J'ai bien voulu mettre ce miroir en avant, auquel chacun fidèle qui vit entre les papistes peut contempler les fautes qu'il fait et la malheureuse condition en laquelle il est. Or j'ai brièvement et en gros compris la somme, aimant mieux dissimuler et laisser beaucoup de choses que d'amplifier ce qui de soi-même n'emporte (n'implique) que trop de mal. Ainsi quand un homme vraiment craignant Dieu, faisant comparaison de ce qu'il fait avec ce qui est ici écrit, reconnaîtra qu'il pèche au double plus que je n'ai dit, il aura bien occasion de se condamner sans ouvrir la bouche pour se mettre en défense. Mais pource qu'il y en a d'aucuns qui se contentent d'avoir quelque excuse, comme un bouclier pour mettre au devant, il leur faut escourre (faire tomber) des mains tout ce dont ils ont accoutumé de s'armer et s'aider. C'est une chose fort commune d'alléguer l'exemple de Naaman Syrien, gouverneur de la gendarmerie du roi, lequel, ayant fait profession de vouloir servir dorénavant au Dieu d'Israël, demande toutefois congé (permission) au prophète Elisée d'entrer avec le roi son maître au temple de l'idole qu'on adorait au pays et parce que le roi s'appuyait sur son épaule, il demanda, quand icelui s'inclinerait, s'il ne lui serait pas aussi bien licite de se baisser (2 Rois.5). D'autant que le prophète lui permit cela, il semble à plusieurs que ce ne soit pas mal fait de se feindre en semblable cas. J'adresserai donc ma parole à celui qui voudrait prétendre cette couleur pour se justifier et lui répondrai : Mon ami, je m'ébahis, vu que tu as la parole de Dieu générale comme un grand chemin tout fait et bien hanté auquel tu ne pourrais faillir, comment tu aimes mieux décliner (te détourner) à un exemple particulier, qui est comme un sentier étroit et peu battu auquel il t'est facile de te fourvoyer. Pourquoi est-ce que tu es tant subtil à chercher subterfuges et ne vois goutte pour entrer par la porte ? Ne sais-tu pas bien que c'est une chose très mal sûre de suivre les exemples particuliers sans avoir autre approbation ? Car notre Seigneur a quelquefois permis à aucuns de ses fidèles, comme par privilège, ce qu'il a défendu à tous en commun.
Semblablement il a toléré ce qu'il n'approuvait pas pourtant. Nous ne lisons point que Naaman, dont il est question, ait jamais été circoncis et n'est pas vraisemblable qu'il ait été. T'excuseras-tu de cela pour ne point recevoir le baptême ? Et que dirais-tu si je répliquais à l'encontre que puisque l'adoration de Dieu et la confession de son Nom procède de la foi, d'autant que tu as beaucoup plus claire intelligence que Naaman, que tu es d'autant plus astreint de donner gloire à Dieu ? Prends le cas que je te réponde ainsi. Ce n'est pas merveilles, si Naaman est renvoyé par le prophète avec telle permission, vu qu'il n'avait qu'une bien petite étincelle de vérité. Mais toi qui as autre mesure de connaissance, te dois-tu là régler comme si tu n'étais non plus attenu à confesser Dieu que lui ? Dieu n'est point sophiste pour recevoir telles évasions. Ta conscience serait-elle lors en repos ? Mais j'ai bien autre réponse à telle manière de gens. Car je dis qu'ils abusent faussement de l'Ecriture, quand tout sera bien considéré.
Premièrement il faut noter qu'un lieutenant de roi en son idolâtrie avait coutume de faire beaucoup de sacrifices, vu que chacun particulier de moyen état en faisait. Et que promet Naaman ? Entre autres choses, il proteste expressément de ne jamais plus sacrifier, sinon au seul Dieu d'Israël. Or il est certain que cela était faire profession publique et notoire à tout le monde de n'être plus idolâtre, comme s'il l'eût fait publier à son de trompe. Car qui est-ce qui pouvait douter qu'il n'eût renoncé les dieux auxquels il cessait de faire tous sacrifices qu'il avait faits auparavant ? Davantage, il requit d'emporter de la terre d'Israël la charge de deux mulets pour sacrifier dessus au Dieu vivant, afin de n'être point contaminé en sacrifiant sur la terre profane. Ne voilà pas encore une autre déclaration solennelle qu'il fait, pour ôter tout doute qu'il ne veut plus vivre en la superstition des Syriens ? Mais après, il demande congé de pouvoir adorer au temple de Remon. Si c'était pour feindre d'adorer l'idole, il y aurait quelque apparence pour eux. Or on voit le contraire. Voici les paroles dont il use : Si le roi mon seigneur entre d'aventure au temple de Remon et qu'il adore étant appuyé sur mon épaule, si j'adore semblablement, que le Seigneur n'impute point cela à son serviteur. Le mot d'adorer emporte (signifie) s'incliner ou se baisser. Pourquoi est-ce qu'il dit notamment : si le roi, étant appuyé sur mes épaules, adore ? à savoir pour signifier qu'il ne s'inclinera, sinon par forme de civilité, pour n'empêcher point son roi. Ce qu'il ployait donc son corps n'était pas pour faire semblant d'honorer l'idole, mais pour rendre son service accoutumé au roi. Que celui donc qui se voudra défendre par l'exemple de Naaman se purge devant de toute suspicion d'idolâtrie et montre qu'il n'y veut nullement consentir. Quand il aura donné à connaître cela, nous ne serons plus en controverse. Mais à présent, quelle moquerie est-ce d'alléguer l'exemple de Naaman pour se couvrir quand il y a une si grande diversité (différence) ? Car ce qu'ils font n'est sinon pour montrer qu'ils veulent idolâtrer comme les autres. Ce n'est pas de telles vaines et frivoles tergiversations qu'on contente Dieu.
