Venons à vos rites religieux. Je ne parle pas de vos sacrifices où vous n’offrez que des victimes mortes, infectes, rongées par les ulcères. S’en rencontre-t-il de meilleures, d’intactes ? vous avez grand soin de n’en donner que les extrémités, tout ce qui n’est bon à rien, et qu’à la maison vous auriez jeté à vos esclaves ou à vos chiens. De la dîme que vous devez à Hercule, il n’en paraît pas le tiers sur ses autels. Sage économie ! je dois la louer ; elle sauve du moins une partie de ce qui sans elle serait entièrement perdu.
Mais si je détourne les yeux sur les ouvrages où vous puisez des leçons de sagesse et de morale, que je trouve de fables ridicules ! Vos dieux, partagés entre les Grecs et les Troyens, combattent les uns contre les autres, comme des couples de gladiateurs. Vénus est blessée d’une flèche lancée par une main mortelle ; Mars est dévoré d’ennui pendant treize mois dans les fers ; Jupiter, enchaîné par la troupe des dieux, ne doit sa liberté qu’à un monstre ; tantôt il pleure la mort de son fils Sarpédon ; tantôt brûlé d’un amour incestueux pour sa sœur, il lui nomme toutes ses maîtresses, qui lui sont bien moins chères, s’il faut l’en croire.
D’après l’exemple de leur prince, quels poètes craignent de déshonorer les dieux ? L’un envoie Apollon garder les troupeaux d’Admète ; l’autre fait de Neptune un maçon, et loue ses services à Laomédon de Troie. Un fameux lyrique, Pindare, chante qu’Esculape fut frappé de la foudre pour avoir exercé la médecine avec une avarice criminelle. Quelle indignité de la part de Jupiter, si la foudre est partie de sa main ! Le voilà convaincu d’inhumanité envers son petit-fils, de jalousie envers le talent. Convient-il à des hommes religieux de le dire, si cela est vrai ; ou de l’inventer, si cela est faux ? Les poètes comiques et tragiques ne ménagent pas plus vos dieux ; ils se plaisent à choisir pour sujets leurs malheurs et leurs égarements.
Je ne dis rien des philosophes : je me contente de citer Socrate, qui, pour se moquer des dieux, jurait par un chêne, par un bouc, par un chien. Aussi, répondez-vous, Socrate fut-il condamné comme athée. La vérité fut toujours en butte à la haine. Mais le repentir des Athéniens qui punirent les accusateurs de Socrate, qui lui dressèrent une statue d’or dans un temple après avoir cassé leur premier jugement, l’a, je pense, suffisamment justifié. Diogène ne s’est-il pas permis je ne sais quelles railleries envers Hercule ? Et le cynique romain, Varron, n’a-t-il pas imaginé trois cents Jupiter sans têtes ?