… c’est pour cela que je suis venu jusqu’à cette heure !
Nous ne nous proposons point dans cette section de traiter complètement ce qui a trait à la mort de Jésus, mais seulement ce qui dans cet événement peut contribuer à répandre de la lumière sur le fait de sa résurrection. Nous nous occuperons successivement du jour du supplice, du lieu où souffrit le Seigneur, et de ses dernières souffrances elles-mêmes.
… notre Pâque aussi a été immolée, à savoir Christ
Il est parfaitement certain et il est incontesté que, d’après nos quatre Évangiles, Jésus est mort un vendredi, à la veille d’un sabbat. Ce qui est moins certain et ce qui n’est point évident, au moins à première vue, c’est la date exacte de ce vendredi, sa situation précise dans l’année juive, sa place dans le mois de Nisan, son rapport avec le commencement de la fête de Pâques.
Si nous n’avions que les trois premiers Évangiles, nous serions très portés à admettre que Jésus avait mangé l’agneau pascal en même temps que ses compatriotes, c’est-à-dire au commencement du 15 Nisan, que le 15 Nisan avait commencé le jeudi soir pour finir le vendredi soir, que Jésus avait été crucifié vers la fin de cette même journée du 15 (Matthieu 26.17-19 ; Marc 14.12-16 ; Luc 22.7-16) — Ce n’est qu’après réflexion que nous éprouverions quelques difficultés à admettre ces déterminations chronologiques, en considérant surtout que l’arrestation, le jugement et le supplice de Jésus auraient eu lieu au plus grand jour de la fête de Pâques, lorsque le repos était commandé par la loi comme en un jour de sabbat.
Si nous n’avions que l’Évangile selon St. Jean, tout nous conduirait au contraire à conclure que le dernier repas pris par Jésus avec ses disciples n’eut pas lieu au moment où les Juifs mangeaient l’agneau pascal, mais le soir précédent ; que le jeudi soir où il prit ce repas, était le commencement du 14 Nisan ; que Jésus expira avant la fin du 14, au moment où l’on immolait dans le temple l’agneau pascal et que le 15 coïncidait avec le sabbat (Jean 13.1-29 ; 18.28 ; 19.14).
Cette apparente divergence a beaucoup préoccupé les théologiens de notre temps. Les uns y ont vu une contradiction réelle, les autres une pure énantiophanie, et ces deux catégories se sont elles-mêmes subdivisées suivant que la préférence était donnée aux Synoptiques ou au quatrième Évangile.
Quatre opinions principales se sont ainsi produites :
- Celle qui admet la contradiction et soutient que la donnée des Synoptiques est la vraie (Baur ; Weizsaecker).
- Celle qui admet aussi la contradiction, mais en choisissant la donnée du quatrième Évangile (Bleek ; Winer ; de Pressensé).
- Celle qui nie la contradiction et prétend reconnaître dans l’Évangile selon St. Jean l’indication des Synoptiques (Riggenbach ; Wieseler ; Ebrard).
- Celle qui nie également la contradiction, mais en interprétant les Synoptiques d’après St. Jean (Godet).
Entre les quatre catégories elles-mêmes, il y a d’importantes nuances : c’est ainsi que Bleek, tout en admettant la contradiction entre certains passages des Synoptiques et l’Évangile selon St. Jean, reconnaît dans les Synoptiques des traces de la donnée de cet Évangile.
Nous ne pouvons pas évidemment entrer à fond dans le cours de cette discussion qui réclamerait à elle seule tout un livre, aussi nous bornerons-nous à exposer brièvement notre opinion qui se rattache à celle de M. Godet. Mais avant de l’exposer, rappelons quelques bases de la discussion qu’il importe de ne jamais perdre de vue :
La première, c’est la manière dont les Juifs comptaient le jour complet, le jour de 24 heures, à savoir non depuis le lever du soleil, ni depuis le milieu de la nuit, mais à partir du coucher du soleil. Ainsi le sabbat commençait pour eux le vendredi soir (Marc 16.1-2 ; Luc 23.54).
La seconde, c’est la célébration de la fête de Pâques telle qu’elle avait lieu chez les Juifs :
- D’après l’institution primitive, chaque père de famille devait choisir l’agneau pascal dès le 10 Nisan (Exode 12.3).
- Le 14 au soir, c’est-à-dire suivant la pratique officielle, vers la fin du 14, dans la seconde partie de l’après-midi, entre 3 et 5 heures, l’agneau devait être immolé (Exode 12.6).
- Au commencement du 15, c’est-à-dire peu après l’immolation de l’agneau, il devait être mangé en famille, avec des pains sans levain, ou azymes, et des herbes amères. (Exode 12.8)
Telle était la fête de Pâques dans le sens étroit du mot (Exode 12.14). Mais à cette fête s’en joignait une autre, qui du reste lui était intimement unie : la fête des azymes, qui durait sept jours (Exode 12.13).