J'ai aussi ouï d'aucuns alléguant ce qui est dît en l'épître qu'on attribue à Jérémie : Quand vous verrez les Babyloniens porter leurs dieux d'or et d'argent et que tous se prosterneront devant, vous direz en vos cœurs : C'est toi Seigneur, qu'il faut adorer (Bar. 6.3). Mais l'auteur de cette épître, en exhortant le peuple d'Israël de donner gloire à Dieu en son cœur, lui permet-il de s'agenouiller devant les idoles ? Que profitent-ils donc d'abuser tant ineptement de cette sentence ? Et je vous prie, celui qui fait extérieurement honneur aux idoles, comment peut-il dire en son cœur que c'est à Dieu qu'il le faut faire, sinon en accusant son fait et se condamnant au jugement de Dieu ? Or de moi, je ne requiers pas des fidèles que voyant les papistes porter leurs reliques et autres marmousets, ils les leur arrachent des poings ou jettent de la boue à l'encontre (car c'est à faire aux princes et supérieurs de corriger telles abominations), mais qu'ils s'abstiennent de se polluer avec eux ; et puisqu'il ne leur est licite d'adorer Dieu solennellement, qu'ils le glorifient pour le moins en leurs cœurs.
L'exemple de saint Paul qu'ils allèguent pareillement a un petit plus d'apparence ; mais il leur sert beaucoup moins que celui de Naaman, lequel nous avons montré ne leur servir du tout rien. Saint Paul, disent-ils, sachant bien que les cérémonies de la Loi étaient abolies, pour complaire à sa nation, en a usé, se faisant tondre et se purifiant selon la coutume de la Loi pour offrir au temple (Act. 18.18 ; 21.26). Il leur semble donc avis que si saint Paul n'a pas péché en ce faisant, que ce n'est pas plus mal fait d'aller à la messe par simulation et faire les autres choses que je reprends. Je réponds qu'ils font grande injure, premièrement à Dieu d'acomparer une cérémonie qu'il avait instituée avec une idolâtrie du tout méchante et exécrable comme est la messe papale, secondement à saint Paul de lui imposer qu'il ait fait un tel acte comme ils font. Mais voilà que c'est de se vouloir laver en mal faisant. On se souille toujours au double.
Cette cérémonie dont saint Paul usa lors, était-elle réprouvée de Dieu ou si elle était indifférente encore pour ce temps-là, jusqu'à ce que l'Evangile fût mieux et plus amplement éclairci ? Il n'y a nul qui ne me concède que ce n'était pas chose mauvaise de soi ni damnable. Car c'était simplement en substance un sacrifice de louange et d'action de grâces qui se faisait à Dieu. La tonsure et la purgation étaient bien des ombres de la Loi, mais il n'y avait point d'inconvénient qu'un chrétien n'en pût user pour édification. Et c'est ce que saint Paul même dit qu'il a été fait aux juifs comme juif, afin de les gagner et a observé la Loi afin de les attirer en l'Evangile (1 Cor. 9.20). Or en la messe, qu'est-ce qu'il y a de semblable ? Je prends la messe pour toutes les autres façons de faire où il y a de l'idolâtrie évidente ou de la superstition du tout répugnante à la parole de Dieu. Quel ordre donc y a-t-il d'appliquer le fait de saint Paul qui n'est que bon, à maintenir des choses pleinement vicieuses ? Si c'était tout un de se faire tondre et de se prosterner devant une idole, je leur concéderais de suivre l'exemple de saint Paul. Mais de mettre en un rang choses qui n'ont nulle convenance, c'est tout confondre.
Combien qu'il y a encore plus à regarder. C'est l'intention et la fin. Car si saint Paul, pour s'entretenir avec le monde et pour crainte de sa peau, eût usé de telle simulation, il serait le premier à se réprouver. Mais nous savons qu'il n'a eu autre considération que d'édifier les pauvres ignorants et les rudes et ne donner scandale à personne. Qui seront ceux qui s'oseront aujourd'hui vanter d'avoir ce zèle ? Car leur propre conscience les redargue (réprouve). Néanmoins encore nous faut-il débattre de ce point comme s'il y en avait quelque doute. Car vous en verrez une grande partie de ceux qui se contrefont pour s'entretenir avec les papistes, se couvrant et vêtant de cette belle couleur : Nous le faisons pour ne point scandaliser. Premièrement je les renvoie au jugement de Dieu et au témoignage de leurs consciences. Là il se trouvera qu'ils n'ont autre égard que d'éviter fâcherie et danger. Que gagnons-nous, je vous prie, de nous flatter ainsi contre la vérité ? Que profitons-nous de nous défendre par mensonge ? Quand j'aurai forgé une excuse, voilà mon honneur recouvert, que je ne suis point adonné ni à mon ventre, ni à ambition. Cependant je sais bien et suis convaincu qu'il n'y a autre chose qui me pousse. Mais on me reprochera que je fais témérairement de juger des pensées occultes et que cela appartient à Dieu seul. je réponds que mon jugement est assis sur ce qui appert (apparaît) à l'œil. Ne nous moquons point de Dieu. S'il n'y avait crainte de perdre la vie ou les biens, ou le crédit, ou les accointances, ou la grâce des amis, qui empêchât la liberté, en trouverait-on de cent l'un, voire de mille, qui dissimulât ainsi que tous font maintenant ? Mais puisque le monde est venu à cette impudence de se moquer de Dieu tant lourdement, je leur accorde que leur intention soit telle qu'ils prétendent et ne poursuivrai point davantage leur hypocrisie.
