Une des histoires de l’Ancien Testament les plus touchantes et à la fois les plus riches en consolations, est sans contredit celle de l’enfant Moïse miraculeusement sauvé des eaux. Voici, près des bords du Nil, parmi les roseaux, nage un petit coffre tissu de jonc et que le bitume et la poix rendent impénétrable à l’eau. Il porte un précieux trésor, un bel enfant, un enfant agréable à Dieu, et chéri de sa mère plus que toutes choses au monde. C’est sa mère qui l’a confié au fleuve : « peut-être, se dit-elle, mon fils échappera-t-il ainsi à la mort, » que d’après l’ordre de Pharaon, tous les enfants des Hébreux doivent trouver dans les eaux. C’est l’amour d’une mère qui lui a préparé cette couche, au milieu de bien des larmes et dans le silence ; et tandis que le berceau flotte balloté par le vent et les ondes, une sœur, Marie, se tient éloignée, surveille le petit enfant, et veut savoir ce qui lui arrivera. Alors Dieu envoie la fille de Pharaon sur les rives du fleuve. Elle aperçoit le coffre qui flottait dans les roseaux, et ordonne à une de ses filles d’aller le prendre. Elle l’ouvre et voit l’enfant, et voici, l’enfant pleurait. Emue de compassion, elle dit : « C’est un des enfants des Hébreux. » Alors la sœur s’approchant dit à la fille du roi : « Irai-je appeler une nourrice d’entre les femmes des Hébreux ? et elle allaitera cet enfant. » « Va, » lui répondit la princesse. Et elle alla et appela la mère de l’enfant. Alors la fille de Pharaon dit à celle ci : « Prends cet enfant et me l’allaite, et je te donnerai ton salaire. » Et elle le prit et l’allaita, et la mère et l’enfant furent ainsi réunis de nouveau.
Vous avez déjà pressenti les consolantes leçons que contient cette histoire. Nous tous, mes amis, qui appartenons à Christ, sommes portés par son amour dans un berceau où l’épée de Pharaon ne peut nous atteindre, ni les flots du monde nous engloutir. Mais combien il y en a d’entre nous qui, à l’ouïe de la tempête, du bruit des flots en tourmente, des cris des crocodiles, pleurent comme le petit enfant et tremblent de frayeur ! Ils ne savent pas que c’est l’amour d’une mère qui les a ainsi exposés sur le grand fleuve du monde et qu’elle ne l’a fait que pour leur bien ; ils ne savent pas que l’amour d’une mère les suit des regards et veille sur eux ; ils ne savent pas qu’ils ne pourraient périr que si l’amour éternel qui les porte périssait avant eux. Pourquoi ces pleurs et ces alarmes ? Vous ne flotterez pas toujours sur les eaux de la détresse ; voici, déjà s’approche du rivage la fille du Roi des cieux ; elle se baisse vers vous avec amour et vous enlève aux vagues mugissantes ; vous l’entendez qui dit de vous : « C’est un des enfants des Hébreux, » et à ces mots toutes vos angoisses s’évanouissent, et vous reposez doucement en un Dieu qui aime ses enfants de toute l’affection d’une mère.
Le texte d’aujourd’hui nous prouvera combien sont peu fondées ces craintes des enfants des Hébreux au temps de l’angoisse.
13 Et voici, une voix vint à lui et lui dit : « Qu’as-tu à faire ici, Élie ? » 14 Et il dit : « J’ai été extrêmement ému à jalousie pour l’Eternel, le Dieu des armées ; car les enfants d’Israël ont abandonné ton alliance, démoli tes autels, égorgé tes prophètes avec l’épée, et je suis demeuré moi seul, et ils cherchent ma vie pour me l’ôter. » 15 Mais l’Eternel lui dit : « Va, retourne-t-en par ton chemin à travers le désert à Damas, et entres-y, et oins Hazaël pour roi sur la Syrie, 16 et Jéhu, fils de Nimsçi, pour roi sur Israël, et Élisée, fils de Sçaphat, qui est d’Abelméhola, pour prophète en ta place. 17 Et il arrivera que quiconque échappera à l’épée de Hazaël, sera mis à mort par Jéhu, et quiconque échappera à l’épée de Jéhu, sera mis à mort par Élisée. »
En écoutant le texte d’aujourd’hui, vous vous êtes étonnés des plaintes que le prophète renouvelle, et des ordres que l’Eternel lui donne. Tout cela vous semble s’accorder mal, si ce n’est même être en contradiction directe, avec les choses miraculeuses dont il vient d’être témoin. Et cependant, il suffit d’un peu de réflexion pour trouver le mot de cette énigme. Après avoir jeté un coup d’œil en arrière sur l’apparition de Dieu en Horeb, nous examinerons d’abord la plainte du prophète, puis le chemin que Dieu lui indique, et enfin la nouvelle mission dont il est chargé.
