« Ne te hâte pas d’exprimer une parole devant Dieu. »
Je venais de grimper dans un car « surpeuplé » lorsque j’aperçus, debout au fond du couloir, un jeune qui me reconnut et me fit un signe de la main. Il était depuis peu étudiant à la faculté. A peine le bus venait-il de démarrer qu’il se mit à m’entretenir avec volubilité et enthousiasme de ses nouvelles expériences. Bien qu’il dût forcer le ton pour dominer un diesel bruyant, il m’apprit beaucoup de choses sur sa vie à la « fac » : les cours étaient passionnants et l’étude du grec lui plaisait énormément… A la longue cependant j’éprouvai un certain malaise, surtout lorsque cet ami, sans baisser le ton et par-dessus les six ou sept têtes qui nous séparaient, crut bon de relever les tics et les défauts de tel ou tel professeur dont il citait le nom sans sourciller. Ce monologue s’éternisant, un voyageur excédé intervint brusquement :
— Ma parole… ! Ce Monsieur a avalé une aiguille de phonographe.
Un gros éclat de rire parcourut le car, à la confusion du narrateur qui se montra assez sage pour rentrer dans les rangs. Bien sûr, je me garderai de « cataloguer » ce jeune homme car il m’est arrivé, à moi aussi, d’être bavard et d’accaparer la parole, obligeant parfois quelqu’un des miens à me tirer par la manche pour me souffler à l’oreille : « Laisse donc parler les autres. Ils ont, eux aussi et plus que toi, des choses intéressantes à raconter et dont tu pourrais tirer profit. » Bavards ou non, il faut admettre que nous sommes généralement prolixes devant Dieu, notre verbiage l’empêchant de nous atteindre et de nous parler.
A l’inverse, certains chrétiens se plaignent de ne pas avoir grand-chose à dire au Seigneur, faisant de cet aveu un prétexte pour justifier le peu de temps qu’ils lui consacrent :
— Quand je prie, me dit-on, je suis vite à court d’idées. J’aligne quelques phrases creuses, je répète trois ou quatre fois : « Seigneur, tu es merveilleux ! Tu es plein de bonté ! Tu es infiniment miséricordieux… » puis plus rien ! Je m’arrête déçu, avec la désagréable impression de ressasser du bout des lèvres des formules qui n’atteignent pas le ciel. Alors, comment voulez-vous que je sois encouragé à lui donner du temps ? J’en suis navré mais c’est ainsi.
Ce langage ne me surprend pas. Après tout, tant mieux si quelqu’un est las de son « bla, bla, bla »... pourvu qu’il reste décidé à « fréquenter » le Seigneur et qu’il éprouve le besoin de commencer par se taire chaque fois qu’il s’approche de lui. Garder respectueusement « le silence qui écoute » est recommandé par l’Ecriture : « Lorsque tu entres dans la maison de Dieu approche-toi pour écouter… Ne te presse pas d’ouvrir la bouche et que ton cœur ne se hâte pas d’exprimer une parole devant Dieu » Ecclésiasite 4.17 et 5.1).
Qui veut bien prier doit en finir avec la parlote et reconnaître une bonne fois pour toutes qu’il ne sait pas prier ; alors, à l’instar des apôtres, il dira humblement : « Seigneur, enseigne-moi à prier » (Luc 11.1).
Pour quatre raisons au moins « il est bon – pour bien prier – d’attendre en silence le secours de l’Éternel » (Lamentations de Jérémie 3.26) :
1) La première raison… est que nous nous adressons au Roi des rois.
Puisque la prière a valeur de partage avec un tel Seigneur, n’est-il pas élémentaire de lui laisser l’initiative de nos échanges ? Devant un grand de ce monde, la politesse et le respect commandent justement de veiller à ne pas se précipiter dans un flot de paroles. L’Ecclésiaste nous le conseille en prenant soin de nous expliquer pourquoi. « Ne te hâte pas d’exprimer une parole devant Dieu car Dieu est au ciel et toi sur la terre. » Si cette pensée reste présente à notre esprit, alors nous serons saisis d’une crainte respectueuse chaque fois que nous nous présenterons devant le Seigneur de gloire. Ce qui lui sera agréable.
2) Deuxième motif : « Nous ne savons ce qu’il convient de demander dans nos prières » (Romains 8.26). Que voilà une bonne raison pour garder « le silence qui écoute ». Tout comme le vaillant apôtre, le chrétien doit expérimenter sa « faiblesse » lorsqu’il s’agit de prière (Romains 8.26). Mais Dieu soit béni ! L’Esprit de sainteté vient à son secours… « par des soupirs inexprimables ». Le divin intercesseur dit à notre place et admirablement ce que nous ne savons exprimer, aussi aurions-nous grandement tort de nous lamenter et de nous attarder sur nos misérables prières. Peu importe si notre langage est maladroit et hésitant, si nous n’avons rien d’extraordinaire à dire à notre Seigneur. Croyons « aux soupirs » de l’Esprit saint. Le temps passé à genoux, devant lui, n’est jamais du temps perdu. Que cette pensée nous encourage.