Venons seulement au fait. De peur de scandaliser, disent-ils, nous sommes contraints de faire bonne mine en nous accommodant aux superstitions papistiques. Pour voir si ainsi est, il est question d'entendre [ce] que c'est [que] scandaliser. Car quand saint Paul use de ce mot, il signifie troubler une conscience pour l'empêcher de venir à Jésus-Christ ou pour l'en aliéner (éloigner) ou reculer. Traitant donc de cette matière, dont maintenant nous parlons, il nous commande d'éviter diligemment tout scandale. Comment ? Garde-toi, dit-il, de rien manger des oblations faites aux idoles en la présence d'un infirme (faible) qui en fera scrupule. Car c'est scandale. Pourquoi ? D'autant que sa conscience sera édifiée à mal faire. Car il estime que telle viande soit pollue et néanmoins il ne laisse point d'en manger en suivant ton exemple. Voilà donc comment tu es cause de sa ruine. Ou bien s'il s'en abstient, il est tourmenté en son cœur, pensant que tu méprises Dieu en ce faisant et est par ce moyen quasi ébranlé et en danger de perdre courage, pource qu'il n'est pas encore bien résolu en la vérité de Dieu (1 Cor. 8.7 ss). Nous voyons donc de quel scandale nous retire saint Paul : c'est quand nous sommes cause par notre témérité qu'un homme infirme s'achoppe pour trébucher en ruine ou pour se détourner du droit chemin ou pour être retardé. Bref, quand nous le retirons ou empêchons de profiter en notre Seigneur au lieu que nous le devrions aider. Semblablement aux Romains, après avoir remontré que c'est chose inhumaine et contre charité de molester un homme infirme, pour ce qu'il fait scrupule de manger de toutes viandes et qu'il ne le faut presser ni importuner contre sa conscience, finalement qu'il ne le faut contrister pour le décourager, voulant conclure son propos, il dit : Qu'un chacun donc plaise à son prochain en bien, à son édification (Rom. 15.2).
Maintenant nous voyons le but où il nous faut tendre en nous gardant de faire scandale. C'est de ne point donner cause à notre prochain d'être mal édifié de nous, de ne lui point donner mauvais exemple, de ne rien dire ni faire pour le débaucher. Dont il nous est facile de juger si ceux qui se prosternent devant les idoles et en dissimulant leur chrétienté déshonorent Dieu, évitent par ce moyen scandale. Premièrement ils donnent à connaître qu'ils n'ont point grand zèle à la gloire de Dieu, laquelle ils profanent ainsi, puis après ils induisent les autres à faire de même, je dis les petits et faibles qui ont déjà quelque goût de la vérité. Là où autrement ils feraient scrupule de se maculer (souiller) en idolâtrie, ils les enhardissent parleur exemple. Finalement ils confirment les incrédules et les endurcissent en leurs erreurs. Si cela n'est scandaliser, je confesse que j'en suis au bout de mon sens. Bien est vrai qu'ils n'offensent point les hommes mondains, pour encourir en leur male grâce, et ne provoquent personne à les persécuter et ne donnent point occasion de murmurer et crier à l'encontre d'eux ; mais en nourrissant toute idolâtrie par leur feintise, ils sont cause de faire rompre le col aux uns et de faire blesser grièvement les autres, de faire choir les uns et de faire clocher les autres, ou de s'égarer hors du droit chemin. Et par ainsi tous ensemble, depuis le premier jusqu'au dernier, sont aveugles et conducteurs des aveugles. Car en suivant l'un l'autre comme grues, ils se séduisent mutuellement, d'autant que nul ne suit la parole de Dieu cependant, laquelle était la seule vraie règle.
Davantage, nous avons à noter que quand saint Paul nous commande de condescendre (consentir) à la rudesse ou infirmité de nos prochains pour ne leur point faire scandale, il n'entend pas que nous devions faire chose mauvaise pour leur gratifier, ni que nous devions user de simulation, laquelle ne nous est point licite, mais qu'en toutes choses moyennes que Dieu a autrement laissé en notre liberté et lesquelles d'elles-mêmes ne sont que bonnes, nous ayons égard à eux pour ne les point troubler. Parquoi le premier fondement serait toujours de considérer si la chose dont il est question nous est libre, que nous en puissions user en une sorte ou en l'autre purement, sans offenser Dieu ; c'est-à-dire de faire une œuvre ou la laisser : d'user d'une chose ou nous en abstenir. Or d'enclore l'idolâtrie en ce rang, il n'y a nul propos. Puis donc que se contrefaire en telle sorte qu'on commette toutes abominations, c'est contre la défense expresse de Dieu, il n'y a point de raison de mettre le scandale en avant pour chercher excuse en cet endroit.
Ceux qui semblent être les plus modestes, se voyant dénués de toute excuse légitime, ne défendent pas totalement que ce soit bien fait ou qu'il n'y ait nulle faute de commettre idolâtrie extérieure par crainte des hommes, mais allèguent que c'est une faute légère et facile à pardonner quand le cœur n'y est point et pourtant que c'est outrepasser mesure de la reprendre tant aigrement. Et pour plus donner d'apparence à leur dire, ils objectent qu'il y a tant de vices régnant au monde beaucoup plus énormes et qui mériteraient bien d'être repris en premier lieu. Qu'il ne faudrait pas donc commencer par cette petite infirmité comme ils reputent (estiment), si nous ne voulons ensuivre l'hypocrisie des pharisiens qui avalent un chameau entier et passent par une étamine des petits morceaux. je commencerai à répondre par ce dernier point : confessant qu'il y a aujourd'hui de terribles fautes au monde contre lesquelles il est bon métier de crier. Je confesse aussi que quand on les passerait légèrement pour s'amuser à ce seul péché d'idolâtrie extérieure, que ce serait mal procéder. Comme si maintenant j'épargnais les paillards, les ivrognes, les larrons, trompeurs, parjures et autres ; que je pardonnasse à l'avarice, que je dissimulasse les rapines, les pompes et l'orgueil, étant du tout acharné à reprendre ce seul vice dont je parle à présent : ce serait mal procédé à moi. Et lors on me pourrait à bon droit reprendre de mon inconsidération, comme laissant beaucoup de plaies cachées pour s'amuser à en guérir une. Mais puisque cela n'est point, qui m'empêchera de reprendre chacun vice en son ordre, sans en laisser nul derrière ?
