Si le fait chrétien, le fait du salut en Jésus-Christ, qui est, comme nous venons de le montrer, l’objet essentiel et spécial de la théologie, ressortissait exclusivement à l’ordre de l’esprit, si la donnée chrétienne était un pur noumène, le seul de nos organes sollicité dans le travail théologique serait le νοῦς, le sens moral de l’homme, et tout ce travail lui-même se réduirait à un acte de foi.
Mais le fait chrétien, nous venons de le montrer aussi, sans être dans son essence une doctrine, renferme en lui une doctrine ou un ensemble d’idées qui en forme le commentaire authentique ; et si d’ailleurs nous réduisions cet élément doctrinal au minimum, supposé même que la donnée chrétienne se présentât à nous dans la pure simplicité du fait, encore faudrait-il que ce fait pour être perçu et nommé, fut soumis à ce travail intellectuel qui s’applique à tout objet intelligible pour produire la connaissance élémentaire. C’est dire que le travail théologique, dont un des buts notoires est de me procurer un certain nombre de notions sur le fait qui constitue l’objet de la foi chrétienne, suppose une activité plus ou moins intense et prolongée de la faculté de penser, de raisonner et de comprendre. Comme enfin le fait chrétien qui appartient très certainement par son essence à l’ordre supersensible, s’est réalisé dans le temps et l’espace, au centre de l’histoire et au sein de l’humanité, en prenant des formes et des contours, comme ce noumène a été fait phénomène, les premiers représentants du Christianisme ont expressément voulu faire appel non seulement à la conscience et à la raison, mais à tous les sens de l’homme (1Jean.1.1), et il sera vrai de dire par conséquent que la perception sensible, à côté du raisonnement et de la foi, est un des facteurs indispensables concourant au travail théologique.