Il va sans dire que toutes ces affaires ecclésiastiques n’empêchaient point le comte de travailler d’une manière plus directe à la seule chose nécessaire : la conversion et l’édification de ceux que Dieu avait confiés à ses soins. Les réunions religieuses étaient de plus en plus fréquentes, et le dimanche, par exemple, elles se succédaient sans interruption de six heures du matin jusqu’à minuit. Le zèle était tel, que la plupart de ceux qui venaient de Hennersdorf pour y assister ne s’en retournaient pas chez eux de toute la journée et apportaient dans leur poche un morceau de pain pour se dispenser d’aller dîner. Tous ceux qui y prenaient part y venaient spontanément et de leur plein gré ; le comte avait en horreur tout ce qui eût ressemblé à de la contrainte, et si, par exemple, quelqu’un de ses domestiques passait tout le dimanche sans paraître à aucune de ces assemblées, il ne se permettait pas de lui en faire la moindre observation. Le vendredi, on avait une petite réunion plus intime où l’on n’admettait que ceux dont on avait lieu de croire qu’ils aimaient sincèrement le Sauveur.
L’éducation de la jeunesse était aussi, nous l’avons vu, un des moyens d’évangélisation auxquels Zinzendorf et ses amis attachaient le plus d’importance. Trois écoles furent bientôt fondées à Berthelsdorf et à Herrnhout. Deux étaient spécialement destinées aux enfants pauvres ; l’une était pour les jeunes garçons, l’autre pour les jeunes filles. Une troisième était un collège pour les jeunes gens de la noblesse.
Ces divers établissements étaient une réminiscence de ceux de Halle et leur ressemblaient beaucoup dans l’origine. Aussi, dans un voyage que Zinzendorf fit à Halle, dans l’été de 1724, il y reçut d’Anton, de Franke et de ses autres amis les témoignages de la plus vive sympathie. Franke cependant ne dissimula pas ses craintes en apprenant tout ce qu’il y avait encore d’incohérent et d’indéterminé dans les tendances ecclésiastiques de cette nouvelle communauté, partie luthérienne, partie réformée, partie morave. Il eût été facile au comte de donner à ses établissements d’éducation une assiette plus solide et un crédit plus étendu, en les affiliant à ceux de Halle ; mais on ne peut douter que cette union, désirable en apparence, n’eût, au fond, été fâcheuse ; car la puissante individualité de Zinzendorf et le développement tout exceptionnel de Herrnhout devaient donner à ces nouvelles institutions un caractère qui leur appartînt en propre. C’est ce que pressentirent également Franke et Zinzendorf, de sorte qu’il ne fut pas question d’une association qui, au premier abord, eût pu paraître très naturelle.
De Halle, le comte se rendit à Ebersdorf, où la comtesse accoucha de son premier-né. La joie qui remplissait le cœur paternel de Zinzendorf, loin de l’enchaîner à la terre, se tournait tout entière en reconnaissance et ne le faisait aspirer que plus ardemment à l’immolation de lui-même. C’est le sujet d’une poésie qu’il composa quelques semaines après la naissance de ce fils : A Toi mon âme, à Toi mon intelligence, à Toi tout ce que je suis, » disait-il à la fin de ce cantique. « Que je sois ce que Tu veux, cela me suffit. » Quelques jours à peine s’étaient écoulés que Dieu lui demanda de confirmer par l’obéissance cette profession de sa foi. Le nouveau-né tomba gravement malade. Son père et sa mère soutinrent l’épreuve comme Abraham ; ils résolurent de faire librement au Seigneur le sacrifice de ce fils bien-aimé, sans attendre qu’il les y eût contraints. Ils se mirent à genoux devant le berceau, et d’un cœur joyeux présentèrent leur enfant à Celui qui le leur avait donné, lui demandant d’agréer cette offrande. Pendant qu’ils priaient, l’enfant expira.
[Dans ma première édition ce fait est présenté sous un aspect étrange et comme si rien n’avait motivé ce sacrifice. C’est une pure méprise. Sans doute Spangenberg ne dit pas expressément que l’enfant fût malade, mais cela ressort évidemment de son récit et aucun biographe de Zinzendorf ne l’a entendu autrement.]