Or que celui-ci soit du nombre, il ne se peut nier. Voire, disent-ils, mais c'est trop aigrement. Car aucuns oyant (entendant) crier ainsi à l'encontre, pensent s'être acquittés du tout envers Dieu, quand ils n'auront point fait semblant d'idolâtrer avec les autres. Et comme si toute leur sainteté était là, il ne leur chaudra (ils ne se feront pas scrupule) de mener cependant une vie dissolue ou de tromper leurs prochains ou de faire choses semblables. je réponds que telles gens mettant toute leur perfection au dehors et voulant contenter Dieu en un seul point, sont aussi mal avisés ou plus que les autres qui pensent, n'offenser point, Dieu en le renonçant (reniant) par superstitions extérieures devant les hommes. Mais il n'y a nul propos que leur faute me soit imputée, vu que je ne leur en donne point occasion. Ma doctrine est que l'homme fidèle se doit sanctifier et consacrer à Dieu, tant de corps que d'esprit ; mais que l'esprit, comme le principal, aille en premier lieu. Qui est-ce qui pourra conclure de cela que je veuille introduire une hypocrisie pour payer Dieu de mines ?
Touchant ce qu'ils prétendent, que ce soit une légère faute de feindre d'adorer les idoles, et pourtant qu'elle doit être facilement pardonnée : à cela je dis que si on vient à faire comparaison des commandements de Dieu de l'un à l'autre, que lors on en trouvera bien les uns plus grands et les autres moindres, comme Jésus-Christ dit que les principaux articles de la Loi sont justice, jugement et loyauté. Mais quand nous les considérons chacun à part, il n'y en a nul qui ne nous doive être en grand poids et estime. Car nous savons ce que dit Jésus-Christ notre maître : Quiconque aura violé l'un de ces petits commandements et aura ainsi enseigné les hommes, il sera de nul estime au royaume des cieux (Matth. 5.19). Qu'est-ce d'enseigner ainsi les hommes ? C'est de leur faire à croire qu'il n'y a pas trop grand mal d'avoir transgressé quelque commandement de Dieu, comme s'il était de petite importance et ainsi leur lâcher la bride à oser mal faire en diminuant le péché. Si celui qui fait un commandement de Dieu léger, quelque petit qu'il semble à notre sens, est ainsi condamné, que sera-ce de ceux qui veulent qu'on dissimule du tout quand on fait à l'encontre ? Et de fait, si nous n'avons le jugement trop pervers et corrompu, oserions-nous ouvrir la bouche pour dire que c'est peu de chose que d'être contrevenu à la volonté de Dieu ? Car puisque notre Seigneur a daigné ouvrir la bouche pour parler de quoi que ce soit : n'est-ce pas bien raison que toute créature soit émue pour écouter en crainte et diligemment observer ce qu'il dit ? Est-ce à nous d'enquérir pourquoi il commande ou défend ? comme si sa seule volonté ne nous suffisait point pour raison.
Or afin de ne nous tromper point : ce n'est pas seulement à la chose commandée ou défendue qu'il nous faut regarder, mais à Dieu qui parle, d'autant que nous ne pouvons désobéir à sa Parole sans mépriser sa majesté. C'est donc de sa grandeur qu'il faut estimer l'offense et en ce faisant elle ne nous semblera jamais petite. Pour cette cause, dit-il par son prophète Zacharie (5.3), qu'il envoie un livre de malédiction sur toute la terre, par lequel tout parjure et tout larron seront semblablement maudits. En quoi il signifie que nul ne peut transgresser sa Loi en sorte que ce soit, qu'il ne soit toujours damnable. Ce que saint Jacques expose encore plus clairement quand il dit : Celui qui aura gardé tout le reste de la Loi et aura offensé en un point sera réputé coupable de tous les commandements. Car celui qui a défendu de meurtrir a aussi défendu de paillarder, dérober et mentir (Jacq. 2.10, 11). Pour montrer quelle offense c'est de faillir en quelque point, il nous renvoie à Dieu qui est le législateur ; comme s'il disait que la faute se doit mesurer et peser de ce que nous contrevenons au plaisir de Dieu, anéantissant son autorité par contemnement (mépris) entant qu'en nous est. Parquoi notre Seigneur Jésus-Christ, reprenant l'hypocrisie des scribes et pharisiens qui appliquaient tellement leur étude à observer les moindres commandements que le principal demeurait derrière, ne leur dit point qu'ils s'emploient à faire ce qu'il met en premier degré, ne tenant compte du reste ; mais au contraire il parle ainsi : Il fallait faire ces choses et n'oublier point les autres (Luc 11.42). Comme s'il disait : Il n'y a rien qu'on doive mépriser depuis le plus grand jusqu'au plus petit ; mais il ne faut pas rejeter l'un pour garder l'autre.
Nous voyons donc que c'est une fantaisie pernicieuse de concevoir que se soit une faute passable et à pardonner de transgresser quelque commandement de Dieu que ce soit, vu que telle crainte et révérence que nous portons à sa majesté aussi nous la faut-il démontrer envers tous les points de sa Loi depuis le premier jusqu'au dernier. Et de fait, quand nous commençons une fois d'abaisser la parole de Dieu en quelque endroit, pour nous induire à une nonchalance de faire ce qu'elle porte, c'est une entrée pour nous la faire puis après généralement rejeter. Ainsi tout ce qui se fait contre la volonté de Dieu ou en une sorte ou en l'autre, indifféremment doit être repris et vivement corrigé. Car en cela nous montrerons que nous le craignons et lui voulons être sujets, si nous n'omettons point une seule minute de tout ce qu'il nous a recommandé.
