Les dernières attaques contre les miracles viennent de l’école que nous pouvons appeler historico-critique. Elle affirme que les récits de miracles, dans les évangiles, sont si pleins de contradictions, qu’il est impossible de leur accorder la moindre confiance. Parmi les déistes anglais du siècle passé, Woolston surtout a cherché à ruiner la valeur historique de ces récits. Il y fut conduit d’une manière assez singulière, et demeure un triste exemple des extravagances auxquelles la vanité et la haine peuvent conduire un homme faible ; il passait cependant pour être charitable envers les pauvres, régulier dans sa conduite ; il donnait d’autres preuves encore d’une vraie piété. Né en 1669, il fit ses études à Cambridge, et fut condisciple de Sidney ; il se fit mal juger à cause de son enthousiasme étrange pour l’interprétation allégorique de l’Écriture, qu’il poussait à l’extrême. On ne sait exactement s’il devait cette tendance aux ouvrages de Philon et d’Origène, ou si ces ouvrages ne firent que fortifier une disposition existant déjà. Au début, bien qu’on fût scandalisé par plusieurs de ses écrits, dans lesquels son système allégorique était développé aux dépens de la vérité historique de l’Écriture, on le laissa suivre sa propre voie sans qu’aucune censure lui fût adressée par les autorités supérieures de l’Église ; il ne semblait pas probable, en effet, qu’il dût avoir une grande influence. Mais, rencontrant ensuite une vive opposition de divers côtés, et n’étant pas appuyé par le clergé, il éclata en violentes invectives, et dans un pamphlet virulent, qualifia ses adversaires d’« esclaves de la lettre, » de « prêtres de Baal, » d’« aveugles conducteurs des aveugles. » Il fut, en conséquence, excommunié.
Dès lors, il sembla possédé d’une furie extrême ; il n’attaqua pas seulement l’Église, mais aussi le christianisme. Tout était sacrifié à son désir de vengeance. Lorsque les défenseurs de la religion révélée se retranchèrent derrière les miracles, comme preuves de l’origine divine du christianisme, Woolston entreprit, par son interprétation allégorique, de les déloger de cette forteresse ; dans ce but, il publia ses fameuses Lettres sur les miraclesa. Dans ces lettres, il choisit deux ou trois des miracles accomplis par Christ, et s’efforce de montrer qu’expliqués dans leur sens littéral, ils contiennent de telles extravagances, de telles contradictions, qu’il est impossible de les attribuer à Jésus-Christ, ou de penser que les évangélistes, qui étaient des gens honnêtes, eussent eu l’intention de les raconter comme des faits réels. A leurs yeux c’étaient plutôt des allégories, des vérités de l’ordre spirituel sous la forme de faits historiques. Woolston raisonne donc ainsi : puisqu’il ne peut s’agir de faits réels, ils doivent avoir un sens spirituel. Lorsque Woolston n’ose proférer lui-même de trop grands blasphèmes, il met en scène un rabbin juif et le fait parler très librement : « Voilà ce qu’un adversaire pourrait alléguer : Nous, chrétiens, nous nous exposons à ces accusations, aussi longtemps que nous nous en tenons à la lettre ; il faut donc abandonner le sens littéral, pour ne retenir que le sens allégorique. » Nous essaierons de montrer par un seul exemple de quelle manière il cherche les points faibles dans les récits de l’Écriture. Il s’agit de la guérison miraculeuse du paralytique, qui fut descendu par le toit de la maison où se trouvait Jésus (Marc 2.1-12). Comment, dit-il, une foule aussi nombreuse pouvait-elle se rassembler à Capernaüm pour entendre la prédication de Jésus, puisqu’il y était si bien connu et si peu admiré ? S’il y avait en effet, une telle foule, il suffisait d’attendre pendant une heure ou deux, jusqu’à ce qu’elle se fût dispersée. Pourquoi Jésus n’a-t-il pas dit au peuple de laisser un passage pour le paralytique ? On aurait immédiatement obéi, puisqu’on désirait voir un miracle. Comment avait-on sous la main les cordes et l’échelle nécessaires ? S’il y avait une ouverture dans le toit, pourquoi Jésus n’est-il pas allé sur ce toit pour guérir le paralytique ? Ce que nous venons de rapporter des objections de Woolston suffit ; on pourrait multiplier de telles objections à propos d’un récit quelconque.
a – Ces six lettres, publiées d’abord en pamphlets distincts, furent lues avec la plus grande avidité par un public considérable. Soixante réponses parurent dans un très court espace de temps. Woolston fut condamné à une amende de 25 livres pour chaque lettre ; condamné à la prison, il y mourut au bout d’un an, en 1731.
Selon Woolston, il s’agit donc ici d’une allégorie, d’un symbole ; la paralysie de l’homme guéri par Jésus désigne une morale relâchée, une foi et des principes vacillants ; tel est l’état actuel de l’humanité ; Jésus seul peut y remédier. Les quatre porteurs du malade sont les quatre évangélistes, qui doivent amener les hommes aux pieds de Jésus-Christ. La maison sur le faîte de laquelle on porte le paralytique est l’édifice intellectuel de ce monde, le palais de la sagesse ; le toit de la maison représente le sens sublime des Écritures, que tout homme doit posséder, au lieu de demeurer dans les bas-fonds du sens littéral.
La méthode de Strauss ne diffère pas beaucoup de celle que nous venons d’examiner ; il manie la même arme de critique dissolvante. Strauss est un adversaire plus sérieux que Woolston, possédant beaucoup plus de ressources ; il est l’héritier de la critique négative du siècle passé. Il a rassemblé, concentré en un seul foyer tout ce qui est épars en divers ouvrages, et s’est exprimé plus hardiment que d’autres. En ce qui concerne l’appréciation des miracles, il diffère de Woolston.
Strauss prend son point de départ dans la philosophie de Spinoza ; il prétend que le miracle est impossible, puisque les lois de la nature sont les seules lois divines ; il procède ensuite à l’examen critique détaillé des miracles évangéliques. Tandis que Woolston les considérait comme le revêtement de vérités d’un ordre spirituel, comme des allégories, Strauss leur assigne une origine supérieure. Ils constituent, selon lui, l’auréole glorieuse dont l’Église naissante entourait la tête de son fondateur. C’est l’Église qui crée son Christ, et non Christ son Église.