Méditations sur la religion chrétienne

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dieu selon la bible

Je n’ai garde d’éluder les questions relatives à l’authenticité de la Bible et des livres qui la composent. Je les aborderai dans la seconde série de ces Méditations, quand je toucherai à l’histoire de la religion chrétienne. Mais ces questions n’importent en rien à celle qui m’occupe en ce moment : quelle que soit l’antiquité plus ou moins reculée et plus ou moins égale de ses diverses parties, la Bible est le témoin du Dieu auquel le peuple hébreu a cru et sous la loi duquel il a vécu, le grand monument de la religion au sein de laquelle la religion chrétienne est née. C’est le Dieu dont je veux rechercher, dans la Bible seule, le propre et vrai caractère.

On fait honneur aux peuples de la race sémitique de leur foi primitive et persévérante à l’unité de Dieu. Sous des formes et à travers des histoires très différentes, à peu près tous les peuples ont été polythéistes ; les Sémites seuls ont cru fermement au Dieu unique. On attribue ce grand fait moral à des causes diverses et complexes, mais le fait même est généralement reconnu et admis.

Il y a, en deux sens, excès dans cette assertion. D’une part, entre les nations de race sémitique, plusieurs ont été polythéistes ; les descendants d’Abraham, les Hébreux et les Arabes Ismaélites, sont seuls restés vraiment monothéistes : d’autre part, l’idée de l’unité de Dieu n’a pas été complètement étrangère aux peuples polythéistes ; la plupart, comme les Hindous et les Grecs, ont admis une puissance unique et primordiale, antérieure et supérieure à leurs dieux. Idée vague et lointaine, née de l’instinct humain ou de la réflexion philosophique, et qui n’a été, chez ces peuples, ni la base d’une religion réelle, ni un obstacle efficace à l’idolâtrie. Le Dieu de la Bible n’est point cette stérile abstraction ; il est le Dieu unique dans le temps présent aussi bien que dans l’origine des choses, le Dieu personnel, vivant et agissant, qui préside effectivement à la destinée du monde qu’il a créé.

Il a encore un autre caractère, bien plus frappant et qui lui appartient plus exclusivement que celui de l’unité. Les dieux des peuples polythéistes ont tous une histoire pleine d’événements, de vicissitudes, de transformations, d’aventures. La mythologie des Égyptiens, des Hindous, des Grecs, des Scandinaves et de tant d’autres n’est que le récit poétique ou symbolique de la vie variée et agitée de leurs dieux. On reconnaît dans ces récits tantôt la personnification des forces de la nature mises en scène selon leurs apparences, tantôt les souvenirs de personnages humains qui ont frappé l’imagination des peuples. Mais quels que soient leur origine et leur nom, chacun de ces dieux a son histoire propre plus ou moins chargée d’incidents et d’actes tantôt héroïques, tantôt licencieux, élégamment fantastiques ou grossièrement bizarres. Toutes les religions polythéistes sont des recueils de biographies divines, ou traditionnelles, ou allégoriques, ou complètement fabuleuses, et dans lesquelles les destinées et les passions, les actions et les rêves des hommes se reproduisent sous les formes et les noms des dieux.

Le Dieu de la Bible n’a point de biographie, point d’aventures personnelles. Rien ne lui arrive et rien ne change en lui ; il est toujours et invariablement le même, être réel et personnel, absolument distinct du monde fini et de l’humanité, identique et immuable au sein de la diversité et du mouvement universels. « Je suis celui qui suis ; » c’est l’unique définition qu’il donne lui-même de lui-même, et la constante expression de ce qu’il est dans tout le cours de l’histoire des Hébreux, à laquelle il assiste et préside sans jamais en recevoir aucun reflet. Tel est le Dieu de la Bible, en contraste évident et permanent, avec tous les dieux du polythéisme, encore plus distinct et plus seul par sa nature que par son unité.

C’est si bien là le caractère propre et essentiel du Dieu de la Bible que ce caractère a passé dans la langue des Hébreux, et y est devenu le nom même de Dieu. Plusieurs mots sont employés dans la Bible pour nommer Dieu. L’un, El, Eloah, Elohim au pluriel, exprime la force, le pouvoir créateur, et est appliqué aux dieux multiples du paganisme aussi bien qu’au Dieu unique des Hébreux. El Shaddaï se traduit par le Tout-Puissant. Adonaï signifie le Seigneur. Le mot Yahwe ou Yehwe, devenu Jehovah dans la prononciation hébraïque, veut dire purement Il est, et désigne l’être en soi, l’être absolu et éternel. Ce nom ne se retrouve dans aucune autre des langues sémitiques, et c’est à l’époque de Moïse qu’il apparaît pour la première fois chez les Hébreux : « Je suis l’Éternel Yahwe, Jehovah, dit Dieu à Moïse ; je suis apparu comme le Dieu fort, tout-puissant (El Shaddaï), à Abraham, à Isaac et à Jacob ; mais je n’ai point été connu d’eux par mon nom d’Éternel (Exode 6.2-3) » Yahwe, Jehovah est à la fois le vrai Dieu et le dieu national d’Israël.

L’histoire des Hébreux n’est pas moins significative ni moins claire que leur langue : c’est l’histoire des rapports du Dieu unique et immuable avec le peuple qu’il a choisi pour être le représentant spécial du principe religieux et la source régénératrice de la vie religieuse dans le genre humain. Ce peuple traverse les destinées et les épreuves ordinaires des autres peuples ; il demande ou subit des gouvernements divers ; il tombe dans les erreurs et les fautes communes des nations ; il succombe fréquemment aux tentations de l’idolâtrie ; il a, comme les autres, ses jours de vertu et de vice, de prospérité et de revers, de gloire et d’abaissement. A travers toutes les vicissitudes et tous les égarements du peuple de la Bible, le Dieu de la Bible reste invariablement le même, sans aucune teinte d’anthropomorphisme, sans aucune altération dans l’idée que se font de sa nature les Hébreux, fidèles ou infidèles à ses commandements. C’est toujours le Dieu qui a dit : « Je suis celui qui suis, » à qui son peuple ne demande aucune autre explication de lui-même, et qui, toujours présent et souverain, poursuit les desseins de sa providence sur les hommes qui usent et abusent de la liberté qu’il leur a donnée en les créant.

Je veux retracer, d’après la Bible, les principales phases et les principaux acteurs de cette histoire. Plus je l’étudie, plus je sens que j’assiste, comme le dit M. Ewald, « à l’histoire de la vraie religion marchant de degré en degré à son complet développement, » c’est-à-dire à l’action de Dieu sur les premiers pas et sur le progrès religieux du genre humain.

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