trouver. Mais c’est que, comme dans le figuier, les feuilles seules étaient le signe mystérieux de la malédiction qui pesait sur nous, c’est sur elles seules que tomba celle de Jésus-Christ.

XIX.

En abordant ce qui se passa dans le paradis terrestre, j’ai été frappé de la vérité des figures. C’est dans un verger, c’est dans un jardin qu’on appelle Paradis, que s’effectua la chute de l’homme ; c’est dans un verger que s’opéra la restauration de l’homme. C’est un arbre qui donna la mort à l’homme ; c’est un arbre qui lui rendra la vie. C’est dans l’après-midi, sur le déclin du jour, pendant que le Seigneur se promenait, qu’Adam et Eve se cachèrent ; c’est dans l’après-midi, que le Seigneur fit entrer le bon larron dans son paradis.

Oh ! dira-t-on, c’est un rapprochement plus ingénieux que solide. Montrez-moi le bois de la croix vu et prédit par les Prophètes ; sans cela je ne croirai pas.

Fort bien ; alors prenez et ouvrez Jérémie, et vous serez bientôt convaincu. Pour moi, j’étais comme un innocent agneau qu’on mène à l’autel pour être sacrifié. Et ne le savais-je pas[8] ? (Jérémie 11.19.) (Car ce dernier mot doit être lu avec interrogation.) Et rapprochez les paroles du Prophète de celles du Sauveur : Vous savez que la Pâque va se faire dans deux jours, et le fils de l’homme sera livré pour être crucifié. (Matthieu 26.2.) L’ignorait-il ? Pour moi comme un agneau innocent, qu’on mène à l’autel pour être sacrifié ; et ne le savais-je pas ? De quel agneau parle le Prophète ? C’est Jean-Baptiste qui vous le fera connaître dans ce peu de mots : Voici l’agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. (Jean 1.29.) Un autre Prophète ajoute : Ils ont formé sur moi de mauvais projets. Or, celui qui peut pénétrer les mauvaises pensées des hommes, en peut-il ignorer le résultat ? Quels étaient leurs projets ? Venez, jetons du bois sur son pain[9]. Or, mon cher auditeur, si Dieu daigne vous initier à tous ses mystères, vous saurez un jour que le pain, la nourriture de l’homme, était chez les Evangélistes le type du corps de Jésus-Christ : Venez, jetons du bois sur son pain, et exterminons-le de la terre des vivants.

[8] Moi, agneau innocent qu’on mène à l’autel, ne l’ai-je pas su ? < br/>S. Cyrille veut qu’on lise ούχ έγνον non cognovi, avec un point d’interrogation qu’on ne trouve ni dans le texte hébreu, ni dans la Vulgate. Ruffin est seul de l’avis de S. Cyrille.

[9] Venez, jetons du bois sur son pain.
Ruffin a textuellement copié S. Cyrille. Tous les Pères de l’Eglise se sont généralement accordés à voir dans ce texte de Jérémie, sous le nom de pain, le corps de Jésus-Christ, qu’il devait un jour nous donner en nourriture dans le sacrement de l’Eucharistie. La loi du silence ne permet pas à Cyrille de parler aujourd’hui plus clairement en présence des non-baptisés. Mais dans sa XXII Catéchèse, n. 3, il s’expliquera ouvertement.
Tertullien dit aux Juifs : Dieu a insinué par son Prophète Jérémie que vous diriez un jour : Venez, jetons du bois sur son pain, exterminons-le, etc. Car c’est ce que le Christ nous a révélé en donnant à son corps le nom de pain, nom que le Prophète nous avait d’avance fait connaître sous l’emblème d’une figure. Accepit Jesus panem, et ait : Accipite et comedite. Hoc est enim corpus meum. (Tertul. Adv. Judæos, cap. x, p. 196. Edit. Paris, 1675, et alibi.)

Insensés ! Est-ce que celui qui est la vie même peut être anéanti ? Vos efforts sont inutiles ! Et son nom sera effacé de la mémoire des hommes. (Ibid.) Tentatives, projets tout aussi inutiles que stupides ! Le soleil perdra sa lumière, avant que son nom soit effacé dans l’Eglise. (Psaumes 71.17.)

Au reste, la vie que les Juifs ont suspendue sur l’arbre De la croix, fut pour Moïse lui-même le sujet d’une funeste prophétie qu’il adressa à sa nation en ces termes : Votre VIE (Votre Sauveur) sera constamment pendue sous vos yeux, vous tremblerez nuit et jour, et vous ne croirez pas à votre VIE[10]. (Deutéronome 28.66.) C’est à cette stupide obstination que fait allusion le Prophète dont nous avons fait lecture, lorsqu’il dit : Qui est-ce qui a cru à nos paroles ? (Esaïe 53.11.)

[10] Votre vie (votre Sauveur) sera constamment pendue sous vos yeux, etc.
Jamais prédiction ne fut plus littéralement accomplie. Le Juif dispersé sur le globe, est poursuivi partout à chaque pas par la rencontre de la croix qui le frappe d’épouvante, et il reste dans sa stupide incrédulité. (Note du Traduct.)

XX.

Moïse ne se contenta pas de cela ; il mit sous les yeux de son peuple l’image typique de Jésus crucifié, lorsqu’il fit élever sur une croix un serpent d’airain qui guérissait tous ceux qui avaient été piqués par des serpents et qui portaient avec confiance leur regard sur lui. (Nombres 21.9.) Quoi ! Un serpent de métal attaché sur une croix, sera un moyen de salut ? Et l’aspect du Fils de Dieu incarné et crucifié, sera sans efficacité quelconque ? (Jean 12.32.)

Partout le bois est le symbole du salut. Car c’est une arche faite de bois qui sauva Noé et sa famille ; c’est avec une baguette que Moïse frappa la mer de terreur, et la fit reculer d’effroi. (Exode 14.16, 21.) Et la croix n’aura pas autant de vertu que la verge de Moïse ? Je passe sous silence plusieurs autres types. C’est avec du bois que Moïse dans le désert d’Ethan fit perdre aux eaux leur amertume. (Exode 15.25.) C’est sur le bois que l’eau jaillit du côté de Jésus-Christ crucifié. (Jean 19.34.)

XXI.

C’est par le sang et par l’eau que Moïse commença ses prodiges, et c’est par le sang et par l’eau que Jésus-Christ termina sa vie merveilleuse. Moïse débuta par changer les eaux du Nil en sang (Exode 7.20) et Jésus sur la croix fit jaillir de son côté de l’eau et du sang, peut-être, pour expier le crime de celui qui l’avait jugé, et celui de ceux qui avaient provoqué par leurs vociférations son arrêt de mort, ou bien, pour le salut de ceux qui croiraient et la perte de ceux qui ne croiraient pas. Car, lorsque Pilate disait : Je suis innocent et se lavait les mains dans l’eau, les Juifs, de leur côté, criaient : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. (Matthieu 27.24-25.) Or, le sang et l’eau jaillirent de la même blessure, l’eau peut-être pour Pilate, et le sang pour les Juifs qui vociféraient.

On peut encore donner un autre sens à ce fait typique le sang était pour les Juifs ; l’eau pour les Chrétiens. Le sang était le type de condamnation de ces assassins judiciaires ; l’eau était le type de salut pour vous qui croyez. Rien dans cet événement à jamais mémorable ne fut l’effet d’un aveugle hasard. Nos pères, en commentant ce récit, lui ont encore attribué un autre motif.[11] Comme il existe deux baptêmes d’une égale vertu, celui de l’eau, celui du sang, ainsi qu’il est dit dans l’Evangile ; l’un qui est conféré aux catéchumènes, l’autre que confère aux martyrs l’effusion de leur propre sang au temps des persécutions, le sang et l’eau sortirent du cœur de Jésus-Christ. Le sang était la figure de celui de tant de généreux martyrs, qui devait renouveler la terre, et confirmer dans la foi ceux-là qui, dans l’eau, avaient été régénérés.

