(1) Ce chapitre a été largement inspiré par un texte de A. Fisch, paru dans le mensuel « Le Libérateur ».
Marchez de progrès en progrès (1 Thessaloniciens 4.1)
Je revois, non sans émotion car mon frère n’est plus, les premières leçons de conduite qu’il m’a données. Sans doute était-il un brin inconscient, lui qui me confiait le volant, seul dans la cabine d’un 2 tonnes sur les routes étroites de la Lozère, à une époque heureuse où la circulation était fort réduite : alors, que d’hésitations aux commandes du véhicule et que de fausses manœuvres qui faisaient crier mon moniteur. Maintenant, soixante ans plus tard, je fais tous les gestes sans y penser, sans faire grincer les vitesses ou souffrir le véhicule.
S’il est indéniable que l’habitude joue un rôle important dans une existence, il faut savoir qu’on ne parvient pas à en créer une bonne sans détermination, sans lutte et sans recommencements. Les parents, qui souhaitent le meilleur pour leur enfant, en savent quelque chose, eux qui ont une mission capitale à remplir, celle de le corriger. Hélas ! La plupart des pères manquent à ce devoir élémentaire. Dans notre société permissive, le terme de « corriger » a mauvaise presse. Pourtant, c’est une action généreuse quoique mal acceptée de l’enfant, donc difficile à mener. En effet, avec patience et persévérance, il faut aller à l’encontre de penchants naturels, contrecarrer les désirs mal orientés afin de créer chez lui de bonnes habitudes. On peut comparer l’enfant à une automobile qui serait sans cesse entrainée vers l’un des bas-côtés de la route à cause d’une direction mal réglée. Grave défaut qui oblige le conducteur à agir constamment sur le volant pour maintenir le véhicule sur la chaussée. De même, pour des parents : Redresser, rectifier, ramener à la mesure, améliorer, rendre plus exact, soumettre à la règle, tel est le but qu’il faut poursuivre, sans désemparer et sans douter, car c’est une œuvre de longue haleine. Pour ma part, j’entends encore les miens me répéter sempiternellement : « Dis merci ! plie ta serviette, lave-toi les mains avant le repas, range tes affaires, cire tes chaussures »… Il me semble les entendre encore !
Heureux les enfants qui ont eu de tels parents.
Le Dieu qui aime nous corrige lui aussi, mais à sa manière (lire Hébreux 12.7-11). Il a inspiré l’Ecriture pour nous parler et nous avertir à bien des reprises et au bon moment. Lui non plus ne se lasse pas de nous alerter. Il serait dommageable que nous nous opposions à son action, car il veut le meilleur pour nous. Il se sert parfois des amis, mais surtout de personnes hostiles ou mal intentionnées pour opérer en nous cette œuvre d’amour. Il sait que c’est dans les épreuves, les contretemps pénibles, les souffrances… que nous apprenons le mieux, et durablement, ses leçons ; et comme l’ont fait nos parents, Dieu nous « châtie » quand c’est nécessaire pour nous ramener plus sûrement sur la bonne voie. Quel chrétien sérieux n’a exprimé, un jour ou l’autre, sa reconnaissance à son Père céleste pour telle difficulté qui l’a conduit au salut ou ramené plus près de lui ?
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Répétons-le : l’habitude joue un rôle considérable dans toute existence. C’est une puissance sur laquelle le chrétien, plus que quiconque, devrait compter. Elle est puissance malfaisante quand elle agit dans le sens de l’erreur et du péché ; mais puissance combien bénie dès qu’elle est bien orientée.
Satan utilise l’habitude de mal faire comme un instrument pour perdre même l’enfant de Dieu. En vrai connaisseur, il sait employer une mauvaise habitude pour le courber sous son joug et l’asservir.
