Le Nouveau Testament fidjien. — Premiers essais de traduction. — La presse typographique de Fidji. — La diversité des dialectes, obstacle considérable. — Il est levé par le choix du dialecte de Mbau. — John Hunt traducteur. — Ses aptitudes toutes spéciales. — Ses principes. — Décision de l’assemblée de 1845. — Grands préparatifs à Viwa. — Hunt se livre à une révision approfondie et consciencieuse. — Un aide indigène. — Succès du premier fragment publié. — Hunt s’absorbe dans la préparation du reste. — L’impression du Nouveau Testament s’achève. — Hunt est chargé de la traduction de l’Ancien. — Ses vues et ses craintes à cet égard. — Pressentiments.
Nous avons déjà dit que, dès les premiers temps de son séjour à Fidji, Hunt s’était résolu à doter la mission d’une traduction complète des Livres saints. Le moment est venu où nous devons entrer dans quelques détails sur cette partie de son travail, le plus beau fleuron peut-être de sa couronne.
Dès l’origine de la mission fidjienne, quelques passages de la Bible avaient été traduits, tant bien que mal, par les premiers missionnaires. Mais ces courts fragments, préparés pour répondre aux premières nécessités par des hommes qui ne connaissaient que bien imparfaitement le langage du pays dans lequel ils arrivaient, étaient nécessairement fort défectueux. Ce qui ajoutait à la difficulté de la diffusion de la Bible, c’était également l’impossibilité où l’on était de reproduire en grand nombre ces premiers fragments qu’il fallait transcrire à la main. Deux choses manquaient à la nouvelle mission, une bonne presse et une bonne traduction de l’Écriture.
La presse fut prête avant la traduction. Ce fut un don des chrétiens d’Angleterre qui la firent accompagner par deux missionnaires exercés dans l’art de la typographie. Elle était d’ailleurs fort bien outillée et faisait honneur à ceux dont elle rappelait la munificence. Grand fut l’étonnement du peuple lorsqu’il vit fonctionner l’étonnante machine. Ses puissants engins, son mécanisme merveilleux, ses résultats plus merveilleux encore plongèrent les païens dans une stupeur voisine de la crainte. Ils déclarèrent unanimement que c’était là un dieu. Et il est bien certain que cette machine accomplissait des œuvres plus remarquables que ne le fit jamais aucune de leurs divinités. C’était là, au milieu d’un peuple barbare, la représentation vivante des triomphes de la civilisation et des gloires de l’esprit chrétien. Et bientôt, on la vit commencer et poursuivre silencieusement son grand et admirable ouvrage, qui devait faire en quelques années du pays le plus dégradé du monde un pays chrétien.
Les premières feuilles imprimées par cette presse avaient été préparées par M. Cargill, le plus ancien des missionnaires. Mais ces essais de traduction étaient nécessairement fort imparfaits, par suite de la rapidité de leur exécution, et n’avaient qu’un caractère provisoire.
Une sérieuse difficulté ne tarda pas à se montrer, qui eut pour résultat de retarder de quelques années le grand travail désiré dès l’origine. Cette difficulté naissait de la variété assez considérable de dialectes qui se parlent dans l’archipel Fidji. On essaya d’abord de traduire des portions de l’Écriture dans chacun de ces divers dialectes. Ce plan fut suivi assez longtemps, et l’on publia successivement de cette manière quelques livres de la Bible, des cantiques, des catéchismes, etc. Hunt contribua considérablement à ces publications. Sa parfaite connaissance de la langue lui permit de mettre sous presse des cantiques, de courts sermons, et des fragments de traduction. Tous ces travaux avaient cependant un vice fondamental : écrits dans tel ou tel dialecte spécial, ils ne convenaient qu’à une fraction minime du peuple, et coûtaient beaucoup de peine pour donner peu de résultats. C’était là une difficulté formidable. A l’assemblée de district de 1843, un nouvel essai fut encore tenté dans ce sens. La traduction des divers livres du Nouveau Testament fut répartie entre les divers missionnaires ; chacun d’entre eux devait se servir du dialecte qui se parlait autour de lui. Cet effort ne pouvait qu’aboutir à un insuccès manifeste ; l’œuvre qui en serait sortie aurait été, en tout cas, sans homogénéité et n’aurait pu servir que partiellement aux différentes îles du groupe. Ce plan, quoiqu’il parut à ce moment le seul réalisable, ne pouvait pas amener une version complète qui pût être d’un usage général. D’autre part, les missionnaires étaient effrayés à la pensée d’entreprendre jusqu’à quinze versions différentes de la Bible complète pour répondre aux grandes divergences de langage qui se divisaient l’archipel. Il fallait pourtant doter l’œuvre d’évangélisation du Livre de Dieu, sous peine de ne pas donner à l’édifice chrétien sa base essentielle et normale.
