Messieurs,
Nous cherchons l’origine du mal, c’est-à-dire d’un désordre qui se manifeste dans l’humanité sous les formes de l’erreur, de la souffrance et du péché. Nous avons rencontré une solution du problème qui consiste à établir que, le péché étant donné, on reconnaît dans les autres éléments du mal sa conséquence naturelle. A cet égard nous n’avons rien à objecter. Là où se rencontre la révolte d’une volonté contre sa loi, le désordre et la douleur sont expliqués d’une manière qui satisfait la conscience et la raison. Mais la solution indiquée considère seulement l’action des volontés individuelles. Sous ce rapport elle nous a paru insuffisante, parce qu’elle ne rend compte ni de la généralité de la douleur, ni d’un élément essentiel de péché dont on ne peut trouver l’origine dans l’action des individus. Il existe, avons-nous dit, comme un principe d’infection qui vicie notre cœur. D’où vient-il ?
Il est d’une extrême importance pour la pratique de la vie de reconnaître le caractère essentiel du mal. Si l’on ignore que l’humanité se trouve dans un état fondamental de désordre, on est toujours disposé à prendre l’état général des faits, le commun usage, pour la règle de ce qui doit être, d’où résulte un prodigieux affaissement de la conscience. Quant à la question de l’origine de cet état mauvais, elle paraît, au premier abord, une question purement spéculative. Elle n’est pas directement pratique, en effet. Dès qu’il est admis que le mal ne doit pas être, il en résulte que si notre cœur est mauvais, nous avons le devoir de combattre notre cœur. Nous l’avons dit dès le début, tout le résultat de nos études pour la conduite de la vie est renfermé dans ces seules maximes : « Ayez le mal en horreur et attachez-vous fortement au biena. » Au point de vue pratique, nous pourrions donc, semble-t-il, passer immédiatement à notre sixième séance, où nous devons traiter du combat de la vie. Mais je ne saurais admettre, dans un sens absolu, l’indifférence morale de la question que nous abordons aujourd’hui. Si l’on n’a aucune idée sur l’origine du mal, on risque toujours, ou de le croire nécessaire, ce qui porte atteinte à la conscience, ou de le rapporter à Dieu, ce qui lèse gravement le sentiment religieux. Sans être directement pratique, notre étude actuelle a donc une influence indirecte, mais réelle pourtant, sur l’ordre moral. D’ailleurs, l’enseignement qui nous rassemble vous a été proposé à titre d’enseignement philosophique, et la condition de la philosophie est de chercher une solution partout où elle rencontre un problème. Il importe pourtant de le dire : Si vous admettez, sans restriction ni réserves, l’obligation de combattre le mal, les doutes que vous pourrez concevoir sur la solution que j’ai à vous indiquer ne devront pas détruire la valeur des considérations qui termineront cet enseignement. Après nous être séparés sur une question de théorie, nous pourrions nous retrouver ensemble sur le terrain des applications.
a – Romains 12.9.
Je vais vous proposer ma solution pour le problème du mal ; indiquer ses sources historiques ; et la développer, en marquant ses conséquences pour l’idée que nous devons nous faire de l’état primitif de l’humanité et de l’origine de son état actuel. Solution proposée, — sources historiques de cette solution, — état primitif de l’humanité, — origines de son état actuel ; tel sera l’ordre de nos pensées.