Dieu soit béni ! Nous ne sommes pas condamnés à subir cet esclavage. Au Calvaire, a été brisé le joug de la loi du péché. Maintenant, unis à Jésus-Christ par la foi, nous pouvons faire voler en éclats les anneaux de cette chaîne pesante que l’habitude du mal a enroulée autour de notre volonté, en disant avec Paul : « la loi de l’esprit de vie m’a affranchi de la loi du péché et de la mort ». Par la grâce de Dieu il nous est possible de tourner résolument le dos à telle habitude coupable et de faire volte-face dans la direction du bien et de la sainteté. D’esclaves de Satan, devenons esclaves de la justice, en nous livrant au Seigneur.
Si, à ces habitudes coupables qui nous ont tenus pendant de trop longues années, nous n’avons rien d’autre à opposer que de simples dispositions ou de saints désirs, que de vagues aspirations vers Dieu, que des élans de sympathie pour nos semblables, nous ne pourrons à aucun moment voir s’arrêter le courant des habitudes anciennes ; il faut une puissante digue, capable d’opposer une forte résistance à ce fort courant. Or, il n’en est qu’une seule qui puisse produire ce résultat, c’est l’habitude du bien, de la sainteté. Quand nous aurons accepté cela et appris à opposer de bonnes et saintes habitudes à nos habitudes mauvaises, alors nous serons étonnés de les voir disparaître. Ce sera l’œuvre de Dieu, à la louange de sa grâce.
Ici, interrogeons-nous sérieusement devant Lui : qu’en est-il pour nous à cet égard ? Notre vie chrétienne est-elle réellement, et habituellement, tournée vers le bien ? Sinon, faisons tous nos efforts pour passer des simples et bonnes dispositions à de solides habitudes.
La première habitude à acquérir, ou le premier besoin que devrait éprouver le cœur régénéré, c’est celui ou celle de louer Dieu. Un chrétien ne devrait-il pas être poussé, d’abord, à lui rendre grâces pour l’acte de souveraine miséricorde dont il a été l’objet ? Et puis aussi pour tous les innombrables bienfaits dont il aperçoit chaque jour les traces dans sa vie ?
La louange ! Certes, il y a des heures bénies où Dieu nous a visités, où la pensée de ses compassions à notre égard a rempli notre être d’une émotion profonde. Alors, nous aurions voulu trouver des accents qui puissent exprimer ce que nous ressentions au dedans de nous. Mais hélas ! ces moments-là sont trop rares et bien fugitifs, séparés par de longs intervalles de froideur et d’ingratitude. Alors, repris, on s’excuse volontiers en alléguant les circonstances, les occupations multiples, le train-train ordinaire de la vie qui nous emporte malgré nous, et nous fait perdre de vue les bénédictions divines. Que valent ces excuses, ces prétextes qu’on répète sans éprouver le désir de changer ? La louange ne devrait-elle pas demeurer au fond de notre cœur, à chaque instant de la journée, même lorsque nous sommes les plus affairés ? Ne peut-elle pas nous suivre et nous accompagner jusqu’à l’heure de notre sommeil, pour se retrouver dans notre cœur et sur nos lèvres dès le réveil ? Que faisons-nous pour qu’il en soit ainsi ? Pourquoi ne ferions-nous pas tout notre possible, avec persévérance parce que nous y tenons résolument, pour que la louange devienne une heureuse habitude. Imitons le Roi-Prophète qui se montrait résolu à louer sans cesse son Dieu : « Je bénirai l’Eternel en tout temps ; sa louange sera continuellement dans ma bouche » (Psaumes 34.2).