Après de longues et sérieuses réflexions, les missionnaires se décidèrent à choisir le dialecte qui leur paraissait réunir le mieux les caractères d’une langue fixe et arrêtée, celui qui, par sa nature intime, semblait le mieux destiné à devenir la langue officielle du pays. Une expérience déjà longue leur fit choisir unanimement celui qui se parlait à Mbau ; deux raisons les décidèrent : les caractères intrinsèques de cet idiome lui assignaient évidemment la priorité au point de vue de la pureté, et, en second lieu, la puissance toujours grandissante de Mbau faisait prévoir le moment où sa suprématie serait incontestée, et déjà les formes de son langage possédaient dans l’archipel une notoriété que n’avaient celles d’aucun autre.
Pendant son séjour à Somosomo, John Hunt avait acquis, à force de persévérance, une connaissance approfondie du langage de cette localité, et le dialecte de Mbau lui était devenu familier depuis son arrivée à Viwa, où il se parlait. Il avait écrit pour son usage particulier un vocabulaire et une grammaire, et de bonne heure avait entrepris de grands travaux de traduction des Livres saints. Quelque difficile que fût cette tâche, elle ne l’avait pas effrayé. Peu d’hommes, à dire vrai, auraient pu aussi bien que lui mener à bonne fin une entreprise aussi grande et aussi difficile. Il unissait à une connaissance parfaite du langage des îles Fidji et de ses idiotismes, une connaissance également approfondie des langues originales dont il n’avait jamais cessé de faire une étude assidue. Il avait en même temps cette vénération profonde et cet amour intense pour les Écritures sans lesquels, quoi qu’on en dise, on échouera toujours en essayant de les comprendre et de les interpréter.
Voici en quels termes il résume les principes qui le dirigèrent dans son travail, dans une lettre au Dr Hannah, le vénérable directeur de l’institut où il s’était préparé à l’œuvre sainte du ministère :
« Depuis longtemps, nous sentions le besoin d’une version complète du Nouveau Testament dans la langue de Fidji. Quelques fragments avaient été déjà traduits par ceux qui nous ont précédés ; mais, comme on devait s’y attendre, ils étaient très incorrects, et les tournures purement anglaises y abondaient à tel point que les indigènes avaient beaucoup de peine à les comprendre. Il est aisé d’apprendre les mots d’une langue, et pas trop difficile de les assembler en phrases. Mais il est bien autrement difficile d’exprimer une idée exactement dans les termes qu’emploierait un natif, si cette idée traversait son esprit. C’est cette voie que j’ai essayé de suivre dans mon travail, et mes frères semblent croire que j’y ai assez bien réussi. Quelques-uns même semblent pousser leur approbation jusqu’à l’admiration. Qu’à Dieu soit rendue toute gloire !
Mon principe directeur dans ma traduction consiste à donner ce que ma conviction arrêtée me fait considérer comme la pensée du Saint-Esprit. C’est vous dire que je m’efforce de rendre l’expression originale dans un littéralisme presque servile. Ma seconde préoccupation est de rendre le sens sous le même aspect qu’a choisi l’écrivain sacré pour exprimer sa pensée, en suivant autant que cela est possible, son mode d’expression, dans le choix des mots et des images, en un mot dans tout ce qui constitue le style, sans toutefois dénaturer le génie propre de la langue dans laquelle j’écris, en y introduisant des vocables étranges qui seraient incompréhensibles. Je cherche, pour tout dire, à accomplir ce que Hooker déclare fort désirable, mais à peu près impossible à atteindre, une version qui ne soit ni un décalque purement verbal des paroles de l’Écriture, ni une simple paraphrase. Je crois rendre le sens de sa pensée, bien que les termes n’en soient pas présents à mon esprit. Il est également facile de faire un décalque ou une paraphrase ; mais ce qui ne l’est pas, c’est de faire une traduction qui réunisse la fidélité d’un décalque et l’intelligence d’une paraphrase. »
[Voici à quel passage de Hooker Hunt fait allusion : « Pour ce qui est des traductions de la sainte Écriture, bien que nous ne nous sentions pas le courage de désavouer ceux qui, au moyen de pénibles travaux, se sont efforcés de rendre la lettre même des saints Livres, en s’y attachant servilement, nous devons dire que le jugement de l’Église, comme l’indiquent les versions latines, perses, syriennes, éthiopiennes, arabes, etc., a toujours été que la traduction la plus convenable pour le culte public est celle qui, évitant l’asservissement à la lettre aussi bien que l’extrême liberté, choisit une voie moyenne et rend la pensée du Saint-Esprit avec concision et simplicité. Une telle œuvre offre de si grandes difficultés qu’il est plus permis de désirer que d’attendre sa réalisation. » Ecclesiastical Polity, book V, chap. XIX.]