Nous avons tenté, vous vous en souvenez, de pénétrer avec vous dans le sens profond des scènes merveilleuses dont Élie fut le témoin sur l’Horeb. Elles répandaient entre autres dans son esprit une vive lumière sur toute l’économie divine et sur le plan que le Tout-puissant a suivi dans l’éducation de l’humanité : le vent impétueux, le tremblement de terre et le feu indiquaient bien le caractère des temps de l’ancienne Alliance qui était le pédagogue pour conduire les âmes à Christ, et le vent doux et subtil représentait le temps de la grâce et les jours de la nouvelle Alliance. Mais ces faits miraculeux n’ont pas eu lieu pour Élie seul, c’est pour nous aussi qu’ils sont arrivés, et nous ne devons pas nous en séparer avant d’en avoir tiré quelques-unes des leçons qui nous concernent.
L’Eternel veut-il, dans sa miséricorde, se révéler à une âme, il vient à elle de la même manière qu’il a fait à Élie. Ne connaissez-vous pas cette tempête qu’il envoie devant lui et qui fend les montagnes ce tremblement de terre qui renverse de fond en comble votre cœur, ce feu intérieur qui vous consume et vous arrache de douloureux soupirs ? Ce feu précède le Seigneur de gloire, mais le Seigneur n’y est pas. Ou vos rochers n’auraient-ils pas encore été brisés, ni vos collines abaissées, et le terrain trompeur de votre propre justice ne se serait-il point jusqu’à présent écroulé sous vos pieds ? Si tout est encore debout dans votre âme, oh ! ne prétendez pas, mes amis, avoir entendu déjà le son doux et subtil de la grâce, avoir reçu le baiser de paix de Jéhova ! Hélas, peut-être ne savez-vous pas que le père du mensonge s’approche parfois de l’homme sous la figure d’un ange de lumière, pour lui jouer sur la harpe de l’Evangile quelque chant qui l’endorme ? Lui aussi ne dit-il pas : Mon fils, tes péchés te sont pardonnés ? Ne sait-il pas tisser les promesses de Dieu en cordage de mort, et les esclaves dont il est le moins inquiet, ne sont-ce pas ceux qui se sont laissés prendre par lui dans les filets d’une fausse assurance de salut ? Ignorez-vous donc les ruses de l’ancien serpent ? Oh tremblez ! soyez certains que le Consolateur qui veut apaiser vos consciences sans faire souffrir votre chair, est non le Seigneur, mais le Malin. Car Jésus ne s’approche dans le son doux et subtil, qu’après avoir renversé les montagnes qui s’élevaient contre lui, et percé au cœur le vieil homme avec l’épée de la mort.
Frères, la porte est étroite, le chemin est étroit ! Beaucoup désirent y entrer, mais il en est peu qui y parviennent. Désirer ne suffit pas, il faut lutter, il faut ravir. Le berceau de la nouvelle créature est dans les cendres du vieil homme. C’est au travers des ruines que passe le chemin qui conduit à Sion. La grâce détruit avant que d’édifier, et c’est par l’anéantissement que Dieu mène les siens à la vie.