Tandis que la fête de Pâques dans le sens étroit du mot n’embrassait que le 14e jour et la nuit du 15e, jusqu’à minuit environ, heure à laquelle tout ce qui était resté de l’agneau après le repas devait être brûlé (Exode 12.10), la fête des pains sans levain commençait avec le commencement du 15, renfermait ainsi la seconde partie de la fête de Pâques proprement dite, le repas pascal, et durait sept jours, c’est-à-dire du 15 au 24 inclusivement.
Les deux fêtes, qui sont parfois distinguées, sont parfois identifiées et alors les deux noms ont le même sens et désignent le même ensemble. Il est dit expressément dans Luc 22.1 : Or la fête des pains sans levain, dite la Pâque, approchait (Comp. Luc 2.41-43, etc. ).
C’est en vertu de cette identification qu’il pouvait être question de huit jours de fête, le 14 Nisan étant ajouté aux sept jours de la fête des azymes (Marc 14.12 ; Matthieu 26.17 ; Josèphe, Antiq. 9.1a).
a – « Nous célébrons une fête solennelle qui dure huit jours et nous appelons cette fête : les jours des pains sans levain. »
Le 14 Nisan pouvait être considéré comme un des jours de la fête, non seulement parce que l’agneau devait être immolé à la fin de ce jour et qu’il fallait se purifier pour cette immolation (2 Chroniques 30.17, comp. Exode 19.10, 14 ; Nombres 11.18 ; Josué 3.5 ; 7.13), mais encore parce que c’était le jour où l’on éloignait tout levain des maisons et où l’on commençait à cuire les azymes, pratique exécutée avec le plus grand soin par le judaïsme postérieur. Déjà le soir du 13, avant que les étoiles parussent, le père de famille puisait l’eau avec laquelle devaient être cuits les pains sans levain. Après que cette eau avait été portée dans la maison, on inspectait de fond en comble toute la maison, afin de découvrir et de mettre à l’écart tout le pain levé qu’elle renfermait. Au point du jour la mère de famille cuisait les azymes. Après un léger repas pris vers midi, on brûlait en plein air tout l’interdit qui avait été mis de côté.
Le 14 et le 15 Nisan pouvaient donc être envisagés chacun comme étant le premier jour de la fête : le 15, comme jour du repas pascal et comme premier jour de la fête des azymes ; le 14, comme jour de l’immolation de l’agneau et comme jour de la préparation des azymes. En fait, nous voyons le 15 désigné comme le premier jour de la fête : Exode 13.3, et le 14, aux passages déjà cités : Marc 14.12 ; Matthieu 26.17.
Des sept jours de fête compris entre le 15 et le 21, deux étaient particulièrement solennels et devaient être observés comme des sabbats, le quinzième au commencement duquel on mangeait l’agneau pascal, et le vingt et unième, ou dernier jour (Exode 12.16 ; Lévitique 23.7-8 ; Nombres 28.18, 25). Ces deux jours devaient être sanctifiés par des assemblées religieuses auprès du sanctuaire et par la cessation de tout travail. Il y était cependant permis de préparer la nourriture nécessaire pour chacun (Exode 12.16).
[Le 15e jour est même appelé un sabbat : Lévitique 23.11-15, comme le jour des expiations est appelé un sabbat des sabbats : Lévitique 16.31 ; 23.32, ainsi du reste que tout sabbat ordinaire ; Exode 31.15 ; 35.2.]
Le seizième jour devait être aussi caractérisé par une cérémonie particulière, dès qu’Israël serait entré dans la terre promise (Lévitique 23.9-14 ; comp. Josèphe, Antiq., III, 10). On devait ce jour-là apporter une gerbe de blé au sacrificateur, comme prémices de la moisson. Le sacrificateur devait agiter cette gerbe devant l’Éternel en faveur de celui qui l’avait apportée. Celui-ci devait en outre sacrifier un agneau et faire des offrandes de fine farine, de parfum et de vin. Ce n’était qu’après l’accomplissement de ces diverses cérémonies que la moisson pouvait commencer.
Abordons maintenant la question elle-même en nous efforçant de ne pas être plus affirmatif que les textes ne le permettent. Avec Bleek, Neander, Winer, Godet, Astié, de Pressensé, Bunsen, Ewald, Hase, nous pensons que le vendredi, jour de la mort de Jésus, était un 14 Nisan, que par conséquent Jésus est mort au moment où l’on immolait l’agneau pascal. Nous exposerons les raisons qui ont déterminé notre opinion, en nous occupant successivement du témoignage de l’Évangile selon St. Jean, de celui des trois premiers Évangiles, de celui de l’Église du second siècle, de celui de la tradition juive, et enfin de certaines coïncidences qui ont eu lieu, si l’on admet que Jésus est mort un 14 Nisan, et qui sont très dignes de remarque.
[Calvin ne peut pas être complètement associé à ces théologiens et en effet s’il admet que Jésus est mort au moment de l’immolation de l’agneau pascal, il admet aussi que ce jour était le 15 Nisan et non le 14. Il estime que les Juifs immolaient l’agneau le 15 quand le 14 tombait sur un vendredi, veille du sabbat, pour qu’il n’y eût pas ainsi deux jours de sabbat consécutifs (Harmonie des trois premiers Évangiles, à l’occasion de Matthieu 26.17).]