De l’ordre des Pharisiens. — Explication de la Conspiration ourdie contre St Paul. — Comment on est délié d’un vœu. — Analogie entre le Pharisaïsme et l’ultramontanisme. — Les Ultramontains et les Jésuites. — Les Nivdalim de l’époque d’Esdras et de Néhémie. — Le Perushin ou Pharisien. — Application des termes de Nivdalim et de Chasidim à la vie chrétienne. — La politique des successeurs d’Alexandre le Grand. — Insurrection des Maccabées. — Les Chasidim se confondent avec les Pharisiens. — Principes des Chasidim. — Origine du Pharisaïsme. — Règles présentées pour la Therumah et les dîmes à l’époque d’Hyrcan. — La Chabura des Pharisiens. — Obligations imposées aux Chaberim. — Les vœux. — Système de formalisme extérieur. — Mépris des Rabbins et des Sadducéens pour ce parti. — Opposition tranchée entre le Pharisaïsme et l’Évangile.
Pour comprendre l’état de la société religieuse, à l’époque de Jésus-Christ, il ne faut point oublier que les Pharisiens constituaient un « ordre » religieux régulier, et qu’il existait nombre de sociétés dont l’origine remontait surtout aux premiers jours du Pharisaïsme. Ce fait jette une grande lumière sur les circonstances étranges, en apparence, au milieu desquelles nous transportent les récits du Nouveau-Testament.
Comment concevoir, par exemple, que dès l’aube du jour qui suit une longue discussion dans le Sanhédrin, et pendant une bonne partie de la journée « plus de quarante personnes » se soient engagées, sous la menace d’un anathème, à ne manger ni boire jusqu’à ce qu’elles aient mis à mort l’apôtre Paul (Actes 23.12-21) ? N’est-il pas surprenant qu’une telle conspiration, disons plutôt une conjuration aussi redoutable, qui par la nature même des choses devait être gardée secrète, ait été connue du « fils de la sœur de Paul » ? C’est ce que les circonstances que nous avons mentionnées nous expliquent d’une manière très suffisante.
Les Pharisiens étaient, on le reconnaît, une Chabura, c’est-à-dire une association ou corporation, et c’était bien à cette société ou à une association analogue qu’appartenait cette troupe « d’assassins fanatiques ». Les vœux par lesquels on s’engageait à commettre un meurtre étaient chose habituelle, parmi les Zélotes. En outre la femme et tous les enfants d’un « Chaber », ou d’un membre, étaient, ipso facto, membres eux-mêmes de la Chabura. Le père de Paul avait été Pharisien (Actes 23.6), sa sœur, grâce à son origine, devait appartenir à l’association. Il était même probable que, conformément aux principes du parti, elle eût été forcée d’entrer, par le mariage, dans une famille pharisienne. Comment s’étonner de la haine ardente qu’ils avaient conçue pour Paul ? Un tel membre les déshonorait par sa conduite, par ses idées. C’était la conviction de tous et non seulement le cri d’une populace fanatisée qui s’exprimait dans ces paroles odieuses : « Faites disparaître un tel homme, car il est indigne de vivre ! » Quant aux conséquences que leur vœu devait amener, écoutons l’enseignement que nous donne le Talmud de Jérusalem (Avod. Sar. 40 a). On peut y retrouver, pour ainsi dire, le commentaire de ce passage : « Lorsqu’un homme a fait vœu de ne pas prendre de nourriture, malheur à lui s’il mange, et malheur s’il s’abstient d’aliments. S’il mange, il pèche contre le vœu qu’il a fait ; s’il ne mange pas, il pèche contre sa vie. Que doit-il faire ? Qu’il se présente devant les sages et ils le relèveront de son vœu. » Coïncidence singulière. A l’époque où le parti voulait user de ces procédés criminels à l’égard de Saint Paul, ou immédiatement après, on mit en vigueur trois ordonnances qui sont dues à l’influence de Siméon, fils de Gamaliel (le maître de Paul). Elles se rapportent exactement à la situation de l’apôtre. La première décidait qu’à l’avenir les enfants d’un « Chaber » n’appartiendraient pas nécessairement à l’association, mais devraient être reçus individuellement dans « l’ordre ». La seconde, que l’on examinerait la conduite précédente du candidat avant de l’y admettre. Par la troisième enfin, on déclarait que si un membre avait abandonné la société, ou s’il était devenu péager, il ne pourrait plus y être reçu de nouveau.