En voulez-vous un exemple ? En voici un qui date de plusieurs dizaines d’années. Dans une contrée peu distante de la nôtre, vivait un pasteur qui avait reçu du Seigneur de grands dons, et qui déjà depuis plusieurs années annonçait la parole de la croix avec beaucoup de force et une grande bénédiction ; aussi avait-il soulevé contre lui une forte opposition. Un de ces adversaires, homme éclairé, qui avait beaucoup voyagé, éprouvait une si forte haine contre la vérité, que depuis longtemps il n’avait pas reparu à l’Eglise ; mais voici qu’un dimanche matin, il lui vint dans l’idée d’aller entendre encore une fois le sombre prédicateur, pour savoir si ses discours n’avaient point perdu quelque peu de leur violence. Il se rend donc au temple. Le pasteur parla ce jour là du chemin du ciel, qu’il ne faisait ni plus étroit ni plus large que la Parole de Dieu ne le dépeint : « Une nouvelle créature en Christ, disait-il, ou une éternelle perdition ; » et il prêchait avec force et non comme les docteurs de la loi. Pendant la prédication, le rare auditeur se demande en son cœur : « Que signifie tout cela ? si ce que cet homme dit est vrai, mon Dieu ! qu’est-ce que de l’homme ? Mais si ce ne sont là que des mots et des rêves, on devrait chasser à coups de fouet, de leur chaire, ces prêtres fanatiques qui ont l’audace d’accabler la conscience des hommes sous de pareils fardeaux ! » Ces pensées s’attachèrent de plus en plus à son cœur, et le suivirent de l’église à la maison, de la maison à ses travaux et à ses distractions. Où qu’il fût, partout et toujours il entendait murmurer au dedans de lui : « Est-ce vérité ou mensonge ? » Malgré son désir d’échapper à cette pénible question, elle retentissait sans interruption à son cœur ; elle devint même de jour en jour plus forte, plus pressante, et elle menaçait d’empoisonner toutes les jouissances de sa vie. Enfin il lui vint la pensée de se rendre directement auprès du ministre pour lui demander, sur sa conscience s’il était convaincu de la vérité de ce qu’il avait prêché peu de temps auparavant. Il va donc trouver le pasteur, il l’aborde avec une émotion visible et lui dit d’un ton saisissant : « M. le pasteur, j’étais au nombre de vos auditeurs, lorsque vous parlâtes, il y a peu de temps, de l’unique voie qui conduit au salut. Je vous avoue que vous avez détruit ma paix intérieure, et je ne puis m’empêcher de vous demander solennellement, devant Dieu et sur votre conscience, si vous pouvez répondre de vos assertions, ou si vous avez voulu seulement effrayer vos paroissiens par de vains épouvantails ? » Le pasteur, fort surpris de ce discours, répond avec une ferme assurance qu’il a prêché la Parole de Dieu qui ne peut tromper. « Grand Dieu ! répliqua l’étranger tout troublé, s’il en est ainsi, M. le pasteur, que deviendrons-nous ? » Nous ? pense le ministre, saisi et détournant violemment de son cœur cet étrange nous ; et il se met à développer à son interlocuteur tout l’ordre de la grâce, et à l’exhorter à la repentance et à la foi. Mais celui-ci, comme s’il n’eût pas entendu une syllabe de toute cette exhortation, interrompt le ministre au milieu de son discours, et répète avec une émotion toujours croissante son exclamation d’effroi. » Si c’est là la vérité, M. le pasteur, je vous en conjure, que ferons-nous donc ? » Tout effrayé, le prédicateur recule.
Nous ? se dit-il en lui-même, que veut dire ce nous ? et s’efforçant en vain de cacher et de surmonter l’inquiétude qu’il sent augmenter en lui, il se met de nouveau à expliquer et à prêcher. Les yeux de son auditeur se remplissent de larmes ; puis se tordant les mains et se frappant la poitrine comme un désespéré, il s’écrie d’un accent qui aurait ému les pierres mêmes : « M. le pasteur, si c’est la vérité, malheur ! c’est fait de nous ! Nous sommes perdus ! » Pâle et tremblant, le pasteur est là immobile et muet. Avec l’expression d’un trouble inexprimable, les regards fixés à terre, il tombe en sanglotant dans les bras de son paroissien, et, de son cœur saisi d’une indicible angoisse, s’échappent ces mots : « Ami ! dans la poussière, prosternons-nous, prions et luttons ! » Leurs genoux se ploient, ils prient ; ils s’embrassent, et se séparent. Le pasteur s’enferme dans son cabinet. Le dimanche suivant, on apprend qu’il est indisposé et qu’il ne prêchera pas. Le dimanche après, de même. Le troisième dimanche, le pasteur reparaît, pâle et défait de visage, mais l’œil rayonnant de joie, et il commence sa prédication en déclarant que ce n’est que maintenant qu’il vient d’entrer par la porte étroite.
Si vous demandez ce qui lui était arrivé dans son cabinet, pendant ces deux semaines, la Parole de Dieu répondra : Voici, devant l’Eternel avait marché un vent impétueux, qui fendait les montagnes et brisait les rochers, mais l’Eternel n’était point dans ce vent ; un tremblement de terre, mais l’Eternel n’était point dans ce tremblement ; un feu, mais l’Eternel n’était point dans ce feu. Après le feu était venu un son doux et subtil, et l’homme avait enveloppé son visage de son manteau, et seulement alors il avait compris ce qu’est l’Evangile et la Grâce !