A l’assemblée de district de 1845, les missionnaires s’occupèrent activement de la grande œuvre qu’ils avaient à cœur. L’urgence de la publication d’une version complète se faisait sentir plus que jamais, au milieu des horreurs de la guerre qui se poursuivait sans relâche. Mais cette guerre elle-même, en forçant l’établissement typographique à se déplacer, en avait arrêté les opérations. L’assemblée ne se laissa pourtant pas décourager par les circonstances si graves du pays, et elle décida à l’unanimité que la publication du Nouveau Testament serait entreprise sans retard. Elle pria instamment M. Hunt de mettre la dernière main à son travail, afin que, pendant l’année même, une édition de trois mille exemplaires de St. Matthieu et des Actes des Apôtres put au moins être livrée au public impatient. Cette publication était d’autant plus urgente que quelques prêtres catholiques venaient de débarquer récemment dans les îles, pour essayer d’y combattre l’influence protestante ; les missionnaires jugeaient avec raison que la Bible était la meilleure digue qu’il fût possible d’opposer à leurs efforts.
A peine l’assemblée de district était-elle finie que ce fut à Viwa un déploiement extraordinaire d’activité. La presse et son outillage furent arrachés au repos où les circonstances du pays les avaient relégués, et Hunt qui venait enfin d’achever une maison en pierres où il était sur le point d’entrer après avoir passé nombre d’années dans une pauvre maison fidjienne, renonça noblement à cette jouissance qu’il avait si bien méritée, pour céder sa maison à l’établissement de l’imprimerie qui, pour le grand travail qui se préparait, avait besoin d’un espace assez vaste et d’un abri convenable. Hunt lui-même consacra tous ses instants à la révision de son travail et à sa préparation pour la presse. A mesure qu’approchait le moment où sa traduction allait quitter ses cartons pour revêtir sa forme définitive, il se sentait pris d’un secret effroi et redoublait de soins et d’attention pour corriger les fautes qui avaient pu se glisser dans sa rédaction primitive. Jamais traducteur des Livres saints ne fit peut-être son travail avec autant de conscience que ce modeste missionnaire qui, dans une hutte fidjienne, s’occupait à rendre dans un idiome barbare les hautes vérités de la foi, inspirées jadis aux prophètes et aux apôtres. On a vu plus haut quels principes sûrs et fermes le dirigeaient dans cette grande œuvre. Il ne s’imaginait pas que, pour suffire aux besoins religieux d’une peuplade sauvage des mers du Sud, il fallût à une traduction des Livres saints moins de fidélité dans le fond ou même moins de force et d’éclat dans la forme qu’à une traduction destinée à satisfaire les besoins plus développés et les goûts plus raffinés d’un peuple civilisé. Il se disait avec raison que la fidélité dans un pareil travail ne devait pas être une affaire d’amour-propre d’auteur qui aime à voir son travail apprécié par les connaisseurs, mais plutôt un devoir de conscience accompli pour plaire à Dieu et pour glorifier sa Parole. Ce travail fut l’œuvre de prédilection de sa vie missionnaire ; on peut dire qu’il y apporta ce besoin de perfection qu’il avait en tout. Chaque passage était l’objet d’un travail minutieux de révision et souvent de refonte. « J’ai préparé Matthieu et les Actes pour la presse, écrit-il à un collègue en avril 1846. Cette tâche me paraît laborieuse, bien que ma traduction ait été déjà faite dès l’année dernière. Voici comment se fait mon travail. Je commence par comparer mon ancienne traduction avec l’original grec, et je me livre à cette étude avec toute l’attention dont je suis susceptible ; puis je la fais lire à quelque natif intelligent, en m’efforçant de connaître son avis et de voir si ma traduction produit sur lui une impression nette et précise. Enfin, je la transcris au net. Je revois ainsi en moyenne un chapitre par jour, et je sens que c’est là un rude travail. »
« Ma grande œuvre, écrit-il un peu plus tard, est la traduction des Écritures en langue fidjienne. Je me suis consacré avec ardeur à ce travail ; et j’ai la douce confiance de penser que j’ai réussi en une mesure qui m’a vivement encouragé, quant à l’Évangile selon St. Matthieu et quant aux Actes des Apôtres que j’ai achevés. Je trouve l’aide la plus importante que je puisse souhaiter dans un natif fort intelligent qui réside avec moi depuis trois ans et qui est devenu un excellent prédicateur. Je l’ai à côté de moi quand je traduis, et je lui soumets mon travail, en ce qui concerne la langue fidjienne. »
La traduction du Nouveau Testament n’était pas seulement pour John Hunt une œuvre de science, c’était surtout une œuvre de foi. C’était avec prière qu’il travaillait, et c’est auprès de Dieu qu’il cherchait la solution des difficultés qui l’arrêtaient quelquefois.