[11] Nos Pères… lui ont encore attribué un autre motif.
L’eau et le sang sortis du côté de Jésus-Christ, sont la figure des deux baptêmes connus sous le nom de baptême du sang el baptême de l’eau ; telle fut l’opinion commune des Pères grecs et latins. Parmi les Grecs consultez Origène (Homil. VII, in Lib. judic.) Chrysostom (Homil. ad Neophytos.) Parmi les Latins, consultez Gennadius (de Eccles. Dogmat. cap. XLI) où il établit le rapport parfait qui existe entre le martyre et le baptême.
Quant à la raison que donne S. Cyrille, pour laquelle le côté de Jésus-Christ fut la source merveilleuse de ce sang et de cette eau, on la trouve également dans beaucoup d’anciens auteurs ; dans l’auteur de l’homil. (de Passione, n. 25, apud Athan. tom. 11, sive 1, p. 100) dans Apollinaire et Antiochus de Ptolémaïde, auteur de la Catena (in Joh. cap. xix, vers. 34) ; dans S. Augustin (Tract. 120, in Joh. n. 2.) C’est, ont-ils dit, à cause du péché dont la femme tirée du flanc d’Adam avait été le principe et l’auteur.

Pourquoi le côté de Jésus-Christ fut-il la source merveilleuse de cette eau et de ce sang ? Comme la femme qui avait été tirée du côté d’Adam, avait été la cause du péché, Jésus-Christ qui était venu pour réconcilier son Père avec les deux sexes, ouvrit son côté en faveur de la femme, pour effacer plus spécialement son péché.

XXII.

Si nous voulions pousser plus loin nos recherches, nous pourrions vous apporter encore d’autres raisons ; mais ce que nous venons de dire doit au reste vous suffire. D’ailleurs le temps ne nous permet pas de nous étendre davantage là-dessus, et nous avons à craindre de fatiguer notre auditoire, quoiqu’il ne dût pas lui être pénible d’entendre parler de Jésus couronné, surtout ici, sur cette montagne trois fois sainte, le Golgotha. Ailleurs on entend, et on ne voit pas ; mais ici nous voyons, nous touchons et nous entendons. Et personne, j’espère, ne doit se lasser.

Armez-vous contre les ennemis de la croix ; faites-en le trophée de votre foi contre les infidèles. Et lorsque vous aurez à la défendre contr’eux, commencez par en marquer votre front[12] ; et votre adversaire sera réduit au silence. Ah ! n’ayez pas honte de confesser la croix de Jésus-Christ, tandis que les Anges eux-mêmes la glorifient, la proclament et disent : Nous savons qui vous cherchez, c’est Jésus crucifié. (Matthieu 28.5.) Ange du Seigneur, ne pouviez-vous pas dire : Je sais qui vous cherchez, c’est Jésus ; c’est Notre-Seigneur ? Pourquoi dites-vous avec une espèce d’orgueil, Jésus crucifié ? C’est que la croix, loin d’être un sujet de honte et d’opprobre, était devenue un trône et une couronne.

[12] Commencez par en marquer votre front.
S. Porphyre, évêque de Gaza, élevé dans l’Eglise de Jérusalem sous Jean, successeur de Cyrille, mit à profit ce conseil. Entamant un jour une dispute publique avec une femme Manichéenne, il débuta par le signe de la croix, et la femme fut muette. (Bolland, Febr. XXVI, n. 61.)

XXIII.

Mais revenons aux démonstrations que doivent nous fournir les Prophètes.

Notre-Seigneur Jésus-Christ a été crucifié. Vous en êtes convaincus ; vous en avez entendu les preuves ; vous êtes sur les lieux… (Acclamation de l’auditoire…) Vous le proclamez aujourd’hui à haute voix. Prenez garde de broncher au jour de la persécution. Ce n’est pas au temps de paix seulement, qu’il faut triompher avec le crucifié ; c’est au jour des tempêtes, c’est au milieu des persécutions, qu’il faudra lui conserver votre foi. Malheur à vous ! si vous n’êtes ami de Jésus-Christ que dans les temps de prospérité, pour redevenir son ennemi en temps de guerre. Vous recevez maintenant la rémission de vos péchés, et les dons magnifiques du Saint-Esprit. C’est à ce prix que vous allez être enrôlé dans la milice de Jésus-Christ ; vous serez désormais à sa solde ; mais lorsque la trompette guerrière sonnera, lorsque l’heure des tempêtes arrivera, ah ! souvenez-vous de l’étendard sous lequel vous avez juré, et sachez combattre généreusement et vaillamment pour votre Roi. Quoi ! Jésus qui n’avait jamais péché, a donné sa vie pour vous qui êtes couvert de crimes, et vous hésiteriez d’être crucifié pour celui qui fut ici même crucifié pour vous ! Ce n’est pas vous qui lui avez donné le premier gage d’affection ; c’est vous, au contraire, qui d’abord l’avez reçu de lui ; c’est donc à vous à payer de reconnaissance. C’est ici, c’est sur le Golgotha, que celui qui fut crucifié pour vous, attend le tribut de votre foi et de votre gratitude.

Golgotha signifie tête ou crâne d’homme[13]. (De là le mot de Calvaire.) Par qui ce nom fut-il donné prophétiquement à cette montagne sur laquelle Jésus-Christ, vraie tête, vrai chef, porta sa croix ? C’est, comme dit l’Apôtre, celui qui est l’image du Dieu invisible (Colossiens 1.15) qui est lui-même le chef du corps de l’Eglise (Ibid. 18) le chef de tout homme (1 Corinthiens 11.3) le chef de toute principauté et de toute puissance (Colossiens 2.10) : c’est ce chef qui a été lui-même crucifié, sur ce lieu appelé : chef, tête. O nom merveilleusement prophétique ! Vous devez presque y trouver une instruction complète. Il vous rappelle non-seulement l’idée d’un homme crucifié, mais encore celle du chef de toute puissance qui a été ici attaché à la croix, et qui a lui-même Dieu le père pour chef. Car l’homme a pour chef le Christ, et Dieu est le chef du Christ. (1 Corinthiens 11.3.)

[13] Golgotha signifie tête ou crâne d’homme.
On donna ce nom à une montagne voisine de Jérusalem où à cause de sa forme qui approchait du crâne humain, ou parce qu’on y exécutait les criminels, ou parce qu’on croyait que la tête du premier homme y avait été enterrée. Ambr. (in Luc. lib. XXIII) Jérôme (in Ephes. vers. 14, Idem Epist. ad Marcellam sub nomine Paulæ et Eustochii) Origène (in Matth.) Epiph. (Hæres. XLVI) Basil. (in Isaï.) Chrysost. (in Joan. Homil. XIV) August. (de Civit. Dei, lib. XVI, cap. 32.)
C’est la tradition de tout l’Orient que le premier homme a été enterré sur le Calvaire. Les Syriens et les Arabes appellent cette montagne Cranion ou Acranion, qui signifie tête ou chef, parce qu’ils croient que le premier ou le chef des hommes, Adam, y a été enterré. Les Mahometans ont un livre dans lequel on lit un dialogue entre Jésus-Christ et le crâne d’Adam. (D’Herbelot, Biblioth. Orient. pag. 278, vo Cranion.) (Note du Traducteur.)

XXIV.