Aussitôt que le Seigneur se fût approché d’Élie dans le son doux et subtil, le prophète « se voila le visage de son manteau. » Ainsi marchent voilés devant Dieu tous ses vrais enfants. La loi remplit l’âme de terreur, la connaissance du péché la terrasse ; mais l’homme ne connaît la sainte confusion, et ne ploie, silencieux et humble, tout son être devant Dieu, qu’après que Dieu est venu à lui dans le doux murmure du pardon et de la grâce. » Voici, dit Ézéchiel 16.62, j’établirai mon alliance avec toi et tu sauras que je suis l’Eternel, afin que tu te souviennes et que tu sois confuse, et que de honte tu n’oses plus ouvrir la bouche, quand je t’aurai pardonné tout ce que tu as fait, dit le Seigneur. » Oui, mes frères, lorsque arrive à nous la douce voix d’une miséricorde dont nous sommes entièrement indignes, le regard s’abaisse vers la terre, la bouche se tait et notre confusion se peint sur notre front. Mais cette honte sans angoisse, ce tremblement sans frayeur, ce cœur ployé et plein d’amour et de joie, oh ! que ces saintes dispositions sont agréables au Seigneur ! Elles sont la fleur du chrétien, le parfum du lys dans la vallée, l’éclat merveilleux des paroles divines. Nous avons déjà vu notre prophète dans maintes situations : dans le combat, revêtu de force et de hardiesse tel qu’un lion qui secoue sa crinière ; dans la tempête, inébranlable comme le rocher que la mer bat de ses vagues. Mais il ne nous est jamais apparu, me semble-t-il, plus beau, plus aimable que sur l’Horeb où le héros puissant s’abaisse devant un léger souffle qui passe, et, tremblant de confusion et de joie, se voile devant Dieu le visage de son manteau.
S’étant ainsi voilé, dit le texte, « il sortit et se tint à l’entrée de la caverne. » Le voilà prêt à écouter et à accomplir tout ce que le Seigneur lui dira ; car le sentiment de la grâce remplit le cœur de zèle pour le service de Dieu. Ainsi le charbon de l’autel avait à peine touché les lèvres d’Esaïe et enlevé son iniquité, qu’à la question de l’Eternel : « Qui sera mon messager ? » il répond avec joie : « Me voici, envoie-moi ! »
Élie attend silencieux, et voici une voix vint à lui : « Que fais-tu ici, Élie ? » C’était lui dire : « Pars d’ici, mon serviteur, et retourne à ton œuvre. »
« Que fais-tu ici, Élie ? » Le prophète a bien compris le sens de cette question, et il pressent l’ordre que Dieu va lui donner de retourner à Samarie et d’y reprendre son travail suspendu. Mais au lieu d’entrer avec empressement dans la voie qui s’ouvre à lui, il répond une seconde fois, comme si le miracle eût passé sous ses yeux sans faire impression sur son cœur : « J’ai été extrêmement ému à jalousie pour l’Eternel, le Dieu des armées ; car les enfants d’Israël ont abandonné ton alliance, démoli tes autels, égorgé tes prophètes avec l’épée ; et je suis demeuré moi seul, et ils cherchent ma vie pour me t’ôter. » Mais, ne nous y trompons pas, mes frères, les mots seuls sont les mêmes, la disposition d’âme est autre certainement. L’amertume a disparu ; il ne reste que l’inquiétude naturelle à notre pauvre et faible cœur. L’apparition divine a dissipé les sombres pensées du prophète ; son œuvre à Samarie ne lui semble plus vaine ; Dieu se tient prés de lui, il fortifiera en son temps ses mains pour le combat et couronnera de succès ses travaux ; la réforme d’Israël s’accomplira, car l’Eternel l’a promis. Élie croit d’une foi nue en la parole de Dieu, contre toute vraisemblance. Mais en de pareilles situations les enfants des hommes n’ont d’ordinaire qu’une demi-foi, et s’écrient. « Seigneur, je crois, aide-moi dans mon incrédulité ! » Ainsi Élie. Il ne sait comment, ni par qui pourra s’accomplir la réforme d’Israël ; à la pensée de l’état religieux et social de ce peuple, le ciel de son âme se couvre de sombres nuages, et son cœur s’épanche de nouveau en plaintes et en paroles d’inquiétude.