A côté du besoin de louer Dieu devrait s’éveiller chez tous ses enfants, un sentiment de filiale confiance, un sentiment qui devrait nous inciter à remettre entre Ses mains, à tout instant et jour après jour, la direction de notre vie au travers des mille incidents qui la traversent. En théorie, nous sommes convaincus que Dieu dirige toute chose en vue de notre bien, et que nous avons toutes les raisons du monde de compter sur sa fidélité. Mais dans la pratique, avouons que nous l’oublions, ce qui est plutôt étrange pour qui se dit croyant. Que d’actes, que de détails journaliers dans lesquels nous perdons de vue cette main paternelle, peut-être parce qu’ils nous paraissent trop insignifiants pour qu’un Dieu si grand daigne s’en occuper. Aussi, qu’arrive-t-il ? C’est que nos préoccupations les plus légitimes se transforment souvent en soucis rongeurs, qui paralysent notre activité et nous découragent. C’est une bien grande inconséquence de notre part que la défiance que nous montrons à notre Dieu dans les petites choses de la vie. Quand nous voyageons en TGV, songeons-nous un seul instant au danger que nous pourrions courir à chaque tour de roue, à chaque minute qui s’écoule ? Non ! Volontiers nous supposons que tout a été prévu pour qu’il n’y ait aucun incident, que la voie est sûre, contrôlée régulièrement, et que chaque aiguilleur est à son poste. Soutenus par cette pensée, nous franchissons le tunnel le plus long sans éprouver la moindre angoisse. Heureusement, car les voyages seraient un supplice ! Comment ! nous sommes confiants lorsqu’il s’agit d’une société humaine qui peut se montrer imprévoyante, ou d’un garde barrière capable de commettre une fausse manœuvre, et nous serions inquiets lorsqu’il s’agit de ce Dieu tout puissant qui a créé le monde et compté tous les cheveux de notre tête ! Est-il pensable que le sentiment de sécurité que devrait avoir l’enfant de Dieu fasse place soudain à une coupable inquiétude ? N’est-ce pas douter du Père céleste, lui faire injure et l’attrister, lui qui a promis de nous protéger et de pourvoir à tous nos besoins : « Lui-même prend soin de ceux qui se déchargent sur Lui de tous leurs soucis » (1 Pierre 5.7). Apprenons à nous confier en l’Eternel « en tout temps » et n’oublions jamais, en particulier quand nous passons par les ténèbres de l’épreuve, que le soin de notre vie est entre des mains sûres et fidèles.
Ce que nous venons de dire de la louange et de la foi, nous pouvons l’appliquer au devoir d’obéissance au divin Maître. Tout chrétien sait fort bien qu’il doit obéir à Dieu ; mais lorsqu’il s’agit de « descendre » du principe général aux mille détails de la vie courante, dans bien des cas son obéissance se révèle pleine de réserves, d’hésitations et de lenteurs de toutes sortes. Ce qui lui manque, c’est cette habitude d’obéir immédiatement et au premier appel, de telle sorte que les actes de soumission volontaire, à mesure qu’ils se répètent, prennent un caractère instinctif et spontané ; reconnaissons humblement que ce qui fait défaut chez la plupart d’entre nous, c’est cette promptitude à discerner le moindre signe de la volonté de Dieu, et surtout cette promptitude à l’exécuter, sans hésiter un seul instant, comme le soldat en présence de son capitaine, mais dans un sentiment de joyeuse et filiale dépendance. C’est ainsi que nous devrions obéir chaque fois que Dieu nous donne un ordre, en répondant aussitôt : « Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté » (Hébreux 10.9). « Je me hâte, je ne diffère point d’observer tes commandements » (Psaumes 119.60).
Pour être en mesure d’obéir – c’est élémentaire – il faut savoir écouter. David avait fait cet apprentissage, lui qui tendait constamment son oreille pour entendre la voix d’En Haut. Combien est rare cette habitude d’écouter attentivement ! Quand Dieu nous parle, nous sommes trop souvent distraits ; notre esprit est agité et tiraillé en tous sens par tant de préoccupations que nous ne parvenons pas à percevoir la voix du ciel. Il en est de cette voix comme du chant des oiseaux, qui, dans nos grandes villes est étouffé par les mille rumeurs de la foule, et le roulement assourdissant des véhicules. Pour que leur gazouillis parvienne à nos oreilles en notes distinctes, il faut le silence de la nature. Il en est de même de ce « son doux et subtil » qu’est la voix divine ; lorsque nous l’écoutons avec un cœur rempli des choses de ce monde, elle se perd au milieu du bruit. Pour que nous réussissions à l’entendre, il importe que nous ménagions à notre âme des moments de silence intérieur et prenions l’habitude du recueillement. « Oh ! le silence, a dit Vinet, le silence interrompu seulement par la charité, quelle belle chose ! ».