Trois mots de signification moderne, avec lesquels nous sommes devenus familiers, nous aideront mieux à comprendre l’état des choses que l’explication la plus développée. Ils se rapportent à ce système qui, à tant d’égards, forme le pendant du Rabbinisme. L’Ultramontanisme est une direction particulière de la pensée religieuse. Les ultramontains forment un parti dont les Jésuites sont l’expression et l’incarnation les plus parfaites. Né d’un réveil de l’esprit du Moyen-Age, cet ordre, en étendant ses principes dans le sein de l’Église, a engendré l’Ultramontanisme, considéré comme tendance.
Tout ceci s’applique également aux Pharisiens et au Pharisaïsme. L’analogie est plus complète encore. L’ordre des Jésuites a quatre degrés. Chose curieuse, exactement le nombre de ceux que l’on comptait dans la société des Pharisiens.
[En parlant de 4 degrés nous ne faisons allusion qu’aux professions. Nous savons qu’il y a les professi trium votorum dont le monde extérieur ne sait rien de précis, et que nous pouvons regarder comme les Jésuites secrets. Il existe encore l’ordre des coadjuteurs laïques et cléricaux dont les services et les vœux sont purement temporaires.]
A l’instar de la compagnie de Jésus, l’origine de celle des Pharisiens remonte à une époque de grande réaction religieuse. Ils aimaient à la reculer jusqu’au temps d’Esdras et si ce n’est pas là une vérité exacte, du moins il pouvait y avoir quelque chose de fondé dans leur affirmation. En effet, dans Esdras 6.21 ; 9.1 ; 10.11 ; Néhémie 9.2, il nous est parlé des « Nivdalim », de ceux qui se sont séparés des souillures du paganisme. Néhémie (Néhémie 10.29) nous montre qu’une grande partie du peuple « promit avec serment et jura de marcher selon la loi de l’Éternel, donnée par Moïse, serviteur de Dieu ». Il est vrai aussi que le mot Araméen « Perishuth » signifie séparation, et que les « Perushim », ou les Pharisiens de la Mishnah, sont, selon la signification de ce terme, les séparés ou les Nivdalim de leur temps. Mais si, par le nom et d’après le témoignage de l’histoire, ils peuvent faire remonter leur origine à ceux qui se sont séparés des païens au temps d’Esdras et de Néhémie, qu’ils sont loin d’être leurs successeurs, au point de vue spirituel !
A l’époque d’Esdras se produit, en effet, un grand réveil parmi ceux qui sont revenus dans le pays de leurs pères. La profession de la foi à laquelle, dans les temps anciens, devait souscrire chaque Israélite individuellement (Psaumes 30.4 ; 31.23 ; 37.28) est faite solennellement par l’ensemble du peuple. Les citoyens deviennent alors les Chasidim ou pieux, et, comme tels, ils jurent d’être Nivdalim ou « séparés » de toutes les souillures du paganisme. L’un de ces termes représente le côté positif, l’autre l’élément négatif de leur religion. A l’exemple des Pharisiens originels, Paul montrait que la vie chrétienne devait être celle du vrai « Chasid », et, par conséquent, « Nivdal », par opposition au Pharisaïsme purement extérieur. Ainsi, dans des passages tels que 2 Corinthiens 6.14-7.1, il termine son exhortation en engageant les lecteurs à se « purifier de toute souillure de la chair et de l’esprit, achevant leur sanctification dans la crainte de Dieu ». On le voit, la vie précédente de Paul, en même temps que sa manière de penser au moment où il dictait son épître, semble lui avoir servi de modèle pour dépeindre les réalités spirituelles de la situation nouvelle où l’avait transporté sa foi.