Le Christ a donc été crucifié pour nous. C’est la nuit qu’il a été mis en jugement ; il faisait froid ; (Jean 18.18) des foyers étaient allumés pour tempérer la rigueur de la saison. C’est à la troisième heure du jour (neuf heures du matin, suivant notre manière de compter) qu’il fut attaché sur la croix. (Marc 15.25.) A la sixième heure (midi) les ténèbres se répandirent sur la terre jusqu’à la neuvième heure (trois heures après midi) puis la lumière reprit son cours. (Matthieu 27.45.) Toutes ces circonstances ont-elles été prévues, prédites, et écrites longtemps d’avance ? Interrogeons les Prophètes d’abord Zacharie. En ce jour il n’y aura point de lumière, mais du froid, mais de la gelée pendant tout un jour. (Zacharie 14.6.) En effet il faisait froid ; car Pierre se chauffait près d’un brasier. (Jean 18.18.) Et ce jour-là sera connu du Seigneur. (Zacharie 14.7.) Quoi ! Est-ce que le Seigneur ne connaît pas les autres jours ? Depuis tant de siècles voilà bien des jours qui se sont écoulés. Mais ce jour de patience que le Seigneur a fait, est un jour qui est connu de lui ; et il ne sera ni jour ni nuit. Quelle énigme le Prophète nous donne-t-il ? Ce jour ne sera ni jour ni nuit ; quel nom lui donnerons-nous ? l’Evangéliste va nous l’expliquer. Ce n’était pas un jour ; car un jour se compose de la présence du soleil sur l’horizon depuis son lever jusqu’à son coucher. Or, depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième (depuis midi jusqu’à trois heures) les ténèbres avaient couvert la terre ; et Dieu a donné aux ténèbres le nom de nuit. C’est pourquoi ce n’était ni un jour, parce qu’il n’était pas complet, ni une nuit, parce que le soleil reprit sa course accoutumée. Circonstance qui n’a pas échappé au Prophète, puisqu’il vous dit : Sur le soir la lumière reparaîtra. (Zacharie 14.7.) Remarquez le ton d’assurance qui règne dans la prophétie, rapprochez-le de ce ton simple et modeste de vérité qui caractérise l’historien.

XXV.

Vous demanderez encore que je vous précise l’heure à laquelle cette éclipse a eu lieu ; si c’est à la cinquième heure, à la huitième, ou à la dixième heure. Prophète, répondez aux Juifs incrédules. Dites-leur le moment où le soleil s’est couché ? A cette question le Prophète Amos répond et dit : En ce jour, dit le Seigneur Dieu, le soleil se couchera à midi. (Amos 8.9.) C’est donc à midi que le soleil a fait place aux ténèbres. (Matthieu 27.45.) Et la lumière s’obscurcira en ce jour sur la terre. (Amos ibid.) Le même Prophète va encore leur préciser le temps et même le jour : Je changerai vos solennités en deuil. (Ibid. 10.) Or, c’était dans les azymes, dans la solennité de Pâque ; puis il ajoute Je ferai de leur solennité un deuil, comme celui d’un fils unique, et ce sera un jour de douleur pour ceux qui étaient avec lui. (Ibid.)

Or, ce jour des azymes, ce grand jour de fête, ce jour solennel fut un jour de lamentations et de larmes pour leurs femmes (Luc 23.27) et les Apôtres dans leur retraite, s’abandonnèrent aux excès de la douleur. En vérité tout est admirable dans cette prophétie.

XXVI.

Mais si à tous ces signes, quelque récalcitrant voulait que j’en ajoutasse un autre plus sensible, encore plus palpable, je l’aurais bientôt produit. Quel est-il ? Le voici Jésus crucifié n’avait qu’une tunique et une robe[14]. Les soldats firent de sa robe quatre parts. Mais sa tunique resta intacte, parce que les morceaux ne pouvaient servir à personne. Les soldats la tirèrent au sort. Ainsi ils se partagèrent sa robe, et sa tunique fut dévolue à celui que le défavorisa.

[14] Jésus… n’avait qu’une tunique et une robe.
Le mot tunica qui vient de tuendo, dit Varron (lib. IV, de Ling. Lat) est ce que nous appelons la chemise ou indusium. (Note du Traducteur.)

Toutes ces circonstances ne sont-elles pas consignées dans les écrits des Prophètes ? Elles sont connues des chantres attachés à cette Eglise[15], qui ont été choisis pour, à l’imitation des chœurs angéliques, faire retentir, sans interruption, les voûtes de ce temple, des louanges du Seigneur, qui, dis-je, répètent sur ce saint Golgotha ce que le Psalmiste avait écrit : Ils ont partagé entr’eux mes vêtements, et ont jeté le sort sur ma tunique. (Psaumes 21.19.) Voilà donc ce coup de dé que les soldats devaient jeter et ont jeté en effet, qui est présent aux yeux du Psalmiste.

[15] Elles sont connues des chantres attachés à cette Eglise.
Il y avait peut-être parmi les catéchumènes de ces chantres qui, comme dans l’Eglise d’Alexandrie, étaient pris indistinctement parmi les aspirants au baptême et les fidèles, pour entretenir la psalmodie perpétuelle. (Voy. Socrate, Hist. Eccles. lib. V, cap. 22.) Ces chantres, dits psalmistes, attachés à l’Eglise du St-Sépulcre, chantaient nuit et jour à certaines heures, dites canoniales.

XXVII.

Poursuivons : Lorsque Jésus comparut devant Pilate, il était revêtu d’un manteau rouge ou pourpre, dont les Juifs l’avaient couvert en le livrant aux dérisions et aux huées d’une vile populace. (Matthieu 27.28.) C’est encore une circonstance qui n’a pas échappé à l’œil prophétique d’Isaïe. Qui est-ce, dit-il, celui qui vient à nous de l’Idumée revêtu d’une robe rouge de Bosor ? (C’est comme s’il eût dit : Qui est-ce qui est ainsi vêtu de pourpre, par dérision ? Car le mot Bosor en hébreu présente à peu près ce sens.) D’où vient que sa robe, sa tunique, sont pourprées comme celle d’un homme qui vient de fouler et de presser de la vendange ? (Esaïe 65.1-2. Sept.) A cette question le Prophète répond lui-même et dit : C’est moi qui ai pendant tout le jour étendu mes mains vers ce peuple incrédule et rebelle. (Ibid.)

XXVIII.

C’est sur la croix, en effet, qu’il étendit les bras pour embrasser les bornes de la terre. Car le Golgotha est le centre du monde[16], et ce n’est pas moi qui vous le dis ; c’est le Roi-Prophète : Il a opéré le salut des hommes au milieu de la terre. (Psaumes 73.12.) Celui qui de ses mains divines avait jeté sur nos têtes la voûte céleste (Psaumes 32.6) étend ici ses bras de chair. Ces mains furent fixées sur la croix avec des clous, pour que l’humanité qui s’était chargée des péchés des hommes, étant ainsi clouée et mourant dans cet état, le péché mourût avec elle, et pour que nous pussions ressusciter dans la justice.

De même que par le fait d’un seul homme la mort était entrée dans le monde, il fallait aussi que la vie y rentrât par un seul homme, mais un homme qui fût un Dieu, qui fût un Sauveur, qui daignât mourir volontairement (Romains 5.12 ; 1 Corinthiens 15.21.) Rappelez-vous ce qu’il a dit : J’ai le pouvoir de quitter la vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre. (Jean 10.18.)

[16] Le Golgotha est le centre du monde.
C’est une opinion commune à presque tous les Pères que le Calvaire était le point central de la terre. Ils se fondaient sur ces paroles du Psalmiste : Operatus est salutem in medio terræ. (Psaumes 73.12.) (Note du Traducteur.)

XXIX.

C’est donc pour le salut de tous qu’il est venu épuiser la méchanceté de l’homme, et son peuple chéri n’a reconnu ses bienfaits que par des outrages.

