aNous avons tous éprouvé la puissance du mal. Étudions dans ce passage la révélation du remède. Le remède, comme on l’a dit, c’est le médecin lui-même. Notre sanctification, c’est la sainteté de Jésus qui devient la nôtre par la communication de l’Esprit.
a – Résumé pris d’après une allocution de F. Godet sur Romains 8.1-4, et paru en 1878 dans la revue Le Libérateur.
Pourquoi Jésus, en descendant du ciel, n’est-il pas monté immédiatement sur la croix ? Pourquoi toute une vie entre sa naissance et son sacrifice ? trente années de luttes et de souffrances avant le suprême combat ?
Sans doute pour l’efficacité du sacrifice, la sainteté de la victime était nécessaire ; et cette sainteté devait être une sainteté humaine, acquise au prix de l’abnégation volontaire et de la consécration journalière. Un être qui avait traversé la vie sans connaître le péché pouvait seul être fait péché pour tous les autres (2 Corinthiens 5.21).
Mais saint Paul nous fait connaître un autre but de la sainte vie de Jésus-Christ dans le passage que nous étudions.
« Il n’y a plus aucune condamnation. » Ce mot aucune montre qu’il y a plus d’une sorte de condamnation reposant sur la tête de celui qui n’est pas en Jésus-Christ. Il y a d’abord la désapprobation divine frappant les violations de la loi, la colère décrite dans les trois premiers chapitres de l’épître aux Romains. Les deux suivants tracent le tableau de l’enlèvement de cette condamnation par le sang de Christ et par la foi qui consent à venir y puiser son pardon.
Mais si, après cela, le péché demeurait comme le dominateur de l’âme, la condamnation renaîtrait infailliblement. Car Jésus n’est pas venu nous sauver dans le péché, mais du péché. Ce n’est pas le pardon qui constitue la santé de l’âme, l’état de salut ; c’est le rétablissement de la sainteté. Le pardon reçu ne nous fait pas ressembler à Dieu, mais la sainteté seule. Le pardon est le seuil du salut, le moyen par lequel le malade entre en convalescence. La santé elle-même, c’est la sainteté.
Si donc la première condamnation à ôter, c’est le péché comme faute, la seconde, qui doit nécessairement être enlevée aussi pour que la première ne renaisse pas, c’est le péché comme puissance, comme tendance intime de la volonté. Et c’est de cette seconde condamnation que saint Paul nous décrit ici l’enlèvement :
« La loi de l’Esprit de vie qui est en Jésus-Christ, m’a affranchi de la loi du péché et de la mort. » De Jésus-Christ procède une loi ; mais ce n’est pas une loi qui opprime, c’est une loi qui affranchit. Ce n’est pas une lettre qui se présente au dehors gravée sur la pierre ; c’est un souffle divin qui pénètre l’âme. Ce n’est pas un joug qui réprime la volonté perverse sans la changer ; c’est une inclination bonne qui s’empare de la volonté, qui se l’assimile et la transforme.
Cette puissance émane de Jésus ; pourquoi ? Parce que cette volonté sainte qui doit renouveler la nôtre, a habité premièrement en lui et s’est parfaitement réalisée dans sa vie terrestre.
« Car ce qui était impossible à la loi… Dieu l’a fait. » Et qu’a-t-il fait, en Christ et par lui, de particulier ?
« Il a condamné le péché dans la chair. » Mais ne l’avait-il pas condamné très suffisamment dans la loi ? Qu’était la proclamation entendue sur Sinaï, sinon la condamnation du péché sous toutes ses formes, les plus grossières comme les plus subtiles ? Il est vrai. Mais il y a autre chose en Christ qu’un décalogue et deux tables de pierre. Il y a une vie d’homme, d’homme habitant dans un corps de chair, sensible, comme le nôtre, au plaisir et à la douleur, et même, dit Paul avec hardiesse, dans une chair semblable à notre chair déchue, dans cette chair pleine de vie et de sensibilité, Dieu a condamné le péché.
