Anwoth, 5 novembre 1633
Madame,
J’ai la ferme espérance que votre seigneurie poursuit son voyage vers le royaume céleste. Je sais que les tentations du dehors ne vous manquent pas plus que celles du dedans. Lequel d’entre les saints s’est jamais emparé du ciel sans coup férir ? Le Maître de la maison, notre frère aîné, notre Jésus n’a point fait exception à cette règle, Lui qui a combattu pour sa propre demeure, laquelle lui appartenait par droit de naissance, il n’y est entré qu’en versant son sang après avoir été battu de verges.
Votre Seigneurie doit donc considérer ce qu’elle a à faire. Placée, comme vous êtes, dans une position élevée, votre route passe au travers de plus de difficultés que celle de vos autres compagnons de voyage. Vous avez à traverser les sentiers épineux du monde et à franchir tous les embarras qui se trouveront sous vos pas. Que de fois, en considérant ces choses, j’ai senti une grande pitié pour votre âme et celle de votre digne et noble époux. Vous, vaisseaux de haut bord, lancés sur les grandes eaux, il vous sera plus difficile d’aborder au ciel que de moindres bâtiments qui évitent les tempêtes. Ces derniers suivent la côte et atteignent tranquillement le port. Au milieu de tant d’obstacles, qu’il vous sera difficile d’éviter toutes les tentations et de donner à Jésus-Christ la place qu’il doit occuper dans votre âme. Je suis assuré que ce bien-aimé Jésus vous est plus cher que la possession de plusieurs royaumes, et que vous l’estimez et l’aimez comme le porte-étendard au milieu de dix mille (Cantique des cantiques 5.10). Il est bien digne d’occuper au milieu du monde la première place dans votre âme, Lui qui était avec vous dans la fournaise de l’affliction. C’est là qu’Il s’est donné à vous et vous a choisie pour être à Lui. Il ne vous demande rien aujourd’hui excepté votre amour, faites en sorte qu’Il n’ait aucune cause d’être jaloux de vous.
Ainsi, chère et digne Madame, soyez comme ces rivières dont l’eau se conserve douce et pure au milieu des flots de la mer. Le monde n’est pas digne de votre âme. Quand Christ s’offre à vous, ne vous préoccupez pas d’autres pensées. Étrangère en ces lieux, il vous faut regagner votre demeure, ne tardez pas, le soleil baisse, déjà il n’éclaire plus que les cimes des monts ; voyez, l’ombre s’étend au loin, suivez votre route de peur que le monde et le péché ne vous en détourne, et veuille le Seigneur Jésus être avec vous.
Beaucoup de regards sont fixés sur vous, Madame ; on voudrait vous dépouiller de votre christianisme, prenez-y garde. Dieu veuille déjouer les projets des méchants et garder intacte votre conscience ! Si votre navire fait eau quelque part, on n’y remédiera qu’avec peine. Si vous êtes une créature frêle, délicate, vous êtes aussi un des meilleurs ouvrages de votre Maître. Maniez donc cet ouvrage avec précaution ; n’en brisez aucune des parties, en sorte qu’entourée de gloire mondaine, votre seigneurie apprenne à toujours bien recevoir Christ et à ne trouver aucune saveur en tout ce qui ne serait pas Lui. Une partie de votre œuvre, Madame, consiste à présenter sans relâche le breuvage de la parole de vie à votre noble époux. Parlez-lui de l’éternité, du jugement, de la mort, de l’enfer, du ciel et du péché. Il doit rendre compte à Dieu de la dette de son père. Oublier n’est pas acquitter, et Dieu ne lui fera pas grâce des intérêts. Je sais qu’il aime la vérité, et cependant j’ai grande crainte de lui à cause de toutes les tentations dont il est assailli.
Lorsque les hommes recherchent les choses du monde, Satan les accable du fardeau des soucis de cette vie en s’efforçant de les détourner du soin de leur âme. N’acceptez aucun service du diable et remettez-vous-en à Dieu des soins de tout ce qui vous appartient. Agissez, Madame, comme si vous n’aviez pas d’enfant. Prenez l’engagement avec le Seigneur que s’Il vient chercher votre fille, elle sera à Lui. Gratitude, gloire et louanges à son saint nom, voilà les témoignages de votre soumission que vous lui adresserez le jour où elle sera retirée dans le sein de Dieu. Considérez donc toutes ces croix, et tandis que le temps est beau, réparez les voiles du navire.
Dans l’espérance que votre seigneurie me pardonnera cette longue épître, je recommande votre âme et votre personne à la grâce et à la miséricorde de notre doux Jésus, et demeure votre respectueux frère en Christ.
S. R.