Cloué sur le bois de la croix Jésus s’écrie : J’ai soif. (Jean 19.28.) Celui à la voix duquel les rochers avaient versé des torrents d’eau, demande du fruit de la vigne qu’il a plantée. Mais quelle vigne ! Est-ce ce plant de franche nature dont il avait confié la culture aux saints Patriarches ? Non, car leur vigne est de Sodome et du plant de Gomorrhe (Deutéronome 32.32) ; et c’est de cette vigne qu’ils lui feront boire le fruit. Le Maître du monde a soif, et ils lui présenteront au bout d’un bâton une éponge trempée de vinaigre. (Jean 19.29.) Voilà ce qu’avait prédit le Prophète : Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et du vinaigre pour étancher ma soif. (Psaumes 68.22.) Mais voyez jusqu’où se porte l’œil perçant du Psalmiste. Sous quelle forme lui offrirent-ils le fiel ? L’Evangéliste vous dit : Ils lui donnèrent du vin mêlé de myrrhe[17]. (Marc 15.23.) Or, la myrrhe est d’une amertume égale à celle du fiel. Voilà donc le tribut d’hommage que vous rendez à votre Seigneur, voilà le fruit que cette vigne chérie apporte à celui qui l’a plantée ; c’est donc à juste titre qu’Isaïe déplorait le sort de ce peuple corrompu sous la figure d’une vigne stérile : Mon bien-aimé a eu une vigne plantée sur un lieu élevé, gras et fertile[18], et pour abréger : J’ai attendu qu’elle portât du fruit. J’ai eu soif de ce vin. Mais elle n’a produit que des épines. Car vous voyez de quelle couronne ils m’ont ceint le front. Que ferai-je donc désormais ? Je commanderai aux nuées de se détourner et de ne plus verser sur cette vigne leurs eaux bienfaisantes. (Esaïe 5.2 et seq.)

[17] Ils lui donnèrent du vin mêlé de myrrhe.
Il ne faut pas confondre les deux boissons qui furent présentées à Jésus-Christ. Selon S. Marc il lui fut offert, avant d’être crucifié, du vin mêlé de myrrhe qui est d’une extrême amertume. C’était un usage, disent Maimonides, Fagius, Kimchi, ‘de donner aux patients cette boisson pour les affermir ou les étourdir. Apulée (Métamorph. VIII et X) parle d’un homme qui s’affermissait contre les coups par des potions de myrrhe. Jésus-Christ refusa cette potion. Puis, lorsqu’il dit : Sitio, j’ai soif, on lui présenta du vinaigre ; ce vinaigre faisait partie des rations accordées aux soldats. C’était un petit vin aigre dont Columelle, Pline, Caton, nous ont donné la composition, et dont on se sert encore en Espagne et en Italie pendant les moissons.
Mais Jésus-Christ ne but ni de l’un ni de l’autre, parce que, comme l’observe fort bien M. Drach (Note sur la IIe lettre d’un Rab. conv. pag. 277) : « Allant sacrifier sur l’autel de la croix, il ne devait rien boire d’enivrant, conformément au précepte du lévitique, (X, 9.) D’ailleurs il était encore défendu de boire, après la manducation de l’Agneau pascal, d’autre vin que celui de la coupe que l’on bénissait à la suite de la cérémonie, coupe que, dans la sainte Cène, Notre-Seigneur a changée en son précieux sang. C’est ce qui explique pourquoi le Sauveur dit, après la consécration du vin Eucharistique : Non bibam amodo de hoc genimine vitis. (Matth. XXVI, 29.) »
Mais la suite de ce texte offre encore matière à la sagacité des commentateurs Usque in diem illum, cùm illud bibam vobiscum novum in regno Patris mei. Nous l’expliquons ainsi avec Théophylacte, commentateur de S. Jean Chrysostome.
Sumpto poculo, renuntiat corporali potioni ; novum autem promittit, id est, novum quemdam modum sumptionis, in regno, hoc est, in resurrectione. Cùm resurrexisset enim, comedit ac bibit novo quodam modo : non enim, quasi indigeret cibo, corporalem sumpsit cibum, sed ut crederetur vera corporis natura. Regnum autem meritò suam resurrectionem nominat ; tùm enim vicit mortem et re ipsa regem secomprobavit. (Théophyl. Archiepisc. Bulgar. Enarrat. in Evangel.) (Note du Trad.)

[18] Mon bien-aimé a eu une vigne plantée sur unlieu élevé, gras et fertile.
En effet, Moïse parle de la Palestine comme du meilleur et du plus beau pays de la terre, d’un pays où coulent des torrents de lait et de miel. Les auteurs profanes en parlent de même. Hécathée, qui écrivait sous le premier Ptolémée, parle de cette contrée comme d’une terre très-fertile, très-peuplée, très-riche en toutes sortes de productions. (Apud Joseph. contra Appium.) Pline ne tarit pas en éloges sur Jérusalem, la plus riche ville de tout l’Orient, sur la beauté du Jourdain, du lac de Génésareth, sur le baume de la Judée et sur les palmiers. (Lib. v, cap. 14 et 15.) Tacite, Ammien Marcellin, et la plupart des anciens en ont parlé de même. Les Mahométans, nous dit d’Herbelot (Bibliot. orient. p. 336) parlent de son état passé avec exagération. Les raisins, disent-ils, y étaient si gros, que cinq hommes pouvaient à peine en porter une grappe. Au reste, Dieu ne tarda pas mettre à exécution l’arrêt de désolation ; car elle précéda même la destruction de Jérusalem. D’affreuses famines désolèrent ce pays immédiatement après la mort de Jésus-Christ. Strabon qui vivait vers la fin du règne de Tibère, nous peint déjà la Palestine, comme un pays désolé, si stérile qu’il ne faisait envie à personne, et qui n’était pas digne d’une conquête.
S. Jérôme, témoin oculaire, dit qu’il est plein de montagnes stériles qu’on y souffre la sécheresse, qu’on y buvait de l’eau de pluie et de citernes, faute de fontaines. Ainsi la stérilité actuelle dont les philosophes ont voulu faire un argument contre les Livres de Moïse, est incontestablement la preuve la plus forte en faveur du Christianisme, après la dispersion de la nation Juive. Ce sont deux faits aussi incontestables qu’évidents. (Note du Trad.)

En effet, les nuées, c’est-à-dire, les Prophètes se sont détournés[19] de dessus cette nation criminelle ; on ne les rencontre plus que dans l’Eglise, comme l’a dit l’Apôtre S. Paul. Pour ce qui est des Prophètes, qu’il n’y en ait pas plus de deux ou trois qui parlent, et que les autres en jugent. (1 Corinthiens 14.29.) Et ailleurs : Celui qui est descendu et qui est monté au plus haut des cieux, a donné à son Eglise quelques-uns pour être Apôtres, d’autres pour être Prophètes, etc. (Ephésiens 4.10-11.)

[19] En effet, les nuées, c’est-à-dire les Prophètes, se sont détournées.
David avait depuis longtemps annoncé au peuple Juif le malheur dont il était menacé : Nous ne voyons plus nos signes, déjà il n’y a plus de Prophète parmi nous. Le Seigneur ne nous connaîtra plus. (Psaumes 73.9.)
Le Rabbi Moïse Hadarsan, dans son commentaire sur ces paroles du Psalmiste, dit que le R. Natronai en ayant demandé l’explication au R. Aha, celui-ci lui avait répondu que ces paroles avaient été dites de la race des méchants qui ne croiront pas aux miracles que fera le Messie, mais qui diront de lui, qu’il fait ses prodiges par art magique et par des noms impurs. (Voy. Galatin, lib. VII, cap. 5.)
C’est ainsi que se sont réalisées les paroles du Prophète Osée : Malheur à ceux qui se sont retirés de moi ! ils seront ravagés, parce qu’ils ont prévariqué contre moi.

Agabus était prophète[20] lorsqu’il se lia les pieds et les mains, pour prédire à Paul le sort qui l’attendait à Jérusalem. (Actes 21.10, 41.)

[20] Agabus était Prophète.
C’était un des 70 disciples du Sauveur. Il prédit la famine dont nous venons de parler. Les Grecs disent qu’il fut martyrisé à Antioche. Ils font sa fête le 8 mars, et les Latins la célèbrent, dès le IXe siècle, le 13 février. Mais Godescard n’en fait aucune mention.

XXX.