Condamné, à quoi donc ? à périr ? Non, car il n’y a jamais existé. Condamné à ne pas naître, à ne pas faire son entrée dans cette existence unique. Jésus a refusé à ce maître qui régnait partout, comme la mort même, le droit et la satisfaction d’exister chez lui. Il l’a fait dans une chair semblable à celle qui est devenue chez nous tous la séductrice de la volonté. Pas une aspiration, pas une crainte émanant de la vie naturelle n’a pénétré un instant dans cette volonté qui se consacrait incessamment à l’obéissance envers le Père. Cette chair qui est chez nous un foyer de souillure, parce qu’elle possède en nous une vie indépendante de Dieu, il l’a tenue constamment ouverte à l’action de l’Esprit, au souffle et à l’impulsion de Dieu seul. Il a ainsi réalisé en lui-même la purification radicale de la nature humaine. Il a prouvé ce que la loi ne pouvait prouver : que l’humanité, esprit, âme, corps, peut appartenir au bien, à Dieu, sans aucune tache ; que le péché est par conséquent un élément étranger à la vraie humanité, et n’est point un facteur nécessaire de notre nature. Il a créé en lui une humanité comme Dieu la veut, et fait de sa personne parfaitement sainte le principe et la source de la sanctification pour toute l’humanité. Là est le miracle des miracles, en comparaison duquel tous les autres ne sont, si j’ose m’exprimer de la sorte, que jeux d’enfant. Et ce miracle est précisément celui qui doit se reproduire en nous tous :
« Afin que la justice de la loi soit accomplie en nous qui marchons, non selon la chair, mais selon l’Esprit. »
La justice de la loi, c’est la sainteté exigée par la loi. En Jésus l’accomplissement de la justice de la loi a consisté à empêcher le péché de naître. Chez nous, en qui le péché existe déjà, la justice de la loi consiste à le frapper de mort et à le remplacer par une volonté sanctifiée. Or, la mort de la volonté au péché dans le croyant n’est autre chose que l’assimilation de la mort de Jésus pour le péché. C’est au pied de la croix, dans la contemplation du crucifié que le divorce entre notre volonté et le péché se prononce en quelque sorte officiellement et de droit, dans un acte intime entre Dieu et nous. Et dès ce moment, c’est à notre vie entière à maintenir pratiquement le divorce une fois prononcé ; c’est notre tâche de ne jamais laisser rentrer au domicile conjugal l’époux congédié.
« Vous êtes morts… faites donc mourir… » Bien loin qu’il y ait contradiction entre ces deux paroles, le premier de ces deux faits est la condition du second. On ne fait mourir le péché dans le détail qu’autant qu’on y est mort une fois en principe, et cela par l’acte de volonté sommaire qu’implique la foi vive en un Sauveur crucifié.
Mais il n’y a pas seulement en nous le mal à détruire. Il y a le bien à faire revivre. A ce second côté de la sanctification peut s’appliquer une formule semblable à celle que nous trouvons chez Paul pour le premier : « Vous vivez… vivez donc ! » (Comp. Romains 6.11.) Nous possédons en Christ une humanité parfaitement sainte, celle qu’il a réalisée en lui-même, pendant qu’il était ici-bas dans la chair. Que cette humanité devienne simplement la nôtre. Là est le trésor où tout justifié n’a qu’à puiser sa sanctification. Acceptons ce trésor sommairement. Consommons l’acte de consécration au bien, à Dieu ; puis maintenons pratiquement cet acte dans tous les détails de notre vie terrestre.
Ce que Jésus faisait à l’égard du Père : « Je ne fais que ce que mon Père me montre, » faisons-le, nous, à l’égard de Jésus. C’est Jésus lui-même qui a tracé ce parallèle dans cette parole, secret de sa vie et de la nôtre : « Comme mon Père m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi. » (Jean 6.57) Avant d’agir ou de parler, dans une situation quelconque, plaçons-nous vis-à-vis de Jésus dans la position intérieurement réceptive où il demeurait lui-même vis-à-vis du Père, c’est-à-dire opérons en nous par un acte d’abnégation le vide de toute pensée et de toute volonté propres, afin d’épouser la pensée et la volonté de Jésus ! Pour cela contemplons-le, étudions ses sentiments et sa manière d’agir, et demandons-lui de les faire passer en nous, afin que nous agissions et parlions exactement comme il agirait et parlerait dans les mêmes conditions. C’est ainsi que lui-même contemplait le Père et vivait du Père, faisant à chaque instant « ce que son Père lui montrait », et « énonçant ce qu’il lui enseignait. »
L’Esprit de vie qui révèle et glorifie en nous le Fils, répond à un tel soupir. Ce vide que nous avons opéré en nous, il le remplit ; il le remplit de Christ, du Christ vivant, de la sainteté qu’il a réalisée dans la chair et qu’il conserve éternellement. Car sa sainteté terrestre demeure à jamais en lui comme le fondement latent de sa gloire. Comme le Père lui montrait son œuvre et le rendait capable de l’accomplir, il nous montre la sienne, celle qu’il veut accomplir par nous, dans la position où nous sommes et nous rend capables de la réaliser, comme il l’aurait fait lui-même à notre place.
Mais ce n’est pas là un procédé à appliquer mécaniquement : c’est un travail constant de la volonté qui, après s’être abdiquée et donnée une fois sommairement, maintient fidèlement, envers et contre tout, dans la pratique, ce principe d’abnégation et de consécration. Il y a ici avant tout une position à prendre : « Moi en toi ; toi en moi. » C’est l’acte de la foi, unique, décisif, instantané même parfois, comme les plus grandes commotions de la vie humaine. Puis il y a après cela cette position à maintenir, à affirmer et à consolider pratiquement, non sans combat, non sans souffrance… C’est le travail persévérant de la sanctification, l’œuvre de la fidélité humaine rencontrant celle de la fidélité divine, et se confondant à chaque instant avec elle.
Sainte rencontre ! Glorieuse union ! Sanctuaire que Jésus a fait surgir ici-bas, et dans lequel il nous invite tous à entrer pour ne jamais en sortir !