Nous avons déjà fait mention des quelques expressions qui semblent indiquer qu’Habakuk a écrit postérieurement à l’époque de la grande littérature hébraïque. Néanmoins, on peut affirmer que son ouvrage est un chef-d’œuvre littéraire, soit au point de vue de la forme, soit au point de vue du fond. Quoique n’ayant pas vécu au temps des Esaïe et des Michée, ce prophète se distingue par la pureté de son style, autant que par la grandeur et la poésie de ses pensées. S’il a été prophète, il a été en même temps poète, et poète distingué. Sur ce terrain, tous les critiques sont d’accord.
« Il règne dans les prophéties d’Habakuk, dit Jahn, une élégance et une élévation qui peuvent disputer le premier rang aux plus belles compositions prophétiques. L’auteur emploie des images qui, toutes, sont grandes, heureusement choisies et dessinées avec justesse. La description qu’il fait des Chaldéens est vraiment admirable, et tout le chap. 3 se déroule dans une marche pompeuse et sublime. »
Rosenmüller en fait aussi un grand éloge, lorsqu’il dit : « Tout ce que l’éloquence des Hébreux avait de fort, de grand, de magnifique, se trouve réuni dans ce prophète ; personne ne le niera. »
Si tous les critiques ont uni leur voix pour admirer cette œuvre, aucun, cependant, ne semble s’en être montré plus grand admirateur qu’Eichhorn : « Le sujet qu’Habakuk avait à traiter, dit-il, était grand et particulièrement intéressant pour un poète hébreu. Il voit sa patrie tourmentée, le culte aboli, la terre sainte livrée à l’opprobre et à la corruption ; quel spectacle plus propre à plonger tout son cœur sensible dans la douleur la plus amère, et à déchirer un cœur aussi chaud et aussi ardent que celui de notre prophète ! C’est pourquoi il fallait nécessairement que sa voix, au lieu de faire entendre des sons doux et plaintifs, retentît du son bruyant de la trompette. Mais qui me donnera à moi-même une langue et des forces pour peindre dignement le chantre inimitable de la douleur et de la joie, de la désolation et de l’espérance, de l’insolence et de la moquerie ? Il n’est rien, à ma connaissance, de plus parfait dans toute la poésie prophétique que le poème qu’il nous a laissé, rien de plus magnifique et de plus sublime que l’hymne sainte qui termine son livre. Quoi de plus terrible que ses frayeurs et ses menaces, de plus mordant que ses insultes, de plus doux et de plus suave que ses consolations ? Il réunit toutes les qualités qui font le grand poète : une force d’imagination qui crée les plus grandes images, un jugement qui sait donner à ses figures et à ses tableaux, la régularité et la finesse des contours les plus heureux ; enfin, une puissance absolue sur le langage, puissance qui communique tour à tour à sa parole, tantôt l’harmonie et la douceur, tantôt l’éclat et la force. Oh ! pourquoi faut-il que le temps, qui dévore tout, et la captivité de Babylone qui a englouti tant de monuments de la littérature hébraïque, ne nous aient pas conservé quelque autre composition de ce chantre sublime ! »
Un des fragments les plus remarquables de l’ouvrage d’Habakuk est, sans contredit, celui que nous donne le chap. 3. C’est, en effet, dans ce sublime cantique, dans cette hymne sainte adressée à l’Éternel, que se développe tout le génie du poète ; il y a ici vigueur dans les tons, élévation dans les pensées, sublimité dans le langage. Après avoir montré, par des traits vigoureux, la chute des Chaldéens, que leurs dieux impuissants et muets ne sauraient protéger, le prophète se tourne vers l’Éternel ; il dépeint Jehovah, protecteur d’Israël, combattant dans un orage pour son peuple, et s’avançant, pour sa délivrance, sur les nations foulées aux pieds. Rien de plus saisissant que cette peinture, rien de plus hardi, de plus vrai ! Et certes, si ce poète peut trouver un égal dans le champ de la littérature hébraïque, nous n’hésitons pas à le dire, il n’a pas été surpassé.
De Wette, quant à ce chap. 3, élève l’œuvre de ce prophète au-dessus de tout ce qui a été fait chez les Hébreux. « Si Habakuk, dit-il, égale, pour le style prophétique, les meilleurs prophètes, tels que Joël, Amos, Nahum, Esaïe, il surpasse, dans sa pièce lyrique contenue au chap. 3, tout ce que la poésie des Hébreux a produit dans ce genre. L’élégance et la clarté s’y trouvent réunies à la plus grande force, à la plus riche abondance et à l’élan poétique le plus sublime. Le rythme du poète est en même temps des plus libres et des plus mesurés ; et sa langue unit la pureté la plus grande à la fraîcheur la plus admirable. »
Mais, si l’on reconnaît dans l’ouvrage d’Habakuk l’œuvre d’un poète, l’œuvre d’un homme doué d’un talent littéraire remarquable, on ne peut qu’y reconnaître aussi l’œuvre d’un prophète, d’un véritable homme de Dieu. Lorsqu’on lit ces quelques pages, on sent que leur auteur a été inspiré d’en haut ; on sent qu’en lui a passé le souffle divin ; on sent que cette grande âme a puisé sa force en Celui qui est la force même. Aussi l’impression dut être grande parmi le peuple, lorsque ce prophète, après avoir annoncé à Juda le châtiment que sa corruption lui avait attiré, entrouvrit le voile de l’avenir, et montra Jehovah, venant mettre fin à l’oppression et à l’esclavage ; car en même temps qu’il dépeint la justice divine, il cherche à réveiller, dans les cœurs de ses compatriotes, l’amour pour le Dieu d’autrefois, pour le Dieu d’Israël, l’amour pour ce Roi, qui, au milieu de sa colère même, n’a jamais cessé d’être l’ami de son peuple et le défenseur de ses gloires nationales.