Il n’y eut qu’une voix dans l’assemblée synodale de 1846 pour admirer l’œuvre consciencieuse de John Hunt. Cette première portion du Nouveau Testament, traduite avec un soin extraordinaire, fut accueillie avec enthousiasme par le peuple et par ses conducteurs spirituels. Trois mille exemplaires de Matthieu et des Actes furent tirés à part et rapidement enlevés ; mille autres exemplaires furent conservés pour prendre place dans le recueil complet du Nouveau Testament, une fois qu’il serait achevé. Convaincus, par ce premier travail, que personne aussi bien que le président du district de Fidji n’achèverait l’œuvre commencée, les missionnaires prièrent John Hunt de mettre la dernière main à la traduction des autres parties du Nouveau Testament. Ceux d’entre eux qui avaient commencé à traduire de leur côté furent les premiers à déclarer qu’ils renonçaient joyeusement à leur travail et le supplièrent de bien vouloir achever l’œuvre si bien inaugurée. Hunt y consentit volontiers, quoique la grandeur de ce travail l’effrayât plus que jamais. Ses frères jugèrent à propos de lui adjoindre cependant son ancien ami, M. Lyth, pour que tout le travail de révision et de surveillance de l’impression ne retombât pas sur lui.
Les derniers mois de 1846 virent M. Hunt occupé avec ardeur à l’achèvement de son grand ouvrage ; il voulait qu’avant le retour de l’assemblée annuelle, le Nouveau Testament fut prêt, et il avait besoin pour cela de travailler sans relâche. Dans son petit cabinet de travail, élevé à l’extrémité du jardin et en face de la mer, il travaillait de l’aube jusqu’au soir avec une ardeur que rien ne rebutait, tantôt penché sur ses manuscrits qu’il comparait attentivement avec le grec, tantôt corrigeant quelque épreuve apportée de l’imprimerie. On eût dit, en le voyant absorbé dans une activité fébrile qui ne se relâchait pas, qu’il sentait que le temps était court désormais pour lui, et qu’il lui fallait ne pas perdre un moment dans l’accomplissement de sa tâche. S’il lui arrivait parfois de prendre quelques moments de récréation, on le voyait marcher sur la plage de la mer, portant sur un bras sa petite fille, mais n’oubliant pas de mettre sous l’autre son Testament grec et son manuscrit. Et, dans ces moments de prétendue récréation, ses meilleurs amis auraient pu passer à côté de lui sans être remarqués, tellement il était absorbé par sa grande préoccupation. C’était une souffrance pour lui que d’interrompre son travail favori, à moins que ce ne fût pour se livrer à quelque autre fonction de son ministère, car il savait quitter avec joie son cabinet pour répondre aux appels des malades ou des âmes angoissées, ou encore pour occuper la chaire et pour y méditer devant son troupeau cette Parole de Dieu avec laquelle il était entré dans un commerce si intime. Nul doute qu’un travail fait avec tant d’amour n’ait été bien fait.
Dès les premiers mois de 1847, la traduction du Nouveau Testament était achevée. Elle était toute entière l’œuvre de John Hunt, à l’exception de l’Évangile de St. Jean, dont il se contenta de corriger la traduction qu’avait préparée l’un de ses collègues. Ce travail, si nous en croyons le témoignage de ceux qui sont compétents pour en juger, se distingue par des qualités précieuses et occupe une place remarquable parmi les meilleures versions de l’Écriture Sainte.
Le travail de l’impression, exécuté vigoureusement quoique avec les plus grands soins, aboutit heureusement, et John Hunt eut la joie de présenter à ses collègues, réunis en août 1847, des exemplaires complets du Nouveau Testament fidjien, fort convenablement imprimés et solidement reliés. Ce fut pour eux aussi une grande joie, car ce livre, imprimé dans un pays sauvage, était l’irrécusable témoignage des progrès accomplis par l’œuvre d’évangélisation en même temps que la source et le point de départ de progrès nouveaux.