Voici ce que les Prophètes ont dit des deux larrons au milieu desquels Jésus-Christ fut crucifié : Il fut confondu avec les scélérats. (Esaïe 53.12.) Les deux hommes qui furent crucifiés à ses côtés étaient en effet deux scélérats. Mais un d’eux ne mourut pas dans le crime ; l’autre au contraire y persista jusqu’à la mort. Privé de la liberté de ses mains, il lançait de sa bouche impure des torrents de blasphèmes, à l’imitation de cette tourbe de Juifs qui, en hochant la tête, insultaient à Jésus-Christ, prenant à tâche, pour ainsi dire, de réaliser ces paroles du Prophète : Ils me regardèrent et secouèrent la tête de mépris. (Psaumes 108.25.) L’un de ces voleurs rivalisait d’outrages avec cette populace frénétique ; l’autre au contraire reprochait à son compagnon d’infortune son aveuglement et sa fureur. Il n’avait plus que quelques instants de vie[21], qui furent ceux d’une conversion sincère. C’est ainsi que mourant il reçut la vie, et fut le premier qui entra en possession de l’heureuse immortalité. Après avoir adressé à son compagnon des réprimandes pleines de charité, il se tourna vers le Sauveur, et ne lui dit que ces deux mots pleins de foi et de ferveur : « Souvenez-vous de moi, Seigneur. (Luc 23.42.) Car c’est moi qui en cette dernière extrémité m’adresse à vous. Abandonnez celui-là dont les yeux de l’âme sont irrévocablement fermés à la lumière. Mais, Seigneur, souvenez-vous de moi, et non de mes œuvres ; car c’est ce que je redoute. Tout homme s’attache volontiers à son compagnon de voyage, c’est avec vous que je fais celui de l’éternité. Ne m’abandonnez pas sur cette pénible route, souvenez-vous de votre compagnon, je ne dis pas maintenant, mais lorsque vous serez entré en possession de votre royaume. (Ibid.) »

[21] Il n’avait plus que quelques instants de vie.
S. Cyrille prétend que le bon larron, tout en expirant, fut non-seulement sauvé, mais qu’il entra en jouissance du paradis avant les Patriarches et les Prophètes qui, justifiés par de longs et pénibles travaux sur la terre, soupiraient depuis tant de siècles après l’heureux moment de leur délivrance. C’est ainsi que S. Paulin a dit : Longas in momenti fide et momento confessionibus anticipans Sanctorum vias in magnis laboribus Sanctorum, non immeritò ante ipsos Apostolos et Martyres præparatum ipsis ab initio, ut ait, regnum primus invasit, et pius cæli prædo diripuit. (Epist. XXXI, 6.) Au reste, S. Cyrille n’entend pas parler ici du ciel, mais du paradis qui sera le sujet de la note suivante.

XXXI.

Dis-moi, heureux larron, quelle est la puissance qui t’a décillé les yeux ? Qui est-ce qui t’a appris en ces derniers moments, à porter tes regards vers celui qui, comme toi, meurt sur un infâme gibet, mais qui en dépit de tes crimes, est encore plus couvert de mépris que toi ? O lumière éternelle qui pénètre les ténèbres les plus épaisses ! Heureux pécheur ! Prends confiance ; tu es exaucé. Ce ne sont pas tes œuvres qui t’ont mérité cette faveur ; mais c’est que tu es en présence du Roi, source de toutes grâces. Le suppliant ne voyait que dans un lointain fort éloigné sa requête accueillie ; mais la grâce fut aussi prompte que la prière avait été ardente : En vérité je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis (Ibid. 43) « puisqu’aujourd’hui tu as entendu ma voix et que tu n’as pas endurci ton cœur. (Psaumes 94.8.) Je fus prompt dans la sentence que je portai contre Adam, je suis également prompt à te faire grâce. Car je lui avais dit : Au jour même où tu mangeras du fruit de cet arbre, tu mourras certainement. (Genèse 2.17.) Aujourd’hui tu t’es rendu à ma voix, tu y as été fidèle ; aujourd’hui tu seras sauvé. C’est l’arbre qui donna la mort à ton premier père ; c’est sur l’arbre que tu recouvreras la vie. C’est l’arbre qui expulsa Adam du paradis ; c’est sur l’arbre que tu y seras réintégré. Tu n’as plus à redouter les embûches du serpent ; il est chassé du ciel ; il ne t’en chassera pas désormais. Je ne te dis pas, aujourd’hui tu seras mis à l’écart pour être jugé à temps et lieu. C’est aujourd’hui même que tu entreras avec moi en possession de la gloire. Prends courage, tu n’as plus à redouter cette épée flamboyante qui garde l’entrée du paradis. (Gen. III, 24.) Elle s’abaisse en présence du Seigneur. »

O faveur ineffable ! Abraham, le fidèle Abraham[22], n’est pas encore entré en possession du paradis, lui qui soupire depuis tant de siècles, non plus que Moïse et les Prophètes ; et un voleur insigne qui expire sur un gibet pour ses crimes, prend le pas sur eux. O prodige ! Ce qui a fait dire à Paul que là où il y avait eu abondance de péché, il y avait eu surabondance de grâce. (Romains 5.20.) Ceux-là qui ont supporté le poids du jour, n’ont pas encore reçu leur salaire ; et celui-ci qui n’est venu qu’aux derniers instants de la onzième heure est déjà payé.

[22] Abraham, le fidèle Abraham n’est pas encore entré.
Les opinions touchant le paradis où fut introduit le bon larron ont été parmi les théologiens anciens et modernes très-variées. S. Cyrille paraît avoir suivi l’opinion dominante de son temps et qui paraît la plus vraisemblable, c’est-à-dire, que Jésus-Christ s’introduisit dans le paradis d’où Adam avait été chassé et où on place Hénoch et Elie. (Vid. Catéch. XIV, 10.) Quant à ce qu’il dit qu’il y est entré avant les Patriarches et les Prophètes, c’est encore une opinion qui lui est commune, comme nous l’avons vu ci-dessus, avec beaucoup de Pères grecs et latins. Mais si Jésus-Christ, dont la mort fut antérieure de quelques heures à celle du larron, délivra de suite les Patriarches et les Prophètes, comme c’est probable, le larron ne serait entré en paradis qu’après eux.
L’Evangile de l’enfance de Jésus qui est un livre apocryphe, très ancien, raconte que pendant la fuite du Sauveur en Egypte, l’enfant Jésus, la sainte Vierge et S. Joseph tombèrent dans une bande de voleurs qui étaient tous endormis, à l’exception de deux, dont l’un voulait tuer toute cette sainte famille, mais que l’autre l’en détourna, qu’alors Jésus enfant prédit qu’un jour ces deux voleurs seraient attachés à la croix à côté de lui, que l’un entrerait en paradis et l’autre irait en enfer. Le premier s’appelait Titus, et l’autre Damachus. Le faux Evangile de Nicodème les nomme Démas et Gertas. Une histoire persanne de la vie de Jésus-Christ leur donne les noms de Vicimus et Justinus. L’auteur du Florilegium attribué au vénérable Bède, les appelle Matha et Joca.
Plusieurs Pères (Hilar. de Trinitate, lib. x, in Psal. LXVI. Hier. Epist. XIII. August, lib. 1, cap. 9, de Anima) ont donné au bon larron le titre de martyr à cause du témoignage qu’il a rendu à la vérité dans un moment où elle paraissait presqu’abandonnée de tout le monde. Il fut baptisé dans son propre sang, et la mort qu’il souffrit dans un esprit de foi et de charité, lui mérita la grâce de la béatitude immédiate ment après sa mort.
Les Eglises orientales, les Eglises grecque et latine ont rendu un culte public à un Saint si favorisé de Dieu. Les Eglises de Syrie et de Mésopotamie marquent sa fête le samedi de la semaine de Pâques. Dans l’Eglise grecque elle est indiquée au 23 mars ; dans l’Eglise latine, au 25 du même mois, suivant l’ancienne tradition qui tenait que Jésus-Christ était mort le même jour. (Voyez Baillet, Vie des Saints, 25 mars.) D’autres ont célébré sa fête le 3 avril ou 5 mai. On lui a érigé des chapelles en certains endroits sous, le vocable de S. Dimas ou Dysmas.
La croix du bon larron et celle de son compagnon furent trouvées avec celle du Sauveur par Ste Hélène. Celle du bon larron fut envoyée à Constantinople et enterrée dans la place Constantinienne, et de là transportée à Nicosie en Chypre. (Extrait du Dictionnaire de la Bible par D. Calmet, voir Larron.)