La foi nue, la foi dans l’obscurité et contre toute raison et toute probabilité, est sans doute quelque chose de sublime qui glorifie hautement le Dieu fort : plût à Dieu que cette plante céleste crût plus abondamment parmi nous ! Mais cette foi n’est que trop rare, et quand elle existe, elle est d’ordinaire incomplète comme chez Élie, elle combat et ne triomphe pas. Tu te trouves dans des circonstances critiques : des inquiétudes sur ta subsistance, des embarras domestiques t’abattent, tu ne vois aucune issue, toute perspective humaine de secours a disparu. Alors se dévoilent à tes regards les promesses de ton Dieu : « Je ne t’abandonnerai pas ni ne tarderai. Ne crains pas, je suis auprès de toi. Voici, je t’ai gravé sur la paume de mes mains. » Tu le sais : Celui qui parle ainsi se nomme Amen. Tu saisis sa parole comme un bâton en la main, tu espères contre toute espérance, tu crois dans l’obscurité. Mais qu’arrive-t-il le plus souvent à notre foi ? Elle est comme un vaisseau sur une mer en tourmente, qui ne doit qu’à la bonté de Dieu de ne pas se briser contre les écueils du rivage ; il monte sur le sommet des vagues, mais pour redescendre à l’instant dans la profondeur des abîmes. Un éclair de joie sillonne notre nuit : « Le Seigneur nous secourra, » et au même moment la vue des difficultés et des dangers nous arrache le cri : « Comment cela finira-t-il ? » Puis nous nous écrions de nouveau : « Seigneur, dis-moi de venir à toi sur la mer ; » mais la vague s’enfle : « Seigneur, aide-moi, je péris ! » La lutte intérieure n’a pas de fin ; les doutes toujours vaincus renaissent sans cesse, et nous ne pouvons songer à déposer le bouclier. Tel est, en général, le caractère de la foi nue.
Et cependant, elle n’est point nécessairement toujours oppressée, toujours combattante. Oh non ! elle peut être aussi triomphante, remettre pour un temps l’épée dans le fourreau, et, assise comme un lion sur le rocher des promesses divines, contempler bien au dessous d’elle toute l’armée vaincue des doutes. Oui, mes frères, il existe aussi une foi qui sait retrouver un ordre parfait dans l’apparente confusion de nos voies, parce qu’elle se souvient que le Seigneur conduit ses enfants par un chemin assuré, quoique parfois bien étrange ; une foi qui, au devant de l’autel et le couteau levé sur un Isaac, sait certainement qu’Isaac vivra, Dieu dût-il le ressusciter ; une foi qui n’hésite pas à attaquer, sans hommes ni chevaux, une armée entière, parce que Dieu a dit qu’ils périront tous ; une foi qui, debout sur le rivage de la Mer rouge, sait qu’elle la traversera sans pont ni vaisseaux, parce que le Seigneur a crié : En avant ; une foi qui, au milieu des épreuves les plus rudes, chante déjà des cantiques de délivrance, parce que Emmanuel a déclaré : « Quand tu passerais à travers le feu, la flamme ne te consumerait point, car je suis auprès de toi. » C’est là la foi nue dans son état de triomphe ; c’est là « le repos assuré » dans le camp des promesses divines. Que vous souhaiterais-je à vous et à moi, de plus excellent, que cette foi qui, la main armée de la parole prophétique, renverse à ses pieds les légions des doutes et des inquiétudes, et qui plane comme un jeune aigle au dessus de la terre ? Il n’est pas de plus étonnant miracle que celui-là dans le cœur de pauvres pécheurs tels que nous.
« Va et retourne-t-en par ton chemin à travers le désert à Damas. » Tel est l’ordre du Seigneur au prophète, qui peut-être eût préféré dresser une tente sur l’Horeb. Mais Dieu lui dit : « Retourne, » et le serviteur doit obéir.
Ces mots : « Retourne à travers le désert, » ne sont pas nouveaux pour nous, n’est-il pas vrai, mes frères ? Nous en avons entendu de pareils en des circonstances différentes de notre vie. Tu étais dans de grandes inquiétudes temporelles ; déjà ta foi ne tenait plus que du bout des doigts la corde des promesses divines, quand le Seigneur t’aida à l’improviste et miraculeusement ; le désert est derrière toi et te voilà sur l’Horeb où Dieu apparaît au pèlerin découragé. Mais les anciens soucis reviennent fondre sur toi comme une tempête. Courage, frère, courage ! c’est le Seigneur qui le veut ainsi : par le désert à Horeb, puis d’Horeb dans le désert. — Vous, vous sortez à peine d’un temps où votre âme était consumée comme en un enfer par le feu de l’épreuve et des tentations ; déjà vous vous croyiez perdus sans ressource, déjà vous disiez : Il n’est plus pour moi d’espérance de salut ; Dieu m’a livré à Satan. Alors est arrivé du ciel la victoire, l’ennemi s’est enfui, ses traits enflammés se sont éteints, et le souffle doux et subtil d’une paix bien connue, mais depuis longtemps absente, est venu, comme d’Eden, rafraîchir votre pauvre âme. Mais voici, le feu se rallume, les torrents embrasés vous enveloppent de nouveau. Toutefois, soyez sans crainte ; le chemin que vous suivez, mille l’ont parcouru avant vous. C’est celui d’Élie. D’abord par le désert à Horeb, puis d’Horeb à travers le même désert vers Damas.
