Jean-Baptiste est un des représentants de la tendance ascétique. — L’éducation qu’il avait reçue. — Son genre de vie. — Sa prédication. — Ses espérances messianiques. — S’est-il occupé de politique ? — Sa mort. — Le baptême qu’il administrait. Son œuvre eut un retentissement immense. — Il ne relevait d’aucune école. — La grandeur morale et religieuse de son œuvre. — L’école de Jean-Baptiste. — Banus.
Jean-Baptiste a été le chef d’un mouvement religieux considérable ; il a émis des idées de la plus haute importance et il mérite une place à part dans ce siècle où il y eut tant de chercheurs et d’initiateurs. Il se rattachait à la tendance rigoriste qui était si puissante alors. Les Pharisiens, c’est-à-dire les Juifs dévots, en marquaient le premier degré ; les Esséniens le second et les ascètes isolés, comme Jean-Baptiste ou Banus, le troisième.
C’est vers l’an 26 ou 27, la quinzième année de Tibère César (Luc 3.1), qu’on commença à parler de ce Jean ou plutôt Johanan, qui vivait sur les bords du Jourdain. Son costume, sa nourriture, le lieu qu’il avait choisi pour ses prédications et pour ses ablutions, tout indiquait qu’il n’était pas un naziréen ordinaire ; le naziréat ne séparait pas de la société. Jean était un véritable solitaire vivant dans une pénitence continuelle.
Il avait été élevé « au désert ; » ce qui ne veut pas dire qu’il fut élevé en ermite, mais simplement loin des villes et surtout loin des écoles. Dans le Talmud, « le désert » désigne simplement la campagne. Un curieux passage du livre de l’Assomption d’Isaïe nous apprend que tous ceux qui exerçaient une grande influence religieuse devaient avoir eu leur temps de pénitence et de retraite au désert. Le Judaïsme a-t-il subi ici l’influence du Bouddhisme ? on l’ignore.
Esprit ardent, aussi sérieux que sincère, l’ascétisme était chez Johanan une conviction religieuse et non un moyen de faire de la propagande. Il se nourrissait exclusivement de sauterelles et de miel sauvage.
[Nous disons exclusivement, c’est ce que laissent entendre les Évangiles. Manger des sauterelles n’avait rien d’étrange en soi ; les sauterelles faisaient partie de la nourriture ordinaire de tous les Juifs ; on en mangeait même à Jérusalem. Delitzsch, Handwerkerleben zur Zeit Jesu, Erlangen, 1868, p. 60 ; ce chapitre a été traduit pour la Revue chrétienne, par M. Wabnitz, année 1872, p. 696 et suiv.]
Il n’avait pour vêtement qu’une peau de chameau et une ceinture autour de la taille (Marc 1.6 ; Matthieu 3.4). On voit qu’il s’imposait des jeûnes et des privations. Jean-Baptiste n’était « ni un mangeur, ni un buveur (Matthieu 11.18). »
Sa prédication semble avoir été singulièrement passionnée. Son éloquence était rude et populaire, et d’ordinaire il procédait dans ses discours par apostrophes et par violentes invectives. L’austérité de sa vie venait donner une grande force à l’amertume de ses reproches. On peut réduire à trois points principaux ce que nous savons de son enseignement : 1° le Royaume de Dieu, le jugement messianique est imminent ; 2° le Messie lui-même va paraître ; 3° le peuple doit se préparer à sa venue par la repentance. Ces pressants appels à la pénitence remuaient profondément cette multitude apathique et satisfaite. Jean atteignait facilement son but qui était de la frapper de terreur, et de lui inspirer la crainte du jugement de Dieu ; aussi parlait-il de « la colère qui va venir » et de ceux qui seront brûlés par le Messie, au feu qui ne s’éteint point (Matthieu 3.7,12). » Il n’était question dans sa prédication que de jugement et de peines éternelles. Il ne disait rien qui s’adressât au cœur. Le fond comme la forme de son enseignement avait quelque chose d’âpre et de violent.
Son espérance messianique était d’une force extraordinaire. Il était le pressentiment messianique incarné. « Pour moi, je vous baptise d’eau, disait-il, mais Lui il baptisera du Saint-Esprit et de feu. » Le roi de l’avenir ne devait être à ses yeux qu’un juge, fondateur de la théocratie. [Cependant, d’après l’Év. de Jean, il se serait fait, à un certain moment de son ministère, une idée du Messie tout à fait évangélique, Jean 1.29,36 ; 3.27 et suiv.]. Et quand, à la fin de sa carrière, il apprend que Jésus ne fonde pas la théocratie qu’il attend et n’exerce pas le jugement terrible qu’il a prédit, il doute de lui et lui fait poser cette question : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »
Il est probable qu’il s’est occupé de politique. Josèphe l’affirme et c’est à cela qu’il attribue son arrestation et sa mort. D’après les Évangiles, il aurait blâmé la conduite d’Hérode et sa liaison coupable avec Hérodiade. Il fut enfermé dans la prison de Machéro. Nous ne raconterons pas sa mort dont les détails d’un si horrible réalisme sont bien connus (Marc 6.14-29 ; Matthieu 14.3).
Jean avait adopté comme signe de la repentance qu’il demandait à ses disciples, « un baptême, » c’est-à-dire une immersion totale du corps dans l’eau du Jourdain. Cette ablution ne se pratiquait qu’une fois et non pas tous les jours comme celle des Esséniens. Il n’y a rien là de spécial à Jean et qui mérite de nous arrêter. Depuis longtemps déjà on baptisait les païens qui se convertissaient au Judaïsme.