Combien que je voudrais bien savoir quelle raison il y a d'appeler l'idolâtrie extérieure une des moindres offenses qu'on fasse. Quelqu'un me dira : C'est pour ce que je n'y ai point le vouloir ni le courage, mais je le fais par contrainte, désirant de faire autrement s'il m'était loisible. Je demanderai donc à celui qui parle ainsi : Mon ami, si pour crainte de déplaire, ou pour peur de quelque danger tu faisais un gros outrage ou opprobre à ton père, serais-tu pourtant excusable ? Et combien moins dois-tu déshonorer Dieu en profanant son saint Nom, en attribuant sa gloire à un marmouset ? Tu es contraint, dis-tu. Penses-tu donc qu'il n'estime pas beaucoup plus sa gloire que ta vie ? Mais en ôtant toute altercation contentieuse, je prie tous ceux qui sont détenus en telle erreur de vouloir un petit penser si c'est une faute facile à supporter, par laquelle saint Paul dit que Dieu est provoqué comme si on voulait batailler contre lui, par laquelle il dit que Jésus-Christ est offensé, qu'on renonce à sa sainte table et qu'on participe à la table des diables (1 Cor. 10.21, 22). Voilà bien, ce me semble, des mots pour nous faire trembler. Et même, à dire vrai, il foudroie plus qu'il ne parle. Mais on me répliquera que j'en abuse pour les détourner à mon propos. Regardons donc si ainsi est ou non.
Les Corinthiens, ou pour crainte du danger, ou pour autre regard mondain, s'assemblaient en la compagnie des infidèles pour faire banquets solennels en l'honneur des idoles. Leur excuse était : En nos cœurs nous condamnons toute leur superstition et savons qu'il n'y a qu'un seul Dieu auquel soit dû tout honneur. Sur cela saint Paul ne laisse point de crier qu'ils provoquent le Seigneur au combat et se polluent en communiquant à la table des diables. Qu'est-ce que font moins ceux qui se viennent agenouiller à la messe pour approuver toute l'abomination qui s'y commet et en toutes les cérémonies perverses et répugnantes à Dieu qui se font au royaume de l'Antéchrist, baisent le babouin, c'est-à-dire se feignent d'y consentir et les recevoir comme bonnes ? S'ils le nient, avisons si les causes pour lesquelles saint Paul est si âpre contre les Corinthiens ne se trouveront point en eux. Il est certain qu'il considérait deux choses : c'est que les Corinthiens par telle simulation donnaient occasion aux infidèles et païens de s'endurcir en leur mal et désestimer la chrétienté (christianisme) et que d'autre part les pauvres infirmes étaient subvertis (ébranlés) et leurs consciences troublées. Ainsi pour ce double scandale qui s'ensuivait de leur acte, il les menace tant durement. Et que font aujourd'hui ceux qui s'accommodent avec les papistes en leurs folies ?
Prenons toujours la messe pour exemple. Ils savent bien que c'est une abomination dressée comme en dépit de Dieu. Ils savent bien à quelle intention le peuple convient (se réunit) là. Quand il n'y aurait autre chose, ils savent qu'on adore là une idole, élevant un morceau de pain au lieu de Dieu. Sachant bien cela, ne font-ils pas semblant de l'adorer avec les autres ? Ne veulent-ils pas qu'on pense qu'ils le font de bonne dévotion ? En ce faisant, je vous prie, n'exposent-ils pas la gloire de Dieu en moquerie aux méchants ? ne les confirment-ils pas en leur perversité ? ne scandalisent-ils pas les infirmes, leur donnant mauvais exemple ou les mettant en doute et scrupule qu'ils ne savent que juger ? Ils ne font donc rien en adoucissant ce que nous voyons être pris tant aigrement de Dieu. Qui plus est, c'est chose notoire que la messe est tenue des ennemis de Jésus-Christ comme un gage pour s'obliger de vivre en leur impiété et servir à leur tyrannie. Car si quelqu'un va à la messe dévotement il est tenu pour un bon et loyal suppôt de l'Antéchrist. Au contraire, mépriser la messe, c'est comme renoncer au royaume du pape. Puisqu'ainsi est donc que l'homme chrétien allant à la messe donne témoignage et fait profession de vouloir vivre en l'idolâtrie et toutes les abominations qui règnent aujourd'hui au monde, n'est-ce pas un renoncement oblique de Jésus-Christ et de son Evangile ?
Quelle réponse me donneront à cela ceux qui veulent colorer leur péché et, pour ce qu'ils ne le peuvent blanchir du tout, le veulent obscurcir aucunement afin qu'il n'apparaisse point ? Je dis qu'il ne faut pas estimer la messe seulement en soi, mais avec ses circonstances et la conséquence qu'elle porte. Je dis davantage que la conséquence est telle que là on passe obligation d'approuver, recevoir et suivre l'état présent de l'église papale que tous les chrétiens doivent avoir en horreur et exécration. S'ils me peuvent souldre (résoudre) cet argument en saine conscience et sans sophisterie, je les quitte. Mais ce ne sera pas de cette année. Je réciterai encore à ce propos, pour plus ample confirmation, une histoire qui est en Josèphe et au livre des Macchabées. C'est de Elezarius et une femme juive avec sept petits enfants qu'elle avait (2 Macc. 6.18 ss ; 7.1 ss.). Comme ainsi soit qu'on les voulût contraindre à manger de la chair de pourceau, ils aimèrent mieux mourir que d'y consentir. Il semblerait de première face que ç'aurait été plutôt une opiniâtreté d'endurer la mort pour si petite cause, qu'un zèle bien réglé. Mais si nous regardons où cela tendait, ils ne pouvaient autrement faire sans renoncer (renier) Dieu. Car en les pressant de manger de la chair de pourceau que Dieu leur avait défendue, on demandait un témoignage d'eux : qu'ils étaient contents de condescendre à la façon de vivre des païens. Cette histoire n'est pas de la sainte Ecriture, mais c'est un fait qui est advenu à la vérité et non pas fable. Si nous honorons ces personnages comme martyrs et louons leur constance, ne nous convient-il pas condamner ce qui se fait au contraire ?