Vous me demandez pourquoi le Seigneur agit ainsi ? Hé, mes amis, qui a été son conseiller ? Cependant les voiles qui recouvrent les desseins de Dieu, ne sont pas ici tellement épais que nous ne puissions en entrevoir quelque chose. Vous savez quelle joie immense inonde l’âme, lorsque le Seigneur apparaît tout-à-coup dans les ténèbres de notre vie pour nous secourir et nous sauver ; combien le cœur est vivement ému, et comme les accents de la louange naissent d’eux-mêmes sur nos lèvres, pleins de chaleur et de force. Mais vous savez aussi qu’en dépit de l’apparence, ces pieuses effusions ne procèdent point toutes d’un cœur régénéré, et que même elles ne sont souvent, en dernière analyse, que la joie que le vieil homme éprouve de sa délivrance. Une telle illusion est fort dangereuse, elle enfle, elle inspire une fausse sécurité, et si le Seigneur nous aime, il la dissipera. Et comment le fera-t-il ? D’ordinaire en nous replaçant de nouveau dans la même détresse dont il vient de nous délivrer. « Va, et retourne-t-en par ton chemin à travers le désert. Alors se manifeste le fond des cœurs. Si le sujet de notre joie était bien réellement Dieu et sa grâce, nous traverserons le désert dans de tout autres sentiments que la première fois, avec courage et pleins d’espérance. Si nos ravissements de joie portaient au contraire (et ce n’est que trop souvent le cas) bien plus sur le don reçu que sur celui qui l’a fait, si nous avons été émus et transportés bien plus de ce que la délivrance avait d’agréable, que de l’amour et de la fidélité de Dieu qui s’y manifestaient, le découragement s’empare de nouveau de nous à l’ouïe des paroles : « Retourne au désert, » et toutes nos espérances s’évanouissent. Mais en même temps aussi se dissipe notre illusion ; et qu’y a-t-il de plus salutaire pour l’homme, que de sortir d’une mortelle erreur et que d’apprendre à connaître sa pauvreté et sa misère ?
Que si donc, mes amis, à peine arrivés à Horeb, vous devez retourner dans le désert, ne vous effrayez pas : il n’y a qu’amour et miséricorde cachés sous cet ordre qui vous semble sévère. Et quand bien même de vieux chrétiens seraient renvoyés de leur Horeb, qu’ils n’en soient pas surpris ! le Seigneur garde ses enfants à l’école jusqu’à la fin. Vous pourriez, au terme de votre carrière et après les innombrables expériences que vous avez faites de la grâce de Dieu, être subitement rejetés dans le désert de la première repentance ; car le premier amour et la première contrition sont de bonnes et excellentes choses qui méritent bien, n’est-ce pas ? d’être aussi les dernières dans nos cœurs. Le vieillard en Christ refait par fois le chemin de sa jeunesse, ressent de nouveau les douleurs du larron pénitent sur la croix, ou de Madeleine aux pieds de Jésus, et franchit de nouveau comme un petit enfant l’entrée du chemin de la vie. Vous pensez reculer, et cependant vous marchez en avant.
Revenons à notre histoire. Élie reçoit de Dieu une triple mission, qui devient pour lui une source de force et de courage. La première est celle-ci : « Va et oins Hazaël pour roi sur la Syrie. » C’est la réponse à la première de ses plaintes : « Les enfants d’Israël ont abandonné ton alliance. » « Je leur prépare une verge, veut dire le Seigneur ; Hazaël, le serviteur du roi de Damas, passera au travers de ce champ de ronces et d’épines ; va et oins-le pour roi de Syrie. » Hazaël monta sur le trône, et il causa de grands maux à Israël, il incendia ses places fortes, égorgea ses jeunes gens, écrasa sur la pierre ses enfants, et tailla en pièces ses femmes enceintes. Il fut l’un de ces vents impétueux qui précédent le Seigneur et brisent les rochers et fendent les montagnes ; mais après avoir rempli sa tâche, il fut lui-même rejeté de Dieu. C’est ainsi que le Seigneur sait employer les vases de colère, tantôt pour punir son peuple, tantôt pour le rassembler, comme un berger rassemble ses brebis égarées.