La pensée exprimée dans cette citation nous conduit à parler d’une autre habitude, trop rare parmi nous, celle de la charité. Notre vie est pleine de bons mouvements et d’intentions généreuses ; mais, aussi longtemps que cet amour pour le prochain ne se manifestera que sous la forme d’élans de charité, séparés les uns des autres par de longs intervalles de froideur et d’égoïsme, tant qu’on ne passera pas des simples dispositions à des actes, à l’habitude de faire du bien autour de soi, on dira de nous qu’entre la manière de vivre de l’homme du monde chez qui on trouve ces bons mouvements, et celle du chrétien, il n’y a pas de différence essentielle. Ce qui manque, c’est cet esprit d’ardente compassion qui jaillissait du cœur de Jésus, non comme une source intermittente, mais comme un large fleuve coulant à pleins bords, et dont les eaux se renouvelaient sans cesse. Cet esprit de charité, il nous le faut tout d’abord pour vivifier les relations que nous entretenons avec nos frères et sœurs en la foi. En priorité nous devons nous intéresser plus concrètement à leurs difficultés et à leurs épreuves, étant toujours en mesure de porter vraiment leurs fardeaux. En les aimant ainsi, nous apprendrons en même temps à aimer ces milliers de créatures immortelles qui, tous les jours, s’offrent à nos regards, et pour qui nous n’éprouvons trop souvent qu’indifférence ou vague curiosité. Ah ! Si la charité devenait au dedans de nous une source abondante et intarissable, combien ce coup d’œil superficiel que nous jetons en passant devant ceux qui souffrent, serait vite remplacé par le regard de l’authentique compassion qui ne laisse pas inactif, et conduit à se dire, avec l’intention d’agir : « Voici un homme éprouvé et sans consolation ; un homme qui marche vers l’éternité, sans espérance. Comment puis-je lui apporter soulagement et réconfort durable » ?
Même dans la rue, prenons l’habitude de regarder ceux que nous côtoyons, prions pour eux, pour leur salut, demandant à Dieu de nous donner éventuellement l’occasion de leur être utile. Pourquoi pas ?
On ne peut terminer ces quelques réflexions sur le rôle de l’habitude dans la vie chrétienne sans mentionner la prière. L’habitude d’invoquer Dieu, voilà le seul remède qui puisse nous guérir de nos langueurs et de nos découragements. Ici nous n’avons pas seulement en vue ces requêtes que nous Lui offrons à certaines heures de la journée, dans notre culte domestique ou individuel. On peut remplir très exactement ce devoir journalier sans posséder l’esprit de prière. Prier soir et matin ne suffit pas ; nous sommes invités par l’apôtre à prier sans cesse, c’est-à-dire à ne rien sentir, à ne rien penser qui ne se traduise aussitôt par une prière d’actions de grâces lorsqu’un sujet de joie se présente à notre esprit ; ou en une muette supplication s’il s’agit d’une souffrance, d’un péché, d’une grâce à obtenir pour nous-mêmes ou notre prochain. Quand donc la prière deviendra-t-elle chez nous une disposition habituelle et une attitude de tous les instants, en sorte que nous puissions dire avec Asaph : « Pour moi, m’approcher de Dieu, c’est tout mon bien » (Psaumes 73.28) ? Quand donc la prière, – pareille à des verres colorés au travers desquels nous voyons se transformer le paysage – donnera-t-elle à notre vie tout entière cette teinte chaude de sérénité joyeuse et de charité active, sans laquelle il ne saurait y avoir de christianisme véritable ?
Nous avons rappelé le décousu et le manque d’esprit de suite qui caractérise notre vie chrétienne. Réveillons-nous et pensons à Celui qui vient bientôt. Le moment est venu de se préparer à Son retour. C’est pourquoi, en comptant sur la grâce de Dieu, montrons-nous déterminés à forger, non sans lutte bien sûr, ces habitudes qui nous ont manqué jusqu’à ce jour, à savoir : louange, confiance, obéissance, vigilance, charité, esprit de prière. Que Dieu nous renouvelle à l’image de nôtre Sauveur jusqu’au jour où nous le verrons tel qu’il est.
FIN