Que personne ne murmure contre les décrets de l’éternelle et adorable justice du père de famille, qui vous a dit à vous et à moi : Mon ami, je ‘ne vous fais pas de tort n’ai-je pas le pouvoir de faire chez moi ce qui me plaît ? Ce larron eût bien voulu donner au Seigneur des preuves actives de sa conversion ; mais la mort l’a prévenu. Je ne crains pas le travail, disait-il ; il est malheureux pour moi de voir la fin du jour arriver, avant que j’aie mis la main à l’œuvre. Je suis venu, a dit le Seigneur, paître entre les lis, et dans mes jardins (Cantique 2.2) ; j’ai trouvé une brebis égarée, je l’ai chargée sur mes épaules, et conduite au bercail. (Luc 15.4-5.) C’est la foi qui en a fait une brebis, car il a cru lorsqu’il a dit : J’errais comme une brebis perdue (Psaumes 118.176) et qu’il a ajouté : Souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré en possession de votre royaume. (Luc 23.42.)

XXXII.

Voilà le jardin que j’ai chanté d’avance en présence de mon épouse (l’Eglise) lorsque je lui disais Je suis entré dans mon jardin, ma sœur bien-aimée. (Cantique 6.1.) (Car il y avait au lieu où il fut crucifié, un jardin, Jean 19.41.) Et qu’y avez – vous recueilli ? J’y ai recueilli ma myrrhe. (Cantique 5.1.) C’est là en effet qu’on lui offrit pour boisson du vin mêlé de myrrhe et du vinaigre.

C’est après en avoir goûté que le Sauveur s’écria : Tout est consommé. (Jean 19.30.) En effet l’œuvre mystérieuse de la rédemption était consommée, les Ecritures étaient accomplies, la chaîne du péché était brisée. Car, dit l’Apôtre, le souverain Pontife des biens futurs, étant venu dans le monde, est entré une seule fois dans le sanctuaire par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n’a point été fait de la main de l’homme, ni de matière créée. Il y est entré, non avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle. Car si le sang des boucs et des taureaux, si l’aspersion de l’eau mêlée avec la cendre d’une génisse, a pu purifier ceux qui étaient souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle, de quelle autre efficacité ne sera donc pas le sang de l’Agneau sans tache, le sang du Christ ? (Heb. IX, 11,12,13 14.) Le même Apôtre continue et dit : Puisque par le sang de Jésus-Christ nous pouvons entrer avec confiance dans le sanctuaire, en suivant cette voie nouvelle qui nous mène à la vie sous le voile de sa chair. (Ibid. X, 19,20.)

Parce que sa chair sacrée, son propre voile, avait été déchirée et souillée, le voile figuratif du temple fut déchiré, ainsi qu’il est écrit : Le voile du temple se déchira en deux du haut en bas. (Matthieu 27.51.) Il n’en resta même rien, parce que le Seigneur avait dit : Votre maison sera abandonnée, elle sera même renversée. (Matthieu 23.38.) Or, voyez si cet arrêt a reçu son exécution. Où trouverez-vous ce temple, jadis l’orgueil de Sion ?

XXXIII.

Telles sont les douleurs et les ignominies que le Sauveur a endurées, pour pacifier par le sang de la croix tant ce qui est sur la terre, que ce qui est au ciel. (Colossiens 1.20.) Le péché nous avait rendus ennemis de Dieu. Dieu avait condamné à la mort tout être né dans le péché. De deux choses l’une, il fallait, pour que Dieu fût fidèle à sa parole, ou qu’il détruisît toute la race humaine, ou que dans sa miséricorde il mît au néant son arrêt de mort. Mais remarquez ici la suprême sagesse de Dieu. Il maintint son décret dans son intégrité, sans porter atteinte à sa miséricorde. Jésus-Christ dans sa chair se chargea de nos péchés pour les porter sur la croix, afin que, mourant avec lui au péché, nous vécussions à la justice. (1 Pierre 2.24.) La victime ne fut pas d’une minime valeur. Ce ne fut pas une brebis prise et choisie dans un troupeau quelconque, ni un homme tel qu’un autre ; ce n’était pas seulement un Ange ; c’était un Dieu et un Dieu homme. (Esaïe 58.9.) Quelque grands, quelque énormes, quelque multipliés que fussent les péchés des hommes, ils étaient encore au-dessous de la justice de celui qui se sacrifiait pour eux. Non, l’énormité des crimes commis sur toute la terre ne pouvait être mise en balance avec la justice de celui qui se donna pour notre victime expiatoire, qui mourut quand il voulut, et qui reprit la vie quand il voulut.

Voulez-vous encore une preuve évidente et palpable de la mort volontaire du Sauveur ? Ecoutez les dernières paroles qu’il adresse à son Père sur la croix : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. (Luc 23.46.) Je remets, dit-il, c’est-à-dire en dépôt, mon âme pour la reprendre quand je voudrai. Et à ces mots il rendit le soupir (Matthieu 27.50) mais pour le reprendre peu de temps après. Ce qu’il fit en effet lors de sa résurrection.

XXXIV.

Le soleil retira sa lumière de dessus la terre au moment où le soleil de justice s’éclipsa. (Luc 23.45 ; Malachie 4.2.) Les rochers se fendirent, lorsque la pierre spirituelle tomba. (1 Corinthiens 10.4.) Les sépulcres s’ouvrirent et rendirent à la lumière leurs dépôts ; (Matthieu 27.52) ; les morts ressuscitèrent à la vue de celui qui était venu en toute liberté prendre place parmi eux. (Psaumes 87.6.) Il retira ses captifs d’un lac sans eau. (Zacharie 9.11.)

Ne rougissez donc pas de Jésus crucifié ; mais dites avec confiance comme le Prophète : Il s’est chargé de nos péchés ; c’est pour nous qu’il a souffert ; ce sont ses plaies qui nous ont guéris. (Esaïe 53.4-5.) Ne soyons donc pas ingrats envers notre bienfaiteur qui nous dit encore par la bouche de son Prophète : Ce sont les iniquités de mon peuple qui l’ont conduit à la mort ; je donnerai les méchants pour prix de sa sépulture, et pour sa mort je livrerai les riches. (Ibid. 9, Sept.) C’est ce qui a fait dire à l’Apôtre en termes plus précis et plus clairs, que Jésus-Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures, qu’il avait été enseveli et qu’il avait ressuscité le troisième jour suivant les Ecritures. (1 Corinthiens 15.3-4.)

XXXV.

Vous demandez sans doute où il a été enseveli ; si son tombeau a été fait de la main des hommes ; si, comme celui des rois, c’est un monument qui, dédaignant la terre, s’élève vers le ciel ; s’il a été construit de pierres entassées les unes sur les autres ; quelle était son épitaphe. Prophètes, répondez-nous, dites-nous où était son tombeau, faites-nous-en la description, indiquez-nous le moyen de le découvrir. Ceux-ci vous répondent Ecoutez-moi, vous qui marchez sur les pas du juste et qui cherchez le Seigneur, regardez dans ce roc que vous avez taillé, dans ce trou de mort que vous avez creusé. (Esaïe 51.1-2. Sept.) Regardez et voyez. (Ecclésiastique 2.10. Sept.) Comparez maintenant le Prophète avec l’Evangéliste. Joseph le déposa enveloppé d’un linceul dans un sépulcre taillé dans le roc. (Marc 15.46.) Et ensuite ? Quelle porte y avait-il à ce tombeau ? Un autre Prophète vous l’apprendra : Après m’avoir tué, ils m’ont mis dans un tombeau fermé d’une pierre. (Lamentations 3.53.) Moi, la pierre angulaire, la pierre choisie, la pierre précieuse, je suis renfermé, caché dans l’intérieur d’un roc, mais pour peu de temps. Pierre de scandale pour les Juifs, pierre de salut pour les fidèles ! (1 Pierre 2.6, 8.) L’arbre de vie a donc été planté sur la terre, pour rendre à cette terre maudite son antique bénédiction, et aux morts la vie et la liberté.