Frères, qui sait le sort qui attend dans l’avenir notre vallée, notre église ? Nous sommes encore sous la patience de Dieu ; mais y resterons-nous longtemps ? Quelle infinie miséricorde Dieu ne nous a-t-il pas témoignée, ne nous témoigne-t-il pas chaque jour ? Et est-il grand le nombre de ceux qui, parmi nous, lui en rendent vraiment grâces et qui se vouent de cœur à son service ? Quoi ! si le Seigneur enlevait subitement de notre vallée ses vrais enfants et n’y laissait que les impénitents, remarquerait-on une diminution notable de la population ? Ou chez nous, comme ailleurs, Jacob n’est-il pas aux Cananéens ce qu’une goutte d’eau est à la mer, ce que sont les étoiles qui, dans une nuit orageuse, brillent de loin en loin entre les sombres nuages balayés par le vent ? La prédication de la Parole de vie a fini, hélas ! par tuer bon nombre de gens. Pendant de longues années, ils ont déjà traîné dans ce temple leurs âmes mortes, et l’on dirait que l’air vivifiant de l’Evangile, qui leur arrive en grande abondance, n’agit sur eux que pour les pétrifier et les changer en momies. Bon nombre de nos gens ont par dessus les yeux de l’Evangile, l’éternelle ritournelle de Jésus et de sa croix les ennuie jusqu’au dégoût. Nul tonnerre, nulle trompette de la loi ne peut les faire trembler, et les plus doux accents de la grâce et de la promesse n’ébranlent plus les cordes usées et distendues de leur âme. On heurte, et leur cœur, devenu de pierre, ne s’émeut pas ; on tend l’arc, et la flèche ne pénètre pas en eux ; leurs âmes sont cuirassées d’ennui. Bon nombre de nos gens sont tièdes, ni chauds, ni froids, ni pour, ni contre ; ils se tiennent peut-être près de Jésus et lui disent des lèvres : « Seigneur, Seigneur, » mais ils ne demeurent pas en lui et ne se réchauffent pas au feu de son amour ; aussi les vomira-t-il de sa bouche. Bon nombre de nos gens clochent des deux côtés : ils louent dans la même phrase Jésus et le monde, ils se prosternent en même temps devant Dieu et devant les veaux d’or. Ils ne demandent pas mieux que d’être joyeux avec les enfants du monde et d’être sauvés avec les enfants de Dieu. Ils veulent bien de Christ, mais ils garderont leur Bahal. Telle est la grande multitude dans cette ville ; riches et pauvres, grands et petits, ils appartiennent presque tous à telle ou telle de ces classes. Que Dieu ait pitié de nous ! Sa patience a un terme, et vous la fatiguez. Qui sait si bientôt une voix ne sera pas adressée à l’un des anges, disant : « Va donc, et charge tel ou tel d’être pour cette ville un Hazaël, et appelle tel enfant de mensonge pour pasteur de cette église ? » Qui sait si les prédicateurs qui sont maintenant dans vos chaires, ne seront pas les derniers qui annonceront l’Evangile à cette ingrate vallée, et si les séducteurs qui n’attendent que notre départ pour prendre nos places, ne sont pas assis déjà sur les bancs des écoles de Satan, les flambeaux de la fausse Prophétesse à la main ? Hélas ! peu d’années encore peut-être, et le foyer du Seigneur sera enlevé du milieu de vous, et son feu éteint jusques à la dernière étincelle. Et si les justes sont retirés et que nulle main ne s’élève plus vers le ciel, la ville, que ne supportera plus la prière, s’écroulera et la ruine arrivera terrible. Oh si tu prenais garde à temps aux choses qui concernent ta paix ! Ninive ! Ninive ! Peut-être quarante ans encore, et les aigles accourront vers le corps mort. Oh ! prenez le sac et la cendre ; et que chacun se convertisse de ses mauvaises voies et des crimes de ses mains !
La seconde mission que reçoit Élie, est celle-ci : « Va et oins Jéhu, le fils de Nimsçi, pour roi sur Israël. » C’était la réponse à sa seconde plainte : « On a brisé tes autels et égorgé tes prophètes. » « Je prendrai moi-même la défense de mon honneur, veut dire le Seigneur, la maison d’Achab sera dévastée, et que Jéhu soit la hache qui abattra l’arbre par la racine. » Et en effet, Jéhu a fait disparaître de la famille d’Achab jusques au dernier de ses membres. Il a précipité de la fenêtre Jésabel et laissé son cadavre dans la boue. Il a fait périr en un jour les soixante-et-dix fils d’Achab, et exposé leurs têtes en deux monceaux aux portes de Jesréel. Il a égorgé les prêtres de Bahal dans leur temple même, jeté les vases sacrés dans les flammes, et mis fin au culte des idoles phéniciennes en Israël.