Pour mettre fin à cet article, je dis que tous ceux qui reputent (estiment) pour faute légère une telle feintise de faire semblant d'accorder avec les idolâtres, ne savent point en quelle recommandation Dieu a son honneur et n'ont jamais goûté cette sentence qu'il dit par son prophète Esaïe : je suis vivant ; je ne donnerai pas ma gloire à nul autre, ni mon honneur aux images (Es. 42.8 ; 48.11). Car par cela il nous montre qu'il ne permettra jamais que son honneur soit transféré à une idole, qu'il n'en fasse quant et quant la vengeance. je dis aussi que jamais ils n'ont conçu la grâce que Dieu nous a faite en ordonnant que nos corps soient temples de son saint Esprit, après les avoir rachetés par le précieux sang de son Fils notre Seigneur et en leur permettant gloire et immortalité en son royaume. Car s'ils entendaient cela, ils feraient cette conclusion avec saint Paul : qu'il nous convient purger de toute souillure tant de corps que d'esprit et porter Dieu tant en l'un comme en l'autre, vu que tous les deux sont siens (1 Cor. 6.20).
Or après que toutes ces tergiversations sont abattues, madame la prudence charnelle s'ingère pour jouer son rôle et produit une raison fort péremptoire : Qu'adviendrait-il si chacun se voulait déclarer pour servir à Dieu purement ? Je réponds en un mot que s'il plaisait à Dieu, il s'en pourrait ensuivre beaucoup de persécutions et que les uns seraient contraints de s'enfuir, quittant tous leurs biens, les autres seraient montrés au doigt, les autres mis en prisons, les autres bannis, les autres même laisseraient la vie. J'entends, comme j'ai dit, si Dieu le permettait. Mais nous devrions faire cet honneur à Dieu de lui commettre (confier) ce qui en pourrait advenir, espérant qu'il y donnerait tel ordre que le mal que nous craignons n'adviendrait pas. Car c'est le refuge où nous mène par son exemple notre père Abraham, lequel ayant le commandement de tuer son propre fils, quand il est interrogé au chemin de ce qu'il veut faire dit : Le Seigneur y pourvoira (Gen. 22.8). C'est certes une sentence laquelle doit être écrite en nos cœurs pour nous venir au devant en mémoire incontinent que nous sommes confus en quelque chose et quasi venus à l'extrémité. Si nous pouvions faire ainsi, à savoir de rejeter notre sollicitude en Dieu, ne doutant qu'il ne soit sage assez pour nous adresser à bonne, fin quand nous sommes dépourvus de conseil et en perplexité, il ne nous défaudrait non plus (ferait pas plus défaut) qu'il fit adonc (alors) à son serviteur Abraham, le délivrant de l'angoisse où il était, contre tout espoir humain. Mais à cause de notre incrédulité, nous ne sommes pas dignes de sentir la bonté de Dieu envers nous. Quand notre Seigneur nous commande quelque chose, pensons-nous qu'il ne prévoie point les dangers ou qu'il ne les considère point ? Et les voyant, pensons-nous qu'il ne soit pas suffisant pour nous en retirer ? Qui plus est, le voulons nous faire menteur, comme s'il ne nous devait pas tenir la promesse qu'il a faite de garder ceux qui suivront ses voies ? Parquoi, au lieu d'alléguer : Que deviendrons-nous si nous servons à Dieu ? Apprenons de dire puisque tout conseil nous défaut, Dieu en aura pour nous sommes-nous en un détroit dont il semble qu'il n'y ait point d'issue : il nous élargira le chemin. Seulement faisons ce qu'il dit et, en quelque péril que nous soyons, Dieu nous subviendra. Dieu aime sur toutes choses cette confiance, qu'en observant ses commandements nous remettions la fin sur sa providence et qu'en icelle notre esprit se repose. Mais encore que mille craintes se présentent devant nos yeux, tellement que nous ne savons de quel côté nous tourner, est-ce à dire que la volonté de Dieu soit cassée pourtant et qu'elle n'ait plus de lieu ? Or nous savons qu'elle est inviolable, voire que le ciel et la terre se mêlassent ensemble.
Toutefois la prudence charnelle ne veut encore acquiescer en cela. Car elle objecte un autre inconvénient : que si chacun se voulait retirer de l'idolâtrie, premièrement tous les pays où règne l'Antéchrist seraient tantôt dépourvus de fidèles. Secondement qu'étant sortis du lieu où ils sont, ils ne sauraient où se loger, vu que les régions où Dieu est purement invoqué ne les pourraient comprendre (contenir), avec les habitants qui y sont déjà. je réponds que cette crainte est trop frivole. Car si tous ceux que notre Seigneur a illuminés, d'un accord et consentement commun avaient cette hardiesse de mourir plutôt et quitter tout que de se profaner en méchantes superstitions, il les aiderait d'un moyen que nous ne connaissons pas. Car ou il convertirait les cœurs des princes et de leurs officiers pour abattre les idolâtries et remettre au-dessus le vrai service et adoration de Dieu, ou bien il les amollirait pour ne point contraindre les pauvres fidèles à se contaminer contre leurs consciences et de n'exercer point telle cruauté vers eux. Davantage, afin de n'entrer plus avant en dispute, je ne dis pas qu'il ne faut ja (pas) douter que chacun trousse incontinent son bagage pour se mettre en chemin. Car toujours cela sera que aucuns auront les yeux bandés pour ne point apercevoir en quelle fange et ordure ils sont ; les autres, combien qu'ils reconnaissent le pauvre état où ils sont, néanmoins seront détenus par l'infirmité de leur chair pour y demeurer ; les autres seront tellement enveloppés de charges diverses qu'ils ne pourront pas vider (partir) encore qu'ils le voulussent faire. Mais il est vraisemblable, dira quelqu'un, que ceux qui ont le meilleur zèle et plus de savoir pour édifier s'en partiront. Que sera-ce donc ?