L’œuvre de Jean eut un retentissement immense (Matthieu 3.5 ; Marc 1.5). Ses disciples, après avoir confessé leurs péchés et avoir reçu le baptême (c’était les deux actes exigés), menaient aussi une vie ascétique, mais moins rigoureuse que la sienne, et où le jeûne occupait une place importante. Ce jeûne ne différait sans doute pas de celui des Pharisiens parmi lesquels Jean comptait beaucoup d’admirateurs.
Plusieurs personnes se demandaient si Jean n’était pas le Messie, mais il le niait énergiquement (Luc 3.15 ; Jean 1.20). Un très grand nombre de ses auditeurs le prenaient pour Élie. Nous avons déjà dit qu’on l’attendait tous les jours. Une apparition d’Élie paraissait chose parfaitement naturelle à ce peuple porté à toutes les crédulités. L’opinion la plus commune voulait que Jean rat un des anciens prophètes ressuscité (Matthieu 14.5 ; 21.26 ; Marc 6.15 ; Jean 1.21). Comme il n’en avait pas paru depuis longtemps, les Pharisiens, toujours disposés à admettre une résurrection, voyaient volontiers un « Voyant » ressuscité dans ce prédicateur dont toute la personne respirait quelque chose d’antique. Lui-même n’osait pas se donner le nom de prophète. Il s’appelait : « la Voix de celui qui crie dans le désert. » Peu à peu cette conviction que Jean avait été un prophète se fortifia dans l’esprit du peuple. Son martyre vint ajouter encore à sa popularité et, même après sa mort, les scribes n’osaient pas s’opposer à lui ouvertement (Marc 11.32).
M. Grætz a voulu en faire un Essénien. [Faisant venir Essénien de Sahah, baigner, il fait du mot Baptiste un synonyme du mot Essénien.] Ce rapprochement nous semble bien forcé. Jean voulait amener le peuple entier à la repentance, ce qu’un Essénien n’aurait jamais songé à faire ; nous avons déjà remarqué que ses disciples ne se livraient pas à des ablutions quotidiennes et ne recevaient qu’une fois le baptême. Son costume, qui était celui des anciens prophètes, n’avait rien de commun avec celui des Esséniens ; sa nourriture non plus. Enfin il rejetait la doctrine de la purification légale que l’Essénisme considérait comme si importante et regardait avant tout au changement du cœur.
Si on veut le rattacher à un des partis de son époque, ce serait peut-être parmi les Pharisiens qu’il faudrait le placer. Ses disciples jeûnaient comme eux (Matthieu 9.14). Mais il est certain que les Pharisiens ne lui ont pas toujours été favorables (Luc 7.29-30). Avant tout, Jean-Baptiste était jaloux de sauvegarder son indépendance ; il n’avait aucune attache officielle, ne relevait de personne, et se réservait le droit de juger tous les partis et toutes les classes. Ce qui explique à la fois la faveur dont il jouit auprès du peuple et la haine qu’il souleva chez les prêtres et chez les grands. Les aristocrates lui étaient très hostiles et faisaient courir des calomnies sur son compte ; ils disaient « qu’il avait un démon (Luc 7.33). »
Le mouvement qu’il inaugura nous apparaît comme une protestation de la conscience ne pouvant décidément plus se contenter des moyens de régénération offerts par le Mosaïsme et par ses représentants du Temple. C’est par là que cet austère ascète du désert a été vraiment grand, et s’est trouvé être, lui aussi, un des représentants de cet esprit libéral dont nous avons parlé plus haut. Ayant rompu avec les traditions et le formalisme, il s’était séparé du Judaïsme officiel et de la Synagogue et s’était retiré au désert. Dans la solitude, ses convictions premières s’étaient encore fortifiées, et il avait pressenti l’ère nouvelle qui allait commencer.
Il s’était mis alors à prêcher la repentance, l’humiliation, le sentiment du péché qui est le point de départ de toute vie religieuse. Il avait rejeté la loi cérémonielle et les sacrifices du Temple, et n’avait institué qu’une seule pratique extérieure, le baptême. Enfin, s’élevant plus haut encore, il était arrivé à l’universalisme absolu, disant aux Juifs : Il ne suffit pas d’être enfant d’Abraham ; « Dieu peut faire naître de ces pierres mêmes des enfants à Abraham. »
L’école de Jean survécut longtemps à son fondateur. Elle se développa à côté de la jeune Église chrétienne. On se faisait baptiser « du baptême de Jean. » Parfois on était chrétien et johannite à la fois, comme Apollos, et plusieurs membres de l’Église d’Éphèse (Actes 18.25 ; 19.1-5).
En 53, un certain Banus continua la tradition du Baptiste. Josèphe passa quelque temps près de lui, et il semble avoir conservé un souvenir très net de sa vie et de ses habitudes. Il vivait aussi dans la solitude, se nourrissait de fruits sauvages et prenait fréquemment des bains ou baptêmes d’eau froide. Il avait un vêtement fait d’écorce d’arbres. Ce Banus est-il le Bounaï dont le Talmud, qui confond tout, lait un disciple de Jésus ? Josèphe qui le suivit pendant trois ans se rattacha ensuite au parti Pharisien.
L’école ascétique ne devait pas exercer une grande influence sur les masses en Palestine. Ses idées n’étaient pas dans les traditions du Judaïsme. Elles n’en sont pas moins passées dans le Christianisme ; non pas dans celui des premiers jours : Jésus-Christ et les douze n’appartenaient pas à la tendance ascétique. Mais saint Paul l’avait conservée du Pharisaïsme (1 Corinthiens 7 ; 9.27) et, au ive siècle, cette tendance s’affirma et prit un grand développement au sein de l’Église chrétienne.