[Si St Paul était à l’origine un Pharisien, les détails que la tradition primitive nous donne (Eusèbe H. E. 11 : 23) comparés à ceux que nous recueillons dans Josèpbe (Ant. XX : 9, 11) nous amèneraient à la conclusion que St Jacques était un Chasid. La part qu’il prit, pour délivrer du joug de la loi, les gentils convertis serait d’autant plus significative. (Actes 15.13-21)]
Nul n’ignore que l’une des préoccupations d’Alexandre le Grand fut d’introduire l’Hellénisme dans toutes les portions du vaste empire dont il avait jeté les bases au sein du monde ancien. Ce dessein fut poursuivi par ses successeurs. De là, toutes les cités grecques qui s’élèvent le long de la côte depuis Anthedon et Gaza, au sud, jusqu’à Tyr et Séleucie, au nord ; jusqu’à Damas, Gadara, Pella et Philadelphie, à l’est, entourant ainsi d’une ceinture de villes brillantes parfois, le pays sacré. Venu du dehors, le mouvement se propage jusqu’au cœur d’Israël. Il prend pied en Galilée et en Samarie, et étend son influence parmi les gens du peuple eux-mêmes.
C’est dans ces circonstances solennelles que le parti des Chasidim s’élève et se dresse, au sein de la nation, pour arrêter le torrent qui menace d’engloutir la religion et la nationalité des fils de Jacob. Ici, nous assistons à l’aurore d’une grande et nouvelle période de l’histoire du peuple Juif.
Alexandre le Grand était mort en Juillet 323, avant Jésus-Christ. Un siècle et demi après lui, voyez les Chasidim réunis et serrés autour des Maccabées, pour défendre Israël et son Dieu. Mais au zèle des Maccabées succède une ambition mondaine. Les chefs du parti réunissent dans leur personne la dignité royale et la souveraine sacrificature. C’est à cette heure que le parti des Chasidim les abandonne, et leur fait une opposition déclarée. Il leur enjoint de résigner leur charge religieuse. Quant à eux ils sont prêts à souffrir le martyre pour leurs convictions. Plusieurs meurent ainsi dans d’horribles tourments.
Dès ce moment les Chasidim du premier temps disparaissent. Comme parti, ils cèdent la place aux Pharisiens, les Nivdalim modernes, et quand nous les retrouvons encore sur notre route ; ils ne composent plus qu’un ordre supérieur, ou une branche du Pharisaïsme. Les « pieux » d’autrefois sont devenus les « piétistes ». La tradition (Men. 40) distingue d’une manière expresse les Chasidim primitifs (Harishonim) des derniers (Acheronim). Sans nul doute les axiomes qui suivent expriment quelques-uns de leurs principes, quoiqu’ils portent la couleur d’une époque plus récente. La Mishnah nous les donne comme relevant les caractères distinctifs des Chasid (P. Ab. V : 10 à 14) : « Ce qui est à moi est à toi, et ce qui est tien t’appartient aussi. » « Il est lent à se mettre en colère, et facile aux réconciliations. » « Il donne l’aumône et engage les autres à suivre son exemple. » « Il se rend à la maison de la science et il accomplit de bonnes œuvres. »
C’est dans le temps des Maccabées qu’il est fait pour la première fois mention des Pharisiens. Comme société, nous les retrouvons d’abord sous le commandement de Jean Hyrcan, le 4e des Maccabées depuis Matathias (135-105 avant Jésus-Christ), bien que Josèphe nous les montre déjà deux règnes plus tôt à l’époque de Jonathan (Ant. XIII : 5, 9). Il peut l’avoir fait en anticipant sur les événements, ou en appliquant à des faits antérieurs des termes plus récents. D’autant mieux qu’il signale, à cette époque, l’existence des Esséniens, qui, certainement, ne formaient pas alors une corporation. Sans discuter la question de savoir si la « direction », pour employer une expression moderne, existait déjà pendant