XXXVI.

Loin donc de rougir du nom de Jésus crucifié, traçons hardiment de nos doigts sur notre front le signe auguste de la croix ; laissons-en l’empreinte partout autour de nous, soit que nous mangions ou que nous buvions, soit que nous sortions ou que nous rentrions, soit que nous nous couchions ou que nous nous levions, soit que nous agissions ou que nous nous reposions ; marquons le commencement et la fin de chacune de nos actions par ce redoutable signe. C’est une puissante sauvegarde, gratuite pour les pauvres, facile pour les malades. C’est une faveur spéciale de Dieu attachée à ce signe des fidèles, d’être la terreur des esprits infernaux (Colossiens 2.15) ; c’est en ce signe que Jésus-Christ a triomphé des puissances de l’enfer. Déployez-le audacieusement devant eux. A cette vue ils se rappellent aussitôt Jésus crucifié ; ils redoutent celui qui écrasa la tête du serpent. Ce signe auguste ne doit rien perdre de son prix à vos yeux en raison de sa gratuité ; votre reconnaissance envers votre bienfaiteur n’en doit être que plus vive.

XXXVII.

Si le hasard vous amène à des discussions sur votre foi, et si les moyens de démonstration vous échappent, n’en soyez pas moins inébranlable. Si vous vous sentez assez fort pour soutenir la discussion, fermez la bouche aux Juifs en leur opposant les Prophètes. Faites taire les gentils en les mettant en présence de leurs fables. Ceux-ci adorent ceux que la foudre a frappés[23]. Eh bien ! apprenez-leur que, si la foudre tombe du ciel, ce n’est pas la main d’un aveugle hasard qui l’a dirigée ; et que, s’ils n’ont pas honte d’adorer ceux-là que Dieu dans sa justice a foudroyés, vous ne devez pas craindre d’adorer le Fils de Dieu crucifié pour vous, en qui Dieu se complaît.

[23] Ils adorent ceux que la foudre a frappés.
C’est un coup de foudre qui valut à Esculape les honneurs de l’apothéose, ainsi qu’à Zoroastre, persan célèbre par la magie, qui, ayant été tué de la foudre, fut à l’instant placé au ciel sous le nom de Zooaster, astre vivant. (Voy. les Récognit. de S. Clément, lib. IV, 28.)
Artémidore, en parlant des honneurs qu’on rendait aux fulminės, dit : Ils sont vêtus de blanc, comme des favoris de Jupiter. Tout homme frappé de la foudre est réputé honorable. C’est pourquoi on l’adore comme un Dieu. (Liv. II, cap. 8, de Fulminatis.)
Quintus Fabius, surnommé Eburno, à cause de la blancheur de sa peau, fut encore décoré du titre de pullus Jovis, le poulet de Jupiter, parce qu’il avait été frappé de la foudre aux fesses. Festus, de qui nous tenons ce fait, dit que les anciens donnaient le nom de poulet aux enfants chéris. (Vid. Origines Ling. Lat. pag. 386.)

La pudeur ne me permet pas d’étaler ici les vices abominables de ces êtres auxquels les gentils ne rougissent pas de donner le nom de Dieu. D’ailleurs, le temps ne me le permet pas. Mais je recommande à ceux qui sont en état de le faire, de ne pas négliger ce moyen, toutes les fois que l’occasion s’en présentera. Fermez aussi la bouche à tous les hérétiques ; si un d’eux vous dit que la croix n’est qu’un fantôme, tournez-lui le dos ; si un autre vous dit que toute l’histoire de la Passion s’est passée en illusion, que le Christ n’a été crucifié qu’en apparence et non en réalité, regardez-le avec mépris et retirez-vous. Car c’est de la croix que nous vient le salut. Si la croix n’est qu’une illusion, qu’un puéril effet de nos sens trompés, il en faudra dire autant de la résurrection et de l’ascension du Sauveur, et nous sommes encore sous l’empire du péché. (1 Corinthiens 15.17.)

Il en faudra dire autant de son second avènement et du jugement dernier ; et tout ne sera pour nous qu’illusions et fantômes, il n’y aura plus de certitude sur la terre.

XXXVIII.

Prenez donc la croix pour fondement inébranlable de votre foi, et sur elle construisez votre corps de doctrine et de croyance. Gardez-vous de nier la réalité de la Passion du Sauveur et de sa mort. Car vous soulèveriez contre vous mille redoutables témoins. Judas, le traître, se lèverait aussitôt le premier pour vous confondre. (Matthieu 17.3.) Lui qui l’a livré, sait que ce n’est pas un fantôme que les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple ont condamné. Il vous montrera les trente deniers, prix de sa trahison, (Ibid. XXVI, 15) le jardin de Gethsémani, théâtre de son attentat. Je ne vous dis rien encore du mont des Oliviers, (Luc 22.39) ni des témoins de sa prière nocturne, de cette lune qui éclairait son agonie, de ce soleil qui épouvanté refusa au monde sa lumière (Luc 23.45) de ce feu près duquel Pierre se chauffait. (Jean 18.18.) Si vous reniez la croix du Sauveur, le feu éternel sera votre unique partage. Ces vérités sont dures ; mais il vaut mieux les entendre que les expérimenter. Rappelez-vous les épées tirées contre lui dans le jardin de Gethsémani (Matthieu 26.55) si vous redoutez le glaive éternel. La maison de Caïphe, ou plutôt ses ruines[24] qui sont encore là, attesteront contre vous de la puissance de celui qui y fut jugé. Au jugement dernier, Caïphe en personne se lèvera contre vous, ainsi que ce valet dont la main impure souilla par un soufflet la face auguste du Sauveur, et ceux qui le garrottèrent et le traînèrent au prétoire. Hérode, Pilate, seront là pour vous dire : Quoi ! vous reniez celui qui devant nous fut calomnié, que nous avons reconnu nous-mêmes pour innocent. Quant à moi, vous dira Pilate, je m’en lavai les mains. Tous ces sycophantes, toute cette masse impure de faux témoins, toute cette soldatesque qui le couvrit par dérision d’un manteau de pourpre, qui le couronna d’épines, tous les bourreaux qui le crucifièrent sur le Golgotha, les soldats qui tirèrent au sort sa robe, Simon le Cyrénéen qui lui aida à porter sa croix, seront alors contre vous d’impitoyables accusateurs.

[24] La maison de Caïphe, ou plutôt ses ruines.
Ce n’était pas alors seulement la maison de Caiphe qui était ruinée ; le Prétoire et toute la montagne de Sion ne présentaient que des décombres. (Voy. Catéch. XVI, 18. Eusèbe, Demonstr. Evangel. lib. VIII.) Quant à la maison de Caiphe, voici ce qu’en dit l’Itinéraire de Jérusalem (Itinerarium à Burdegalȧ Jerosolymam usque. Cet ouvrage, que nous devons à PierrePithou, date du commencement du IVe siècle, et a été imprimé avec les itinérairesd’Antonin à Cologne, MDC, in-8.) : « Sur la montagne de Sion on remarque la place qu’occupait la maison de Caïphe. On y voit encore la colonne à laquelle leChrist fut attaché et flagellé. »
Cette colonne fut dans la suite placée dans l’intérieur d’une Eglise pour soutien d’un portique. « On fit voir à Ste Paule une colonne qui soutenait le portique de l’Eglise encore teinte du sang du Sauveur qui y avait été attaché et flagellé. » (Hieron. Epist. XXVII, aliter LXXXVI.)
Cette Eglise avait sans doute été bâtie sur l’emplacement même de l’ancienne maison de Caïphe, autant qu’on en peut juger d’après ces vers du poète Prudence : Impia blasphemi cecidit domus ecce Caïphæ. Vinctus inhis Dominus stetit ædibus, atque columnæ Annexus tergum dedit ut servile flagellis. Perstat adhuc, templumque gerit veneranda columna. (Aurel. Prudentii Enchiridion, p. 439.)
Mais ce que dit Nicéphore (Hist. Eccles. lib. VIII, 30) que Ste Hélène construisit sur cet emplacement une église en l’honneur S. Pierre est démontré faux, soit par le texte de S. Cyrille, soit par la relation de l’Itinéraire de Jérusalem, soit par le silence d’Eusèbe, de Théodoret, de Sozomène, qui, en faisant l’énumération des églises bâties par Ste Hélène, ne font aucune mention de celle-ci.