Comment la doctrine de l'Evangile pourra-t-elle être multipliée, si la semence en est ôtée ? A cela je réponds que si chacun de ceux qui sont çà et là, auxquels notre Seigneur a donné connaissance de sa vérité, faisait la moitié de son devoir à son endroit, qu'il n'y aurait anglet (recoin) au monde qui n'en fût rempli. La faute est qu'il n'y a ni hardiesse ni courage en la plupart. Mais encore, quand tous ceux qui ne peuvent vivre en un pays en repos de conscience d'autant qu'il ne leur est licite d'y vivre selon Dieu, s'en départiraient, pensons-nous que la semence de Dieu y fût éteinte pourtant ? Plutôt on devrait espérer que Dieu, au lieu d'un, en susciterait quatre. Conclusion : nous serons, toujours ridicules, voulant arguer contre Dieu.
Je sais aussi qu'il y en a quelques-uns qui se pensent bien justifier en disant qu'il m'est bien facile de parler ainsi quand je suis loin du danger, mais que si j'étais en leur lieu, je ne ferais pas tant du vaillant, mais que j'en ferais comme eux. je réponds que je ne dis autre chose sinon ce que ma conscience me presse de dire et que si je voulais autrement parler, je blasphémerais méchamment la vérité. Parquoi si j'étais en lieu où je ne puisse point fuir l'idolâtrie sans danger, je prierais notre Seigneur qu'il me confermât et qu'il me donnât cette constance de préférer, comme la raison le veut, sa gloire à ma propre vie. Et espère qu'il ne me délaisserait point. Toutefois laissons là ce que je ferais. Car je ne me vante point, mais seulement je montre ce que tant moi qu'un chacun devrait faire. Et pourtant quiconque ferait autrement, fût moi ou un autre, il serait coupable. Mais que profitent-ils à me regarder ? Si je fais au contraire de ce que j'aurai prêché, malheur sur moi en tant que je me serai condamné par ma propre bouche. Mais sont-ils pourtant à excuser ? Que chacun éprouve son œuvre propre, dit saint Paul, et lors il aura gloire en soi-même et non pas en son prochain (Gal. 6.4). C'est une chose fort commune au monde que l'un fait un bouclier pour se défendre de la faute des autres. Mais ce n'est pas ainsi qu'il en faut user devant Dieu. En outre, afin qu'ils ne puissent dire : Ce sont paroles, mais trouvez qui les fasse, je ne requiers rien d'eux sinon de suivre ce qu'ont fait tant de mille de martyrs devant nous, hommes et femmes, riches et pauvres, petits et grands. Cette doctrine donc n'est pas une spéculation que j'aie forgé à mon aise, mais c'est celle que les saints, martyrs de Jésus-Christ ont méditée au milieu de tous les tourments qu'ils avaient à endurer.
Et par cette méditation, ils se sont fortifiés pour vaincre l'horreur et la crainte des prisons, des géhennes, du feu, du gibet, du glaive et de tous les autres genres de mort. S'ils n'eussent eu cette pensée imprimée en leur cœur : il vaudrait mieux mourir cent fois que de rien faire contrevenant à l'honneur de Dieu, jamais ils n'eussent eu le courage de se présenter à la mort pour confesser leur chrétienté, mais plutôt se fussent laissés induire à honorer les idoles. Or leur constance ne nous est pas récitée afin que nous la louions seulement, mais afin qu'elle nous soit pour exemple et que nous ne renoncions (renions) point la vérité, laquelle ils ont si puissamment maintenue, que, nous n'anéantissions et ne corrompions point la gloire de Dieu, laquelle ils ont tant estimée que d'épandre leur sang pour la sceller et confirmer. S'il était question d'échapper par feintise : quand on nous veut faire décliner à idolâtrie, il n'était jà métier qu'ils s'exposassent à endurer les tourments qu'ils ont endurés.
Car ils pouvaient adorer Dieu en secret et faire semblant d'adorer les idoles pour contenter leurs persécuteurs. Mais ils nous ont montré que cela n'est que moquerie de prétendre qu'on donne gloire à Dieu de cœur quand on trahit sa vérité devant les hommes et qu'on pollue ainsi son honneur en le transférant aux idoles. Et certes, quand tout est bien pensé, ce n'est pas une petite condamnation sur nous de voir un tel zèle et si ardent qu'ont eu le temps passé les saints martyrs, au prix de la nonchalance que nous montrons. Car incontinent qu'un pauvre homme de ce temps là avait seulement quelque petit goût de la vraie connaissance de Dieu, il ne faisait nulle difficulté de s'exposer au danger pour la confession de sa foi. Et eût mieux aimé d'être écorché tout vif que de se contrefaire jusque là de commettre quelque acte extérieur d'idolâtrie. Nous qui avons si ample connaissance, laquelle nous devrait enflamber, sommes plus froids que glace. Sur cela allons nous justifier. Mais si nous le faisons, ce sera pour amasser plus grave malédiction et provoquer plus âprement l'ire de Dieu sur nos têtes. Et que tous y pensent bien, chacun pour soi.