la vie de Jonathan, nous pouvons mentionner un événement précis qui est intimement uni à l’origine de la société des Pharisiens. Les écrivains Juifs nous apprennent qu’aux jours d’Hyrcan on nomma une commission chargée de parcourir toute la contrée, et d’examiner la manière dont la nation observait la loi divine des contributions religieuses. On apprit alors que tandis que le therumah ou « l’offrande d’élévation » était régulièrement fournie, on ne payait ni la première dîme, la dîme lévitique, ni la seconde ou dîme des pauvres, comme le prescrivait la loi. De telles transgressions constituaient un péché mortel puisqu’elles impliquaient l’usage, pour son compte personnel, de ce qui appartenait réellement au Seigneur. C’est pourquoi il fut décidé que tout ce que les gens de la campagne (Am-ha-aretz) vendaient, devrait être dorénavant considéré comme demaï. Par cette expression dérivée du mot grec qui désigne le peuple, et qui trahit ainsi le temps où elle fit invasion dans la langue hébraïque, on indiquait qu’on ignorait si la dîme de l’objet vendu avait été payée ou non. Dans ce cas l’acheteur devait observer que la therumah et la dîme des pauvres étaient dues encore sur les achats qu’il venait de faire.
[On peut établir qu’avant l’institution formelle de l’ordre, R. José, le fils de Jœzer déclarait que le sol des pays païens était souillé, séparant ainsi Israël des Gentils et interdisant toute relation entre les deux peuples. — C’est peut-être à cette décision de vérifier le paiement des dîmes, mise en vigueur par Hyrcan, que Josèphe fait allusion (Ant. XIII : 10, 6) lorsqu’il parle de son abolition après la rupture d’Hyrcan avec le parti des Pharisiens. — Il est impossible d’entrer ici dans l’explication de ce qu’était la Therumah. Nous devons renvoyer à l’ouvrage : Edersheim, The Temple and its services, p. 331. (G.R.)]
D’autre part, les Pharisiens formaient une Chabura dont chaque membre s’engageait à payer ces impôts sacrés avant de se servir de ces objets ou de les vendre. Chaque Chaber était considéré comme « neeman » ou crédité. Le produit qu’il vendait était donc acheté et vendu, sans aucuns frais nouveaux par le reste de la Chaberim. Naturellement le poids des dépenses additionnelles que cette clause entraînait pour chaque Israélite étranger à la Chabura était singulièrement lourd. Il devait payer le Therumah ou la dîme, sur tous les objets par lui vendus ou employés, tandis que le Pharisien qui faisait un achat à un autre Pharisien en était affranchi. La pensée de ces procédés habiles qui faisaient retomber sur la masse du peuple les obligations auxquelles le Pharisien connaissait l’art de se soustraire, se retrouve peut-être au fond du reproche que le Seigneur leur adresse. (Matthieu 23.4) « Ils lient de pesants fardeaux sur les épaules des hommes, mais, pour eux, ils ne veulent pas même les toucher du bout des doigts. »
Outre les dîmes que le Chaber s’engageait à acquitter, une autre obligation lui était imposée. Il promettait de se soumettre à toutes les lois de la pureté lévitique, comme on les comprenait alors. Qu’est-ce qui est pur, qu’est-ce qui souille l’homme ? Ces questions divisaient l’ordre des Pharisiens en divers degrés. On en distingue ordinairement quatre, fixés selon la rigueur avec laquelle ils appliquaient la loi des souillures lévitiques. Il serait trop long d’exposer ce sujet avec tous ses détails. Qu’il nous suffise de savoir qu’un membre du premier degré était appelé Chaber, ou Ben bacheneseth « fils de l’union ». C’était le Pharisien ordinaire. Les trois autres degrés étaient rangés sous le nom générique de Teharoth, purifications. Ceux-ci