XXXIX.

Toute la nature se soulèvera ; le soleil vous rappellera son éclipse, la terre son vin aromatisé, son roseau, son hyssope, le bois de la croix qu’elle a produits, la mer son éponge ; le soldat qui lui perça le flanc ; les femmes qui pleurèrent au pied de la croix ; le voile du temple qui se déchira ; le prétoire de Pilate, lequel, par la puissance de Jésus crucifié, ne présente aujourd’hui que l’aspect d’un désert ; ce Golgotha sacré qui élève ici sa tête superbe, qui nous montre encore aujourd’hui les rochers fendus à la mort[25] du Christ ; ce sépulcre qui est ici proche, cette pierre posée à l’entrée du monument[26], et que nous voyons encore aujourd’hui à la même place ; cet Ange qui en garda l’entrée ; les saintes femmes qui l’adorèrent après sa résurrection ; Pierre, Jean, qui coururent au sépulcre ; Thomas qui mit sa main dans la plaie de son côté, et les doigts dans celles de ses mains. Car, remarquez-le, c’est dans votre propre intérêt que Thomas fut un si scrupuleux scrutateur de la vérité. C’est pour vous qui n’y étiez pas, et qui aujourd’hui voudriez satisfaire votre curiosité, que Dieu permit que Thomas se livrât à ce rigoureux examen.

[25] Les rochers fendus à la mort de Jésus-Christ.
On ne peut nier que plusieurs siècles après la mort du Sauveur on voyait et on montrait à tous les pèlerins les rochers fendus au moment de la Passion. D’ailleurs, le témoignage de S. Cyrille est ici une autorité irréfragable. Mais il en est un autre fort curieux que nous a transmis Ruffin, contemporain de S. Jérôme, dans son histoire Ecclés. (lib. IX, cap. 6.) Il fait ainsi parler S. Lucien au Préfet son juge, d’après les actes de son martyre. « Si vous hésitez à vous rendre aux preuves que je viens de vous donner, je vous produirai pour témoin le lieu même où les choses se sont passées. Vous trouverez à Jérusalem les rochers du mont Golgotha encore brisés sous le poids du gibet. » Il fut martyrisé l’an 250, sous l’Empereur Dèce. On doit conclure de ces paroles que la montagne s’est entr’ouverte au lieu même où la croix était plantée. Et c’est cette fissure qu’on montre encore à tous les pèlerins.

[26] Cette pierre posée à l’entrée du monument.
Cette pierre, du moins du temps de S. Jérôme, se voyait dans l’intérieur de la grotte du Saint Sépulcre, près du Sarcophage, où reposait le corps du Christ. Voici ce qu’en dit S. Jérôme, en parlant de Ste Paule : « Etant entrée dans le Saint Sépulcre, elle baisa la pierre que l’Ange avait détournée de l’ouverture du tombeau. Au reste dans le principe, le tombeau de Jésus-Christ était une grotte creusée dans un double rocher. Le premier servait de vestibule à l’autre, suivant l’antique usage des Hébreux. (Genèse 23.19 ; 25.9.) La première grotte était ouverte. C’est de celle-là que parle le poète Juvencus. (Hist. Evang. lib. IV, vers. 729.)
Limen concludunt immensa volumina petræ.
La grotte intérieure, ou seconde grotte, présentait la forme d’une chambre circulaire taillée sous un immense rocher, qu’un homme debout pouvait à peine atteindre de la main. L’entrée du monument regardait l’orient, c’est à cette entrée que fut placée et scellée la pierre. Le corps du Christ fut placé du côté du nord, dans un trou pratiqué dans le roc, long de sept pieds, élevé du sol de trois palmes (ou deux pieds) ; l’ouverture de ce trou latéral regardait le midi. »
Telle est la description qu’en donnait, dans le IXe siècle, Paschal Rathbert, moine de Corbie. (Lib. II, in Matth. cap. XXVII, 60.)
L’Empereur Hadrien, pour construire son temple dédié à Vénus sur la roche de la Croix, avait fait niveler le terrain et avait enseveli le monument sous des masses prodigieuses de décombres. Et c’est de dessous ces terres rapportées que Constantin l’exhuma et fit de la grotte de la Résurrection une église ou rotonde d’une architecture exquise, au milieu de laquelle était le tombeau. Pour donner à ce nouvel édifice tous les ornements de l’architecture grecque et l’orne de colonnes, il fallut abattre une partie de la montagne, faire disparaître la première grotte ou vestibule. Et c’est sur cet emplacement ainsi élargi que fut élevée cette basilique assez vaste pour réunir tous les catéchumènes auxquels S. Cyrille adressa ses cinq mystagogiques. S. Epiphane prêcha plusieurs fois dans cette Eglise en présence d’un nombreux auditoire, sous Jean, successeur de S. Cyrille. (Voy. Hieron. Epist. LXI, aliter XXXVIII. Voy. Catéch. XIV, 9.)
On peut consulter le voyage de Paul Lucas dans l’Asie Mineure, T. II, pag. 12 et suiv., qui a visité plusieurs fois ce saint lieu, et en a fait une description exacte, tel qu’il est aujourd’hui.
« C’est, dit-il, une espèce de petite chambre presque carrée par dedans, haute de huit pieds, un pouce, depuis le bas jusqu’à la voûte, longue de six pieds, un pouce, et de quinze pieds, dix pouces, de large. La porte qui regarde l’orient n’a que quatre pieds de haut sur deux pieds, quatre pouces, de large. Cette porte se fermait par une pierre du même roc que celle du tombeau, et c’est sur cette pierre que les Princes des Prêtres appliquèrent leur sceau. »

XL.

Vous avez aujourd’hui pour témoins de Jésus crucifié douze Apôtres, toute la terre et toute cette masse de fidèles répandus sur le globe, qui croient en Jésus crucifié. Qu’est-ce qui vous amène ? ici Si ce n’est la puissance, la vertu de la croix. Qui vous a ici réunis ? Sont-ce des soldats ? Vous a-t-on enchaînés pour vous y amener ? En vertu de quelle loi, de quel arrêt vous trouvez-vous ici ? C’est la croix de Jésus-Christ, c’est le trophée du salut qui vous a tous amenés ici. C’est elle qui a fait la conquête des Perses, qui a apprivoisé le Scythe ; c’est elle qui a purgé les temples d’Egypte des chiens, des chats qu’un peuple stupide y adorait, pour s’y implanter. C’est elle qui aujourd’hui guérit encore les maladies, met en fuite les démons, détourne les maléfices des enchanteurs.

XLI.

C’est avec ce signe que Jésus-Christ apparaîtra un jour sur les nuées. Il sera précédé de ce trophée glorieux, pour que ceux qui l’ont crucifié, qui l’ont méprisé, outragé, le voient et le reconnaissent. C’est alors que ceux qui, comme les Juifs, n’auront pas fait pénitence, se lamenteront. Une tribu accusera une autre tribu, et toutes se maudiront. C’est alors qu’ils se repentiront ; mais le temps de la pénitence sera passé. (Zacharie 12.12.) Pour nous, glorifions-nous dans la croix du Sauveur ; adorons le Sauveur des hommes, crucifié pour nous, et Dieu son père qui l’a envoyé avec le Saint-Esprit, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

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