Nos temps ont aussi et leurs Achabs et leurs Jéhus, et plus d’une famille a été renversée et détruite de nos jours pour avoir endurci leurs cœurs contre le Seigneur et résisté avec colère à ses enfants et à ses serviteurs. Ces maisons impies avaient été florissantes, et il leur avait été permis pour un temps de persécuter le petit troupeau du Seigneur qui ne leur faisait aucun mal ; mais bientôt leur ruine est venue, et elles ont été précipitées de leur hauteur ; la roue de la fortune tourne, et nul ne l’arrêtera. Celui-ci fait faillite et prend avec les siens le bâton de mendiant ; celui-là, livré aux passions de la chair, périt dans les égouts du péché. L’un est marqué au front et ignominieusement chassé de la ville ; l’autre descend avec douleur au tombeau à cause de ses enfants qui font sa honte. Le Seigneur frappe celui-ci d’imbécillité et le paie de ses moqueries par celles des enfants dans les rues ; celui-là est livré dès cette vie à Satan, et, vaincu par le désespoir, il arme contre lui-même sa main sacrilège. L’édifice du bonheur s’écroule, car là où le Seigneur détruit, il n’est pas question d’empêcher le désastre ni de le réparer ; le feu de la colère, allumé sur la terre, brûle jusqu’en enfer. Une mort impénitente, qui est le dernier des jugements de Dieu en ce monde, forme le premier anneau d’une nouvelle chaîne de terreurs qui n’aboutira plus à un tombeau. Les réprouvés iront avec Judas en leur lieu, et sur la terre leur nom ne sera plus même nommé, ou ne le sera qu’avec horreur.
La troisième mission d’Élie était la plus réjouissante pour son cœur, et répondait à cette troisième plainte : « Je suis demeuré seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie. » « Ne crains pas, Élie, lui dit la voix divine, tu n’es pas le seul qui soit demeuré ; et quand bien même tu serais seul à combattre, penses-tu que je ne puisse pas susciter des prophètes quand j’en ai besoin ? Va, oins Élisée pour prophète à ta place. Et il arrivera que quiconque échappera à l’épée de Hazaël sera mis à mort par Jéhu, et quiconque échappera à l’épée de Jéhu, sera mis à mort par Élisée. » Ainsi Israël est menacé d’un ouragan destructeur en la personne de Hazaël, et d’un tremblement de terre en celle de Jéhu, et en même temps il verra venir à lui, comme un feu, Élisée, le prédicateur du désert, le héraut de la colère comme de la grâce de Jéhova. Élie est rassuré, le Gardien d’Israël n’a point abandonné sa vigne, le pilote veille au gouvernail ; et quand il aura appris encore, de la bouche même du Seigneur, que sept mille hommes sont de reste, qui n’ont point fléchi le genou devant Bahal, les sombres nuages se dissiperont entièrement de son ciel, et, dans l’attente d’une nouvelle glorification de Dieu à Samarie, il reprendra avec joie le chemin du désert.
Mes frères, si une épée du Seigneur doit frapper notre église, oh ! que ce soit non celle d’un Hazaël, ni celle d’un Jéhu, mais bien celle d’un Élisée, l’épée à deux tranchants de l’Esprit, qui est la parole du Dieu vivant. Que le Seigneur aiguise cette bonne épée avec laquelle il s’assujettit les puissants, et qu’elle pénètre en nous, divise, coupe et tranche mieux qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent ! Qu’elle abaisse les orgueilleux dans la poussière, qu’elle réveille et chasse de leurs couches ceux qui dorment dans une fausse paix, qu’elle mutile ceux qui sont justes à leurs propres yeux et blesse les bien portants, et que nul autre que Jésus ne puisse les guérir ! Ce seraient là d’heureuses défaites, de salutaires destructions ; car c’est avec de pareilles blessures qu’on pénètre dans le paradis de la nouvelle alliance ; c’est à leurs cicatrices qu’on reconnaît les enfants de Dieu.
Que le Héros se ceigne donc de nouveau de son épée parmi nous ! Et puisse s’appliquer bientôt à nous tous la parole du prophète : « Le peuple qui a échappé à l’épée, a trouvé grâce dans le désert ; Israël s’avance vers son repos. » Amen !