Or comme jusqu'à cette heure j'ai combattu contre ceux qui, pour se laver et justifier, falsifient la vérité de Dieu, ou pour amoindrir leur faute dérogent à la majesté de sa Parole et diminuent l'autorité de ses commandements, ou qui par vaines couleurs se veulent excuser à ce qu'il leur soit loisible de mal faire sans qu'on les reprenne, aussi d'autre part c'est bien raison de prévenir la demande que pourront faire plusieurs bons personnages et craignant Dieu : à savoir si je condamne et réprouve tous les fidèles qui sont dispersés par la France, par l'Italie, Angleterre, Flandres et autres régions, d'autant qu'ils sont contraints de s'accommoder à beaucoup de cérémonies superstitieuses. Devant que répondre à cette question, je proteste devant Dieu que tant s'en faut que je me délecte à reprendre et vitupérer mes pauvres frères qui sont en telle captivité, que plutôt, par pitié et compassion que j'en ai, je trouverais volontiers moyen de les excuser, mais que j'en dis ce que ma conscience me presse d'en dire, voire même pour leur salut. Et après en avoir tout dit, je me mets à gémir pour eux, priant Dieu qu'il les console. Quand à les réprouver, ce n'est pas mon intention, si je reprends quelque vice en eux, de condamner pourtant du tout leurs personnes. Dieu sait que j'ai cette estime de plusieurs qui sont en France, qu'ils vivent plus saintement beaucoup que moi et d'une plus grande perfection. Davantage, je reconnais et considère bien que c'est une plus grande et plus excellente vertu à eux de s'entretenir en la crainte de Dieu au milieu de tel abîme, qu'à moi qui n'ai pas tant d'occasion et ne suis pas tant tenté de mal faire, mais au contraire ai journellement la parole de Dieu pour m'en retirer. Pareillement s'il leur advient de faillir, que je les dois supporter plus que je ne mériterais d'être supporté. Ainsi tant s'en faut que je les rejette pour ne les tenir point comme frères, que quant au reste je les prise et loue devant Dieu et devant les hommes, les reputant (estimant) plus dignes d'avoir lieu en l'Eglise de Dieu que moi.
Qu'on ôte donc cette fausse opinion de dire que je les veuille exclure du nombre des fidèles, ou les effacer de la chrétienté. Toutefois, en ayant leurs personnes en tel honneur et réputation, je ne laisse point, si je vois quelque vice en eux, de le reputer mauvais. Car encore qu'un homme soit vrai fidèle, ce n'est pas à dire que ses œuvres soient toutes bonnes et louables. Ils trouveront possible autres fautes en moi. Qu'ils les condamnent au nom de Dieu, mais que ce ne soit point par malveillance ou par cupidité de médire et détracter ou pour se revenger par mutuelle accusation. Cependant, qu'ils reçoivent cette correction en humilité s'ils se veulent montrer enfants de Dieu, autrement ils déclareront qu'ils seront menés d'un esprit de rébellion et amertume, vu qu'ils ne voudront recevoir la vérité.
On me demandera quel conseil donc je voudrais donner à un fidèle qui est ainsi demeurant en quelque Egypte ou en quelque Babylone, en laquelle il ne lui est permis d'adorer Dieu purement, mais est contraint selon la façon commune de s'accommoder à choses mauvaises. Le premier serait qu'il sortît s'il pouvait. Car tout compté et rabattu, bien heureux est celui qui est loin de telles abominations. D'autant qu'il est bien difficile d'en être si près qu'on ne s'en souille. Qu'il se retirât donc en lieu où il ne fût point contraint de se mêler en telles ordures, ni d'ouïr blasphémer le Nom de Dieu et sa Parole, se taisant et dissimulant comme s'il y consentait, d'autre part où il lui fût loisible de faire profession de sa chrétienté en l'assemblée des chrétiens être participant de la sainte doctrine de l'Evangile, avoir le pur usage et entier des sacrements, communiquer aux prières publiques. Voilà à mon opinion [ce] qui serait le meilleur de faire. Si quelqu'un n'a pas le moyen de sortir, je lui conseillerais de regarder s'il ne lui serait pas possible de s'abstenir de toute idolâtrie pour se conserver pur et immaculé envers Dieu tant de corps que d'âme ; puis qu'il adorât Dieu en son particulier, le priant de vouloir restituer sa pauvre Eglise en son droit état ; au reste qu'il fît son devoir d'instruire et édifier les pauvres ignorants en tant qu'il pourrait. S'il réplique qu'il ne pourrait faire cela sans danger de mort, je le confesse. Mais la gloire de Dieu, de laquelle il est ici question, nous doit bien être plus précieuse que cette vie caduque et transitoire qui n'est à dire vrai fors (rien) qu'une ombre.
J'entends bien ce que la plupart me diront : Hélas, il est bien vrai que nous devrions préférer Dieu à tout, mais nous n'avons pas cette force et constance. Ou : nous avons père et mère qui nous retiennent ici ; ou : nous sommes chargés de ménage. Ainsi que pouvons-nous faire ? A cela je dis : puisque leur infirmité les empêche de suivre le conseil qu'ils reconnaissent être le plus sûr et le plus salutaire, que en tant que pour la crainte des hommes ils fléchissent du droit chemin, ils doivent confesser leur péché devant Dieu et avec larmes et gémissements en avoir déplaisir, s'accusant eux-mêmes au lieu de se justifier. Après je les admoneste de ne point s'endormir par accoutumance en leur mal, mais de jour en jour se solliciter à se déplaire et en avoir tristesse pour obtenir miséricorde envers Dieu, puis après de prier ce bon Père, en tant que son office est de racheter les prisonniers, qu'il les veuille quelquefois retirer de cet abîme ou bien dresser une droite forme d'église par tout le monde, afin qu'ils lui puissent rendre l'honneur qui lui appartient, finalement de chercher tous moyens de sortir de cette fange et de ce pauvre état et malheureux où ils sont et prendre ceux qui leur seront offerts pour montrer que ce n'a pas été par hypocrisie qu'ils ont requis à Dieu délivrance. Si tous se mettaient ainsi en leur devoir, je ne doute pas que notre Seigneur besognerait autrement qu'il ne fait pour abattre les abominations et idolâtries qui règnent sur la terre. Mais pource que nous ne sentons pas notre misère et n'en sommes pas touchés comme nous devrions, mais plutôt comme endurcis, n'en tenons compte, ce n'est pas de merveille s'il nous laisse ainsi longuement croupir en notre ordure ; et y a grand danger, si nous n'y pensons de plus près, qu'il ne nous y laisse du tout pourrir.