constituaient probablement les Chasidim de la dernière période. Le Pharisien ordinaire s’engageait à payer les dîmes et à éviter les souillures lévitiques. Les vœux des degrés les plus élevés étaient les plus stricts. Tout homme pouvait entrer dans l’ordre en faisant, devant trois témoins, le serment solennel d’observer les obligations acceptées par les membres de l’association. Un noviciat d’un an (il fut plus tard abrégé) était cependant nécessaire. La femme ou la veuve d’un Chaber et ses enfants étaient considérés comme membres de l’ordre. Ceux qui entraient (par le mariage) dans la famille d’un Pharisien devaient chercher à s’y faire recevoir. Quant aux obligations d’un Chaber vis-à-vis de ceux du dehors, les voici : Il ne devait ni acheter d’eux, ni vendre à aucun d’eux une marchandise quelconque, solide ou liquide. Il lui était prescrit de se garder de manger à leur table (car il aurait pu, par là, prendre sa part de ce qui n’avait pas payé la dîme). Défense lui était faite également de le recevoir à la sienne, à moins qu’il ne se revêtit des ornements du membre affilié. (Car le vieil homme de l’invité aurait introduit sans cela la souillure dans cette demeure.) Eviter de se rendre au cimetière, refuser la therumah ou les dîmes à un prêtre qui n’était pas membre de l’Association. Ne rien faire en présence d’un Am-ha-aretz, car de là auraient pu résulter des conséquences funestes et prévues par les lois de la purification, tels étaient pour lui les devoirs de chaque jour. On ajouta plus tard à celle-ci d’autres ordonnances, en partie d’un caractère ascétique.
Il importe de faire remarquer qu’avant d’arriver aux degrés supérieurs, on était soumis à un noviciat semblable à celui que l’on avait traversé au moment d’entrer dans l’association. En outre, de même que le vêtement de celui qui n’était pas affilié à l’ordre imprimait une souillure sur le membre du degré le plus bas, le Chaber de ce dernier degré était une cause d’impureté pour le fidèle, qui avait été introduit dans la société d’un degré supérieura.
a – Les deux obligations de la pureté et de la dîme, en même temps que la distinction des Pharisiens, en diverses classes, sont mentionnées dans la Mishnah. [Chag. 11 : 5, 6. et Demaï 11 : 2, 3.)
En somme, deux vœux étaient imposés aux membres de l’association : Acquitter la dîme et se préserver de toute souillure. Sur ces points s’élevaient dans la pratique des questions innombrables que le texte des lois Mosaïques ne tranchait pas. De là le besoin des traditions considérées comme des explications supplémentaires du code Hébraïque. Les Rabbins les présentent sous cet aspect, et les décrivent comme une haie élevée autour d’Israël et de ses lois. La nécessité les obligea plus tard à leur attribuer, comme origine, certaines directions que Moïse aurait reçues de la bouche de Jéhovah sur le mont Sinaï, ou à les tirer, par d’ingénieuses méthodes, de la lettre de l’Écriture. On établit ainsi tout un système de formalités extérieures qui formaient souvent, d’une manière évidente, opposition à l’esprit des ordonnances dont on adorait servilement la lettre, source inépuisable d’une manifeste hypocrisie qui se trahit dans les écrits des Rabbins, non moins que dans les pages du Nouveau-Testament ! Ces « guides aveugles » étaient souvent, pour les membres mêmes de leur propre parti, des sujets d’ennui et des pierres de scandales. On parlait fréquemment de la « peste du Pharisaïsme » et, en les réunissant aux piétistes, aux pécheurs rusés et à la femme pharisienne on formait un groupe d’êtres insupportables que l’on appelait le faisceau « des épreuves de l’existence » (Sot. III : 4). « Devons-nous perdre notre temps à expliquer les opinions des Pharisiens ? » demande un Rabbin d’un ton de suprême mépris. « C’est une tradition parmi les Pharisiens (Ab. de R. Nathan 5) de se tourmenter dans ce monde et cependant ils n’auront aucune part au monde à venir. »