3) Troisième motif : « Celui qui parle beaucoup ne manque pas de pécher » (Proverbes 10.19). Ne sommes-nous pas tentés, en multipliant les paroles, de prendre le nom de Dieu en vain, de formuler des promesses que nous ne tiendrons pas ou des louanges du bout des lèvres qui ne sont que verbiage pieux ? Ne soyons pas semblables à ces adeptes de religions orientales qui actionnent leur moulin à prières et qui croient, comme les pharisiens de jadis, « qu’à force de paroles – et de belles paroles – ils seront exaucés » (Matthieu 6.7). La sobriété est de mise lorsque nous nous adressons à Dieu : « Celui qui retient ses lèvres (devant Dieu comme devant les hommes) est un homme sage » (Proverbes 10.19). D’où le conseil que donne l’Écriture : « Lorsque tu entres dans la maison de Dieu, prends garde à ton pied… » Autrement dit, approche-toi humblement devant le Roi des rois (Il faut courber la tête pour regarder ses pieds) ; surveille ton attitude et contrôle ton langage en te présentant devant lui.
4) Quatrième raison et pas des moindres : Parler beaucoup c’est faire de l’obstruction, c’est l’empêcher de nous parler et donc d’entendre sa voix. C’est négliger le conseil de l’Écriture, laquelle nous recommande en maints endroits de garder le silence : « Approche-toi pour écouter plutôt que pour offrir le sacrifice des gens stupides » (Ecclésiaste 4.17). Notre Seigneur a tant de choses précieuses à nous dire qu’il serait dommage de ne pas les entendre. D’ailleurs, le silence est propice à la méditation. Dans ces instants de réflexion en sa présence, les mots ou les expressions tirés de nos lectures bibliques peuvent prendre un relief particulier. Dieu parle par l’Écriture et c’est pourquoi il est bon de garder la Bible ouverte devant soi lorsqu’on prie. Quand il nous interpellera, disons-lui : Oui Seigneur ! Oui s’il nous demande de corriger notre langage ou notre attitude devant nos semblables, s’il nous suggère de porter secours à une personne dans la peine, s’il nous invite à lui rendre gloire pour un sujet précis… Quoi qu’il en soit, écoutons-le avec le désir bien arrêté de lui obéir.
Lorsque nous nous adressons à lui, pourquoi n’entonnerions-nous pas ce refrain de la « Ligue pour la lecture de la Bible » ?
Parle-moi ! Parle-moi ! C’est là ma prière.
Je t’écoute, ô Père !
Prêt à t’obéir. Prêt à t’obéir.
Ce qui est vrai pour la prière personnelle l’est certainement aussi pour la prière communautaire. Lorsque l’église se réunit pour adorer Dieu ou intercéder, il serait certainement sage et bienfaisant d’observer quelques instants de silence et de réflexion avant de se lancer dans de belles phrases ; ces moments ne sont pas à redouter lorsqu’ils sont chargés de méditation, chacun étant dans l’attente paisible de l’action du Saint-Esprit. Ici, je ne parle pas de ces pesants mutismes vides de contenu, combien pénibles lorsqu’ils se prolongent, chaque participant attendant passivement que les autres ouvrent la bouche.
Un pasteur, soucieux du meilleur pour sa communauté, me raconta le fait suivant. Les habitués de la réunion de prières étaient las de subir les mêmes discours vagues et stéréotypés. Le temps passé à prier, toujours pesant, n’encourageait guère à fréquenter ces rencontres. Aussi, est-ce à l’unanimité qu’ils décidèrent d’en finir avec ce ronron hebdomadaire qui ne débouchait sur rien et laissait chacun dans sa tiédeur. Pour ce faire, ils chargèrent l’un d’entre eux de se rendre dans les différentes communautés de la ville, lui demandant en particulier d’assister aux réunions de prière pour en tirer d’utiles conclusions. Ce frère ne fut pas déçu de son enquête : ces rencontres étaient dans l’ensemble nettement plus chaleureuses, la louange et les requêtes s’exprimant avec plus de force et de ferveur, voire d’enthousiasme. Cependant, rien ne lui paraissait devoir être imité ou retenu car les prières entendues, bourrées de redites et entremêlées de soupirs encombrants, lui paraissaient trop ronflantes pour être de « vraies » prières.
Que faire ?
Les chrétiens rassemblés n’en avaient aucune idée. Ils crurent sage de se taire pour dire à Dieu, dans le secret mais d’un commun accord, qu’ils voulaient autre chose, c’est-à-dire du vrai et qu’ils s’attendaient à lui, chacun étant persuadé que le Seigneur, à sa façon, ne tarderait pas à répondre et à satisfaire leur soif. Le silence se prolongea, bienfaisant. Le Saint-Esprit les conduisait vers des « eaux paisibles » (Psaumes 23)… Nul n’était poussé à ouvrir la bouche, pas même ceux qui, d’ordinaire, faisaient entendre leur voix ; et personne non plus ne songeait à mettre un point final à la rencontre lorsque… soudain, une dame âgée qui ne s’était jamais manifestée, fit monter une longue prière qui bouleversa l’assemblée tout entière. Dieu était présent et inspirait chaque phrase avec des mots qui allaient au fond des cœurs. Cette grand-mère avait à peine prononcé l’« Amen » que partout, dans la salle, jaillirent d’« autres » prières. La réunion se prolongea dans la joie et la ferveur si bien qu’en se quittant, chacun manifesta le désir de revenir au plus tôt se joindre à ses frères pour adorer le Seigneur. Cependant, il n’y a pas de méthode infaillible pour obliger Dieu à visiter les siens. La prière de l’Église ne sera bénie et féconde, visitée par le Saint-Esprit, que si ses membres cultivent chez eux la présence du Seigneur.
Quoi qu’il en soit, cette évocation est instructive. Elle nous rappelle au moins une chose : il faut avoir l’honnêteté et la liberté de dire à Dieu, personnellement et collectivement, que nos prières nous déçoivent et que nous voudrions en finir avec nos redites, vraiment décidés à entrer dans le sanctuaire pour l’adorer et le servir de tout notre cœur.
Questions :