Les collègues de Hunt le pressèrent d’entreprendre la traduction de l’Ancien Testament, et de compléter ainsi son œuvre. Il accepta cette nouvelle lâche et s’y mit avec zèle, non toutefois sans quelque hésitation et sans quelque répugnance ; il n’éprouvait plus ce courage indomptable qui l’avait soutenu dans son travail précédent. Ce n’est pas qu’il considérât une tâche accomplie comme le signal du repos ; le repos ne devait venir pour lui qu’accompagné de la mort. Mais il avait le pressentiment intime qu’il ne vivrait pas assez pour faire ce nouveau travail, et que d’autres l’achèveraient. Bien que son inclination ne le portât plus vers cette tâche, il ne se crut pas dispensé de l’accomplir, car il était de ces hommes qui pensent que le devoir ne cesse pas d’être obligatoire eu cessant d’être agréable.
« J’ai entrepris la traduction de l’Ancien Testament, écrit-il au Dr Hannah dans la lettre que nous avons déjà citée. Je l’ai fait sur la décision de mes frères qui ont pensé que la main qui a fait la première partie de l’œuvre, doit aussi entreprendre la dernière. Je n’ai pas pu donner mon approbation à ce plan, mais, comme c’était le seul sur lequel mes collègues fussent unanimes, je m’y suis soumis, et, avec l’aide de Dieu, je travaillerai à cette tâche avec autant de rapidité que possible. Je pense qu’il me faudrait cinq ans pour mener cette œuvre à bonne fin, si je possédais la santé et si je ne rencontrais pas plus d’obstacles sur mon chemin que lorsqu’il s’est agi du Nouveau Testament. Priez pour moi, mon cher monsieur, afin que j’aie la sagesse, la patience et la grâce qu’il me faut pour traduire le saint Livre de Dieu dans un langage correct et compréhensible. Je ne puis entrer dans aucun détail sur mes plans dans une lettre comme celle-ci. Combien je me considérerais heureux si j’avais le privilège de converser une heure avec vous chaque semaine, pour vous demander quelques conseils et quelques directions et pour vous exposer les difficultés qui m’embarrassent. Mais je ne dois pas trop désirer des choses impossibles ! »
Il écrit dans une autre lettre : « J’ai entrepris une grande œuvre. Dieu peut me donner la force, s’il lui plaît que je la fasse, et si cela ne lui plaît pas, je ne dois pas désirer de la faire. »
A ses amis d’Angleterre, il écrivait vers la même époque : « J’espère que nous pourrons posséder l’Ancien Testament d’ici à cinq ou six ans, si ma vie et ma santé me sont conservées. Nos amis d’Angleterre ne se font pas, je crois, une juste idée de cette partie de nos travaux. Ils ont entendu parler de nos courses, de nos prédications et de nos écoles ; mais ils ne savent rien de notre travail de cabinet, et ne comptent pas quelles heures d’anxieuses préoccupations il faut employer à décider quelle est l’exacte signification de tel mot et de telle phrase, et comment la Parole de Dieu passera dans la langue de notre peuple, sans perdre sa signification originale et sans devenir incompréhensible… Un visage pâle, une surexcitation fiévreuse de tout le système, un énervement presque complet de l’intelligence et une absence presque absolue d’appétit semblent m’avertir que quelque chose de sévère se prépare pour moi derrière la scène. Mais, grâce à Dieu, c’est lui qui donne du secours et qui change la peine en repos. »
Ces pressentiments ne devaient que trop tôt se réaliser, et ce qui se préparait derrière la scène, selon l’expression du missionnaire, était sur le point de plonger dans une vive douleur toute la population de l’île de Viwa, dont Hunt s’était attiré l’entière confiance. Il ne put guère que commencer son nouveau travail. Il corrigea une traduction de la Genèse, faite par l’un de ses prédécesseurs, traduisit l’Exode, et mena la traduction des Psaumes jusqu’au cinquante-sixième. A cet endroit-là de son travail, la maladie l’arrêta, et bientôt la mort vint l’arracher à ce grand ouvrage, entrepris pour l’amour de ces chers Fidjiens qui étaient devenus ses véritables enfants.
Nous avons raconté dans ce chapitre quelle part prit John Hunt à la publication et à la traduction de la Bible fidjienne. Cette œuvre de sa vie méritait d’être étudiée avec quelque détail, et nous avons préféré la prendre isolément que de la mêler aux événements divers au milieu desquels elle s’accomplit. Revenons maintenant en arrière, et reprenons le détail des trois dernières années de la vie du pieux et dévoué missionnaire que nous nous sommes donné la tâche de faire connaître.
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