[Le Talmud, dans une page qui respire un dédain secret pour le plus grand nombre des partisans de cette société établit, parmi eux, 9 catégories. 1. Le Pharisien sichemite, accablé sous le fardeau de la loi. 2. Le Pharisien intéressé, qui semble demander de l’argent avant d’accomplir un précepte. 3. Le Pharisien au front sanglant qui, les yeux fermés, se meurtrit aux murailles pour ne pas être induit en tentation. 4. Le Pharisien prétentieux à la robe flottante, ou pilon. 5. Le Pharisien « dites-moi un autre devoir à remplir et je l’observerai. » Le Seigneur rencontra souvent ceux-ci, pendant le cours de son ministère. 6. Le Pharisien timide que la frayeur seule inspire. 7. Le Pharisien que guide l’amour. Celui-ci obéit à Dieu parce qu’il l’aime du fond du cœur. Aussi est-il seul loué par les docteurs de la Synagogue. (Farrar : Life of Christ 571-572.) (G.R.)]
Les Sadducéens disaient que « peu à peu les Pharisiens assujettiraient le globe éclatant du soleil lui-même aux lois de leurs purifications ». A côté de ce rigorisme on cite d’eux certaines sentences qui respirent un parfait Epicuréisme. Telles sont les suivantes : « Hâte-toi, mange et bois, car le monde dans lequel nous vivons est semblable à une fête des fiançailles. » « Si tu possèdes quelque bien demande-lui toutes les jouissances qu’il peut donner, car il n’y a pas de plaisir sous la terre, et la mort sans relâche poursuit son œuvre de destruction au sein de l’humanité. » « Les hommes sont comme les fleurs des champs, les uns s’épanouissent aux rayons du jour, tandis que les autres se fanent et disparaissent. »
« Comme la fleur des champs ! » Ces paroles ne ramènent-elles pas, devant notre pensée, le souvenir d’un autre Rabbi qu’ils rejetèrent avec mépris ? Et quand après avoir entendu cette déclaration, nous portons nos regards sur le royaume qu’il était venu fonder sur la terre, nous pouvons comprendre l’abîme qui sépare du Pharisien orgueilleux le Maître débonnaire. Certes, on peut appeler audacieuse l’affirmation qui ne craint pas de rattacher aux enseignements des Rabbins l’origine et les caractères du Christianisme. Mais par contre, lorsque nous rapprochons l’image du Pharisaïsme, tracée par les docteurs Juifs, de celle que nous présente la parole du Seigneur, nous sommes frappés de la vivante ressemblance qui existe entre ces deux portraits. Nous voyons, en même temps, que les reproches du Sauveur flagellaient, avec une précision indiscutable, les vices distinctifs de ce parti religieux. A eux seuls les passages du Nouveau-Testament nous permettraient d’en retracer l’esquisse fidèle. Payer « la dîme de la menthe et de l’anis » et négliger les sujets les plus importants de la loi. Nettoyer le dehors de la coupe dont l’intérieur était souillé. C’étaient là les deux grands principes au moyen desquels les Pharisiens élevaient, autour d’Israël, une haie infranchissable. Et ce résultat ils l’obtenaient en invoquant une tradition où l’on ne respire plus le moindre souffle de l’esprit austère de la loi Mosaïque, une tradition qui avait pour conséquence de provoquer l’hypocrisie la plus grossière et l’orgueil religieux le plus insupportable. Ces traits ne sont-ils pas précisément ceux que nous avons mis en relief, en écrivant l’histoire de cet ordre célèbre ?
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